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VINGT-TROISIÈME SERMON. Du discernement des esprits.
1. Paul, le docteur des gentils, prenant occasion de la nature spirituelle, selon laquelle nous vivons, pour nous exciter à vivre d'une manière spirituelle, dit à ses disciples : « Si nous vivons par l'Esprit de Dieu, conduisons-nous aussi d'après ce même Esprit (Gal. V, 25). » C'est comme s'il avait dit : Si la chair ne sert de rien, et si c'est l'Esprit qui vivifie (Joan. VI, 65), il faut séparer ce qui est précieux de ce qui est vil et méprisable, et préférer ce qu'il y a de meilleur, c'est-à-dire marcher selon l'esprit, non pas selon la chair. En effet, la chair doit se tourner du côté de l'esprit, non point pour être servie par lui, mais pour le servir elle-même , en sorte que l'esprit puisse lui dire , comme à son serviteur : Viens ici, et qu'elle y vienne; fais cela, et qu'elle le fasse. Voilà comment notre épouse deviendra telle qu'une vigne fertile, et se sauvera par les enfants qu'elle mettra au monde, je veux dire par les bonnes couvres, si toutefois elle se tient elle-même à côté de notre maison, c'est-à-dire dans quelque endroit humble et caché. Quant à l'âme, qu'elle habite au beau milieu de la maison, comme la maîtresse, comme le père de famille, comme le juge, et il en sera alors comme le disait le Prophète, quand il s'écriait: « Mon âme est constamment dans mes mains (Psal. CXVIII, 109). » Maudit soit, au contraire, l'esprit qui diminue lui-même sa propre importance Malheur à, l'homme qui nourrit une femme stérile et ne prend pas soin de la veuve. Après tout, le même Apôtre nous atteste que si nous vivons selon la chair nous mourrons (Rom, VIII, 13), attendu que ceux qui marchent selon la chair ne sauraient plaire à Dieu, et que ceux qui sèment dans la chair ne peuvent moissonner de la chair que la corruption (Ibid.). Mais, au contraire, si nous mortifions par l'esprit les actions de la chair, nous vivrons, car ceux qui sont conduits par l'esprit de Dieu sont les vrais enfants de Dieu, et ceux qui sèment dans l'esprit, moissonneront de l'esprit la vie éternelle. 2. Cest donc prudemment, non point follement fait à nous, mes frères, d'avoir choisi la vie spirituelle, de châtier notre corps, de le réduire en esclavage, et d'adorer Dieu en esprit et en vérité, parce qu'il est esprit. Mais comme il y a divers (a) genres d'esprits, il est nécessaire que nous sachions les discerner, d'autant plus que nous avons appris de l'Apôtre qu'il ne faut pas nous confier à toute espèce d'esprits (I Joan. IV, 1). Il peut paraître aux personnes peu instruites et qui ont les sens peu exercés, que toute pensée n'est. le langage que de l'esprit humain , non point d'un autre esprit. Or, il n'en est certainement pas ainsi, c'est une vérité indubitable de foi que les Saintes Écritures appuient de leur témoignage. En effet, le Prophète dit : « J'écouterai, » non pas ce que je dirai, mais « ce que le Seigneur Dieu dira en moi (Psal. LXXXIV, 8). » Un autre Prophète a dit de même : « L'ange qui parlait en moi, etc. (Zach, I, 9), » et, dans un Psaume, nous lisons qu'il vient des pensées à l'esprit, suggérées par de mauvais anges (Psal. LXXVII, 49). Voilà pourquoi l'Apôtre appréhende que, de même que le serpent déçut Ève, par sa ruse, ainsi ne soient déçus les coeurs des disciples à qui il s'adresse; par celui dont ce même Paul ne connaît que trop bien les fourberies. Aussi dit-il : « Nous n'avons point à combattre contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances; contre les princes de ce monde, c'est-à-dire de ce siècle ténébreux (Ephes. VI, 12. » Or, que l'esprit de la chair ne soit pas un bon esprit, c'est ce que le même Apôtre il nous dit assez clairement quand il nous parle de ceux qui sont enflés par l'esprit de