SERMON XXXV
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TRENTE-CINQUIÈME SERMON (a). Des trois ordres de l’Eglise, aux pères abbés réunis en chapitre.

 

1. Cette grande et vaste tuer, je veux dire le siècle présent si amer et si agité, est navigable pour chacune des trois sortes d'hommes d'une manière différente, s'ils veulent la traverser sains et saufs. Il y a, en effet, trois hommes, Noé, Daniel et Job, ( Ezech. XIV, 14) ; le premier lapasse sur l'arche, le second sur un pont, et le troisième à gué. Or, ces trois hommes sont les trois ordres de l'Église. En effet, Noé a dirigé la marche de l'arche pour qu'elle ne périt pas dans le déluge, et je reconnais en lui la figure de ceux qui sont chargés de conduire l'Église. Daniel, l'homme de désirs, l'homme de l'abstinence et de la chasteté, représente l'ordre des pénitents et des continents qui ne vaquent qu'au service de Dieu. Quant à Job, qui sait faire un bon usage des biens de ce monde dans l'état du mariage, il est la figure du peuple fidèle qui possède licitement les biens de la terre. Je veux vous parler du premier et du second des trois, puisque il y a ici présents, d'un côté, nos vénérables frères et co-abbés qui sont du nombre des prélats de l'Église, et de l'autre, de simples moines qui sont de l'ordre des pénitents, ce n'est pas à dire pour cela que nous autres abbés nous devions nous regarder comme étant étrangers à cet ordre, à moins que nous n'ayons oublié notre profession. Quant au troisième ordre qui comprend les gens mariés, je n'en dirai que quelques mots, attendu qu'il nous touche de moins près. On peut le considérer plus particulièrement comme celui qui trac erse à gué la grande mer, traversée aussi laborieuse et aussi dangereuse que longue, attendu que celui qui la fait n'y trouve aucun profit. Que ce soit une traversée dangereuse, cela n'est que trop évident par le nombre de ceux que nous avons la douleur d'y voir périr en regard du petit nombre de ceux qui l'accomplissent comme il faut. Il est en effet bien difficile, surtout de nos jours où la malice est si grande,

 

a Ce sermon, dans un manuscrit de la Colbertine d'une grande valeur, se trouve placé avant le sermon pour la nativité de la Vierge Marie ; dans un manuscrit de la bibliothèque royale, il est placé après, avec ce titre : Sermon aux abbés venus au chapitre de Cîteaux. Le manuscrit français des Feuillants le place parmi les sermons du carême. Autrefois le chapitre de Cîteaux se tenait aux Ides de septembre. Dans les Fleurs de saint Bernard ce sermon est cité au livre VIII, chapitre XI, et. au livre VIII, chapitre XXXVI, XXXVII et autres.

 

d'éviter les trous creusés par des pécheurs criminels, dans les eaux de ce siècle et dans les tourbillons des vices.

2. Quant à l'ordre des continents, ils passent la mer sur un pont, c'est comme on le sait, la voie la plus courte, la plus facile et la plus sûre. Mais sans la louer davantage, je veux vous en montrer les dangers, ce sera beaucoup meilleur et plus utile. Sans doute, mes très-chers, le sentier que vous suivez est droit et bien plus sûr que la vase où marchent les gens mariés, pourtant il n'est pas d'une sécurité complète. Il y a trois périls à craindre le long de ce chemin, ainsi, il est possible qu'on veuille y marcher de front avec un autre, regarder en arrière, s'arrêter ou s'asseoir au beau milieu du pont. Il est si étroit et la voie qui mène à la vie a si peu de largeur qu'ils ne permettent de faire ni l'une ni l'autre de ces trois choses. Contre le premier danger, disons tous de notre côté avec le Prophète, «que le pied de l'orgueil ne vienne point jusque à moi, car c'est là que sont tombés ceux qui commettent l'iniquité (Psal. XXXV, 42). » Quant à celui qui, après avoir mis la main à la charrue, regarde ensuite en arrière, il est certain qu'il tombe à l'instant même et que les flots de la mer l'engloutissent tout entier. Pour celui qui veut s'arrêter sur ce pont et qui, sans quitter l'Ordre, ne veut plus avancer, il ne peut que tomber aussi, parce qu'il est poussé et renversé par ceux qui viennent après lui, car le passage est étroit, et il empêche de passer ceux qui veulent aller plus loin et arriver au terme. Aussi arrive-t-il qu'ils le reprennent et le gourmandent, ils ne peuvent souffrir sa tiédeur et sa lenteur, ils le pressent en quelque sorte de l'aiguillon et le poussent de leurs mains. Or, de deux choses l'une, ou il avancera ou il tombera. Il ne saurait donc point s'arrêter, il ne peut non plus regarder en arrière, et, d'un autre côté, il ne lui est pas avantageux de vouloir marcher de front avec les autres ; il faut donc que nous courions, que nous nous hâtions en toute humilité, si nous ne voulons pas que celui qui est parti comme un géant pour parcourir sa carrière ne s'éloigne beaucoup de nous. Si nous sommes sages, nous ne le perdrons jamais de vue, et, attirés par l'odeur de ses parfums, nous courrons plus vite et plus sûrement.

