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DEUXIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA PURIFICATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE.
1. De même que c'est au jour de la nativité, c'est-à-dire, de l'avènement du Seigneur, que se rapportait cette parole de louange et d'action de grâces : « Béni soit celui : qui vient au nom du Seigneur (Psal. CXVII, 25) ; » de même c'est au jour de son apparition, c'est-à-dire de notre illumination que se rapporte la suite de ce passage : « C'est notre Seigneur et notre Dieu, il a lui pour nous; » et ce qui suit encore: « Etablissez un jour de solennité qui attire une foule nombreuse jusqu'aux cornes de l'autel » pourra sans difficulté, à mon avis, être appliqué à ce jour célébré par un grand concours, jour où le Seigneur fut solennellement présenté à (autel par sa mère. Car dans les paroles qui viennent après : « Vous êtes mon Dieu et je chanterai vos louanges, vous êtes mon Dieu, et je vous glorifierai : je vous célébrerai parce que vous m'avez exaucé et que vous êtes devenu mon salut (Ibid.), » que trouvons-nous plus naturellement exprimé que l'expression de la foi et la louange de Siméon et de la prophétesse Anne, « qui, survenant sur le moment même, bénissait le Seigneur et parlait de lui à tous ceux qui espéraient la consolation d'Israël (Luc. II, 38) ? » C'est donc avec raison que notre chantre excitait Jérusalem à se réjouir et à faire une assemblée en un jour si solennel. « Etablissez, » dit-il, « un jour solennel, avec une affluence de peuple qui arrive jusqu'aux cornes de l'autel. » Ce ne fut point une réunion médiocre ou vulgaire que. celle qui eut lieu, lorsque, d'un côté, vinrent Jésus, Marie et bon nombre de parents qui accompagnaient l'enfant, « pour pratiquer, en ce qui le concernait, les rites de la loi, » et, de l'autre, Siméon et Anne avec la foule de ceux qui attendaient la consolation d'Israël, à qui ils rendirent témoignage de cet heureux enfant. 2. Je ne puis donc croire que c'est à cette solennité, qui vit une affluence si pieuse et si joyeuse, que se rapporte la plainte lamentable du Prophète : « Les chemins de Sion pleurent, parce qu'il n'est personne qui vienne à ses solennités (Thren. I, 4) : » A moins qu'il ne se plaigne de n'avoir vu accourir que peu de personnes en comparaison du peuple nombreux qui était dans toute la Judée et dans Jérusalem. Dans une. si grande multitude, il y en a peu qui vinrent, et dans ce peu, il n'y en eut qu'une très faible partie qui le reçut, bien que l'on vît présent celui qui avait été si longtemps attendu, comme le Père l'avait promis par la bouche de Malachie : « Voici, » dit ce saint personnage, « que vient à son temple le dominateur que vous cherchez et l'Ange du Testament que vous voulez (Malach. III, 1). » Le voici, ô Juifs, le voici, le Dominateur que vous cherchez, pourquoi ne le recevez-vous pas quand il s'offre à vous? Vous cherchez et vous ne cherchez pas. Mais si vous le cherchez, cherchez-le donc; convertissez-vous et venez (Isa. XXI, 12). Vous cherchez quelqu'un qui vous délivre de la main des hommes, vous ne cherchez point quelqu'un qui vous délivre de la main des démons. Vous cherchez un chef qui vous arrache aux Romains vous n'en cherchez pas un qui vous arrache à la tyrannie des vices. Si vous désirez véritablement un libérateur, cherchez le libérateur de vos âmes, qui rachètera son peuple de ses péchés. Si vous le cherchez bien haut, cherchez-le d'abord humble, parce que, comme Daniel le dit « Dieu établira sur tout royaume l'homme le plus humble (Dan. IV, 14). » Si vous cherchez un chef qui domine par la puissance, cherchez d'abord un docteur qui vous enseigne la justice, « parce que son trône sera affermi par la justice (Prov. XXV, 5), et