|
|
SERMON POUR LA FÊTE DE LA TOUSSAINT.
1. « Bienheureux les pauvres d'esprit (Matth. V, 3). » Je reconnais ce signe noble et éclatant que le Fils de Dieu, avant de naître dans la chair, donnait à l'avance, en se rendant témoignage, afin de se faire reconnaître: plus tard, lorsqu'il fut né, mais non encore connu, il enseigna que c'était là la marque qui lui convenait : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, il m'a envoyé prêcher l'Évangile aux pauvres (Isa. LXI, 1). » Voici que les pauvres entendent la bonne nouvelle, voici qu'on publie aux pauvres l'Évangile du royaume : « Heureux, » s'écrie Jésus, « les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux. » Joyeux début de l'alliance nouvelle, exorde plein de joie et d'une grâce inconnue jusqu'alors, il excite l'homme à écouter, quelque infidèle et quelque paresseux qu'il soit, mais surtout il le provoque à l'action, puisque la béatitude est promise aux malheureux, et le royaume des cieux à ceux qui sont pauvres et exilés. Oui, commencement agréable et favorable de la loi nouvelle, lorsqu'à son principe, le législateur accorde tant de bénédictions, pour que les hommes marchent de vertu en vertu, c'est-à-dire s'élèvent par ces huit degrés que l'Évangile a établis dans notre coeur, selon l'exemplaire et l'image des réalités célestes qui furent montrées à Ézéchiel aussi sur la montagne des visions de Dieu. Ces huit vertus sont manifestement une ascension des coeurs et un progrès de mérites, distribués par ordre; et conduisant peu à peu l'homme, d'en bas au sommet de la perfection évangélique, jusqu'à ce qu'il soit introduit pour voir le Dieu des dieux en Sion, dans le temple, dont le Prophète a dit : « Huit degrés y conduisent (Ezech. XL, 34). » 2. En effet, la première vertu de ceux qui commencent, c'est le « renoncement » au monde, qui nous rend pauvres en esprit; la seconde, c'est la « douceur, » par laquelle nous nous soumettons à l'obéissance et devenons souples; vient ensuite, le « deuil, » par lequel on pleure les péchés et on sollicite les vertus. Là nous goûtons ce qui augmente notre faim et notre soif de la justice, soit en ce qui nous regarde, soit en ce qui regarde les autres, nous commençons à être émus de zèle contre les pécheurs. Mais de peur que ce zèle immodéré ne dégénère en vice, survient la « miséricorde » qui le tempère. Ayant appris, par ces exercices et cette application, à être juste et miséricordieux, l'homme sera peut-être propre à vaquer à la contemplation et à s'adonner à la purification de son coeur, afin de voir Dieu. Exercé et éprouvé, soit dans l'action, soit dans la contemplation, il sera digne alors, portant le nom du Fils de Dieu et en pratiquant le ministère, devenu le Père et le ministre des autres, d'établir, comme un médiateur et un arbitre, « la paix » entre Dieu et eux, de l'établir aussi entre eux et pareillement entre eux et ceux qui sont dehors ; ainsi qu'il est écrit dans l'éloge des anciens Pères, « qui établissaient la paix dans leurs maisons (Eccl. XLIV, 6).) » Quiconque aura été fidèle et constant à remplir cet office obtiendra souvent la vertu et le mérite du martyre, il souffrira persécution pour la justice, et parfois de la part même de ceux pour qui il combattra, en sorte qu'il pourra dire : « Les enfants de ma mère ont combattu contre moi (Cant. I, 5) ; » et : « J'étais pacifique avec ceux qui détestent la paix; lorsque je leur parlais, ils m'attaquaient gratuitement (Psalm. CXIX, 7). » 3. Quelle gloire, quelle récompense abondante atteindra dans le ciel le comble de cette perfection, nous pouvons l'estimer d'une certaine manière, parce que le Seigneur attache une félicité si grande au premier degré de ceux gui renoncent ait siècle, en disant : « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. » Oui, ils s'ont bien heureux, eux qui rejettent les fardeaux vils et puants de ce monde, ne voulant devenir riches que du seul Créateur du monde, et être comme n'ayant rien à cause de lui, tout en possédant toutes choses par lui. Ne possédant-ils pas toutes choses, ceux qui ont en leur possession celui qui contient tout et dispose de tout ; ceux dont le Seigneur est la portion de lhéritage, ce maître qui dispose tout le reste pour servir à ceux qui le craignent comme il le juge expédient, et se réserve lui-même pour être l'objet de leur jouissance? Lorsque l'héritier de Dieu et le cohéritier de Jésus-Christ, adulte et émancipé, sera introduit dans la pleine possession de l'héritage qu'il attend, alors il aura un droit absolu et un libre domaine sur les créatures, lui