ÉPIPHANIE IV
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TOUSSAINT
CANTIQUE

QUATRIÈME SERMON POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE-SEIGNEUR.

 

1. Aujourd'hui, mes frères, on célèbre une seconde nativité qui résulte de la première, comme l'effet de sa cause. Celle que nous avons fêtée jusqu'à ce jour est la naissance de Jésus-Christ: celle que nous célébrons en ce jour est la nôtre. Dans l'une, c'est Jésus qui est né; dans l'autre, c'est la chrétienté qui est venue au monde. Et, comme il y a trois choses qui nous font chrétiens, la foi, le baptême et le sacrement de l'autel, la solennité d'aujourd'hui nous a donné les prémices de la foi, a consacré pour nous le baptême et a préludé à la merveille qui s'accomplit sur la table du ciel. Comment la première lumière apparaissant à la gentilité nous a initiés à la foi; comment Jésus-Christ, par son baptême, a consacré le nôtre; comment le changement de l'eau en vin a montré, d'avance, la transformation substantielle qui s'opère à la table du Seigneur, nous n'avons plus besoin de l'expliquer ; mais ce que j'estime très-important, c'est de nous avertir nous-mêmes de prendre garde que la foi ne dégénère en nous de ces débuts, que la grâce du baptême ne soit stérile dans nos âmes, et que la participation au calice du Seigneur ne tourne à notre condamnation.

2. Pour ce qui concerne la foi, comment elle nous a été communiquée aujourd'hui par les Mages, ses premiers auteurs, comment, par les symboles des présents mystérieux ils ont exprimé le don souverain de la foi, nos pères nous l'ont expliqué avec beaucoup de détails, tellement que nous n'avons d'autre fatigue à essuyer que celle d'entrer dans leurs travaux. L'état on, pour mieux parler, la décadence de cette époque, ne réclame pas beaucoup que l'on disserte sur le mystère de la foi : mais bien plutôt, que l'on s'efforce de toutes les manières possibles, ainsi que l'Apôtre l'inculque, de le porter dans une conscience sans souillure (I Tim. III, 9). Si vous interrogez quelqu'un aujourd'hui sur la foi, vous trouverez tout le monde chrétien ; si vous sondez les consciences, vous trouverez fort peu de personnes vraiment dignes de ce nom. Presque tout l'univers « confesse en paroles qu'il connaît Dieu, mais il le nie en réalité (Tit. I, 16) ; » au point que ceux qui semblent avoir une apparence de piété, montrent trop souvent qu'ils en rejettent la vertu. Qui pensez-vous, mes frères, que j'aie voulu désigner, en parlant de ceux qui ont l'extérieur de la vertu et en repoussent la réalité? Si vous croyez que ce sont ceux qui marchent dans le grand chemin du siècle : que disons nous de ceux qui, ne présentant que l'apparence de la vertu, n'ayant de chrétien que le titre, et prenant en vain le nom sacré du Christ, pratiquent en toute liberté ce qui est opposé à cette profession, et, par toute leur conduite et leur manière de vivre, se déclarent ennemis de la croix du Seigneur? Outils même l'apparence de la piété ceux en qui nous trouvons un extérieur et une démarche de courtisanes, des discours bouffons, des regards impurs, un ventre qu'on traite comme un Dieu, et toute cette vie honteuse, dont on se vante, dont on fait parade, pour insulter en face à la piété? « Il est honteux de dire ce que ces misérables font en secret (Eph. V 12). » Que celui qui a été envoyé prophétiser contre eux perce leur muraille, afin de voir les abominations plus grandes qu'ils ne rougissent ou ne craignent pas de commettre devant la majesté redoutable de Dieu. Que me fait à moi, qui suis moine, de juger ceux qui sont hors de ce monastère? Plût au ciel que je n'eusse point à m'occuper, non plus, de ceux qui sont dans le cloîtra. Mon âme se trouble au dedans de moi-même, je redoute que ces gens qui n'ont que l'apparence de la piété. que j'ai dépeints devant vous d'une façon quelconque, ne se mettent à m'accuser plus fortement, s'ils me convainquent d'en avoir répudié la vertu.