la justice et le jugement sont la préparation de son siège (Psalm. LXXXVIII, 15). » Parce que vous ne le cherchez pas parfaitement, vous ne le trouverez pas, même quand il est présent, ainsi qu'il l'a prédit de vous (Joan. VII, 34) : Les méchants me chercheront, ils ne me trouveront pas, parce qu'ils m'ont eu en haine. Ils le chercheront absent, et ne le trouveront pas même présent, parce qu'ils auront en horreur la lumière qui accuse leurs actions mauvaises, et, parce que la sagesse ne peut être, je ne dis pas trouvée, mais même cherchée, par la charité. Siméon, pour l'avoir cherché dans un désir pieux et fidèle, le trouva, et le reconnut sans l'indication de personne, sans aucun témoignage humain. Car c'est l'esprit qui atteste que Jésus-Christ est la vérité (I Joan. V, 6) : il reçoit, en effet, de lui, une onction, qui enseigne sur toutes choses, onction qui découle, en plusieurs manières, mais qui ne découle que de lui, selon l'étymologie de son nom, qui signifie oint. 3. Mes frères, savons-nous comment cet oint, qui imbibe ceux même qu'il ne touche pas, oignit la poitrine sainte et sans tache de notre vieillard, lorsque cet heureux patriarche le reçut dans ses bras, l'étreignit, et se serait efforcé, s'il avait pu, de l'enfermer dans l'intime de son coeur ? Et cet enfant doux et bon, comprenons-nous comment il s'insinuait dans le coeur très-chaste du pieux vieillard, comment il se glissait au dedans de lui, comment il arrivait, délicieux, salutaire et d'une manière ineffable, jusque dans la moëlle de ses os, et animait ses sens? Cet oint se fondait tout entier et s'échappait en onction, comme s'il avait ressenti l'influence de la chaleur de son amour : en sorte que cette onction lui disait ce que montre la lecture, mais ce que l'amour seul apprend. Que lisez-vous, en effet ? « Votre nom est un parfum épuisé (Cant. I, 1). » Ce parfum s'épuise lorsqu'il perd sa divinité, non pour que sa substance ne s'écoule pas, mais pour que ses odeurs se répandent, en sorte que n'ayant rien de solide, on peut le sentir, mais on ne peut le saisir. Ou bien plutôt l'âme du vieillard se liquéfiait en embrassant cet oint ou ce parfum, tellement qu'il disait : « mon âme s'est fondue, dès que mon bien-aimé s'est répandu en moi. C'est pourquoi, l'infusion de l'onction, c'est le témoignage de celui qui est oint : elle rendait témoignage au vieillard touchant l'enfant, à Siméon concernant le Christ, comme esprit de vérité et de charité : l'instruisait en vérité, l'oignait par la charité, l'embrasait et rendait tout l'intérieur de ce vieillard glacé par les ans, semblable aux parfums qui bouillent sur un brasier. Le mouvement de ces parfums bouillants, c'était la ferveur de ses désirs: leur bruit, c'était l'allégresse de ses affections, s'écriant également, si pourtant elles étaient capables d'exprimer quelque sentiment « Vous êtes mon Dieu et je vous célébrerai -vous êtes mon Dieu, et je vous exalterai ([sa. XXV, 1). Vous êtes une lumière pour éclairer les nations et pour la gloire d'Israël, votre peuple (Luc. II, 32), » une lumière qui vous annonce. Je vous chanterai parce que vous m'avez exaucé, quand chaque jour je vous disais : « quand me consolerez-vous! » Vous m'avez entendu et vous avez fait de moi un vrai salut (Psalm. CXVIII,14). Vous avez été fait de la racine de David selon la chair, vous qui avez créé David et toutes choses, selon votre divinité. Vous avez été en général Sauveur pour tous, mais vous avez opéré en particulier mon salut: en oignant ma poitrine malade, en y ramenant la chaleur vitale, en redonnant à mon âme sa vigueur et en éclairant mes yeux. Car mon âme était tombée en défaillance en attendant votre salut, ô Seigneur, Père de Jésus-Christ, mon Seigneur, « Mes yeux ont défailli en