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PREMIER SERMON POUR L'ASSOMPTION DE MARIE.
1. «Venez, ma choisie, et j'établirai mon trône en vous. » Beaucoup sont appelés, peu sont élus. « Heureux ceux qua vous avez choisis, Seigneur, ils habiteront dans vos parvis (Psal. LXIV, 5) ; » bien plus, vous habiterez en eux, vous régnerez en eux et établirez dans leur coeur le siège de votre règne. Sans nul doute, Marie est la plus heureuse de tous les bienheureux, elle qui a été singulièrement choisie, et choisie avant et plus que les autres parmi tous les saints : parce que le Seigneur l'a élue pour être sa demeure en ces termes : « Voilà le lieu de mon repos au siècle des siècles ; c'est là que je séjournerai, car je l'ai choisi (Psalm. CXXXI. 14). » Il a habité en elle neuf mois durant; il a habité à ses côtés et sous sa conduite plusieurs années. En habitant en elle, il la remplissait d'une singulière abondance de grâces; en habitant avec elle, il la nourrissait de l'incomparable douceur de pieuses actions, et de la sagesse désirable des paroles divines. Maintenant, étant en elle et avec elle dans la vie interminable et d'une façon incompréhensible, il la rassasie de la gloire des visions béatifiques, lui donne au dehors la forme de la chair glorifiée, et lui imprime au dedans celle du Verbe glorifiant. O Marie, s'écrie le Seigneur, « désormais vous ne serez plus appelée délaissée, et vous ne porterez plus le titre de désolée (Isa. LXII, 4), » parce que vous êtes vierge, vous ne serez plus inféconde ; mais on vous appellera : « ma volonté, » c'est-à-dire, mon fils bien-aimé est en elle, « Parce que le Seigneur a mis en vous ses complaisances et votre terre sera habitée. » En effet, un jeune enfant habitera dans une vierge, mon fils séjournera en vous ; bien plus, si cela vous plait davantage, ne nous éloignons pas des paroles de l'Écriture : « Vos fils demeureront en vous. » 2. O hérétique, pourquoi lèves-tu la tête ? Pourquoi faire servir à la perfidie un mystère de piété ? Marie a engendré un fils : ce fils, s'il est l'unique enfant de son père dans les cieux, est aussi l'unique enfant de sa mère sur la terre. Elle n'a pas eu d'autres fils par la suite, comme tu le prétends par un blasphème manifeste ; mais la marque de la virginité perpétuelle demeure intacte dans la mère, comme dans son fruit, le sacrement de l'unité catholique. Cependant cette unique créature qui est vierge mère, qui se glorifie d'avoir mis au monde le Fils unique du Père, embrasse ce même fils dans toua ses membres, et ne rougit point d'être appelée la mère de tous ceux en qui elle voit Jésus-Christ formé ou en train de se former. L'ancienne Ève, qui fut une marâtre plutôt qu'une mère, qui communiqua à ses fils la sentence de la mort avant le principe même de la vie, fut appelée la mère de tous les vivants (Gen. III, 20); mais elle était en réalité la cause de la mort de ceux qui vivaient, ou la mère des mourants, puisque, pour elle, enfanter n'est point autre chose qu'inoculer la mort. Et parce que l'une ne peut fidèlement remplir le sens de son nom, l'autre en accomplit le mystère; car elle aussi, comme l'Église dont elle est le type, elle est la mère de tous ceux qui renaissent à la vie, c'est par elle que ton vivent, car en enfantant elle a régénéré, en quelque sorte, tous ceux qui doivent vivre des influences de cette même vie. Un seul était engendré, mais nous étions tous régénérés, parce que, à raison du principe qui produit la régénération, nous étions tous dans son fruit. Comme nous avons été en Adam dès le principe, à cause de la semence de la génération charnelle, ainsi, nous étions dans le Christ, avant le commencement, à raison du germe de la régénération spirituelle. 