3. Après tout le pont ne semblera pas trop étroit encore à ceux qui voudront y courir. En effet, il est composé de trois essences de bois, et ceux qui voudront s'appuyer sur ces bois ne verront point le pied leur manquer en route. Or, ces trois essences sont : la peine du corps, la pauvreté des biens du monde, et l'humilité de l'obéissance. En effet, « c'est par beaucoup de peines et d'afflictions que nous devons entrer dans le royaume des cieux (Act. XIV, 21), et ceux qui veulent devenir riches, tombent dans la tentation et dans les piéges du diable (I Tim. VII, 9) ; » enfin celui que la désobéissance a écarté de son Dieu, n'a qu'une voie sûre de revenir à lui, la voie droite de l'obéissance. Mais il faut que ces trois essences de bois soient bien liées ensemble ; en effet, la peine du corps ne dure guère au milieu des richesses, et d'ailleurs sans l'obéissance elle ne sera pas facilement discrète; quant à la pauvreté au sein des jouissances et de la volonté propre, elle n'a aucun mérite et n'a absolument aucune valeur aux yeux de Dieu : pour ce qui est de l'obéissance dans les richesses et les plaisirs, elle n'a rien de stable, rien de glorieux.

4. Tout cela étant bien disposé, voyez si vous n'avez pas échappé parfaitement aux trois périls de cette mer, je veux dire à la concupiscence de la chair, à celle des yeux, et à l'orgueil de la vie: tout cela étant, dis-je, bien disposé., c'est-à-dire, étant disposé de telle sorte que dans la peine vous échappiez aux nœuds de l'impatience, dans la pauvreté vous évitiez la pierre d'achoppement de la cupidité, et dans l'obéissance la tache de la volonté propre. En effet, si ceux qui se sont laissés aller aux murmures périrent sous les morsures des serpents, ( I Cor. X, 9) «ceux qui veulent devenir riches, » non pas ceux qui le sont, «tombent dans la tentation et dans les piéges du diable (I Tim. VI, 9). » Mais après tout qu'importe cela, si par hasard, ce qu'à Dieu ne plaise, vous désirez les choses de la pauvreté avec autant de force ou d'ardeur même que les hommes du monde soupirent après les richesses? Qu'importe la différence des objets qu'on désire, dès lors qu'on les désire d'une manière déréglée. Il semble même que s'il y avait une excuse dans l'un ou l'autre cas, ce serait plutôt pour le désir de ce qui est plus estimé. Mais quiconque fait ouvertement ou en secret tout ce qu'il peut pour que son père spirituel lui enseigne ce qui fait secrètement l'objet de sa volonté, se séduit lui-même, s'il se flatte d'avoir la vertu d'obéissance, car en cette occasion ce n'est pas lui qui obéit à son supérieur, mais c'est son supérieur qui lui obéit.

5. Toutefois, puisque, selon la parole du Sauveur, on doit se servir envers nous de la même mesure dont nous nous serons servis nous-mêmes (Marc. IV, 24), il est bon de donner beaucoup, afin d'être du nombre de ceux à qui on doit donner une bonne mesure, une mesure foulée, tassée, une mesure qui déborde de leur sein. Pour le salut, il suffit de souffrir patiemment les souffrances corporelles, mais le comble est de les embrasser de plein gré, et avec la ferveur de l'esprit. Il peut suffire de ne point rechercher le superflu, et de ne pas se laisser aller aux murmures, s'il vient à manquer; mais le comble c'est de se réjouir, de voir les autres pourvus du nécessaire, quand on est soi-même dans le plus complet dénuement, et de chercher les moyens qu'il en soit ainsi. C'est encore assez pour le salut de ne point contraindre la volonté de noire supérieur, ou par notre impatience, ou par nos feintes à se plier à nos désirs, mais le comble c'est de fuir les choses que nous sentons flatter notre volonté propre, autant toutefois que cela se peut faire, sans blesser la conscience.

