|
|
DEUXIÈME SERMON POUR LA RÉSURRECTION DU SEIGNEUR.
1. «Bienheureux et saint, celui qui a part à la résurrection première (Ap. XX, 6). Je suis, » s'écrie Jésus, « la résurrection et la vie (Joan. XI, 25). » C'est lui donc qui est la première résurrection, il est aussi la seconde. Car le Christ, qui est les prémices de ceux qui dorment dans le tombeau, a opéré pour nous, par le mystère de sa résurrection, notre première résurrection, et il opérera la seconde par le modèle de cette même résurrection. La première, c'est celle des âmes, lorsqu'il les établit dans une vie nouvelle : la seconde sera celle des corps, lorsqu'il transformera le corps de notre humilité, et le rendra conforme au corps de sa gloire (Philip. III, 21). C'est- donc avec raison que Jésus- Christ se proclame la résurrection et la vie : puisque c'est par lui et en lui que nous ressuscitons pour vivre selon lui et en lui : mainte nant selon lui, dans la sainteté et la justice, et, plus tard, en lui, dans la béatitude et la gloire. Or, comme la première résurrection de notre chef, Notre-Seigneur Jésus-Christ, est la cause de l'augmentation de la seconde, qui sera celle de tout le corps, de même, en chacun de nous, la première résurrection, par laquelle l'âme revit en sortant du péché , est l'augmentation de la seconde résurrection, par laquelle le corps sera délivré , non-seulement de la corruption de la mort, mais encore de tout principe corruptible de mortalité. Que l'une soit la marque et la cause de l'autre, l'Apôtre nous le montre évidemment, à l'endroit où il dit : « Si l'esprit de Jésus; qui l'a ressuscité des morts, habite en vous, il vivifiera aussi vos corps mortels à cause de son esprit qui réside en vous (Rom. VIII, 11). » 2. C'est donc avec raison qu'il est dit : « Bienheureux et saint, celui qui a part à la première résurrection (Apoc. XX, 6). » Il est saint, à raison du premier renouvellement de l'âme qu'il a obtenu, et bienheureux à cause du second qu'il attend heureusement dans la restauration de son corps. Quelle est la source de son bonheur, la même Écriture nous l'apprend, quand elle ajoute : la seconde mort n'a pas de pouvoir sur « ceux qui ont part à la première résurrection, » bien que la première mort ait paru exercer quelque temps son empire sur eux. En effet, la mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse, même sur ceux qui ont péché en imitant la prévarication d'Adam (Rom. V, 14). Mais le « Christ, comme le chrétien » à l'exemple du Christ, «ressuscitant d'entre les morts. » ne meurt plus, la mort n'a plus de pouvoir sur lui (Rom. VI, 9). C'est pourquoi, dans les bienheureux dont nous parlons, ni la seconde mort n'aura de puissance, ni la première n'en retiendra le pouvoir qu'elle a eu pour un temps : parce que l'unique mort du Christ a triomphé de l'une et de l'autre pour nous, en délivrant de l'une ceux qui en avaient été déjà saisis , et de l'autre ceux qui étaient sur le point de l'être, en nous préservant de l'une et en nous tirant de l'autre. Quelle est pleine de piété, de vérité et de magnificence tout à la fois, cette menace du Christ mourant: « Je serai ta mort, ô mort ! (Ose. XIII, 14). » Quelle magnificence et quel éclat, il triompha cet adorable maître, qui en goûtant la mort pour tous, engloutit sa propre mort et la nôtre sous toutes ses formes! Oui, la mort a été entièrement absorbée dans sa victoire (I Cor. XV, 54). Tout homme qui a le bonheur d'avoir part à la résurrection première, peut l'insulter en sûreté et lui dire : « où est ta victoire, ô mort? ô mort, où est ton aiguillon? » Te voilà vaincue, toi qui vainquais tout le monde : tu as perdu les armes qui faisaient ta confiance. En effet, où est ton dard ? « L'aiguillon de la mort, c'est le péché; » plongé une fois dans la racine du genre humain, il a répandu dans tout le corps l'irrémédiable poison de la mort, l'Apôtre nous disant : « que par un homme est venu le péché, et par le péché, la mort, et qu'ainsi elle a pénétré dans tous les hommes (Rom. V, 12). » Elle régnait donc en dominatrice depuis le premier Adam jusqu'au second, parce que le genre humain était lié à la fois par la loi originelle du péché et par l'obligation où il était de subir la