3. J'ai tout lieu de craindre pour moi, mes frères, voyez si vous aussi vous n'avez aucune appréhension à avoir, j'ai tout lieu de craindre que le passage où l’Apôtre a prophétisé au sujet des temps à venir ne nous regarde particulièrement : page redoutable que celle où, décrivant la malice des hommes vivant en ces jours, telle qu'on peut la reconnaître dans leurs moeurs et dans leur conduite, il déroule en ces termes, le long catalogue de leurs excès : « Ayant, » dit-il, « l'apparence de la vertu, mais répudiant la réalité (II Tim. III, 5). » Qui a, autant que nous; l'extérieur de la piété, humilité de la tonsure et de l'habit, privation dans le boire et le manger, travail presque incessant, et une règle de vie où tous les instants sont parfaitement distribués? Mais quant à la réalité de la piété que cet extérieur promet, j'aurais honte de dire qu'il ne s'en trouve presque rien chez moi, et chez ceux qui me ressemblent, si ce n'était point chose manifeste pour tous. Qu'est-ce donc que la réalité de la piété, sinon une charité non feinte, une humilité véritable, une patience constante, une obéissance virile? Je vous laisse, mes frères, à décider combien vous avez droit de vous glorifier de posséder ces vertus ou d'autres semblables: pour moi, je l'avoue avec ingénuité, j'en sais le nom, mais j'en ignore encore le goût. Cet habit religieux que je porte, et auquel la vertu ne répond presque en aucune manière, me cause donc justement de la crainte et de la honte. Puis-je revendiquer le titre et l'honneur de moine, quand je n'en ai ni le mérite ni la vertu, alors que, comme on l'a dit avant nous, une sainteté simulée est une double iniquité, et que le loup, découvert sous la peau de brebis, doit être frappé d'une sentence plus cruelle ? C'est pourquoi, vous aussi, mes frères, afin de pouvoir vous glorifier sûrement de cet extérieur de piété qui reluit sur votre corps, mettez vos coeurs dans la vertu, afin que l'apparence au dehors, la réalité au dedans, vous rendent agréables aux anges et aux hommes, et que cette parole de l'Écriture se vérifie : « Tous ceux qui les verront les connaîtront, et verront qu'ils sont la race bénie du Seigneur (Isa. LXI, 9). »

4. Voilà, mes frères, la piété véritable de la foi chrétienne : avoir le mystère de la foi dans une conscience pure, afin de conserver dignement et avec fidélité ce mystère que nous rendait recommandable les présents symboliques des Mages ; aujourd'hui aussi, Jésus a été baptisé, non pour lui, mais pour nous : « Il a purifié, » ainsi que parle l'Apôtre, « nos coeurs de la conscience mauvaise, et a lavé nos coeurs dans une eau pure (Hebr. X, 22).» Heureuse, ô mes frères, l'âme qui, ainsi nettoyée pour le salut, a suivi de suite les traces du Sauveur, en sorte que, s'attachant à lui avec les apôtres, elle mérite d'entendre ces paroles : « Celui qui est pur n'a plus besoin que de se laver les pieds, car il est purifié en entier (Joan. XIII, 10). » Du reste , « Celui qui se lave après avoir touché un mort , s'il le touche derechef , de     quoi lui sert il de s'être lavé (Eccle. XXIV, 30) ? » Et moi, après avoir été purifié par le baptême, je n'ai pas touché un mort, mais autant j'ai touché d'oeuvres mortes, autant j'ai touché de cadavres ; et selon l'apôtre saint Pierre, ce proverbe s'est vérifié en moi : « un chien revenu à son vomissement et l'animal immonde roulé dans la boue (II Petr. II, 22). » Que ferai-je donc ? Dans quelles eaux laverai-je désormais tant de souillures? Je sais que comme il n'y a qu'une foi, ainsi il n'y a qu'un baptême, qu'il n'y a pas lieu à être baptisé une seconde fois: parce que nous tous qui sommes baptisés, nous le sommes dans la mort du Seigneur, et que le Seigneur n'a été baptisé qu'une fois, comme il n'est mort qu'une seule fois, afin de nous donner la forme et le modèle d'un unique baptême. Je désespérerais peut-être de pouvoir être encore purifié, si, parmi les autres consolations que me donne l'Écriture, le conseil fidèle d'Élisée ne m'encourageait dans mon désespoir, quand même, à l'exemple de Naaman le Syrien, je serais tout couvert de lèpre, et frappé d'une plaie inguérissable. «Allez, » dit le Prophète, « lavez-vous sept fois dans le Jourdain et vous serez guéri (IV Reg. V, 10). » S'il lui avait dit : lavez-vous trois fois, j'aurais vu là,      de suite, la triple immersion que subissent les baptisés, et je dirais que ce miracle prophétisait la grâce du baptême, comme si dès-lors le Jourdain avait commencé, sous l'influence du baptême du Seigneur, à produire des effets de salut sur les nations. Mais on dit expressément, lavez-vous sept fois dans le Jourdain : que signifie ce nombre sept, ou quel est ce Jourdain? Le Jourdain, ainsi qu'on le prétend, signifie la descente. La descente de qui ? De ceux qui s'humilient pour faire pénitence; plus ils s'abaissent par l'humilité, plus ils s'ensevelissent et se purifient saintement dans le lit du Jourdain spirituel.

