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TREIZIÈME SERMON. Des trois miséricordes et des quatre pitiés.
1. De même qu'il y a des péchés très-petits, qu'il en est de médiocres, et qu'il y en a de grands, ainsi en est-il de la miséricorde; il en est une petite, une médiocre et une grande. Tout grand pécheur a besoin d'une grande miséricorde, afin que la grâce surabonde là où le péché a abondé. Je donne le nom de petite miséricorde au répit que Dieu nous laisse en ne nous punissant pas aussitôt que nous avons péché, et en attendant que nous fassions pénitence; elle est petite, non point en soi, mais par comparaison avec les autres; car, en soi, cette attente du Seigneur est une miséricorde non-seulement grande, mais très-grande. Il n'a pas attendu ainsi, que l'ange pécheur fit pénitence, il l'a précipité à l'instant même du haut des cieux, et l'homme même, il n'a pas différé pour un autre temps de le punir de sa faute, il l'a chassé du par idis terrestre. Mais à présent il attend, il ferme les yeux, il patiente dix ans, vingt ans, jusqu'à la vieillesse, à la décrépitude. Si, d'un autre côté, nous considérons le nombre et la gravité des fautes que nous commettons tous les jours, les regarderons-nous comme de petites fautes parce que, jusqu'à présent, elles ont échappé au péril de la damnation? Il ne faut donc point s'étonner si le Prophète nous dit que ses pieds ont failli lui manquer, et s'il est presque tombé tant il s'est senti indigné à la vue de la paix des pécheurs (Psal. LXXII, 2), si les pécheurs mêmes s'écrient : « Comment se peut-il que Dieu connaisse ce qui se passe sur la terre? Le Très-Haut a-t-il véritablement la connaissance de toutes ces choses (Psal. LXII, 11) ? » Mais c'est la grâce de la croix du Christ et sa vertu. « Vive moi, dit le Seigneur, je ne veux point la mort de l'impie, mais je veux qu'il se convertisse et qu'il vive (Ezech. XXXIII, 11). » Si je ne me trompe, ce langage est celui de Jésus-Christ ressuscitant; c'est comme s'il avait dit : Que le Juif le veuille ou ne veuille pas, je vis et je ne veux pas la mort du pécheur, moi surtout qui suis mort pour les pécheurs; je veux que ma mort porte ses fruits, et que, par elle, la rédemption soit abondante. 2. J'ai dit que la miséricorde du Seigneur qui tarde à nous frapper, et est prêt à nous pardonner était petite, non en soi, mais en comparaison avec les autres miséricordes, car si elle est seule, non-seulement elle ne suffit point à nous sauver, mais même elle aggrave les motifs de notre condamnation, puisqu'elle peut dire au pécheur : « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tû (Psal. XLIX, 21). » Entendons donc l'Apôtre tonner à son habitude d'un ton terrible, et nous dire : « Est-ce que vous méprisez les richesses de sa bonté (de la bonté de Dieu) et de sa longanimité? Ne savez-vous pas que cette bonté même vous invite à la pénitence? Mais vous, de votre côté, par votre dureté et par l'impénitence de votre coeur, vous vous amassez un trésor de colère, pour le jour de la colère (Rom. II, 4, 5). » Oui, vous vous amassez, dit l'Apôtre, des trésors de colère au lieu des trésors de miséricorde que vous méprisez, et vous rendez cette miséricorde inutile pour vous. Mais comment cela? « Par votre endurcissement, répond l'Apôtre, et par l'impénitence de votre coeur. » Qui pourra broyer cette dureté, si ce n'est Celui qui, dans sa passion, a brisé les pierres mêmes? Qui donnera un coeur pénitent, sinon celui de qui vient tout don excellent? 3. Or, c'est ce que j'appelle la miséricorde médiocre, elle l'emporte sur la première puisqu'elle est cause qu'elle ne demeure point infructueuse, et qu'elle ne se tourne pas en damnation mortelle. En effet, elle donne la pénitence sans quoi l'attente du Seigneur, non-seulement ne sert à rien, mais même nuit beaucoup. Peut-être la première suffit-elle pour les petits péchés, attendu que, pour effacer les fautes dont nous ne pouvons être complètement exempts tant que nous portons ce corps de péché, il suffit, au salut, dé la pénitence de chaque jour. Mais pour les fautes plus graves, et qui vont au mortel, la pénitence ne suffit plus, il en faut de plus la cessation absolue. Il est bien difficile, impossible même, sans la grâce de Dieu, de rejeter de dessus son cou le joug du péché, une fois qu'il y est posé, car quiconque fait le péché, est esclave du péché et ne peut plus être délivré de la servitude que par la main du fort armé. 4. Or, c'est là précisément la grande miséricorde, celle qui, est la plus nécessaire aux pécheurs, et dont parlait celui qui s'écriait : «Ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde, ô mon Dieu, et selon la multitude de vos pitiés, etc. (Psal. L, 1). » J'ai déjà parlé des quatre filles de la grande miséricorde ; ce sont le sentiment d'amertume, l'éloignement de l'occasion du péché, la force de résister et la pureté d'intention. Il arrive parfois que Dieu, dans sa bonté, envoie à celui qui est tombé dans les liens du péché certaines amertumes qui s'emparent de son âme et en chassent les pernicieuses délices du péché. D'autres fois, il fait disparaître l'occasion même du péché, et ne permet pas que notre faiblesse soit mise à l'épreuve. Qui plus est, parfois aussi il nous donne la force de résister, c'est-à-dire de nous conduire en hommes de coeur dans la tentation, et de ne point y donner notre consentement. D'autres fois, enfin, et c'est la perfection même, car c'est l'extirpation entière de la tentation, il guérit notre affection, en sorte que, non-seulement nous ne consentons point à la tentation, mais que nous ne ressentons même plus ses atteintes.
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