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TRENTE-TROISIÈME SERMON. Sur ces paroles du Psaume : Qui est-ce qui montera sur la montagne du Seigneur (Psal. XXIII, 3)? »
1. C'est une parole d'exhortation, mes frères ; puisque tous nous nous efforçons de monter, tous nous tendons en haut, tous nous aspirons à nous élever, et tous nous faisons des efforts pour grandir, efforçons-nous du moins de monter là où nous puissions être bien, où nous nous trouvions en sûreté, d'où nous ne puissions tomber, là enfin, où nous puissions nous tenir fermes. Mais si le Prophète demande où est celui qui montera sur cette montagne, ce n'est pas seulement pour exciter eu nous le désir d'y monter, mais encore afin de nous apprendre le moyen de le faire si nous en avons le désir. Heureux celui qui a disposé dans son coeur des degrés pour s'élever sur cette montagne et qui soupire après la maison du Seigneur, et tombe presque en défaillance par la force de ce désir. Cette montagne est fertile, où se trouve le comble de tous les biens, c'est la montagne d'éternelle volupté, la montagne de Dieu. Et « bienheureux ceux qui demeurent dans votre maison, Seigneur, ils vous loueront dans les siècles des siècles (Psal. LXXXIII, 5). » Ci vous voulez être sûrs que c'est effective ment une maison, écoutez un témoin fidèle qui vous le dira : « O Israël que la maison de Dieu est grande, et combien étendu est le lieu, qu'il possède! Il est vaste et n'a point de bornes, il est élevé, il est immense (Baruc. III, 24). » Que dis-je, non-seulement c'est une montagne, mais c'est le mont des monts; on y voit beaucoup d'habitations, beaucoup d'autres montagnes, ses fondements mêmes se trouvent placés dans les montagnes saintes (Psalm. LXXXVI, 2). 2. Le saint prophète Isaïe ne s'en tait pas non plus : « La montagne, dit-il, qui est la demeure du Seigneur, sera fondée sur le haut des monts, et s'élèvera au dessus des collines. (Isa. II, 2). » Et pourquoi ne serait-ce pas le mont des monts (fondé sur les hauteurs mêmes) de la terre entière, où se trouve une abondance si variée de toutes sortes de délices, où seulement est la plénitude de toutes les abondances? En effet, ce sera le mont de la paix, le mont de la joie, le mont de la vie, le mont de la gloire. Or, tous ces monts ne forment qu'un mont, le mont de la félicité consommée N'est-ce point le mont de la paix, la paix même sur la paix, la paix qui passe tout sentiment? Oui, certainement c'est un mont bien élevé que la paix dans le coeur, la paix dans la chair, la paix du côté des hommes méchants, la paix avec tous nos proches, la paix de la part des démons mêmes, la paix avec Dieu. Or, cette paix sera sans fin. Il y aura aussi de la joie, mais une joie telle que le Seigneur la dépeint, « une joie pleine (Joan. XVI, 22). » Une joie sûre, une joie que personne ne nous ravira. Nous aurons aussi la vie, nous l'aurons même avec une grande abondance, car la venue d'un si grand pasteur, qui n'est venu vers ses brebis, comme il le dit lui-même, que « pour qu'elles aient la vie et qu'elles l'aient avec abondance (Joan. X, 10), » ne saurait demeurer sans effet. Est-ce qu'il ne vous semble pas aussi que cette montagne c'est ce poids éternel de gloire qui s'élève au delà de toute mesure ? Or, tout cela et tout ce qu'on peut encore se figurer d'aussi désirable, ce n'est point autre chose que la bonne mesure de la félicité, la mesuré foulée, agitée, et qui se répand par dessus les bords (Luc. VI, 38), c'est comme si on accumulait les uns sur les autres pour n'en plus faire qu'un seul, un mont d'or, un mont d'argent, un mont d'hyacinthe, un mont d'émeraudes et de toutes les plus belles pierres fines, un mont d'étoffes de pourpre, d'écarlate et de lin et de toutes choses aussi précieuses. En effet, tout nous sera rendu avec usure, ceux qui auront élevé sur le fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses, verront avec surprise, leur humble construction se changer en d'immenses montagnes; ils n'auront répandu qu'une modique semence et ils moissonneront, je ne dis pas de grandes gerbes, mais de grands monceaux de gerbes. 