5. Mon âme, ô mon Dieu, s'est troublée en moi-même, au souvenir de ses fautes: c'est pourquoi je me souviendrai de vous, de la terre du Jourdain, en me rappelant comment, dans l'abaissement de son humilité, vous avez purifié Naaman le lépreux. « Il descendit, » comme s'exprime le texte sacré, il « se lava sept fois dans le Jourdain, selon les paroles de l'homme de Dieu et il fut purifié (Ibid). » Descends, toi aussi, ô mon âme, du char de l'orgueil, dans les eaux salutaires du Jourdain qui, de la fontaine de la maison de David, coule maintenant dans tout l'univers pour nettoyer les pécheurs et tous ceux qui sont impurs. C'est là, en d'autres termes, l'humilité qui porte au repentir, la vertu qui, coulant en même temps de la maison de l'exemple du Christ, est prêchée par tout l'univers et lave les crimes du monde entier. O vous, Naamans Syriens, qui êtes en fort grand nombre, et vous, riches, mais lépreux; orgueilleux, mais rongés par le chagrin, pourquoi éprouverez-vous tant de répugnance à vous laver dans ces eaux médicinales? Pourquoi notre Jourdain nous paraît-il si vil, à côté des fleuves de Damas? car vous dites, lorque, cherchant les conseils du salut, on vous prêche l'humilité et la pauvreté de Jésus-Christ : « Est-ce que les fleuves de Damas ne sont pas meilleurs que toutes les eaux d'Israël, n'aurais-je pu m'y laver et être guéri? (Ibid). » N'est-il pas mieux, n'est-ce pas chose plus efficace pour détruire le péché, de faire tous les jours du bien avec les richesses de ce monde, que de devenir pauvre, une seule fois, en quittant tout ? Mais, écoutez, Naaman, Léviathan absorbera le fleuve de Damas et il ne s'étonnera pas, car si, du Jourdain, « il a l'espoir qu'il entrera dans sa bouche, sa confiance sera trompée (Job. XL, 18). » Le Seigneur ne répute point pour grand'chose que vous ayez toutes les vertus, si vous êtes privé de l'humilité de Jésus-Christ, et croyez pouvoir dévorer même les pauvres de Jésus-Christ ; mais vous ne pouvez, dans votre axe, leur faire aucun mal. Damas, selon l'étymologie de son nom , est une  cité de sang, et ses eaux sont            mêlées de sang : parce que, même les bonnes oeuvres des hommes séculiers et charnels, sont à grand'peine exemptes de quelque péché. Et comment ce qui est souillé de sang purifiera-t-il le sang? Par quel moyen la lèpre guérira-t-elle le lépreux? Mais notre Jourdain roule des flots purs, les superbes ne pourront vous attaquer, si vous êtes entièrement plongé dans ses flots, et comme enseveli dans l'humilité de Jésus-Christ.