votre parole , disant : quand me consolerez-vous (Psalm. CXVIII, 82) ? » J'étais devenu « comme une outre exposée à la gelée, » froid de corps, aride de coeur, desséché d'esprit, tout languissant de désir, mais parce que j'ai plus que espéré en la parole de votre promesse, que je ne verrais pas la mort, avant de voir votre Christ, ce que j'ai espéré, je le vois; ce que j'ai désiré, je le tiens, ce que j'ai souhaité, je le presse entre mes bras. Je vois Dieu, mon Sauveur, dans la chair, et mon âme a été sauvée. Mes yeux ont contemplé le salut de Dieu : et mes yeux intérieurs, qui languissaient et défaillaient, ont été éclairés. Au contact de cet enfant, de cet homme nouveau, ma jeunesse s'est entièrement renouvelée comme celle de l'aigle, ainsi que, un peu auparavant, je me le promettais en m'entretenant avec moi-même. « Je m'approcherai de l'autel de Dieu « où Marie offre Jésus à son Père, « du Dieu qui réjouit » ma vieillesse, bien plus, qui renouvellera ma « jeunesse (Psalm. XLII, 4). » 4. Le coeur d'Anne ne tressaillait point peut-être d'une joie moindre dans le Seigneur : elle eut, je l'estime ainsi, d'autant plus de mérite que n'en eut Anne, mère de Samuël, qu'elle avait une profession plus sainte, un désir plus saint : l'une pensait à ce qui est du monde, au moyen de plaire à son époux; celle-ci cherchait à plaire au Seigneur; lune désirait donner des enfants à son mari, l'autre attendait le Sauveur qui devait sortir du sein du Père. En présage de la grâce excellente qui brilla dans sa vie, et qui la rendit digne de reconnaître et de prêcher la grâce du Rédempteur, elle reçut,un nom qui signifie grâce: modèle des véritables veuves, exemple de sainteté , elle portait dans un corps mort le type de toute vertu. Sentant que; la fin de la loi et que le commencement de lEvangile approchaient, elle avait commencé à changer les rites judaïques pour les pratiques de la piété chrétienne : elle s'adonnait nuit et jour aux jeûnes et aux prières, plutôt qu'au boire, au manger et aux ablutions, et s'attachait à la justice de la chair de préférence à celle de l'âme. De là vient qu'elle était préparée à la bénédiction d'une postérité, bénédiction si estimée dans la foi; elle avait choisi un titre meilleur que la gloire d'avoir des fils et des filles; et, comme une tourterelle privée de son compagnon, elle se réjouissait depuis quatre-vingt-quatre ans , d'être un bois aride, et d'être attachée à une tige desséchée. 5. Voilà la paire de tourterelles, c'est un vieillard juste et une veuve qui a vieilli. Ils sont chastes l'un et l'autre, ils soupirent tous les deux de désir de voir le Rédempteur : ils se sont offerts eux-mêmes au Seigneur et pour le Seigneur, comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu. Je dis une paire de tourterelles, je ne dis pas d'époux; ce sont des êtres unis, non par l'alliance conjugale, mais par le lien d'un mystère plus sacré : égaux en foi, pareils en chasteté, semblables en dévotion, tous les deux d'un âge avancé, tous les deux d'une sainteté parfaite; heureuses âmes qui, avant l'Evangile, consacrèrent, chacune en son sexe, les prémices de la pureté et de la piété évangéliques. Tous les deux, par un éclat varié de vertus, ont, ô Sion, orné votre couche nuptiale pour recevoir le Christ roi, ils n'ont point orné les murailles de votre temple, mais l'intérieur de lotir coeur, ce secret de l'appartement où il nous est prescrit d'adorer le Père en esprit et en vérité (Joan. IV, 24), et où est reçu celui qui assure qu'il n'habite nullement dans les maisons élevées :par la main des hommes (Act. XVII , 24). C'est donc en eux que la fidèle Sion reçut le Christ, en eux que, joyeuse et transportée d'allégresse, elle est allée au devant de son Dieu. Autrement, à peine le Sauveur a-t-il où reposer sa tête, et, selon Isaïe : « Il est privé de tout, et personne ne va à sa rencontre (Isa. LIX, 16). » Le concours de ses saintes âmes suffit pour toute la solennité et toute la joie, parce que une consommation abrégée répand la justice avec abondance, et que la justice consommée et abondante d'un petit nombre compense facilement linfidélité de plusieurs. 