3. « Qui donc montera sur la montagne du Seigneur, et qui se tiendra dans son lieu saint? Ce sera celui dont les mains sont innocentes, et dont le coeur est pur (Psal. XXIII, 4). » Heureux cet homme-là, si toutefois il en existe un tel. Qui peut se flatter d'avoir les mains innocentes et le coeur pur? « personne n'est sans souillure, pas même l'enfant qui ne compte encore qu'un seul jour d'existence sur la terre (Job. XV,14).» Toutefois, parmi tant de coupables, il s'en trouve un de pur, il y en a un de libre, au milieu de tous ces morts, nul autre que lui ne saurait compter; c'est celui dont on lit : « personne n'est monté aux cieux que celui qui en est descendu, le Fils de l'homme qui est dans les cieux (Joan. XIV,13)? » Il avait, en effet, les mains innocentes lui qui, non-seulement n'a point fait de péché, mais encore a fait beaucoup de bonnes oeuvres, et qui pouvait dire aux Juifs librement : « Qui de vous me convaincra de péché (Joan. VIII, 46). » Comment douter de la pureté parfaite d'un coeur qui était personnellement uni à la Sagesse par excellence, dans laquelle il ne se trouve rien de souillé et qui atteint partout à cause de sa pureté? Ce n'est pas en vain que celui qui a eu le pouvoir de déposer la vie et de la reprendre, quand il a voulu, a reçu son âme (Joan. x, 18). Non, ce n'est pas en vain qu'il l'a reçue en naissant, qu'il l'a déposée en mourant, et qu'il l'a reprise en ressuscitant. 4. Mais comment dit-on qu'il n'a pas fait un serment faux et trompeur à son prochain, qu'il n'a pas pris son âme en vain, en un mot qu'il n'a pas fait tout cela en vain, s'il n'y a que lui qui ait reçu la bénédiction du Seigneur? Fallait-il donc que le Christ souffrit, qu'il ressuscitât et qu'il entrât ainsi dans sa gloire (Luc. XXIV, 26) ? Mais cette gloire était à lui. Quel profit trouvons-nous dans son sang, puisque nous sommes tous destinés à la corruption des tombeaux? Où est la vérité de ses promesses, s'il est vrai d'un autre côté, comme je l'ai dit plus haut, que « personne ne monte au ciel que celui qui en descend (Joan. III, 13) ? » Eh bien, soit, que la bénédiction ne soit que pour lui, mais quel besoin a-t-il de la miséricorde? Si vous y faites attention, il ne recevra point seul cette bénédiction, ou du moins il ne la recevra point pour lui seul. Relisez les paroles du Prophète, et remarquez comment, sans qu'il y paraisse, il amène la multitude. Il ne parlait que d'un et il disait : « Il recevra ; » et aussitôt il passe à la race des hommes et dit : « Telle est la race de ceux qui le cherchent . » pour nous donner à entendre, dans l'unique dont il parle, non pas l'unité de personne, mais l'unité de l'esprit. En effet, quoique nous voyions un époux et une épouse, nous savons quel est celui qui a dit : ils ne feront plus l'un et l'autre qu'une même chair (Eph. V, 31). Voilà comment il monte et reçoit la bénédiction, et comment nous monterons avec lui, ou plutôt en lui, car c'est de lui que nous recevrons la bénédiction. Entendons là-dessus comment s'exprime le Prophète : « Celui qui a donné la loi donnera aussi sa bénédiction, et on s'avancera de vertu en vertu (Psal. LXXXIII, 8). » Voilà pourquoi il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât d'entre les morts (Luc. XXIV, 46); pour qua la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées en son nom, la pénitence qui doit tenir lieu de l'innocence, et la rémission pour remplacer la pureté. En effet, il est dit : « Bienheureux, » non pas celui en qui le Seigneur n'a point trouvé, mais celui « à qui il nimpute pas le péché (Psal. XXXI, 2). J'ai trouvé, dit-il , un homme selon mon cur (Act. XIII, 22). Est-ce que cet homme peut se flatter d'avoir le cur pur ? non certes , car « les étoiles mêmes ne sont point pures à ses yeux (Job. XXV, 5). » Mais !Dieu ne méprise pas un cur contrit et humilié (Psal. L, 19). Un coeur contrit est bien près d'être un cur pur. Voilà ce qu'on entend par être selon le cur de Dieu, puisqu'il est dit qu'il se tient tout près de ceux qui ont le coeur troublé. Il est le Samaritain qui se tient pour le prochain de l'homme tombé entre les mains des voleurs. Non, il