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TRENTE-HUITIÈME SERMON (a). II. Sur le travail de la moisson, à l'occasion de ces paroles de l'Apôtre « Tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu (Rom. VIII, 28). »
1. Nous semblons être pauvres, et nous le sommes en effet; mais si nous avons reçu l'esprit qui vient de Dieu qui nous fasse savoir quels dons nous tenons de Dieu, nous avons, reçu de lui une grande gloire, il nous a conféré une grande puissance. Il est dit : « il a donné à tous ceux qui l'ont reçu le pouvoir d'être enfants de Dieu (Joan. I, 12). » Est-ce que nous n'avons pas reçu cette puissance, quand l'univers entier est à notre service ? l'Apôtre savait bien qu'il en était ainsi quand il s'écriait : « Tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu (Rom. VIII, 28). » Mais peut-être quelqu'un d'entre vous rue dira-t-il : Que m'importe à moi? Peut-être se dira-t-il dans la faiblesse de son coeur Que ceux en qui vit un grand amour pour lui, et qui se trouvent de grands sentiments de charité , se flattent d'avoir reçu le pouvoir des enfants de Dieu ; que ceux qui l'aiment en vérité, présument que tout contribue pour eux au bien ; mais moi je suis pauvre et dans le dénuement, je ne ressens aucun des sentiments d'un fils, je suis privé de la dévotion qu'il faudrait avoir pour cela. Eh bien, remarquez la suite, celui qui a dit quelque part : « afin que nous conservions une espérance ferme par la patience et par la consolation que les Écritures nous donnent (Rom. XV, 4), » n'a pas voulu nous laisser, dans la sainte Écriture, un motif de désespoir. Ce sentiment que vous cherchez, c'est la paix, non point la patience, il ne se trouve que dans la patrie, non pas dans la voie qui y mène, et ceux qui y sont arrivés n'ont plus besoin que l'Écriture les console. 2. Que la patience et les consolations que nous puisons dans les Écritures nous donnent donc bonne espérance, quand bien même nous ne pourrions pas encore obtenir la paix. Voilà pourquoi, en effet, après avoir dit que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu, l'Apôtre ajoute avec sagacité : « De ceux qu'il a appelés, selon son décret, pour être saints (Rom. VIII, 28). » Que le mot de saint ne vous effraie point, puisqu'il ne s'agit pas de saints qui soient saints par leurs mérites, mais de saints qui ne sont saints que selon son décret.
a Dans les Fleurs de saint Bernard, ce sermon est intitulé le premier des sermons de consolation aux frères; le sermon suivant est porté comme le second.
L'Apôtre ne les appelle pas saints à cause de leurs sentiments, mais à cause de leur intention, dans le même sens que le Psalmiste disait : « Gardez mon âme, parce que je suis saint (Psal. LXXXV, 2). » Quant à la sainteté dont vous voulez parler, Paul lui-même, tant qu'il se sentait chargé du poids de sa chair corruptible, ne pensait pas qu'il l'eût acquise. Il dit, en effet « : Tout ce que je fais maintenant, c'est que, oubliant ce qui est derrière moi, et m'avançant vers ce qui est devant moi, je cours incessamment vers le prix de ma vocation céleste (Phillip. III, 13). » Ainsi, vous le voyez, il n'avait pas encore obtenu la palme, mais il n'en avait pas moins déjà la sainteté du projet, et le projet de la sainteté. Et vous, par conséquent, si vous êtes dans la résolution de vous éloigner du mal et de faire le bien; de persévérer dans la voie où vous êtes entrés, et faire des progrès toujours en mieux, et dans le cas où il vous arriverait d'agir moins bien que vous ne vous l'étiez proposé, comme il n'arrive que trop souvent à la fragilité humaine, de ne point persévérer dans le mal, mais de vous repentir et de vous en corriger, autant que vous le pouvez, vous serez saints aussi, n'en doutez pas, mais en attendant vous devrez encore vous écrier aussi : «Gardez mon âme, Seigneur, parce que je suis saint. » 3. Voulez-vous savoir comment tout contribue au bien pour ces saints-là? Je ne veux point passer tout en revue, parce que l'heure ne me permet pas de vous faire un long sermon. Il nous faut partir, je viens d'entendre la cloche qui nous appelle, l'heure des vêpres est arrivée. Écoutez donc, en quelques mots seulement, comment tout contribue au bien pour nous, comment tout nous sert. Que nos ennemis en jugent, et s'ils sont eux-mêmes pour nous, qui sera contre nous ? Oui, si nos ennemis travaillent pour nous, comment tout le reste ne contribuerait-il pas à notre bien avec eux? 4. Or, nous avons, comme on le voit clairement, deux sortes d'ennemis qui s'élèvent contre nous, je veux parler du mal que nous faisons, et du mal que nous souffrons, ou, en termes plus clairs encore, ce sont nos fautes et les châtiments de nos fautes. Aussi, bien que les unes et les autres soient contre nous, ils seront pour nous si nous le voulons : c'est-à-dire ceux-ci nous délivreront de celles-là, et ne nous aideront pas peu contre elles. En effet, nous sommes touchés de componction dans nos coeurs, et dans le lit de nos consciences, à cause de nos fautes passées, la pénitence et le châtiment volontaire que nous souffrons, nous rend l'espoir du pardon, brise les dents de nos péchés qui nous rongent, et répand de l'huiles ur les plaies de notre conscience, non-seulement elle efface les péchés passés, mais elle les repousse même pour l'avenir. En effet, elle écarte les vices qui nous tentent, et même, elle en écarte si bien quelques-uns qu'il est bien rare qu'ils osent relever leur tête empoisonnée, si tant est qu'ils l'osent jamais. Vois comment la peine même du péché travaille pour nous contre le péché, et fait ou qu'il n'existe plus, ou du moins qu'il soit moindre. La faute, de son côté, agit aussi de manière à rendre la peine ou mille, ou plus petite; non pas de manière à la faire disparaître complètement, c'est-à-dire à en amoindrir la quantité, ce qui ne serait pas du tout expédient, mais elle fait en sorte ou qu'elle ne soit plus une peine, ou qu'elle soit moindre, je veux dire ou qu'elle ne soit plus, ou du moins qu'elle soit moins lourde. En effet, quiconque sent parfaitement le poids du péché, et la blessure qu'il fait à l'âme, sent peu les blessures du corps, ou même ne les sent plus du tout. Il ne regardera même plus comme une peine ce qu'il saura le purifier de ses péchés passés, et le prémunir contre le péché dans l'avenir. C'est ainsi que David, ce saint roi, ne comptait pour rien les injures dont un de ses serviteurs le couvrait, en songeant que son fils même le poursuivait (II Reg. XVI, 11).
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