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QUINZIÈME SERMON. Il faut chercher la sagesse.
1. Que faisons-nous en ce monde, mes frères, oui, qu'y faisons-nous, je vous le demande? Si nous avons à coeur de nous sauver de ce siècle pervers, qu'avons-nous affaire d'en tenir compte encore? Si nous avons résolu d'en sortir pourquoi traîner encore les entraves aux pieds? Qu'elles soient d'or, je le veux bien, mais mieux vaut nous voir libres sans elles, qu'esclaves à cause d'elles. Ne les jugeons pas au point de vue de la richesse de la matière, mais à celui de l'obstacle qu'elles nous présentent. Il ne faut pas que, sans compter encore la nécessité de notre état qui déjà ne se fait que trop durement sentir, nous soyons attachés à ces entraves par la glu de la cupidité, et que nous nous chargions des liens d'une vaine sollicitude. Que peut-on faire au milieu des entraves ? Peut-être n'est-ce point une question à poser, puisque les entraves semblent plutôt destinées à faire souffrir qu'à aider les hommes à faire quoi que ce soit. Les entraves sont un empêchement à l'action, un rappel de la souffrance. Or noirs avons quelque chose à faire en ce monde, ainsi nous avons à faire pénitence, mais peut-être, faire pénitence semble-t-il avoir plus de rapport avec le pâtir qu'avec l'agir- Néanmoins nous avons quelque chose à faire ici-bas, non pas pour ce monde mais en ce monde. Quand on lit que Adam fut placé dans le paradis dit plaisir pour y agir, il faudrait être fou pour croire que ses enfants ont été placés dans un lieu de douleur pour n'y rien faire. Faisons donc quelque chose mais que ce soit une nourriture qui ne périsse point, opérons l'uvre de notre salut travaillons à la vigne du Seigneur, afin de mériter de recevoir le denier de la fin du jour. Travaillons dans la sagesse qui dit: « Ceux qui opèrent en moi ne pécheront pas (Eccli. XXIV, 30). » Or le champ, dit la Vérité même, c'est le monde (Matt. XIII, 38). Bêchons ce champ : un trésor y est caché, retournons-le. Ce trésor ce n'est pas autre chose que la sagesse elle-même qui sort du fond de l'obscurité. Tous nous la cherchons, tous noirs soupirons après elle. 2. Mais c'est en vain que cherche celui qui ne cherche que dans son lit, on ne saurait la trouver dans la terre de ceux qui vivent dans les délices. Votre lit est tout petit, et vous y cherchez un géant? Votre lit est à vous, et vous espérez y trouver celui qui n'a jamais habité dans une hôtellerie? Un Prophète a dit : « Si vous cherchez, cherchez bien, convertissez-vous et venez (Isa. XXI, 4). » Vous me demandez où il faut chercher? Ce n'est point dans votre lit. Vous voulez savoir de quoi vous devez vous convertir? « C'est de vos volontés, » répond le Prophète. Mais, me dites-vous, si ce n'est pas dans ma volonté que je trouverai la sagesse, où donc la pourrai-je trouver? Car mon âme la désire ardemment, ce ne sera même pas assez pour elle de l'avoir trouvée, supposé qu'elle la trouve, si elle ne la trouve dans une bonne mesure, dans une mesure bien pressée et bien entassée, dans une mesure qui déborde de son sein. C'est justice d'ailleurs ; car il est dit : « Heureux l'homme qui a trouvé la sagesse et qui est rempli de prudence. » Cherchez-la donc pendant qu'elle peut encore se trouver, et puisqu'elle est proche de vous, appelez-la. Voulez-vous savoir combien elle est près de vous ? « La parole de Dieu est dans votre boucha, dit l'apôtre, elle n'est pas éloignée, elle est. dans votre coeur (Rom. X, 8), » pourvu que vous la cherchiez avec un coeur droit. Élevez donc votre coeur, levez-vous de votre lit, si vous ne voulez pas entendre en vain la voix de celui qui vous crie : Élevez votre coeur. Voilà comment vous trouverez la sagesse par votre coeur, et comment la prudence coulera à flots de vos lèvres, elle coulera, dis-je, prenez garde qu'elle n'en tombe et ne s'en échappe comme ce qu'on vomit. 