JEAN-BAPTISTE IV
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TOUSSAINT
CANTIQUE

QUATRIÈME SERMON POUR LA NATIVITÉ: DE S. JEAN-BAPTISTE.

 

1. «Jésus se met à dire à la foule, en parlant de saint Jean : Qu'êtes-vous allés voir au désert (Matth. XI, 7) ? » Voilà ce dont l'Épouse se glorifie au sujet de l'Époux, dans le Cantique de son arrivée : « Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi (Cant. II, 16). » Jean est à Jésus, Jésus est à Jean. Jean prêche Jésus, Jésus fait l'éloge de Jean. On rend la pareille, et par un retour aussi juste qu'amical, la charité est mutuellement provoquée ou récompensée. « Car, dit Jésus, j'aime ceux qui m'aiment et je glorifierai ceux qui me glorifieront (Prov. VIII, 11). » La piété a les promesses de la vie présente et de la vie future, et le Seigneur commence à glorifier ici-bas en lui donnant des éloges en retour, et à élever son témoin devant les hommes, en lui rendant personnellement témoignage, en attendant qu'il le glorifie dans les siècles à venir par la récompense dont il l'enrichira.« Qu'êtes-vous allés voir au désert, » dit-il, vous admirez un homme qui demeure dans la solitude; mais, par lui, la beauté du désert s'accroîtra, la solitude fleurira, lorsque, à son exemple, d'autres habitants eu iront garnir les plaines silencieuses. Le désert alors sera comme les délices du paradis, et la solitude sera comme le jardin du Seigneur. « La gloire du Liban lui sera alors donnée avec l'éclat du Carmel et de Saron. (Isa. XXXV, 2). » mais, je vous le demande, « qu'êtes-vous allés voir au désert? Un roseau agité parle vent? » Bien qu'il réside au désert, il est le cèdre du paradis,la colonne du ciel, la gloire du genre humain, le miracle du monde, son mérite et sa vertu sont au-dessus de la nature des hommes bien que sa condition soit au dessous de la nature des anges.

2. Il n'est pas un roseau agité par le vent, mais une tige plus forte que la tempête, qu'aucun tourbillon n'agite, ou bien un cyprès planté sur la montagne de l'éternelle Sion, trop haut pour qu'elle ait à redouter la rage des vents. Il n'est pas exposé aux tempêtes de cette atmosphère, parce qu'il est supérieur à toutes les cupidités du monde. Il a jeté ses racines dans le ciel, où ne passe aucun souffle des tempêtes, du haut duquel il se rit en pleine sécurité des menaces et des efforts des vents, aussi bien que de toutes les adversités de ce siècle. Qu'Hérode se mette en courroux, qu'Hérodiade tende les embûches, que la tempête s'élève du fond de son coeur, que l'esprit des orages qui souffle sur les abîmes de leur âme, rejette toutes leurs forces et remue toutes les aigreurs de leur malice ; rien ne l’ébranlera, rien ne le fera changer de sentiment, rien ne l'empêchera de blâmer librement leur union incestueuse. Comment l'adversité fléchirait-elle celui que la bonne fortune n'a jamais pu amollir? Or, le souffle léger et agréable du vent de la faveur populaire s'est fait sentir, mais il n'a pu l'incliner ni lui faire perdre sa rectitude. Vous avez envoyé à Jean et il a rendu témoignage à la vérité. « Car les Juifs lui adressèrent des prêtres et des lévites, pour lui demander: qui êtes-vous ? Et il l'avoua, et il pie le nia point. Je ne suis pas le Christ (Joan. I, 20), dit-il, alors que la faveur populaire se faisait sentir, et que la pensée de tous le tenait en si grande estime, et l'engageait, si non à publier qu'il était le Christ, du moins à ne pas contredire  ceux qui le pensaient. Dans une autre occasion, quand ses disciples lui disaient : « Maître, celui à qui vous avez rendu témoignage baptise, et tout le monde va à lui (Joan. III. 26). » Ce vent peut-il l'agiter, peut-il être ému et éprouver des sentiments de douleur ou d'envie en se voyant abandonné, et en assistant à la gloire et à l'empressement qui se faisaient autour d'un autre ? Bien plus, repoussant et brisant ce vent avec une constance inaltérable, il répondit : « Vous m'êtes témoins que j'ai dit : je ne suis pas le Christ, mais je suis envoyé devant sa face, »