en fera point un serment trompeur à son prochain (Psal. XXIII, 4), mais il fera ce qu'il a promis, quand il a dit : « En vérité, je vous le déclare, vous serez assis comme des juges (Matt. XIX, 28). » 5. Soyons donc nous aussi, mes frères, à notre petite manière, amis de l'innocence des mains et de la pureté du coeur. Avant tout, apportons tous nos soins, je ne dis point à nous garder entièrement, la fragilité humaine ne le permet pas; mais à nous éloigner du péché, autant que nous le pourrons, non-seulement en action, mais encore en pensée. Et, pour le reste, si nous ne voulons pas avoir reçu nos âmes raisonnables en vain, exerçons-nous nus bonnes couvres et suivons les conseils de la raison. Comment un homme quine songerait qu'aux voluptés corporelles et ne suivrait que les appétits de la chair, comme un être sans raison, n'aurait-il pas reçu son âme en vain? Le Prophète ajoute encore : « Et il n'a point trompé son prochain par de faux serments. » C'est que, en effet, de même que nous devons être purs dans le coeur, nous devons être innocents au dehors pour le prochain ; voilà comment il faut faire en nous, et envers le prochain, des oeuvres de vertu, des couvres de charité. Ne soyons donc point des êtres inutiles à nous-mêmes, si nous ne voulons point avoir reçu nos âmes en vain; et ne soyons pas inutiles au prochain, de peur d'être convaincus .par-là de l'avoir trompé par de faux serments. L'Esprit qui faisait parler le Prophète connaît le limon dont nous sommes formés, et il n'a pas voulu seulement nous rappeler les intérêts du prochain. Il nous remet nos sarments en mémoire, afin que nous reconnaissions notre dette, et que nous craignions de rendre vaine la foi jurée, car nous nous sommes tous engagés, par serment, envers le, prochain, avec qui nous ne faisons qu'un dans l'Église. Et cette profession de da foi chrétienne fait que celui qui vit ne vit plus seulement pour lui, mais pour celui qui est mort lui-même pour tous les hommes. 6. Et qu'on ne me dise pas : je vivrai pour lui, mais non pour vous; attendu que lui non-seulement a vécu, mais encore est mort pour nous tous (I Cor. V, 15). Comment, en effet, vivre pour lui, quand on ne tient aucun compte de ceux qu'il a aimés à ce point? Comment vivre pour lui, quand on n'observe point sa loi, quand on n'accomplit pas son commandement ? Vous me demandez de quelle loi, de quel commandement je veux parler? Il vous répond lui-même : « Voilà quel est mon commandement, c'est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés moi-même (Joan. XIII, 34). » et l'Apôtre vous dit après lui «Portez les fardeaux les uns des autres, et de cette manière, vous accomplirez la loi du Christ (Gal. VI, 2). » N'allez donc pas croire que c'est un bien gratuit que vous donnez au prochain, et que vous pouvez le lui refuser, si vous voulez : vous lui devez sous la foi du serment, et vous y êtes tenus à raison de votre profession. « Celui-là donc recevra la bénédiction du Seigneur et la miséricorde du sauveur son Dieu. » Celui-là, dit le Prophète, c'est parce qu'il n'y en a qu'un qui reçoit la palme dans la lutte, mais ne le regardez point comme n'étant qu'un seul homme, « il comprend la race entière de ceux qui cherchent le Seigneur. » Il recevra la bénédiction, parce que le chef et les membres ne forment qu'un seul Christ (I Cor. XIX). Mais il est toute une génération, parce que nous parviendrons tous à la mesure de l'âge et de la plénitude de Jésus-Christ (Eph. IV, 13). 7. Peut-être faut-il voir le Seigneur lui-même dans cette montagne du Seigneur, dont le Prophète a dit : « Qui montera sur la montagne du Seigneur ou bien qui pourra se tenir ferme dans son lieu saint? » Évidemment, il est la pierre qui s'est détachée sans le secours d'aucune main, et qui est devenue une montagne immense (Dan. II, 45) : il est aussi « la montagne grasse , la montagne compacte (Psal. LXVII, 16) » qui, en s'élevant de terre, attire tout à elle. Et vous , ô Juifs, pourquoi ces soupçons à l'égard de cette montagne, au sol compacte de cette montagne, dis-je, dans laquelle Dieu se complaît à habiter? « C'est, disent-ils, parce