SERMON XIX
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DIX-NEUVIÈME SERMON. Sur les mêmes paroles de l'Apôtre : « Le royaume de Dieu n'est ni dans le boire ni dans le manger. »

 

1. L'Apôtre saint Paul est ordinairement (a) aussi plein de sens que sobre de paroles, c'est ce que savait fort, bien le père de l'Église que sou éloquence, non moins que les dons de la sagesse, a rendu célèbre, et qui croyait entendre la voix du tonnerre dans chaque mot de saint Paul. En effet, cet apôtre s'exprime avec une telle précision, et sa voix tonnante est si bien inspirée par la farce même de l'esprit, qu'on trouve un ordre admirable dans la suite, de ses penses, une plénitude étonnante dans le sens de ses paroles, et. un rapport surprenant entre les uns et les autres. « En effet, le royaume de Dieu, dit-il, ne consiste pas dans le boire et dans le manger, mais dans la justice, dans la paix et dans la joie que donne le Saint-Esprit (Rom. XV, 17).» Que répondrez-vous, ô vous, hommes de bonne chère et de débauche, qui vous faites un Dieu de votre ventre, et qui ne vivez que pour le ventre, ou même pour ce qui est placé plus bas encore; vous qui, selon le mot de l'apôtre saint Jacques, « nourrissez votre coeur et votre corps dans les excès de la luxure (Jacob. V, 5). ? » Mais écoutez, écoutez encore : « Les mets, dit saint Paul, sont faits pour le ventre, et le ventre est pour les mets; mais un jour, Dieu les détruira l'un et les autres (Cor. VI, 13) ? » Malheur à vous qui reposez sur des lits d'ivoire, et vous livrez à tous les excès de la débauche sur votre couche (Amos. VI) ; malheur à vous qui mangez le veau gras pris au milieu du troupeau, à vous qui buvez un vin clarifié avec soin, et qui vous parfumez avec des essences de premier choix. « O enfants des hommes, jusques à quanti aurez-vous le coeur appesanti dans un corps trop bien nourri ? Pourquoi cet amour pour la vanité, quand vous négligez la vertu ? L'embonpoint du corps, les délices de la chair, la satiété du ventre, tout cela vous quittera avant la mort, ou du moins, à la mort, vous le quitterez vous-mêmes. Un saint a dit, en effet : « Tous ces biens, à la mort, on ne les emportera, point, et votre gloire ne descendra point avec vous dans la tombe (Psal. XLVIII, 18). On sera placé dans l'enfer comme des brebis qu'on mène à la boucherie, et la mort nous dévorera (Ibidem. 15). » Combien il a raison de dire, « comme des brebis, » car une fois durement et rigoureusement

 

a Nicolas de Clairvaux mentionne ce sermon dans sa lettre XXIV, à l’abbé de Celles comme nous en avons fait la remarque dans la préface de ce volume.

 

dépouillés de la toison des richesses mondaines nous serons jetés tout nus dans les flammes éternelles. « La mort nous dévorera, » nous mourrons sans cesse à la vie, et nous ne vivrons plus que pour la mort. D'un côté, le corps sera la proie des vers, et de l'autre , l'âme sera celle des flammes, jusqu'au jour où réunis l'un et l'autre pour leur commun malheur, ils partageront la peine, et le châtiment des vices qu'ils ont déjà partagés.