3. « Mais qu'êtes-vous allés voir ? Un homme revêtu d'habits fins ? » Le Seigneur l'avait loué de la constance de son âme, il le loue maintenant du peu de cas qu'il fait de son corps, et il le loua plus tard de l'excellence de la grâce de l'esprit prophétique, et de la dignité de son office et de son nom d'ange. C'est en effet, par deux degrés que (humilité de l'homme s'élève vers les choses spirituelles et vers les réalités divines; si elle résiste sans broncher aux vents des tentations qui fondent sur elle, et si, dans son désir des biens de l'âme, elle afflige son corps. De même que, dans les commencements, pour vaincre les tentations, il faut châtier la chair afin que le péché n'y règne pas ; de même, les tentations vaincues, il faut continuer ce régime, non-seulement de crainte de reculer, mais encore dans la volonté d'avancer, afin de rendre, par la mortification du corps, l'esprit plus dégagé, et pour que l'âme s'élève d'autant plus librement vers les biens spirituels, que sa chaîne est plus légère et plus mince. Jean, sanctifié dans le sein de. sa mère avant sa naissance, qui avait droit de dire ; « La sainteté a crû avec moi dès mon enfance, et elle est sortie avec moi des flancs de ma mère (Job. XXXI, 18), » lui qu'aucun souffle de tentation ne pouvait émouvoir, ne porte cependant pas des habits fins, il ne se nourrissait pas de mets succulents, il savait qu'un régime de vie rude est toujours nécessaire, soit aux pécheurs pour devenir saints, soit aux saints pour grandir en sainteté. Mais aujourd'hui, rendons grâce à Dieu qui nous a donné, si toutefois il en est ainsi, la victoire sans combat, le pardon sans pénitence, la justice sans oeuvres, la sainteté sans travail, l'abondance simultanée des délices de la chair et des délices de l'esprit. Revêtons-nous, sinon de pourpre et de bysse, d'habits encore plus fins et plus chauds; tous les jours, faisons des repas splendides, et néanmoins, ainsi repus et exhalant l'odeur de nos excès, nous dormirons avec Lazare le pauvre dans le sein d'Abraham, ou plutôt avec saint Jean sur la poitrine de Jésus ? Oh! s'il en est ainsi, on nous a bien mieux traités que ceux, qui ont acheté, aux prix de travaux si considérables, ce que, dans notre délicatesse, nous avons gratuitement. Oui, s'il en est ainsi, il faut tourner en dérision au lieu de la prêcher, la vie de Jean ; il est plus expédient de réprouver que d'imiter toute la nation des enfants de Dieu, qui ont suivi, dans des chemins durs et étroits, le fils unique du Père.

4. Mais il paraît plus vraisemblable qu'il n'en va pas de la sorte; au contraire, comme s'exprime la vérité, c'est « par beaucoup de tribulations due nous devons entrer dans le royaume de Dieu (Act. XIV, 21), » ou, comme le déclare le disciple de la vérité, une veuve « se trouvant dans les délices, est morte quoique paraissant vivante (I Tim. V, 6). » Aussi le Seigneur, après avoir loué sur la rudesse de son habillement, son ami très-fidèle avec toute sa maison, ajoute-t-il, « voici que ceux qui portent des habits fins sont dans les palais des rois (Matth. XI, 8), » pour faire entendre par là que ceux qui courent après les délices de, la chair, combattent pour le royaume de ce monde, nullement pour le royaume de Dieu. Oh ! quelle terrible sentence j'ai entendu porter du haut du ciel contre la mollesse de la grande prostituée qui était vêtue de pourpre ! « Autant elle s'est glorifiée, dit-on, autant elle a été dans les plaisirs, autant faites-lui éprouver de tourments et de deuils (Apoc. XVIII, 7). » Plût à Dieu que la délicatesse de ces hommes efféminés se contentât de ces jouissances, de la finesse des habits et de la saveur agréable des mets qu'on leur sert, et que l'arbre de la volupté ne produisît point pour eux d'autres épines de vices, en sorte que tout leur péché consistât à vivre dans les délices, non point dans les voluptés. Qu'ils voient si ce feu pestilentiel, qui est inné dans l'âme, est tellement éteint en eux, il ne puisse s'allumer de nouveau lorsque tant d'aliments sont placés autour de lui, quand surtout tant de vents soufflent du côté opposé, je veux parler des paroles et des rires lascifs. Cependant j'entends dire ordinairement que cette passion vit souvent même encore dans les mourants, et qui elle est eu pleine vigueur dans les vieillards : elle s'excite et s'élève même sans aliments, elle est furieuse sans que personne la provoque. Que ces malheureux prennent donc garde à eux. Il ne m'appartient nullement de juger la conscience des autres, je sais que plusieurs ont vécu avec tempérance et pudeur au milieu de l'abondance et de la gloire du monde, et qu'au contraire quelques-uns ont mené une vie coupable sous un habit plus rude, et dans un régime plus sévère. Je sais qu'un roi d'Israël fut revêtu sous la pourpre d'un cilice sur la chair (IV Reg. VI, 30), et que parfois on n'a servi à des rois que du pain sec, tandis que, de nos jours, un habit chaud protège les membres tendres et délicats des pénitents. ou plutôt de ceux qui font profession de pénitence , et que les richesses du monde ne peuvent contenter leur satiété, ni les artifices et les peines des cuisiniers, satisfaire leurs palais. Mais parce que dans ces matières, chacun trouve à s'excuser, l'un sur ses infirmités, l'autre sur la société à laquelle il doit se conformer, et celui-ci sur l'honneur dont il est revêtu, je veux bien qu'ils vivent comme ils veulent, qu'ils mangent comme il leur plaît; mais que ce mal ne s'étende pas davantage , qu'il n'aille pas à cet excès, que ceux qui veulent le commettre ne le veuillent point avouer, et commencent ainsi à mériter qu'on leur applique cette parole de la femme de mauvaise vie « qui surprise mangeant, s'essuie la bouche et s'écrie, je n'ai point commis le mal (Prov. XXX, 20). » J'oserai dire de cette grande Babylone, du sein de laquelle ces pénitents délicats paraissent sortis, qu'elle soit empourprée tant qu'il lui plaira, qu'elle soit délicate autant que bon lui semblera, mais qu'elle ne se prostitue pas, qu'elle ne s'abandonne pas au premier passant.

