SERMON XX
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VINGTIÈME SERMON. Sur ces paroles de Notre-Seigneur : « Quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé (Luc. XIV, 11). »

 

1. Si nous considérons les choses avec attention, nous remarquerons qu'il y a quatre degrés pour les hommes, c'est, d'abord la souveraine félicité du ciel après laquelle nous, soupirons; puis la demi-félicité du paradis terrestre dont: nous sommes déchus; en troisième lieu la demi-misère de ce monde qui. cause nos gémissements, et enfin le comble de la misère de l'enfer que nous redoutons avec raison. Pour résumer ma pensée, je dirai que ces quatre degrés sont la vie, l'ombre de la vie, l'ombre de la mort et la mort. Voilà pourquoi, ne nous trouvant ni au premier, ni au dernier degré, nous craignons de descendre et , nous désirons monter d'autant plus inquiets que nous nous voyons beaucoup plus près du dernier degré que du premier. Or, voilà qu'on nous dit ; « Quiconque s'élève sera abaissé (Luc. XVIII, 14). » Que signifie cette espèce de chassé croisé entre l'abaissement et l’élévation? N'est-ce donc point assez, Seigneur, de nous avoir abaissés dans la ,vérité pour que vous demandiez encore que l'homme s'abaisse lui-même? Mais d'ailleurs encore faut-il qu'il y ait possibilité de s'abaisser; mais quand on est tombé aussi bas qu'il est, on n'a plus le courage de tenter de remonter, et lorsqu'on est abaissé à ce point, c'est-en vain qu'on peut espérer se relever, jamais; car vous nous avez abaissés, Seigneur, dans le lieu le l'affliction, et la mort nous a recouverts de son ombre. Notre vie est même bien près de l'enfer, comment pourrions .nous descendre davantage ? Quel bien pouvons-nous espérer si nous descendons dans la corruption. ? car il n'y a plus bas que nous que l'irréparable corruption. Après l'ombre de la mort, sort, il ne reste plus que la mort même; et après le séjour de l'affliction, je ne vois plus que celui de la mort.

2. Le Seigneur a dit : « Quiconque s'abaisse sera élevé. » S'il avait dit : quiconque aura été abaissé sera élevé, je m'en serais réjoui, car il :n'est que trop certain que je suis abaissé et beaucoup même. Mais comme il dit : « Quiconque s'abaisse sera élevé, » je me trouve on ne peut plus embarrasse, non pas que j'ignore ce que je préfère, mais parce que je ne sais pas, ce que je dois faire. Je désire m'élever, c'est même une nécessité pour moi de le faire, car je ne saurais trouver ici bas la cité permanente et il ne serait pas bon pour moi de demeurer là où je suis, quand même cela me serait permis. D'un autre côté, descendre encore, c'est la mort. Je suis déjà arrivé au plus bas possible; je n'ai plus au dessous de moi que le dernier degré, je veux dire l'enfer, si je m'abaisse davantage je ne puis plus espérer remonter jamais, et pourtant si je ne m'abaisse point, il faut renoncer atout espoir de m'élever, car «celui qui s'abaisse sera élevé, » et celui-là seul le sera. Si je le fais, je suis mort, si je ne le fais pas; je renonce à m'élever, et n'en suis pas moins mort. Mais si nous voyons là une difficulté, considérons ce qui précède.

3. Il est dit : « Quiconque s'élève sera abaissé. » Or, comment celui que la Vérité même abaisse pourra-t-il s'élever ? Je ne dis pas où, mais comment pourra-t-il s'élever, attendu que ce n'est pas la place qui lui manque pour cela, mais la force. Non, dis-je, ce qui manque à l'homme ce n'est pas la place pour s'élever, mais ce qui lui fait complètement défaut, c'est le pouvoir de le faire. Sa volonté est grande, mais sa volonté est nulle, en effet, que nous le voulions ou non, ce cri : « Vous m'avez abaissé dans votre vérité (Psal. CVXIII, 75), » est le cri d'Adam, le cri du genre humain tout entier. Or, quiconque est humilié dans la vérité l'est bien en vérité, et ne peut plus avoir qu'une fausse élévation. Mais une fausse élévation n'est point une élévation. Remercions le Seigneur de ce qu'il n'a pas dit : Quiconque s'élève sera élevé, en effet, quels efforts ne ferions-nous point pour nous élever en vain, si nous croyions qu'il en est ainsi, puisque la certitude même que nous ne saurions nous élever de cette manière ne nous ôte point l'envie de nous élever? Et peut-être est-ce à cause de cela que le Seigneur a dit : « Quiconque s'élève sera abaissé, » en parlant, non point du résultat, qui est nul, mais de l'intention qui est insensée.

