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DEUXIÈME SERMON POUR LA FÊTE DE S. BENOIT.
1. « Béni soit l'homme qui a confiance dans le Seigneur (Jerem. XVII, 7). » Notre père saint Benoît, béni par la grâce et béni de nom, dont la mémoire est en bénédiction, fut, on n'en peut pas douter, cet homme béni, qui s'est confié au Seigneur. Après l'avoir prévenu des bénédictions de sa grâce pour qu'il eût confiance en lui, le Seigneur l'a déjà comblé de toutes les bénédictions célestes là haut, dans Jésus-Christ, parce qu'il a eu confiance dans le Très-Haut. Le Seigneur ne lui a point donné seulement dans les régions célestes la bénédiction de tous les anges, mais encore sur la terre celle de toutes les nations. En quel lieu du monde, en effet, n'est pas béni en ce jour, Benoît le béni du Seigneur? Assurément, « la bénédiction du Seigneur est sur la tête du juste (Prov. X, 6), » que la grâce de Dieu a comblé de tant de bénédictions du ciel et de la terre. Sa bénédiction n'a pas consisté comme celle d'Esaü (Gen. XXVII, 30), dans la graisse de la terre et dans la rosée du ciel; mais dans la graisse de l'esprit et dans la rosée du ciel, qui dit par la bouche du Prophète : « Je serai comme la rosée (Ose. XIV, 6), » et à qui on dit: « Votre rosée est la rosée de la lumière (Isa. XXVI, 19). » La bénédiction de notre l'ère, se trouve donc en Jésus-Christ, à qui le l'ère a adressé cette belle parole : « Que soit rempli de bénédictions, celui qui te bénira (Gen. XXVII, 29). » C'est donc avec raison que l'homme qui met sa confiance dans le Seigneur est béni, car en se confiant en lui, il se plonge et se fixe en lui. Mais là où l'arbre fixe ses racines, il boit le suc vital et les grasses humeurs. Oui, il plonge ses racines polir aspirer l'humeur nécessaire, celui qui, parlant avec notre, père saint Benoît, a placé sa confiance en Dieu et puise à la fontaine du souverain bien, les eaux de la vie de toute bénédiction et de toute grâce. 2. En effet, par cette confiance pieuse et fidèle on obtient la rémission des péchés, les remèdes qui guérissent les corps et surtout les âmes; les périls sont écartés. les frayeurs méprisées, le monde vaincu, et, enfin, tout devient possible à celui qui croit. A celui qui était dans les péchés, on dit : « Avez confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis (Matth. IX, 2). » A ceux qui recevaient la santé du corps ou de l'âme : « Qu'il vous soit fait selon votre confiance; » et : « Votre confiance vous a sauvé (Ibid.). » A ceux qui étaient saisis de crainte à l'approche du naufrage : « Ayez confiance en Dieu (Marc xi, 22). » Et : « Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi (Matth. VIII, 26) ? » A ceux que le Fils de Dieu armait contre la rage du monde et les fureurs du démon : « Ayez confiance, j'ai vaincu le monde (Joan. XVi, 33). » Et assurément, « la victoire qui triomphe du monde, c'est notre foi (l Joan. V, 4); » si pourtant cette foi n'est pas tiède, si elle est intrépide, confiante, c'est-à-dire si ce n'est pas une feinte, une espérance faible. Par elle, non-seulement on vainc le monde, mais encore on possède le ciel; par elle l'homme s'établit sur l'éternité et se fonde et s'enracine en Dieu lui-même. En effet, ceux qui ont confiance dans le Seigneur, sont comme la montagne de Sion (Psalm. CXXIV, 1); il ne sera jamais ébranlé, celui qui repose sur un fondement éternel. Il ne peut pas plus périr que celui à qui il s'est uni, parce qu'il devient un seul et môme esprit avec lui. « En effet, qui a espéré dans le Seigneur et a été confondu , qui a persévéré dans ses commandements et a été abandonné (Eccli. II, 11) ? » Si l'infidèle nous objecte., qu'il était abandonné celui qui s'écriait sur la croix : « O mon Dieu, ô mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné (Matth. XXVII, 46) ? » Je crois qu'il ne fut point abandonné de celui qui, en lui, se réconciliait le monde. O quelle consolation, d'être ainsi désolé ! quel charme d'être ainsi abandonné ! de mériter d'être uni au moins par les souffrances au Fils unique du Père, à ce Fils uniquement aimé ! 3. Ouvrez, Seigneur, les yeux de cet enfant, je veux dire de ce débutant, de ce novice, qui se croit abandonné quand la tribulation le visite. Si je voyais quelque juste abandonné, ce serait chose nouvelle et tout à fait insolite, car l'Église a dit : « J'ai été jeune, car me voici vieux, jamais je n'ai vu le juste abandonné (Psalm. XXXVI, 25). » Oui, ouvrez, Seigneur, les yeux de votre enfant, qu'il voie qu'il y a plus de monde avec nous que contre nous. Car le Seigneur des vertus est de notre côté et avec lui, toute la puissance et l'armée du ciel, plus encore, la faveur de toute créature, qui obéit au signe et à la volonté de celui qui l'a mise au monde. e En effet, si Dieu est pour nous, qui sera contre nous (Rom. VIII, 31)? Qui pourra nous nuire, si