mort. 3. Mais, grâce à Dieu, qui nous a donné la victoire soit sur le péché, soit sur la mort, et cela par Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui entièrement exempt de péché et par suite de l'obligation de subir la mort, a néanmoins satisfait de lui-même à cette obligation en mourant pour nous, et, par sa résurrection, nous a délivrés du joug du péché. Car le « Christ, » comme l'Apôtre l'enseigne ; « est mort à cause de nos crimes, et il est ressuscité pour notre justification (Rom. IV, 25). » Mourant, il a suspendu à la croix le châtiment de nos péchés, et ressuscitant, il nous a donné la forme et le principe d'une perpétuelle justification : afin que, comme « le Christ ressuscitant des morts ne meurt plus, la mort n'ayant plus d'empire sur lui, » de même, le chrétien ressuscitant avec Jésus-Christ, ne pèche plus à mort, le péché n'ayant plus d'empire sur lui. Voilà le bienheureux et le saint qui a part en la résurrection première, sur qui la seconde mort n'aura pas de pouvoir, et en qui même la première mort sera absorbée par la victoire de Jésus-Christ. Voilà celui qui a non-seulement connu mais encore saisi la vertu de la résurrection de Jésus-Christ, et participé à sa passion, et a été rendu conforme à sa mort, afin de parvenir à la résurrection qui le fera sortir d'entre les morts. Il ne calculait donc pas mal l'Apôtre, car, pour faire ce gain, il regardait tout ce qui avait été profit pour lui non-seulement comme une perte, mais encore comme de l'ordure, pourvu qu'il fût trouvé en Jésus-Christ, rendu conforme à sa passion et, par suite, à sa résurrection (Phil. III, 7). Oui, c'est un commerce extrêmement profitable, que de mépriser celui qui nous affaiblit et nous souille, pour gagner le Christ ! Bien plus, il faut dépenser, s'il est nécessaire, non-seulement nos biens mais nous-mêmes, afin de mériter de nous retrouver avec un si grand intérêt de gloire et d'immortalité. Qui doutera que ce soit une opération très-lucrative que de jeter en terre ce corps mortel animal vulgaire, pour qu'il en sorte immortel, spirituel, glorieux? Mourez au monde, afin de, pouvoir dire : « Vivre pour moi, c'est le Christ, et mourir, un gain (Phil. I, 21) ? » O âmes cupides, pourquoi vous en tenez-vous au désir de faire du gain ? Pourquoi n'en point apprendre l'art? Pourquoi ne méprisez-vous pas des choses viles, une perte, un fumier, pour gagner Jésus-Christ (Phil. I, 8)? « Pourquoi ne dépensez vous pas votre argent pour du pain, et ne donnez-vous pas votre travail pour vous rassasier ? (Isa. LV, 2). » Je m'en aperçois, ce pain qui est descendu du ciel et donne la vie au monde vous est moins précieux que votre argent. Mais celui qui refuse d'y goûter, ne sait pas ce qu'il vaut. Plût au ciel que l'avare fùt plus précieux à ses propres yeux que ne l'est son argent, et que, pour de l'argent, il ne mît pas son âme en vente, et qu'il donnât pour sa vie tout ce qu'il a de plus intime (Eccl. X, 10). Le négociant habile, qui estimait toutes choses à leur juste valeur, je veux dire saint Paul, qui ne regarde point son âme, c'est-à-dire son esprit, la vie sensuelle, animale (Act. XX, 24), comme étant plus précieuse que lui, c'est-à-dire que cet esprit qui le tenait enchaîné à Jésus-Christ, et prêt à perdre son âme afin de la pouvoir conserver dans la vie éternelle. 4. Puis donc que ceux qui ont des richesses entrent difficilement dans le royaume des cieux, et que ceux qui ramassent de l'argent le dépensent plus vite en choses vaines qu'en pain, je veux parler de ces azymes de sincérité et de vérité avec, lesquels il faut manger aujourd'hui l'Agneau pascal: bienheureux, pauvres fils de l'indigent crucifié, vous qui n'avez pas d'argent, hâtez-vous, achetez et mangez. Ceux qui n'ont rien achètent ce bien avec plus de promptitude et de facilité que ceux qui ont de grandes propriétés. Quand le moyen fait défaut, la bonne volonté suffit pour acheter, c'est elle qui enrichit ceux qui sont pauvres. L'Écriture invite directement ceux qui en sont animés : « Venez, achetez sans argent et sans aucun échange, le vin et le lait (Isa. LV, 1).» Tu le vois, ô bienheureux pauvre, on n'exige de toi que la bonne volonté, elle constitue seule le nerf d'un