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PREMIER SERMON POUR LE CARÊME.
1. « Béni soit Dieu, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, qui nous console dans toute notre tribulation (II Cor. I, 3). Nombreuses sont les tribulations des justes, le Seigneur les délivrera de toutes (Psalm. XXXIII, 20). » Les tribulations que nous souffrons sont de deux sortes, non-seulement parce que nous sommes composés d'une double nature, de corps et d'âme, mais encore parce que nous vivons de deux façons en partie dans la chair, en partie dans l'esprit. Dans le monde, nous étions tout charnels, dans le ciel nous serons tout spirituels; sur la terre, nous sommes en partie charnels et en partie spirituels. Selon les progrès que nous faisons dans la vie de l'âme, nous devenons bien plus spirituels, ou bien, plus spirituels et moins charnels, ou enfin nous restons plus charnels et moins spirituels. Or, la tribulation s'élève de deux manières : parce que l'adversité contriste ce qu'il y a de charnel en nous, ou l'iniquité y combat ce qu'il y a de spirituel. S'il ne s'y trouvait rien de charnel, nulle adversité ne nous contristerait, et même aucune adversité ne se ferait sentir : s'il n'y avait rien de spirituel, l'iniquité ne nous attristerait point, mais bien plutôt, elle nous réjouirait, ainsi qu'il est dit de plusieurs : « Ils se réjouissent quand ils ont mal fait, et ils tressaillent dans des choses abominables (Prov. II, 14). » La tristesse, résultant de l'adversité est donc charnelle et selon le siècle : celle qui provient de l'iniquité, est spirituelle et selon le Seigneur. L'une opère la mort, si la consolation manque, l'autre opère le salut, si la consolation ne fait pas défaut. Il importe cependant beaucoup dans l'adversité extérieure, de savoir de quelle espèce est la consolation qui vient consoler l'âme affligée : car la menace divine fait retentir un « Malheur » éternel contre la consolation des riches (Luc. VI, 24). Parce que, le plus souvent, ceux qui pouvaient s'humilier dans l'adversité, sont plus enflés d'orgueil à cause de la bonne fortune, et l'iniquité découle de leur embonpoint : bien plus, ils provoquent audacieusement le Seigneur, quoique ce soit lui qui leur ait tout donné. 2. Pour nous, quand abondent les consolations temporelles, nous devons être plus reconnaissants et plus humbles: et quand elles nous abandonnent, il faut être plus joyeux et nous tenir pour plus assuré de la rédemption éternelle. Quand nous jouissons de la santé du corps, de la tranquillité des temps ou de l'abondance de toutes choses, il faut nous en servir et les régler avec tant de sagesse, que ces biens ne soient pas une occasion de péché, mais plutôt un moyen d'avancer dans la vertu, en sorte que nous fassions le bien au moyen de cette abondance, et que la prospérité ne nous rende pas mauvais. Que mon âme refuse de goûter cette consolation qui propage la volupté et élève la vanité, qu'elle choisisse d'être affligée avec Moïse et les enfants d'Israël, plutôt que de savourer les charmes de l'iniquité temporelle (Hebr. XI, 25). Que nous soyons consolés extérieurement ou éprouvés par la tribulation, que béni soit Dieu, qui a donné à nos coeurs une consolation intérieure et éternelle: c'est-à-dire, le jour de l'espérance, qui nous persuade de nous glorifier môme dans nos afflictions, nous promettant que « si nous souffrons avec Jésus-Christ, nous régnerons avec lui (Tim. II, 12). » Quant à la tribulation que nous souffrons intérieurement à cause de notre iniquité, nous la trouvons d'autant plus fatigante, que nous la sentons plus dangereuse : parce que l'expérience que nous faisons dans la vie nous contraint à dire avec vérité : « Si le Seigneur ne m'était venu en aide, d'un peu plus, mon âme eût habité dans l'enfer (Psalm. XCIII, 17). » Grâces vous soient rendues, Seigneur Jésus, parce que si les dangers sont grands, faites tous les remèdes, parce que si je disais : «mon pied a été ébranlé, votre miséricorde, Seigneur, accourait à mon secours (Ibid.). » Et ce que vous avez accompli une fois corporellement en saint Pierre, chaque jour vous l'accomplissez spirituellement dans les enfants de saint Pierre (Matth XIV, 29). Vous nous avez ordonné de venir à vous en marchant sur les eaux, c'est-à-dire, sur cette mer spacieuse et aux bras étendus voilà que nous marchons par votre puissance, mais notre poids nous entraîne et parfois l'esprit des tempêtes fond sur nous au point que nous commençons à être engloutis, c'est-à-dire que nous donnons presque notre consentement à la tentation. Mais si nous confessons promptement que notre pied a été ébranlé, c'est-à-dire que notre âme a bronché et si