3. Or, cette bienheureuse mère du Christ, qui est la mère des chrétiens en vertu de ce mystère, se montre aussi leur mère par le soin qu'elle prend d'eux et par la tendre affection qu'elle leur porte. Elle n'est point dure envers ses fils comme s'ils n'étaient pas siens ; ses entrailles, fécondées une fois, jamais stériles, ne cessent de produire des effets de bonté. Car le fruit béni de votre sein, ô tendre mère, vous a laissée toujours remplie de grâces, dans sa clémence inépuisable ; né une fois de vous, mais restant toujours en vous et y affluant toujours, il fait déborder sans relâche,dans le jardin fermé de la chasteté, la fontaine scellée de la charité, cette fontaine qui, bien que scellée, coule au dehors néanmoins et nous divise ses eaux sur les places. En effet, quoique la charité qui appartient en bien propre à l'Église, soit incommunicable aux étrangers, elle se réjouit néanmoins de faire du bien à ses ennemis. Si le serviteur du Christ enfante derechef par ses soins et dans les désirs de la piété ses petits enfants (Gal. IV, 19), combien plus cela sera-t-il vrai de la mère du Christ ? Et saint Paul les engendra en leur prêchant la parole de la vérité par laquelle ils furent régénérés ; Marie d'une façon bien plus divine et plus sainte, en engendrant le Verbe lui-même. Je loue, à la vérité, en saint Paul, le mystère de la prédication, mais j'admire et je révère bien davantage en Marie le mystère de la génération des âmes. 4. Voyez aussi, si ses fils ne la reconnaissent point pour mère, un sentiment naturel de piété, selon la foi leur dictant de recourir à elle d'abord et surtout dans toutes les nécessités et difficultés, en invoquant son nom, comme de petits enfants qui se jettent sur le sein de leur mère. Aussi, c'est de ces enfants, je crois, qu'on peut entendre la promesse que le Prophète lui a adressée : « Vos enfants habiteront en vous (Isa LXII, 5), » avec cette exception pourtant que cette prophétie s'applique principalement à l'Église. Et maintenant, nous habitons sous l'égide de la mère du Très-Haut, nous demeurons sous sa protection, courbés sous l'ombre de ses ailes, et ensuite, nous serons réchauffés, comme sur son sein en partageant sa gloire. Alors éclatera, comme un concert, ce cri des âmes qui se réjouiront et qui féliciteront cette sainte mère : « O sainte Mère de Dieu, nous tressaillons tous et notre habitation est en vous (Psalm. LXXXVI, 7).» Ne croyez point qu'il y ait plus de félicité et de gloire à demeurer dans le sein d'Abraham, que dans le sein de Marie, puisque le roi de gloire a placé en elle son propre trône. 5. Venez, dit-il, «ma choisie, et j'établirai mon trône en vous, » on ne pouvait dire d'une manière plus énergique et plus élégante le principe de sa gloire, qu'en l'appelant le trône du Dieu souverain. La majesté divine ne parait communiquer à aucune âme, avec tant de plénitude et de familiarité, l'abondance de ses communications intimes, comme à celle en qui il a choisi de demeurer d'une façon plus spéciale que dans les autres. Le Seigneur disait aux disciples qui, devenus pauvres, suivaient leur maître indigent : « Dans la régénération, lorsque le Fils de l'homme trônera sur le siège de sa majesté, vous serez assis, vous aussi, sur des sièges (Matth. XIX, 28). » Dans un autre endroit, notre athlète nous fait la même promesse, regardant du haut du ciel et en excitant tous ceux qui se trouvent au fort de la lutte : « Qui aura triomphé, » s'écrie-t-il, « je lui donnerai de s'asseoir avec moi sur mon trône, de même que moi aussi, j'ai vaincu et me suis assis sur le trône de mon Père (Apoc. III, 21). » A sa mère qui a un mérite bien supérieur, il