commerce si important ! Ne refuse point par ingratitude ce qu'on t'offre si gratuitement; bien plus , ne perds pas, par une volonté dépourvue de gratitude, ce que tu avais déjà mérité par ta pauvreté bienheureuse. Reconnais quel avantage c'est de n'être point compris dans la raine du monde et d'avoir part dans la résurrection du Christ. Comprends quel bonheur c'est de ne point s'enivrer du luxe et des transports du siècle, afin de boire, avec le Christ, le vin nouveau dans le royaume de son Père. L'Agneau pascal invite lui-même ses amis à ces délices de son corps et de son sang : « Mangez, dit-il, mes amis, buvez et enivrez-vous, mes très-chers (Cant. V,1).» Cette nourriture et ce breuvage constituent le mystère de la vie, le remède de l'immortalité, le principe produisant la première résurrection et le gage assuré de la seconde, parce qu'ils sont en nous un commencement de la substance divine. « Nous sommes devenus, s'écrie l'Apôtre, participants du corps du Christ, si cependant nous retenons fermement jusqu'à la fini le commencement de sa substance (Hebr. III, 1 ). » Celui qui revient à son vomissement après avoir reçu la grâce, « vomira les richesses qu'il a dévorées et Dieu les arrachera de ses entrailles (Job. XX, 15). » Ou bien, ce pain se changera en fiel d'aspic, parce que la grâce reçue se tourne en tourment de la conscience, lorsque l'homme traite comme immonde le sang du Testament qui l'avait sanctifié, et fait. outrage à la grâce du Saint-Esprit. A raison de ce vomissement et de ce dégoût, les richesses qu'on avait mangées se vomissent, tellement qu'on peut dire du malheureux qui est dans ce cas : « Il n'a rien gardé de la nourriture qu'il avait prise, c'est pourquoi il ne restera absolument rien de ses biens (Ibid. XX, 21). » 5. Qu'il prenne garde de n'être point atteint de cette terrible sentence, celui qui, après avoir été, par la grâce de la dévotion, rempli de biens, dans la maison de Dieu, n'en retient absolument rien dans son âme, en sorte que sa mémoire ne lui rappelle ni le souvenir de l'abondance de la grâce de Dieu, ni la saveur dans ses discours comme un goût au palais, ni la vertu dans les moeurs comme un suc nourricier dans les entrailles, et qui, en rejetant de suite, par des vanités ou des bouffonneries, tout ce qu'il a reçu, change pour lui la grâce en colère, oui, en colère et en colère terrible, si c'est sur sa tête que tombe ce que l'Écriture ajoute : « Lorsqu'il aura été rassasié, il sera saisi de tranchées et toute douleur fondra sur lui. Plaise au ciel que ses entrailles se garnissent, pour qu'il déverse sur lui la colère de sa fureur et qu'il fasse tomber la guerre sur sa tête (Ibid.). » Le prophète regardait, en effet, comme juste, que la guerre fondit sur les pécheurs qui. sous l'influence de la pluie volontaire de la grâce, n'ont pas porté de fruit; et que le feu, le soufre et l'aspect des tempêtes fussent le partage de ceux qui ont bu indignement le calice du Seigneur. « Car la terre, buvant la pluie qui tombe souvent sur elle et produisant les plantes attendues, reçoit la bénédiction : que si elle donne des ronces et des épines, elle est réprouvée et bien près d'être maudite, le feu sera son dernier sort (Hebr. VI, 7). » Pour vous, mes frères, dans notre confiance, nous pensons de vous des choses meilleures et plus en rapport avec le salut. Seulement, soyez reconnaissants envers la grâce de Dieu, et, comme les mystères des fêtes pascales vous ont fait nouvelle créature, de même marchez toujours dans une vie nouvelle. Vous qui êtes devenus participants de Jésus-Christ par la société de la foi, par la réception du sacrement, par la communion au Saint-Esprit, efforcez-vous avec soin, non-seulement de retenir jusqu'à la fin le commencement de la substance divine, mais encore de l'augmenter; afin que, à raison de tant de faveurs privilégiées, ayant part à la résurrection première, et étant marqués de tant de gages de confiance dans le jour de la lumière, vous ayez un droit éternel à la seconde résurrection par Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre résurrection et notre vie, qui, mort pour nous durant trois jours, vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen.
|