qui, maintenant encore, tant qu'il est petit enfant, ne diffère en rien du serviteur, quoiqu'il soit le maître de tout, et demeure sous la conduite des tuteurs et des curateurs jusqu'à l'époque déterminée par le Père. Alors le monde le reconnaîtra comme son maître légitime pour lequel il a été créé; il le reconnaîtra, parce qu'il ne lui est plus conforme et qu'il est renouvelé en des sentiments nouveaux, à l'image de Dieu, selon laquelle il avait été fait. Mais actuellement aussi, « tout l'univers est la richesse de l'homme fidèle, » non-seulement parce qu'il se sert de toutes les choses du monde pour connaître ou pour aimer celui qui l'a créé, comme si elles lui avaient été données pour cet effet, et il se réjouit dans la vraie des témoignages, qu'il leur voit rendre à Dieu par leur existence comme par une sorte d'attestation écrite, comme dans toutes les richesses, s'il les possédait; mais de plus, parce qu'il a tellement appris à être reconnaissant et à se suffire, qu'il regarde à l'égal de tous les trésors de la terre, le heu qu'il a, ou la joie de ne posséder rien du tout. Aussi, Salomon proclame heureuse l'Église des saints, qui, pauvre pour le Christ, se trouve si riche dans le Christ. « Bien des filles ont rassemblé des richesses, n dit-il, « vous les avez toutes dépassées (Prov. XXXI, 29). » D'autres ravissent le bien d'autrui et sont toujours dans lindigence; les saints distribuent ce qui leur appartient et deviennent plus riches. « Les riches ont été dans le besoin et la pauvreté, ceux qui recherchent le Seigneur ne sentiront aucune diminution de biens (Psalm. XXXIII, 11). » 4. Plus l'avare possède, plus il éprouve de besoins. Il ne possède pas le moins du monde ce qu'il croit avoir, il est possédé par l'or, il ne le possède pas, esclave de l'argent qu'il a, serviteur de l'avarice, passionnément attaché à sa bourse, idolâtré exécrable qui tient pour Dieu ses pièces de monnaie. Dès maintenant, la justice exerce admirablement sa vengeance sur ces pécheurs, en faisant que les choses qu'ils aiment leur servent de tourments, et que leurs vices soient leurs suppliées. En effet, cet argent qui, répandu ou donné d'un coup, accroît la justice du juste et l'enrichit plus véritablement, fait souffrir, si on le garde, et souille celui qui en a été prodigue, si on le dépense follement. Oui, bienheureux les pauvres du Christ, leur foi a si bien trompé la sagesse du monde, que seule elle a découvert quel est le meilleur usage des richesses, seule elle a appris, que si on les aime, elles rendent pauvre et malheureux, et que si on les méprise pour le Christ, elles rendent riche et heureux. le vous rends hommage; ô Père, maître du ciel et de la terre, parce que tous avez caché ces vérités aux sages et aux prudents et les avez révélées aux petits, c'est-à-dire aux humbles (Matth. XII, 25), qui ne sont autres que les pauvres en esprit, dont on proclame la béatitude en cet endroit. 5. Bien que vous le sachiez, je veux vous rappeler néanmoins, mes frères, que la véritables et heureuse pauvreté d'esprit consiste plus dans l'humilité du coeur, que dans l'exiguité de ce que l'on possède, plus dans l'absence de tout orgueil, que dans le mépris de toute richesse. Parfois il y a utilité à avoir da bien, il n'y a jamais que du dommage à avoir de l'orgueil. Le démon n'a rien ou ne désire rien avoir en ce monde, et ce qui le damne uniquement ou principalement, c'est l'orgueil. Il sert donc peu de renoncer aux possessions du monde, si on n'y renonce aussi par ses moeurs; bien plus, il est ridicule et sot d'être dépourvu de richesses et d'être rempli des vices, des richesses de se rendre pauvre des choses, sans s'enrichir de vertus; de quitter tout, sans suivre le Christ, ou ce qui est pire encore, dans le camp du Christ, de favoriser le parti de l'Antéchrist. Il sert le parti de l'Antéchrist, celui qui combat pour l'orgueil, et attaque par ses moeurs le nom sacré qu'il professe par ses paroles et son habit. L'étendard du Christ, c'est l'humilité, celui de l'Antéchrist, c'est l'orgueil, ou plutôt c'est là le drapeau du démon qui est sa tête, et qui règne sur tous les fils de la superbe, et qui, dès le commencement, pèche par orgueil. Glorifions-nous donc, mes frères. d'être pauvres pour Jésus-Christ, mais travaillons à être humbles avec Jésus-Christ. Comme il n'y a rien de plus détestable que le pauvre superbe, de même il n'y a rien de plus misérable, puisque la pauvreté l'afflige ici-bas, et l'orgueil le damne pour l'éternité. Le pauvre qui est humble, bien que brûlé et purifié dans le creuset de la pauvreté, tressaille