4. Que de gens voyons-nous humiliés sans être humbles; frappés sans en ressentir de la douleur; l'objet des soins mêmes du Seigneur, mais qui ne trouvent point la santé dans ces soins? Ce sont tous ceux qui pensent trouver des délices sous les ronces (a), qui ne veulent point voir les péchés qu'ils commettent, le pas glissant où ils chancellent, les ténèbres qui les aveuglent, les filets au milieu desquels ils naissent, le séjour d'affliction où ils habitent, le corps de mort qu'ils traînent avec eux, le joug pesant qu'ils portent, la conscience plus pesante encore qu'ils cachent, et la très-lourde sentence qui les attend. Tel était celui à qui saint Jean, dans son Apocalypse, reçoit l'ordre d'écrire en ces termes : « Vous dites : Je suis riche, je suis comblé de, biens, et je n'ai besoin de rien; et vous ne voyez pas que vous êtes malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu (Apoc. ni, 17). » D'ailleurs, il ne faut,pas s'étonner que l'élévation des hommes soit si vaine et si mensongère puisqu'ils ne sont eux-mêmes que mensonge et que vanité. La vérité les humilie, la vanité les élève ; ils aiment mieux les ténèbres que la lumière, ils embrassent la vanité qui les exalte, et recherchent le mensonge, tandis qu'ils repoussent la vérité qui les humilie, de tous leurs voeux, de toute l'énergie possible, par toute sorte de dissimulations et de frivoles efforts.

5. Avons-nous réussi à quelque chose ? Oui, car il me semble que nous avons trouvé comment l'homme peut s'humilier. C'est, vous dirai-je, en s'attachant à la vérité qui l'humilie, et unissant ses efforts aux siens avec tous les sentiments de la plus vive piété, au lieu de

 

a On retrouve cette manière de parler dans l'imitation de Jésus-Christ, livre III, chapitre XX vers la fin. On la reverra aussi plus loin, dans le sermon XXVIII.

 

fermer les yeux à la lumière. Aussi me mettrai-je désormais le plus en garde qu'il me sera possible, contre la dureté du cœur; je sentirai ma douleur et pleurerai sur elle, de peur que, si mes blessures étaient insensibles, elles ne fussent en même temps incurables. Je serai donc comme un homme qui voit sa pauvreté sous la verge indignée du Seigneur, pour que mon ante ne partage point le sort de ceux dont la Vérité a dit : «Je les ai frappés et ils n'ont pas même senti de douleur (Jerem. V, 3), » et ailleurs : « J'ai pris soin de Babylone, mais elle n'a point recouvré la santé (Jerem. LI, 9). » Sans doute, c'est un moyen violent de guérir que l'abaissement ; mais l'orgueil est un mal bien plus violent encore ; plaise    à Dieu qu'il soit si bien soigné qu'il finisse par céder aux soins dont il aura été l'objet. Je me mettrai donc d'accord avec mon ennemi,je prendrai parti pour mon juge, je me laisserai percer enfin par l'aiguillon du remède pour ne pas être percé deux fois. Voilà, je crois, le sens de ces paroles du Seigneur. « Quiconque s'élève sera abaissé et quiconque s'abaisse sera élevé. » C'est comme s'il avait dit : « Quiconque regimbera contre l'aiguillon en sera piqué deux fois; au contraire, on épargnera celui qui en souffrira volontiers les atteintes, et donnera lieu de se calmer, à la colère de Dieu.

 

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