6. O Naaman, écoutez au moins vos serviteurs, vos humbles amis, vos conseillers fidèles. Naaman se retirait courroucé contre l'homme de Dieu qu'il avait consulté ; mais eux, lui dirent : « Père, si le Prophète vous avez commandé une chose difficile, certainement il aurait fallu la faire (Ibid). » Langage très juste, plein de raison et de sagesse : ce sont ces suggestions et ces pensées raisonnables que Dieu prend à témoin dans l'homme contre l'homme. « Père, » disent-ils, » si le Prophète vous avait ordonné une chose difficile, il aurait bien fallu que vous la fissiez. » Ne pas ajouter foi aux paroles du Prophète, c'est outrager Dieu : ne pas tout essayer pour le salut, c'est se haïr, c'est se vouloir du mal. Que peut-on commander de difficile, quand le salut est au bout? Combien il doit nous paraître difficile et pénible de nous éloigner de Jésus, parce qu'il est doux et humble de coeur, lorsqu'on trouve tout à la fois en lui, le repos de l'âme, le remède actuel de la lèpre spirituelle, et le gage du salut éternel? Enfin, c'est avec peine qu'on obtient du pécheur orgueilleux, qu'il descende se laver au Jourdain : néanmoins s'il se lave sept fois, et se plonge entièrement et complètement, la santé qu'il recouvre ne manque pas de justifier la promesse du Prophète. Mais, ô douleur ! combien grande est la misère de notre temps ! non-seulement les riches, mais les pauvres lépreux, sont tellement délicats, qu'ils souffrent à peine que les eaux salutaires mouillent leurs talons : ou, s'ils se lavent une fois, ils se croient aussitôt complètement purifiés.

7. Mais Elisée ne le voit pas ainsi, et il dit très-expressément : « Lavez-vous sept fois et vous serez purifié. » Ce saint personnage savait, en effet, que l'humilité de Jésus-Christ, que nous devons imiter si nous voulons nous purifier, renferme sept vertus. Premièrement, Jésus-Christ étant riche, s'est rendu pauvre. Secondement, portant la pauvreté à l'extrême, il a été placé dans une crèche. Troisièmement, il fut soumis à sa mère, quatrièmement, en ce jour, il courba la tête sous les mains de son serviteur. Cinquièmement, il supporta un disciple voleur et traître. Sixièmement, il fut extrêmement doux, en présence d'un juge inique. Septièmement, il intercéda avec une grande bonté auprès de son Père, en faveur de ceux qui le crucifiaient. Vous marcherez sur ses pas et vous suivrez, quoique de fort loin, notre géant, si vous chérissez la pauvreté, si vous préférez la dernière place parmi les pauvres ; si vous êtes soumis à la discipline du monastère, si vous souffrez qu'un inférieur vous commande, si vous supportez, avec égalité d'âme les faux frères, si, étant jugé, vous triomphez par la douceur, si vous rendez le bien pour le mal. Cette humilité baptise parfaitement sans causer de préjudice à l'unique baptême : parce qu'elle ne renouvelle pas la mort de Jésus-Christ, mais renouvelle la mortification et de sépulture du péché : et, ce qui a été fait dans le baptême, selon la figure du rit extérieur; accomplit une fois encore et dans la réalité. Car cette humilité ouvre les cieux, redonne l'esprit d'adoption. Le Père reconnaît un fils dans celui en qui s'est reformée l'innocence et la pureté de l'enfance. Aussi, c'est à juste titre, que l'Écriture rappelle que « la chair» de Naaman « fut rétablie comme la chair d'un enfant nouveau né : » elle veut faire entendre par là, comme il me le semble, que non-seulement le coeur de ceux qui se lavent recouvre aussi l'innocence des petits enfants; mais encore que leur corps même reprend, par la mortification des membres la pureté de l'enfance. Nous lisons de quelques saints, que les membres de leurs cadavres offraient en quelque sorte la grâce d'un enfant de sept ans. Mes frères, nous qui avons perdu dans les souillures du péché la grâce de notre premier baptême, voilà le véritable Jourdain, la descente de ceux qui sont vraiment humbles, le lieu où il est pieusement permis de renouveler le baptême. Cette grâce est si grande; que nous ne devons pas craindre de descendre plus profondément de jour en jour, d'être entièrement submergés et complètement ensevelis avec Jésus-Christ. Rendons grâce à celui dont l'humilité a consacré aujourd'hui la forme du baptême pour ceux qui croient, et qui a réservé aux âmes pénitentes leur grâce qui ne diffère en rien de celle du baptême. A lui gloire dans tous les siècles des siècles. Amen.

 

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