leur chair. Le même il nous apprend aussi qu'il y a un esprit de ce monde quand il se glorifie dans le Seigneur, non moins pour ses disciples que pour lui-même de ce qu'ils n'ont pas reçu cet esprit-là, mais l'esprit de Dieu « qui nous apprend, dit-il, les dons que Dieu nous a faits (I Cor. II, 12). » 3. Le malin esprit, le prince des ténèbres a dopé deux satellites, en sorte que cet esprit du mal règne en même temps sur l'esprit de là, chair, et sur l'esprit de ce monde. Quel que soit donc celui de ces trois esprits qui parle au nôtre, gardons-nous bien de le croire, car ils sont tous les trois altérés du sang; non pas de vos corps, matis de vos âmes, ce qui est bien autrement grave. Mais comme leur nature à tous, est spirituelle, c'est à leur langage que nous les reconnaîtrons leurs suggestions nous diront assez quel esprit trous parle. En effet, toujours l'esprit de la chair nous pousse à la mollesse; celui du monde, à la vanité; et ceint de la malice, aux choses amères. Toutes les fois donc que des pensées charnelles viennent à contre temps, comme c'est lordinaire, frapper à la porte de notre esprit, par exemple, quand au milieu des pensées qui se rapportent au boire et au manger, au sommeil et à mille autre soins qui regardent la chair, nous nous laissons aller dune manière tout humaine à l'ardeur de nos désirs, tenons pour certain que c'est l'esprit de la chair qui nous parle, et repoussons-le comme un ennemi, en lui disant : « Arrière, Satan, car tu nas pas le goût des choses de Dieu (Marc. VIII, 33) , » bien loin de là, ta
a Ce passage est rapporté dans les Fleurs de saint Bernard, livre X, chapitre XV, où ce sermon est intitulé : Des sept Esprits.
sagesse même est ennemie de Dieu. Mais s'il s'élève dans votre coeur, non point des désirs charnels, mais de vaines pensées d'ambition, de jactance, d'arrogance et autres semblables, c'est l'esprit du monde qui vous parle, c'est un ennemi bien plus pernicieux que le premier, il faut le repousser avec beaucoup plus de soin encore. Mais parfois quand ces deux satellites du troisième ont tourné le dos, leur chef, la rage dans le coeur, semblable à un lion rugissant, s'élance contre nous; et alors ce n'est pas au plaisir de la chair, ni à la vanité du siècle; mais à la colère, à l'impatience, à l'envie, à l'amertume d'âme qu'il nous porte, en nous représentant avec importunité tout ce qui peut sembler fait ou dit, avec trop peu d'amitié ou de discrétion, en un mot, il nous met sous les yeux tout ce qui, dans un. signe, dans un acte quelconque, peut donner lieu à la colère; et matière aux soupçons. Il ne faut pas résister autrement à ces passions qu'au démon lui-même, ni se mettre moins en garde contre cette manière de se perdre que contre les deux autres; il est écrit, en effet : « C'est par votre patience que vous posséderez vos âmes (Luc. XXI, 19). » 4. Cependant, il n'est pas rare que notre propre esprit, souvent vaincu par l'un des trois esprits dont je viens de parler, soit devenu son esclave, se charge, hélas ! de son rôle, pour travailler à sa propre perte, si bien que lors même que les autres esprits ne lui suggèrent aucune mauvaise pensée, notre âme elle-même enfante de son propre fonds des pensées de volupté, de vanité et d'amertume. Or, je ne crois pas facile de discerner si c'est notre propre esprit qui parle, ou s'il écoute la voix de quelqu'un des trois esprits. Mais qu'importe qui nous parle, dès que le langage est absolument le même. A quoi bon connaître la personne de celui qui nous adresse la parole, s'il est constant que ce qu'il dit est pernicieux? Si c'est l'ennemi, résistez- bravement à l'ennemi; mais si c'est votre propre esprit, reprenez-le, et gémissez du fond de votre âme de le voir tombé dans une telle misère et dans une si misérable servitude.. 