2. O homme délicat, c'est au sein des délices et des richesses que tu attends la mort et la confusion; « non, le royaume de Dieu ne consiste point dans le boire et le manger, » non il n'est point dans les vêtements de pourpre et de lin. Il fut un riche à qui rien de tout cela ne manquait, et en un clin d'oeil, il est descendu dans les enfers (Luc. XVI, 10). Mais en quoi donc consiste-t-il? « C'est dans la justice, dans la paix et dans la joie du Saint-Esprit. » Avez-vous entendu, avez-vous remarqué que la joie se trouve placée au dernier rang ? Mais vous, fils insensés d'Adam , vous passez d'un bond par dessus la justice et la paix, et vous voulez commencer par la. fin, en intervertissant l'ordre des choses. Il n'y a, en effet, personne au monde qui ne veuille goûter la joie. Mais cela ne peut ni durer ni même subsister un seul instant; car, de même « qu'il n'y a point de paix pour les impies (Isa. XLVIII, 22), » ainsi, le Seigneur l'a dit, il ne saurait non plus y avoir de joie pour eux : Non, non, il ne peut y en avoir pour les impies. Il faut d'abord faire la justice, puis rechercher la paix, et la rechercher même avec ardeur, ce n'est qu'après cela qu'on peut trouver la joie, ou plutôt être soi-même trouvé par elle. Voilà comment le coeur dos anges a commencé par la justice, quand il demeura ferme dans la vérité, et se sépara de celui qui avait déserté le parti de la vérité. Après -cela, ils se sont trouvés affermis dans cette paix qui surpasse tout sentiment, car lorsqu'ils se voient entourés des honneurs les plus grands et les plus variés, il n'y a personne qui murmure, personne qui leur porte envie.

3. Mais toi, ô Jérusalem, loue le Seigneur célèbre les gloires de ton Dieu, ô Sion, il a affermi les serrures de tes portes, il a béni tes enfants dans ton sein, il a fait régner la paix sur tes frontières. Oui, loue, célèbre le Seigneur, car il a fermé tes portes par des gonds très-solides et des serrures de sûreté, il n'y a pas d'ennemi qui puisse entrer par ces portes, pas un ami qui puisse en sortir. Tes fils sont en toi, comblés de toutes les bénédictions spirituelles dans les cieux avec Jésus-Christ. On ne connaît plus la crainte dans l'intérieur de tes frontières, attendu que le Seigneur y a fait régner la paix, tu n'as plus de tentation à redouter, plus de pensées dont le flot te couvre de confusion , le bourreau, à la peau changeante, est bien loin de tes murs et de tes fils, et celui qui ne change jamais unit et consolide tout par son identité, a celui, dis-je, dont toutes les parties sont dans une union parfaite entre et les (Psal. DVXI, 5). » C'est pour la troisième fois que tes enfants puisent de l'eau avec joie dans les fontaines du Sauveur et contemplent à l'œil nu, s'il m'est permis de parler ainsi, l'essence même divine, sans être déçus par aucune image de corps fantastiques. Telle sera la joie qu'on goûtera à la fin, et elle sera sans fin.

4. Que nous sommes malheureux ,nous qui avons été expulsés de cet heureux séjour, pour descendre, que dis-je, pour tomber dans la vanité où nous nous trouvons! « Comment les enfants de Sion, dit le Prophète, qui étaient si beaux et couverts de l'or le plus pur, n'ont-ils pas été réputés plus que des vases de terre (Thren. IV, 2) ? » Les enfants de Sion, dit le Prophète, sans doute de la Sion spéculative que Dieu a bâtie pour être vue dans la gloire; les enfants de la Jérusalem d'en haut, qui est notre mère, beaux de l'éclat même de leur dignité et revêtus de l'or pur de l'image de la divinité. Comment se fait-il donc que nous qui. étions de leur nombre, nous avons été réputés des cases de terre et que nous avons dégénéré dans ces corps de boue, ces corps fragiles ? En effet , mes bien chers frères, les anges exercent la justice sous les yeux de Dieu, ils ont la paix entre eux , et la joie dans leur coeur; ainsi en doit-il être de toi, ô homme , ne cherche pas à ravir ce qui t'est destiné au mépris de la justice que tu dois à Dieu, et de la paix que tu dois au prochain. La justice est une vertu par laquelle on rend à chacun ce qui lui appartient. Or, ce n'est pas une justice, mais beaucoup , mais de nombreuses justices que tu dois à ton créateur. En effet, « le Seigneur est juste, et il aimé les justices (Psal. X, 8). Votre justice, Seigneur, est semblable aux plus hautes montagnes (Psal. XXXV, 7). » Oui, « semblables aux plus hautes montagnes , » car il accumule en toi des monceaux de miséricorde.