nous implorons fidèlement votre secours, vous nous tendez miséricordieusement la main, vous affermissez et dirigez nos pas. 3. A ce sujet, le juste chante chaque jour : « J'ai été poussé, on voulait me renverser (Psalm. CXVII, 13), » mais je ne suis point tombé, « parce que le Seigneur m'a soutenu. » Mais quand « le juste tomberait, il ne sera point brisé, parce que le Seigneur tendra sa main pour amortir la chute (Psal. XXXVI, 24). » C'est-à-dire, lorsqu'il aura commis le péché, il ne sera point condamné, parce. qu'il a Jésus pour avocat, et s'il tombe sept fois le jour, sept fois il se relèvera. Il ne se plait pas à rester où il est tombé, à se rouler dans la boue: mais aussitôt il secoue le poussière qui le couvre et par sa satisfaction, il lave ses taches. Et il devient juste, parce que, du début de ses paroles,il s'accuse toujours (Prov. XVIII, 17 et Isa. XLIII, 25), se souvenant du conseil que le Seigneur lui a donné : « Dites vos iniquités afin d'être justifié. » Il arrive par là, que se jugeant lui-même et vengeant sur lui les droits de Dieu, le coupable se trouve avoir pour avocat, celui qu'il redoutait d'avoir pour juge sévère. « Car le Seigneur est juste et il a aimé les justices (Psalm. X, 8) : » Il ne peut se charger d'une cause injuste ou la soutenir, lui qui prenant sou temps, jugera même les justices. Et cependant, celui qui menace d'être un juge redoutable pour ceux qui sont pleins d'orgueil et de présomption, promet d'être l'avocat de ceux qui confessent humblement leurs fautes: parce que nous ne pouvons mieux établir notre cause en présence de celui devant qui nul homme ne sera justifié, qu'en nous accusant et en nous punissant nous-mêmes,en exerçant sur nous les droits de sa justice et en exécutant sur nous, qui sommes coupables, les arrêts du juge. 4. Si nous tombons par ignorance en quelque faute vénielle, ou si notre faiblesse succombe, en sorte que, ne pouvant prévaloir contre le Jébuséen, nous soyons contraints de le laisser habiter sous nos yeux dans notre terre, les paroles du Prophète nous consoleront, car en se mettant à notre place, il s'écrie : « Nous avons été toujours ainsi et nous serons sauvés (Isa. LXIV,5). Ce qui manque, » dit le corps du Christ, « vos yeux » miséricordieux « l'ont vu, et, en votre livre tous seront écrits (Psalm. CXXXVIII,16), » c'est-à-dire, les parfaits et les imparfaits y figureront. Le Seigneur promet, en effet, d'ajouter ce qui manque à notre imperfection, lorsqu'il dit par la bouche du prophète Joël: « Et je purifierai le sang qu'ils n'ont point purifié (Joël. III, 21), » De là vient aussi qu'Isaïe, après avoir parlé auparavant de la perfection de la Jérusalem future des cieux; s'écrie . « Et quiconque aura été laissé en Sion, quiconque restera en Jérusalem, sera appelé saint, tout homme écrit en la vie, dans Jérusalem (Isa. IV, 3). » Que cette sainteté ne doive se parachever dans les faibles que par la purification faite par le Seigneur, ce prophète l'enseigne dans les paroles qu'il ajoute : « Si le Seigneur lave les souillures des filles de Sion, et s'il efface le sang du milieu de Jérusalem (Ibid.). » La purification qui est promise me console, mais la manière dont elle s'opérera m'effraie : or il est dit à la suite : elle se fera par « l'esprit de jugement et d'ardeur (lbid). » Car « le feu éprouvera l'oeuvre de chacun. Celui dont le travail sera brûlé souffrira du dommage, il sera sauvé » grâces au fondement, mais en passant par le feu (I. Cor. III, 15). » 5. Il vaudrait bien mieux brûler maintenant de l'amour délectable, que plus tard dans ces flammes expiatrices ? Combien il serait plus douar d'être purifié en cette vie par le feu de l'amour, qui ne laisserait en nous aucun principe mondain exposé à être consumé lors de l'incendie final de l'univers, et qui rendrait pour nous, comme pour les trois enfants, la fournaise de Babylone semblable à une fraîche rosée ( Dan. III, 50). Si vivant avec tiédeur et négligence, nous n'amassons que du bois, du foin, de la paille, si nous emportons avec nous, en sortant de la vie, une si grande quantité de matières inflammables, qui de nous pourra habiter avec des ardeurs si dévorantes (Isa. XXXIII, 14) ? Qui de nous restera dans ces flammes éternelles, lorsque tout vêtement, même mêlé de sang, sera la proie et l'aliment du feu? Je sais que si je brûlais suffisamment de l'ardeur de la charité, on dirait aussi de moi : « Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'il a beaucoup aimé (Luc. VII, 47). » Mais si je ne mérite pas d'être purifié par le feu de la charité en ce monde, que du moins j'y passe par les flammes de quelque souffrance, et que je sois éprouvé par les maux