6. Quant aux prélats, ils descendent sur la mer dans des vaisseaux, et ils travaillent au milieu des eaux (Psal. CVI, 33). Ils ne sont resserrés ni par l'étroit passage d'un pont, ni par le peu de largeur d'un gué, ils peuvent voguer dans tous les sens, où il leur plaît, et aller au devant de qui il est nécessaire pour diriger le passage du pont ou du gué, veiller à la marche de ceux qui s'avancent, découvrir les périls et les écarter, exciter les tièdes, et soutenir les faibles. Enfin, ils montent jusqu'aux cieux, et descendent jusqu'aux enfers, et tantôt s'occupent de choses spirituelles et sublimes, et tantôt jugent des choses horribles et infernales. Mais où trouver un navire capable de soutenir le choc de flots si terribles, et de voguer en sûreté au milieu de si grands périls? Je vous répondrai : « L'amour est fort comme la mort, et le zèle de l'amour est inflexible comme l'enfer : » aussi suivant ce qui est dit ailleurs : « Les grandes eaux n'ont pu éteindre la charité (Cant. VIII, 7). » Voilà le navire nécessaire, indispensable aux prélats; il doit avoir trois côtés, comme tous les navires, et se trouver conforme à la doctrine de saint Paul, quand il réclame la charité qui naît d'un coeur pur, d'une bonne conscience, et d'une foi sincère (I Tim. I, 5). » Or, la pureté d'intention, pour un prélat, consiste à ne se proposer que d'être utile non point de faire sentir qu'il est le supérieur. Il doit donc rechercher dans son office de prélat, non son avantage personnel, ni les hommages du monde ou tout autre chose pareille, mais seulement le bon plaisir de Dieu, et le salut des âmes. Mais à la pureté d'intention, il faut joindre encore une vie irréprochable, être le modèle du troupeau, commencer par pratiquer soi-même la règle, avant de l'enseigner aux autres, et, suivant la règle de notre Maître, (S. Bénéd. in Reg. cap 2.) ne pas apprendre à ses disciples, par sa conduite, à faire ce qu'il leur a dit être contraire à leurs intérêts, s'il ne veut pas que les religieux murmurent quand il les reprendra, et disent : « Médecin, guérissez-vous vous-même (Luc. IV, 23). » Là où il peut en être ainsi, c'est la condamnation complète du supérieur, et la perte de beaucoup de ses intérieurs. Si je parle ainsi, ce n'est pas que je réussisse à ne pas tomber dans ce malheur, mais c'est que la Vérité même me crie , comme elle. crie à tous les supérieurs : Il faut que celui qui est le supérieur des autres soit irrépréhensible (I Tim. III, 1) et qu'il puisse, avec le Seigneur, répondre, en toute sécurité de conscience, à ceux qui le blâment : « Quel est celui d'entre vous qui pourra me convaincre de péché (Joan. VIII, 46) ? » de ne veux pas dire qu'on puisse vivre en ce monde absolument sans péché, mais je dis qu'il faut qu'un supérieur évite tout particulièrement de tomber dans les fautes qu'il reproche à ses inférieurs.

7. Et, pour cela, il faut qu'il soit dans le secret même de sa vie, tel qu'il se montre dans sa conduite publique, de peur de n'être humble qu'au-dehors, tout en étant orgueilleux au fond du coeur, et plein d'une confiance présomptueuse dans sa sagesse, sa vertu et sa sainteté. On ne peut douter que la foi de celui qui ne met pas toute sa confiance dans la seule bonté de Dieu, comme l'humilité apparente de sa conduite le fait croire, ne soit une foi feinte. Or, voyez combien, à ces trois vertus, je veux dire à la pureté du coeur, à la bonne conscience, et à la foi vraie, non pas feinte, semblent se rapporter encore ces autres paroles l'Apôtre qui dit: « Pour moi, je me mets peu en peine d’être jugé par vous, ou par quelque homme que ce soit, etc., car je ne me juge pas moi-même, dit-il, parce que ma conscience ne me reproche rien ( I Cor. IV, 3), » c'est-à-dire ne me reproche point de rechercher mon intérêt, je ne cherche que celui de Jésus-Christ. Si je me mets peu en peine que vous me jugiez, c'est parce que ma conscience est bonne, et ma conduite irréprochable : « Celui qui me juge, continue-t-il, c'est le Seigneur. » Il veut, par là, nous apprendre que toutes ses espérances sont placées en Dieu, sous la main puissante de qui il se tient humilié. Mais je vous laisse à juger si la triple question, faite par le Seigneur à Pierre, peut se rapporter aussi à ce que je viens de dire, en sorte que ces mots : m'aimes-tu, m'aimes-tu, m'aimes-tu (Joan. XXI, 15), signifieraient : as-tu la charité qui vient d'art cœur pur, d'une bonne conscience, et d'une foi qui ne soit pas feinte. C'est d'ailleurs avec justice qu'il est demandé à celui qui doit être pêcheur d'hommes, si son navire a la charité.

 

 

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