6. Je trouve tout a fait remarquable cette réunion, je trouve tout à fait solennelle et remplie de joie cette procession qui amène d'un côté l'enfant et sa mère, Jésus et Marie, et d'un autre, un vieillard et une veuve, Siméon et Anne; ici, le Seigneur et la Souveraine; là, le serviteur et la servante : ici, le médiateur et la médiatrice, là, leurs témoins et leurs ministres aussi fidèles que dévots. En ce concours, « la miséricorde et la vérité se sont rencontrées : » c'est-à-dire la miséricorde de la rédemption en Jésus, la vérité de la confession dans les vieillards. En cette rencontre, « la justice et la paix se sont embrassées : » quand la justice de ces pieux vieillards et la paix de celui qui réconciliait le monde se sont réunies dans le baiser de la tendresse et dans le joie du Saint-Esprit. C'est donc à juste titre que les paroles chantées cette nuit dans notre choeur se rapportent, sans explication plus profonde, à l'allégresse de cette journée. Réjouissez-vous, Jérusalem et célébrez un jour de fête, vous tous qui chérissez cette ville (Isa. LXV, 10). » C'est comme si l'on disait : Nazareth s'est réjouie à cause de l'annonciation, Bethléem à cause de la nativité, réjouis-toi Jérusalem à cause de la purification, parce que celui qui a été conçu à Nazareth, qui est né à Bethléem, a été reçu et prêché à Jérusalem. « Et célébrez un jour de tête, » continue le Prophète, « vous tous qui aimez cette ville, » Jérusalem, c'est-à-dire, accourez dans le temple, en toute dévotion, pour accueillir le Rédempteur, vous tous qui attendez la délivrance d'Israël. 7. Maintenant, mes frères, si, selon votre coutume, votre sainteté cherche à être édifiée, considérez en cette rencontre quatre personnes remarquables, dont la vie, non-seulement illustre l'Eglise, mais encore orne les cieux : je veux dire Jésus et Marie, Siméon et Anne. Et pour celle de bas en haut, dans Anne, qui se livrait nuit et jour aux jeûnes et à la prière, on nous recommande le jeûne et la prière ; dans Siméon, qui embrasse Jésus avec tant de joie, la dévotion et la piété : dans Marie qui, n'étant sujette, en rien, à la loi, en a néanmoins, en ce point, accompli le précepte , l'humilité et l'obéissance et dans le Seigneur Jésus, qui a été formé d'une femme et né sous la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi, la charité et la miséricorde. Car la sainteté de la chasteté, dont les louanges réjouissent toujours la pureté de vos coeurs, comme j'en ai fait l'expérience, brille d'une manière commune en tous ces personnages avec des différences sensibles : dans les vieillards elle se trouve par le travail de la continence, dans la jeune femme par le don de la grâce, dans l'enfant par le droit et l'effet de la nature, non de sa tendre jeunesse, mais de la pureté innée. En lui se trouvent l'origine et la perfection, non-seulement de cette vertu, mais encore de toutes les autres, par lui, leur conservation, en lui, leur récompense. Entourons-le donc par les mérites soit de la vierge Marie, soit de Siméon et d'Anne, et demandons-lui qu'il nous accorde ce qui nous manque en fait de vertu, qu'il protège ce qu'il nous a accordé : afin que par sa protection nous lui remettions intact le dépôt qu'il nous a confié, et nous obtenions notre récompense de lui qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen.
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