3. Vous avez trouvé un rayon de miel si vous avez trouvé la sagesse, seulement n'en mangez pas trop si vous ne voulez en être dégoûté et le vomir ensuite, n'en mangez que pour désirer en manger encore. C'est elle qui a dit : « Ceux qui me mangent auront encore faim de moi (Eccli. XXIV, 29). » Ne vous dites pas que vous en avez beaucoup, et n'en mangez pas à satiété, si vous ne voulez pas le vomir et vous voir enlever ce que vois semblez avoir, parce que vous aurez cessé de chercher avant le temps; car il ne faut pas renoncer à la chercher et à. l'appeler tant qu'on peut encore la trouver, ce qui n'empêche point d'ailleurs que, « de même que celui qui mange beaucoup de miel, comme dit toujours Salomon, cesse de le trouver bon; ainsi celui qui veut sonder la majesté de Dieu sera accablé du poids de sa gloire (Prov. XXV, 27). » A quoi bon, ô Pilate, interroger le Seigneur en secret pour qu'il te dise à l'oreille ce que c'est que la vérité? C'est désirer beaucoup pour toi, une chose si sainte ne sera pas jetée à un chien, et cette perle ne saurait être donnée à un pourceau. Cherche plutôt le goût de la foi, mais en attendant garde-toi de rechercher la satiété de la foi. Aussi, mes frères, le vit-on avec raison se retirer aussitôt comme atteint dit dard de la vérité, et, sans attendre la réponse du Sauveur, sortir vers les Juifs, après avoir commencé à s'élever à une hauteur, et dans une région placée bien au dessus de lui, quand il demandait ce que c'était que la vérité (Joan. XVIII, 38). 4. Cherchons donc la sagesse dans notre coeur, la sagesse, dis-je, qui vient de la foi, comme s'exprime l'Apôtre quand il dit : « Il ne faut pas être sage au delà de ce qu'on doit, mais il faut être sage avec sobriété (Rom. XII, 3). » Or, on est sobre dans la Sagesse (a) quand on méprise les biens présents, et. quand on soupire après les biens à venir. Oui, vous avez trouvé la sagesse si vous pleurez vos péchés passés, si vous estimez peu les biens qu'on désire en ce monde, si enfin vous soupirez de toute l'ardeur de votre âme après la félicité éternelle.
a Ce passage est rapporté, dans le recueil des Fleurs de saint Bernard, livre VIII, chapitre XXX.
Vous avez trouvé la sagesse si vous estimez ces biens pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire si vous trouvez les premiers amers et dignes d'être évités à tout prix, les seconds caducs, passagers et méprisables; et les troisièmes parfaits, dignes de tous vos désirs, si vous trouvez et jugez qu'il en est ainsi, par un goût intime de l'âme. Oui, on peut regarder comme une sagesse pleine de sobriété, et qui n'a point à craindre de produire le vomissement, celle dont le froid de la crainte, au souvenir des péchés passés, et la chaleur de la charité excitée par le désir des promesses divines, éloignent la tiédeur des préoccupations mauvaises du présent ; dans ces dispositions vous ne rejetterez point la sagesse de votre bouche, et vous ne serez point rejeté par elle. S'il est vrai que l'homme qui a trouvé la sagesse est bien heureux, on peut dire que celui qui y demeure est bien plus heureux encore, peut-être peut-on dire que ce dernier point a rapport à l'affluence dont parle l'Écriture (Eccli. XIV, 22). 5. Or la sagesse ou la prudence afflue. de trois manières dans notre bouche, d'abord, quand sur nos lèvres se trouve l'aveu de notre iniquité, puis l'action de grâces et des paroles de louanges, et enfin, un langage édifiant. « Car s'il faut croire pour obtenir la justice, il faut confesser sa foi, par ses paroles pour obtenir le salut(Rom. X, 19). » D'ailleurs, le juste s'accuse lui-même le premier dès qu'il ouvre la bouche pour parler (Prov. XVIII, 17); car après cela, il lutte le Seigneur; colin, si la sagesse afflue à ce point, il doit édifier le prochain. Mais la sagesse doit-elle affluer aussi dans les couvres? Oui, beaucoup nième. Cherchons bien et nous trouverons qu'elle y afflue aussi du trois manières : un sage a dit, en effet, jadis, que la sagesse serait triplement décrite. Pour moi, si vous n'avez rien de mieux de votre côté à proposer, je pense, pour ce qui est des oeuvres, que la sagesse afflue abondamment dans un homme, quand il vit dans la continence, dans la patience et dans l'obéissance, en sorte que l'exactitude de son obéissance mortifie sa volonté propre, son humble continence coupe toute volupté charnelle et mondaine dans sa racine, et sa patience, remplie de bonne humeur, soutient virilement l'adversité de quelque côté qu'elle lui vienne, de son corps ou du monde.
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