5. Toutes les fois, au contraire, que la salutaire pensée vous vient à l'esprit de châtier votre corps, d'humilier votre coeur; de conserver l'unité, de donner à vos frères des preuves de votre charité, d'acquérir d'autres vertus, de les conserver et de les augmenter, il n'y a pas de doute, c'est l'esprit de Dieu qui parle, soit par lui-même, soit par le ministère de son ange. Or, comme nous l'avons dit, en parlant de l'esprit de l'homme, et de lesprit malin, s'il n'est pas facile de discerner lequel des deux est celui qui parle, ainsi en est-il de l'esprit des anges et de celui de Dieu; il n'est pas facile de savoir lequel des deux parle, et il est dangereux de l'ignorer, d'autant plus qu'il est certain que le bon ange ne parle jamais de lui-même, et que c'est Dieu qui parle en lui. 6. Considérons donc avec quel zèle et de quelle manière ou plutôt avec quelle indignation nous devons désormais, je ne dis pas écouter, mais écarter les suggestions de ces esprits malins, détourner notre attention pour ne point prêter l'oreille à des paroles de sang, au langage de la sagesse qu'inspirent la chair et le sang, nous saisir dès le principe de ces enfants de Babylone, je veux parler des pensées mondaines, pour les briser contre la pierre, rejeter de la présence de notre coeur l'esprit malin lui-même avec toutes ses tentations, et le réduire enfin au néant. Quant aux pensées qui nous rappellent la justice et la vérité, nous devons les recevoir avec toute sorte de dévotion, et en remercier la grâce de Dieu. Ne nous montrons jamais ingrats envers la bonté de Dieu, et n'oublions pas qu'il n'y a que lui qui nous parle de justice, lui, dis-je, dont le langage est vérité. Quelle témérité, en effet, ou plutôt quelle folie à nous, quand le Seigneur de majesté nous parle, de détourner l'oreille comme des insensés et d'appliquer notre esprit je ne sais à quelles inepties! Quelle injure n'est-ce point pour un misérable ver de terre, de ne pas daigner prêter l'oreille à la voix de son créateur qui lui parle, et de quel châtiment ne mérite-t-elle point d'être vengée? Mais, d'un autre côté, quelle n'est pas l'ineffable condescendance de la grâce divine qui nous voit tous les jours détourner nos malheureuses oreilles et endurcir nos coeurs, et qui néanmoins crie vers nous et ne cesse de se faire entendre dans les places publiques? Oui, c'est bien dans les places publiques, car c'est dans l'ampleur de la charité. En effet, Seigneur, vous n'avez pas besoin de nos biens, et pourtant vous nous dites : » Convertissez-vous à moi, ô enfants des hommes, et ailleurs: « Revenez, revenez, ô Sulamite, revenez, revenez, afin que nous vous considérions (Cant. VI, 12).» 7. Aussi, vous prié je, mes bien-aimés, vous qui n'avez pas oublié le Seigneur, de ne point vous taire, et de ne pas lui répondre par le silence; écoutez constamment le langage du Seigneur Dieu, au dedans de vous, car ce ne peut être qu'un langage de paix. Heureuse donc et bien heureuse l'âme qui entend le murmure de la voix de Dieu dans le silence, et qui répète, suivant le mot de Samuel : « Parlez, Seigneur, car votre serviteur écoute (Reg. III, 9). » Mais terminons-là ce sermon pour aujourd'hui, pour que, dans le silence des hommes, nous entendions au dedans de nous, la voix de Dieu qui nous parle, et nous donne des conseils au sujet de son royaume, conseils d'autant plus utiles qu'ils sont plus subtils; car ils ne nous arrivent que par une inspiration toute extérieure. Mais si le Seigneur lui-même me suggère encore quelque autre pensée sur la nécessité d'écouter sa voix, je vous en ferai part dans un autre sermon, car je ne veux pas, surtout dans un sujet aussi utile et aussi spirituel, fatiguer votre esprit par de trop longues paroles.
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