5. Pour vous, si vous ne pouvez imiter saint Jean dans la rudesse de ses vêtements ou dans la frugalité de sa vie , efforcez-vous de l'imiter du moins, en tâchant de n'être point un roseau agité par le vent, et, comme s'exprime le sage : « ne vous laissez pas emporter à tout vent, et n'allez pas en toute voie (Eccle. V, 11). » C'est ainsi que le pécheur se fait connaître par un double langage. Mais « soyez ferme, dit l'Ecriture, dans la route du Seigneur,» que le vent ne vous renverse pas de la terre ou du lieu où vous avez fait profession, ou du royaume auquel vous êtes destiné. D'ordinaire, un vent violent s'élève de la région du désert et ébranle les quatre coins de la maison des fils de Job, et sa ruine est immense, si elle se trouve bâtie sur le sable, non sur le roc (Job. I, 19), si elle est de paille, non de pierre; bien plus, si celui qui l'a bâtie et l’habite, est un roseau , brillant            au dehors par l'hypocrisie, retentissant par ses promesses vaines ou par sa jactance, vide de vérité au dedans. Behemot se plaît à dormir au milieu de cette retraite formée de joncs (Job. XL, 16) qui croissent le plus souvent et se développent dans les lieux humides, où pullulent les boues périssables et où tout abonde pour entretenir le luxe. Si quelqu'un s'appuie sur ce roseau, sa main sera percée (Isa. XXXVI, 6), parce que si quelqu'un appelle cet homme en aide pour achever une œuvre, ou le charge d'une fonction, il blessera par de graves scandales celui qui a eu confiance en lui. Cependant la patience du Seigneur n'écrase pas un roseau de ce genre, même quand il est brisé, mais elle attend qu'il se convertisse (Isa. XLII, 3). Parfois aussi, il réprimande les bêtes des marécages qui dorment avec leur princes dans ces retraites secrètes; souvent les justes, comme des étincelles d'airain embrasé, courent dans des lieux pleins de roseaux, et, semblables à des charbons portant la désolation, brûlent toutes les tiges stériles qui y croissent et préparent pour de nouveaux fruits une place purifiée (Psalm. LXVII, 31 et Sap. III, 7). » C'est ce que Jean faisait, il était la voix qui criait dans le désert, non un roseau, mais une étincelle courant dans un lieu plein de joncs, « une étincelle dont la parole, ainsi qu'il est écrit, est une parole de feu qui émeut (Sap. II, 2) le coeur insensé et engourdi, afin de préparer la voie au Seigneur, que la même voix opère maintenant, en effet, en nous, avec l'aide du Verbe dont il était la parole, je veux dire de Jésus-Christ, notre Seigneur, qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen.

 

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