que le Prophète souhaitait pour lui : « Que la pourriture entre en mes os, qu'elle se répande sur moi, afin que je trouve du repos au jour de la tribulation (Habac. III, 16). » Plaise au ciel que celui qui a commencé me brise, qu'il dégage sa main et me tranche et que ma consolation, soit qu'il ne m'épargne pas dans les douleurs dont il m'affligera (Job. VI, 9). » Cependant, Seigneur, vous avez connu la faiblesse du limon dont je suis fait. Car, quelle est ma force pour que je puisse souffrir, ou quelle est ma fin, pour que je prenne patience? Ma force n'est pas celle des pierres et ma chair n'est pas d'airain (Ibid). La première demande que je vous adresse, Seigneur, c'est que vous ne m'accusiez pas dans votre colère et que vous ne me repreniez pas dans votre courroux. (Psalm. IV, 1). Comme je vous entends dire : «Je réprimande et je châtie ceux que j'aime (Ap. III, 19), » et que bienheureux est l'homme qui est corrigé par le Seigneur, reprenez-moi, Seigneur, dans votre miséricorde, non dans votre fureur, de crainte que vous ne me réduisiez au néant et que l'on ne dise de moi : « Vous l'avez détruit en le purifiant (Psalm. LXXXVIII, 45).» Considérez mon infirmité et proportionnez-y la puissance de votre coup, de peur que s'il est trop fort, il ne brise la patience de mon coeur mais plutôt que la tribulation opère la patience, la patience l'épreuve, l'épreuve l'espérance. Mais malheur à moi si chaque jour je suis brûlé sans être purifié, en sorte que l'on dise de moi : «On a beaucoup sué, et la rouille n'a pas quitté son âme, pas même sous l'influence du feu. Ton impureté est exécrable, parce que j'ai voulu te purifier, et tu n'a pas été nettoyé de tes souillures : tu ne le seras pas avant que j'aie fait cesser mon courroux contre toi. (Ezech. XXIV, 12). » 6. Je crains bien que cette menace ne tombe sur nous qui, chaque jour, sommes éprouvés par les difficultés de la vie, comme par un feu purifiant et ne sommes jamais purifiés comme il faut de notre iniquité ! Et peut-être ne le serons-nous point, jusqu'à ce que le juge lui-même vienne s'asseoir comme un feu qui souffle pour purifier l'argent et délivrer de leurs souillures les enfants de Lévi (Malac.). Cependant, quelque faible résultat qu'obtienne ce feu en cette vie, je préfère être soumis à ses atteintes, que d'être entièrement remis pour être plus tard la proie de l'autre. Car si nous les comparons, l'un est un remède qu'une main miséricordieuse nous offre, l'autre est la vengeance d'un juge irrité. Ainsi le pensait celui qui s'écriait « Seigneur, ne m'attaquez pas dans votre fureur, ne me réprimandez point en votre courroux (Psalm. VI, 1). » Je sais, Seigneur, que lorsque mon âme aura été troublée, dans votre colère vous vous souviendrez de votre miséricorde. Je sais que, même dans le deuil et les peines, je me consolerais dans une espérance meilleure; et si j'étais livré à la puissance ennemie pour un temps, afin d'être éprouvé, je lui répondrais en empruntant lés paroles du Prophète : « Ne vous réjouissez pas, puissance ennemie, de ce que je tombe, je me lèverai après m'être assis dans les ténèbres : le Seigneur est ma lumière, je porterai le poids de son courroux jusqu'à ce qu'il juge ma cause. Il me fera venir à la lumière, je verrai sa justice : et mon ennemie me verra et elle sera couverte de confusion (Mich. VII, 8). » Cependant, pourquoi craindrai-je au jour mauvais? Pourquoi plutôt, aux jours de bonheur ne jouirai-je pas des biens, et ne prévoirai-je pas les jours mauvais ? N'est-ce pas à présent le temps favorable et les jours de salut (I. Cor. VI, 2) ? Pourquoi n'entendrai-je pas de suite le conseil du Saint-Esprit? « Tout ce que fait votre main, faites-le de suite : parce qu'il n'y a ni conseil, ni raison, ni sagesse dans les enfers vers lesquels vous vous précipitez (Eccle. IX, 10). » Et cette parole de l'Apôtre : «Tant que nous avons le temps, opérons le bien envers tous. » Nous avions commencé par les consolations, mais nous en sommes venus aux terreurs : parce que la consolation sera utile lorsqu'elle sera mêlée de frayeur : nous entrerons dans votre vérité, Seigneur si notre coeur se réjouit sans trembler à cause de votre nom. Autrement, si nous vous proclamions entièrement assurés, si nous vous prêchions une sécurité complète, on dirait de nous : « Mon peuple, ceux qui vous disent bienheureux vous trompent et font dévier vos pas (Isa. III, 12). » Nous serons véritablement heureux si nous reconnaissons justement notre misère, si nous sommes livrés à une sainte douleur si nous vivons toujours dans la crainte et la vigilance, à la mort nous serons rassurés.
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