5. En premier lieu, il t'a créé avec les autres êtres, il t'a même distingué d'entre eux, en te créant avec le cachet d'une grande distinction. En effet, quand il a créé le monde , il n'a dit qu'un mot et il a été fait. Mais après cela, sa majesté se sentit enflammée du plus ardent amour pour toi, elle t'a racheté. Est-ce encore d'un mot facile à prononcer? Non certes, mais c'est par un travail de trente-trois ans passés, c'est attaché à la croix, mis à mort et couvert d'opprobres, qu'il a opéré ton salut sur la terre. Ton Dieu, ô homme , s'est fait ton frère, non pas le frère des anges, jamais, en effet, il n'a pris la forme de l'ange, mais il s'est fait de la race d'Abraham. Ce que tu as de commun avec les anges, c'est que tu as été créé, mais ce qui feu distingue, c'est que tu es son frère. Il a fait plus encore, car il nous a pris par ,la main pour nous tirer de la voie large et spacieuse qui conduit à la mort et nous placer dans la société et le conseil des saints. Que pouvait-il faire de plus qu'il n'ait pas fait pour toi? Et pourtant une pareille, une si grande multitude de bienfaits de la main d'un bienfaiteur si grand et si généreux, n'a pu attendrir ton coeur de pierre. Ainsi, tout ce que tu es, tout ce que tu peux, tu le dois à celui qui ta créé, qui t'a racheté, qui t'a appelé.

6. Mais après avoir fait la justice, il te reste à faire la paix. Tant que nous vivons dans ce vase de terre, dans cette fragile enveloppe de la nature humaine, nous ne saurions nous trouver tout à fait exempts de scandales; si donc vous vous rappelez que votre frère a quelque  chose contre vous, soyez assez humble pour lui demander pardon, et si c'est vous qui avez quelque chose contré lui, ne faites pas difficulté dé lui pardonner, de la sorte, tous les membres du corps vivront en paix. Si nous sommes tout à fait prêts à pratiquer les deux vertus de charité et d'humilité, nous ne pourrons sentir les dissensions. Le Seigneur a dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (Matt XI, 29) : que je suis doux, » cela se rapporte à la charité, car la charité est patiente et bienveillante : « Que je suis humble, » voilà le propre de la parole. Tous ceux qui marcheront sur ses traces trouveront la joie dans le Saint-Esprit. Faut-il que je continue ? Ce que je vais vous dire n'est connu que de ceux qui en  ont fait l'expérience, il ne l'est point des antres, « car l'homme charnel ne saurait percevoir ce qui est de l'Esprit de Dieu. » Est-ce qu'il ne nous arrive pas bien souvent dans la prière d'être émus jusqu'au plus profond de nos entrailles , à la seule pensée de la joie qui nous attend dans la Jérusalem d'en haut, qui est notre mère et que des torrents de larmes inondent notre visage? O s'il pouvait en être toujours ainsi! « Si je t'oublie jamais, ô Jérusalem, que ma main droite tombe elle-même dans l'oubli; que ma langue demeure attachée à mon palais, si je ne me souviens plus de toi, si je ne me propose pas Jérusalem comme le principe de ma joie (Psal. XXVI, 5) ; » oui, comme le principe de ma joie, attendu que le terme s'en trouve aussi placé là.

7. Quand donc, ô Seigneur Jésus, quand donc déchirerez-vous le sac qui me sert de vêtement, et m'envelopperez-vous d'un manteau de joie ? Ma gloire chantera vos louanges, et je ne serai point dans la tristesse. Le commencement de la joie que nous ressentons ici-bas, n'est qu'une goutte, une gouttelette même, tombée du fleuve de joie dont le cours impétueux réjouit la cité de Dieu. Quand viendra le jour où nous serons plongés plus profondément dans les joies éternelles à la source même de la divinité, où l'eau succédera à l'eau sans interruption et sans mélange? Quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant la face du Seigneur ? Quand passerai-je dans le tabernacle admirable, jusques à la maison de pieu ? Quand donc enfin verrons-nous de nos yeux ce que nous avons appris de nos oreilles de la cité du Seigneur? Du courage donc, mes frères, tenons à faire fidèlement ces trois heureuses étapes, et n'oublions jamais ce mot : « Mon ami, pourquoi êtes-vous venu (Matt. XXVI, 50) ? » Car nous ne sommes pas venus pour livrer de nouveau notre Roi à la mort, avec un visage hypocrite, mais pour le servir, lui qui est béni dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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