dans le rafraîchissement de sa conscience riche; il se console par la promesse de la sainte espérance, sachant et sentant que le royaume des cieux est à lui; ce royaume qu'il porte déjà en germe ou en racine au dedans de lui, c'est-à-dire dans les prémices de l'esprit et dans le gage de l'héritage éternel qu'il a reçu. N'est-il pas vrai, mes frères, que toutes les fois que vous éprouvez ces sentiments de votre coeur, vous cueillez des fruits, vous sentez des joies bienheureuses, dont le goût rend amère pour vous toute douceur du monde ? Vous avez goûté, si je ne me trompe, vous avez vu, que votre trafic est avantageux, puisque, pour une chose méprisable et digne de rebut, vous avec acquis pour rien des biens souverains et excellents. Le royaume de Dieu n'est ni le boire ni le manger, il est la justice, la paix et la joie dans le Saint-Esprit (Rom. XIV, 17). Si donc nous sentons ces impressions en nous, pourquoi ne prononcerions-nous pas avec confiance, que ce royaume est au dedans de nous? Mais ce qui est au dedans de nous, est vraiment nôtre, parce qu'il ne peut nous être ravi malgré nous. 6. C'est donc avec raison que le Seigneur, en prêchant la béatitude des pauvres, ne dit pas : le royaume des cieux « sera à eux, » mais « est » à eux, non-seulement à raison du droit très-assuré, mais aussi à cause du gage très-certain qu'ils en ont et de l'usage très-heureux qu'ils en font non-seulement parce qu'il a été préparé dans l'origine du monde, mais encore parce qu'ils ont commencé à vivre en sa possession d'une certaine manière, en ayant déjà ce trésor céleste dans des vases d'argile, en portant déjà Dieu dans leur corps et dans leur cour : bienheureux est le peuple qui a Dieu pour son Seigneur, qu'ils sont voisins du royaume de Dieu, ceux qui possèdent déjà et portent en leur coeur ce Dieu, dont on a dit que le servir c'est régner. « Mon sort, » s'écrie le Psalmiste, « est tombé sur une portion bien admirable, car mon héritage est précieux pour moi (Psalm. XV, 6). » Que d'autres plaident pour avoir leur part dans les héritages de ce monde : « Le Seigneur est la portion de mon héritage et de mon calice (Ibid). » Qu'ils rivalisent entre eux à qui sera le plus misérable, je ne leur envie rien de tous les objets qu'ils ambitionnent : mon âme et moi, nous nous réjouissons dans le Seigneur. O éclatant héritage des pauvres, ô bienheureuse possession de ceux qui n'ont rien : non-seulement, tu nous donnes tous ce qui est suffisant, mais encore comme une mesure qui déborde placée dans notre sein, tu abondes et procures toute gloire et toute joie. Oui, avec toi se trouvent les richesses et la gloire, les trésors superbes et la justice. 7. Que votre âme soit remplie d'orgueil, ô pauvres, qu'elle soit pleine d'un saint orgueil, ô vous qui êtes humbles , se glorifiant en son humilité qu'elle méprise toute hauteur de ce monde placée sous ses pieds, et qu'elle regarde comme indigne de sa grandeur d'humilier sa majesté à l'avenir, en désirant une vile proie. Quoi? tu es sur le point d'être élevée au ciel, et maintenant tu te plongerais dans la boue? On t'a préparé les biens éternels et tu leur préférerais ceux qui sont transitoires et semblables à un songe ? La cour des saints vous attend et vous aimeriez mieux la société des démons. Combien misérable est l'homme, après avoir été dans l'honneur, il ne l'a pas compris, et il est devenu comparable aux animaux sans raison (Psalm. XLVIII, 13). Ce malheur n'arrive-t-il pas manifestement, « à ceux que la bienheureuse pauvreté avait rendus honorables au ciel, admirables au monde, et, pour ne rien omettre, redoutables aussi à l'enfer, et qui ensuite, dans leur aveuglement, regardant la pauvreté comme une misère, l'humilité comme une lâcheté, ont voulu devenir riches et sont tombés dans les tentations et dans les piéges du démon, et qui, après avoir été maîtres de tout, se sont vendus à vil prix et donnés pour rien. Malheur à ceux qui ont perdu la patience et se sont écartés dans des routes détournées. Et que feront-ils quand le Seigneur se mettra à les examiner ? Qu'ils voient ce qu'ils auront à faire. Car pour vous qui aimez la pauvreté, qui trouvez agréable l'humilité de l'esprit, la vérité immuable vous assure que vous posséderez le royaume des cieux elle vous déclare qu'il est à vous, elle vous le garde et vous le réserve fidèlement, si cependant vous conservez fidèlement cachée en votre coeur jusqu'à la fin cette espérance, avec le secours de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est honneur et gloire, dans tous les siècles des siècles. Amen.
|