que, s'il chasse les démons, ce n'est que par Béelzebub qu'il le fait (Matt. XII, 24). » O soupçon exécrable, ô blasphème digne de tout blâme! Le Christ est un prince, un grand prince, à la puissance duquel les démons mêmes ne peuvent se soustraire ; leur empire divisé contre lui-même sera désolé (Ibidem, 25), et le sien est uni et parfait, il n'aura même jamais de fin (Luc. I, 33). Il y a donc une grande différence entre ce prince et ces princes, et on ne saurait établir de comparaison entre cette montagne, au sol compacte et fertile, et ces autres montagnes qui ne sont que grasses. Votre Béelzebub, dont vous parlez, n'est qu'une montagne au sol compacte, mais non fertile; au contraire, elle est maudite et stérile à jamais. C'est une montagne parce qu'il s'est élevé, une montagne au sol compacte, parce que ses écailles sont imbriquées les unes sur les autres, et que son coeur est dur comme le lait pris en fromage. 8. Notre-Seigneur Jésus-Christ est une montagne, mais une montagne au sol compacte et fertile. C'est une montagne, car il est élevé, une montagne compacte, car elle se compose de beaucoup d'êtres, une montagne grasse, à cause de sa charité. Voyez maintenant comment il attire tout à lui, comment il s'unit tout dans une unité substantielle, personnelle, spirituelle, sacramentelle. Il a le Père en lui, et il ne fait avec lui qu'une seule et même substance; li a pris l'homme, et ne fait qu'une seule personne avec lui; il s'est attaché l'âme fidèle avec laquelle il ne fait plus qu'un seul et même esprit; il a pour épouse l'Église de tous les élus, avec laquelle il ne fait plus qu'une chair. Peut-être même cette union devrais-je l'appeler charnelle, mais je préfère l'appeller sacramentelle, je trouve ce mot plus digne, surtout après avoir entendu l'Apôtre dire : « Ce sacrement est grand, je veux dire en Jésus-Christ et dans l'Église (Ephes. V, 32). » Oh ! oui, c'est une montagne très-grasse et très-fertile , où Dieu se plaît à habiter, aussi l'a-t-il oint d'une huile de joie, d'une manière bien plus excellente que tous ceux qui ont part à sa gloire (Psal. XLIV, 8). Il est la montagne des célestes parfums, la montagne des grâces spirituelles, il n'a pas reçu l'esprit avec mesure, mais il a reçu toute la plénitude des grâces. Il est la grande montagne où sont cachés tous les trésors de science et de sagesse, où habitent toute la vérité de l'humanité et toute la plénitude de la divinité: c'est une montagne haute, immense, où se trouve réuni tout ce qui est dans les cieux et sur la terre, en sorte que Dieu soit tout en tous (Eph. I, 10). 9. Venez, moutons sur cette montagne, mes frères, si la route nous parait raide, laissons là notre fardeau; si elle nous semble étroite, ne craignons pas de nous rapetisser; si elle est longue, hâtons le pas d'autant plus, et si elle est difficile , écrions-nous : « Entrainez-nous après vous, et nous courrons dans l'odeur de vos parfums (Cant. I, 3). » Heureux celui qui courra de manière à saisir le but ou plutôt à en être saisi lui-même, et à mériter d'être admis dans cette grande et vaste montagne et dans la plénitude du corps de Jésus-Christ. Heureux celui qui montera sur cette montagne béatifique avec de si ardents désirs et une telle persévérance que méritant de recevoir une place, ou se tenir dans ce saint lieu, il apparaisse à, Dieu le Père dans son sanctuaire, et contemple en même temps sa vertu et sa gloire, qui n'est autre, après tout, que celui qui est le mont des monts, la montagne au sol compacte et fertile, Jésus-Christ même, Notre-Seigneur (Psal. LXII, 3). Car c'est en lui que, de toute éternité, nous avons apparu par la prédestination devant les yeux de celui qui nous a aimés et nous a gratifiés de son fils chéri, en qui il nous a élus avant la création du monde. Alors nous le connaîtrons comme nous sommes connus (I Cor. XIII, 14), quand cette montagne élevée , très-haute et très-fertile, attirera tout à elle avec plus de plénitude et de force, elle qui est le Dieu béni par dessus tout, dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
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