|
|
TRENTIÈME SERMON. Le bois, le foin et la paille.
1. La sécurité ne se trouve nulle part, mes frères, ni dans le ciel, ni dans le paradis terrestre; encore moins se trouve-t-elle dans le monde. En effet, au ciel c'est l'ange qui tombe en présence de la divinité; dans le paradis terrestre, c'est Adam qui se voit chassé de ce lieu de volupté; et Judas, en ce monde, tombe de l'école même du Sauveur. Si je vous parle ainsi, c'est afin que nul d'entre vous ne se flatte d'être en sûreté parce qu'il est ici dans le lieu dont il est dit : Ce lieu est saint; car ce n'est pas le lieu qui sanctifie les hommes, mais les hommes qui sanctifient le lieu. En. effet, jusque parmi nous, il y a trois sortes d'hommes qui se trouvent même assez peu en harmonie avec cet ordre et avec l'homme qui s'est engagé dans cette voie. Il y en a qui ont bien commencé, mais qui sont vite tombés en défaillance; il y en a qui n'ont jamais commencé, mais qui ont toujours persévéré et qui persévèrent encore dans leur mollesse ; enfin, il y en a qui sont emportés par un esprit de légèreté, qui sont lents à écouter, prompts à parler, tout disposés à, raconter partout ce qu'ils ont fait, si toutefois ils font quelque chose. Est-ce que Dieu ne les rejetteras pas ? Non, il ne le fera point; s'ils persévèrent dans le fondement, ils seront sauvés, mais comme en passant par le feu. Par quel feu passeront-ils? L'Apôtre répond : « Personne ne peut oser d'autre fondement que celui qui a été mis, et ce fondement, c'est Jésus-Christ. Si donc on élève sur ce fondement un édifice de bois, de foin et de paille, il en souffrira la peine; néanmoins, il ne laissera point d'être sauvé, mais ce sera comme en passant par le feu (I Cor. III, 33). » Le fondement c'est donc Jésus-Christ; le bois est fragile, le foin en mou, la paille est légère. Le bois, ce sont ceux qui ont commencé avec force, mais qui, une fois brisés, ne se recollent point. Le foin, ce sont ceux qui, attiédis par la mollesse qu'ils auraient dû fuir, ne veulent pas même toucher du bout du doigt, comme on dit, aux travaux pénibles. La paille, ce sont ceux qui, mis hors d'haleine par les mouvements de la légèreté. ne restent jamais dans le même état. 2. Sans doute il faut craindre pour ces religieux-là, mais il ne faut pas désespérer, attendu que, s'ils ont le Christ â la base de leur édifice, c'est-à-dire s'ils finissent leur vie dans cette voie, ils seront sauvés, mais toutefois ce sera comme en passant par le feu. Il y a trois choses dans le feu : la fumée, la lumière et la chaleur; la fumée excite les larmes, la lumière éclaire les objets environnants, et la chaleur brûle. C'est ainsi que celui qui se trouve en cet état doit avoir dans son âme la fumée, c'est-à-dire l'amertume, parce qu'il est tiède, relâché, parce qu'il trouble et bouleverse l'ordre autant qu'il est en lui. Mais il faut aussi qu'il ait. la lumière sur les lèvres, afin qu'il se dise et se pleure dans la confession, tel qu'il est au fond de l'âme, que sa conscience aiguise sa langue et que sa langue accuse sa conscience. Il faut aussi qu'il sente la chaleur dans son corps, je veux dire les tribulations de la pénitence, et, s'il n'en ressent pas de nombreuses, que du moins il en ressente quelqu'une. Pensez-vous due celui qui veut que tous les hommes soient sauvés et que personne ne périsse, rejettera ceux qui seront ainsi contrits de coeur, qui confesseront de bouche et qui se seront fatigués de corps ? Mais il y en a d'autres aussi qui élèvent sur ce fondement un édifice d'or, d'argent et de pierres précieuses; qui commencent avec force, continuent avec plus de force encore, et terminent avec toute la force possible; qui se mettent peu en peine de ce que peut la chair et ne voient que ce que veut l'esprit.
|