promet néanmoins une récompense un peu différente. «Venez, » dit-il, « mon élue, et j'établirai en vous mon trône. » C'est peu, dit-il, que vous soyez assise à côté de moi lorsque je jugerai, il faut que vous me serviez de siège, afin de contenir en vous la majesté du monarque qui règne dans les cieux, avec d'autant plus de bonheur que c'est avec plus de familiarité, et que vous compreniez mieux que les autres celui qui est incompréhensible. Vous l'avez porté petit enfant dans votre âme. Vous avez été son hôtellerie quand il était pèlerin, vous serez son palais quand il sera un roi trônant dans gloire. Vous avez été son tabernacle quand il venait combattre dans le monde; quand il triomphera dans le ciel, vous lui servirez de trône. Vous fûtes le lit nuptial de ]'Époux incarné, vous serez le trône du roi couronné. 6. O Fils de Dieu, rien ne vous a déplu dans cette demeure que voire bonté vient réhabiter et qu'elle récompensera avec tant de largesse. Vous n'y avez rencontré aucune souillure parce qu'il n'y avait aucune passion, il n'y avait que la chasteté la plus pure; rien de ruineux, parce qu'il n'y avait nul orgueil, mais l'humilité la mieux établie ; rien d'obscur, parce que l'infidélité en était exclue; rien d'étroit, parce que la charité y était répandue. Elle avait orné son appartement nuptial, cette vierge très-prudente, qui devait non-seulement vous recevoir comme hôte, mais encore vous avoir pour époux, ô Christ, notre roi. Elle l'avait paré, dis-je, de l'éclat multiple et varié des vertus et de la gloire, peut-être avec d'autant plus de richesse que tout se trouvait caché à l'intérieur. Il admirait cette parure celui qui s'écriait : « Toute la gloire de la fille du roi est au dedans; elle a des franges dorées, elle est entourée d'ornements variés (Psalm. XLIV, 9), » ainsi que cet autre qui disait : « O qu'elle est belle la génération chaste avec la charité (Sap. IV, 1). » Une telle sainteté , de telles décorations conviennent, Seigneur, à votre maison. Cet éclat vous a engagé à entrer; il vous a attiré et vous a fait revenir. En entrant vous y avez multiplie la grâce de votre bénédiction, mais en revenant vous avez porté cette grâce au comble. Quand vous y êtes venu, vous étiez né homme en elle ; quand vous y êtes revenu, vous avez été glorifié Dieu en elle. La première fois vous y avez établi la demeure sainte de votre grâce, la seconde, le trône de votre gloire. 7. Il y a d'autres créatures qu'on appelle Trônes, ce sont des esprits plus divins que les autres, pleins de la majesté de Dieu, qui préside les autres, et qui ont d'autres ordres sous eux : quelle est leur prérogative ? l'Ecriture ne l'exprime pas, bien que, par le titre qu'elle leur donne, elle marque qu'elle est réelle en quelque manière. Mais l'âme de chaque juste est appelée siège de la sagesse. Si elle est maintenant le siège de la sagesse, elle sera plus tard le trône de la gloire. Que ce palais du ciel soit donc plein de sièges et de trônes, que Dieu se fixe en tous, s'accommode et se proportionne à chacun de nous selon ses nécessités. On est fondé néanmoins à croire, sans injure et sans envie à l'égard des autres sièges, qu'il y a un trône spécial pour le Roi, élevé et placé au dessus de la gloire de tous, je veux dire Marie exaltée par dessus le choeur des anges ; ainsi la Mère ne contemple au dessus d'elle que son Fils, la Reine n'admire au-dessus d'elle que le Roi ; notre médiatrice ne vénère au dessus d'elle que notre Médiateur: et, par ses prières, elle nous concilie, nous recommande et nous présente à son Fils unique Jésus-Christ, à qui est honneur gloire dans les siècles des siècles. Amen.
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