nous recherchons le bien ( I Petr. III, 13) » ? L'ennemi jaloux pourra sévir, ce ne sera que pour nous servir. Il pourra briller, fondre, dessécher; il ne fera que forger des couronnes. Je vous aimerai, ô Dieu, qui êtes ma force, par le secours de qui toute force contraire cède à un vermisseau, qui déjoue toute ruse de l'antique dragon par les anges que vous envoyez à notre aide, en sorte qu'il nous est utile quand il veut nous faire du mal; je vous aimerai, Seigneur, défenseur puissant, gouverneur prudent, consolateur clément, qui récompensez généreusement. Je jette en toute sûreté mon inquiétude dans votre sein, ô vous dont la puissance ne peut être vaincue, ni la sagesse trompée, ni la bienveillance fatiguée tant qu'elle n'a point satisfait les besoins qu'éprouve mon indigence. !l vaut mieux, il est plus stir qu'il soit occupé de moi, que si je l'étais moi-même !il vaut mieux se confier au Seigneur qu'à. l'homme ! il est justement maudit celui qui se confie dans l'homme, qui place son appui dans la chair (Jerem. XVII, 5) et dont le coeur s'éloigne du Seigneur! A la vérité, je suis pauvre et indigent (Psalm. LXIX, 6), mais si Dieu prend soin de moi, je suis riche, je suis heureux ; pour moi, tout tourne à bien. « Qu'ils espèrent donc en vous, ceux qui ont connu votre nom, parce que vous n'abandonnez point ceux qui ont cou fiance en vous, Seigneur (Psalm. IX, 11) ; et que votre, peuple s'assoie, ainsi qu'il est écrit, « dans la beauté de la paix, dans les tabernacles de la confiance, dans un repos opulent, dans une sécurité éternelle (Isa. XXXII, 18). » La paix entièrement belle et la sécurité éternelle, c'est d'habiter sous la protection du Très-Haut, d'être toujours sous la défense du Dieu du ciel. C'est un repos tout à fait opulent, d'être assis sans fatigue aucune, sous la véritable vigne, sous le figuier et l'olivier; et, après s'être rassasié de divers fruits, de se ravir soi-même en redisant les chants d'amour: «Je me suis reposé à l'ombre de celui que j'avais désiré, et son fruit est doux à mon gosier (Cant. II, 3). » Il est bien doux au gosier ce fruit, puisque, après qu'on l'a mangé, il procure des renvois si agréables. 4. Voilà donc les tentes de la confiance, sous lesquelles le véritable Israël habite avec confiance, prend ses repas et son sommeil, sans que nul ennemi vienne l'effrayer, et ainsi, comme la sagesse le promet, « il se reposera sans épouvante, il jouira de la paix, toute crainte de maux étant écartée (Prov. I, 33). » C'est bien dit : la crainte des maux, non la crainte du Seigneur, pour que vous ne croyiez pas que cette confiance et cette sécurité tant recommandées par nous, engendrent la négligence, lorsque la confiance de la force ne se trouve point ailleurs que dans la crainte du Seigneur. Car la crainte qui se garde de l'offense, conserve la grâce, et elle maintient la confiance, tant qu'on a le sentiment de ne point avoir offensé le Seigneur. De là vient que vous ne le craignez que d'une crainte chaste et que vous ne craignez que lui. La bonne conscience a donc seule cette confiance elle nous persuade que nos coeurs sont sous les yeux du juge éternel. Quel bien se promet-on, en effet, de celui dont on comprend qu'on n'est point aimé? Celui qui aime, n'a point de défiance, il sait que celui que les coeurs ne trompent jamais, aime ceux qui l'aiment, même lorsqu'il les gourmande et les corrige. Car la correction, exercée par le Père, n'enlève pas, mais augmente la confiance dans ceux qui ont appris la sagesse dans leur cur, et qui savent qu'il est écrit « Heureux celui qui est corrigé par le Seigneur (Job. V, 17); » et, « je réprimande et je corrige ceux que j'aime (Apoc. III, 19). » Lors donc que sa colère s'allumera pour un peu de temps, heureux tous ceux qui ont confiance en lui (Psalm. II, 13), le sentiment de l'amour qu'ils éprouvent au dedans, les console, parce que le Seigneur, après s'être irrité, se souviendra de sa miséricorde (Habac. III, 2) ; et quand ils auront dit, eux aussi : « Je chanterai vos grandeurs, Seigneur, parce que vous êtes irrité contre moi, » ils ajouteront sur le champ : « votre fureur s'est détournée et vous m'avez consolé (Isa. XII, 1), » parce que son courroux ne s'enflamme que pour peu de temps, puisque l'aveu de la faute le calme si promptement. 5. C'est donc avec raison, que le prophète Jérémie (Jerem. XVII, 8) compare l'homme béni qui a confiance au Seigneur, au bois qui est planté aux bords des eaux, et qui plonge les racines de son coeur dans le suc vital de l'amour ; il ne craindra point quand viendra l'ardeur brûlante de la colère et de la tribulation; et, au temps de la sécheresse, lorsqu'il ne recevra plus ni la rosée ni la pluie de la grâce, il ne sera néanmoins pas inquiet, comme si Dieu l'avait rejeté. Il se sent, en effet, planté dans la foi, enraciné dans la charité au bord de ces eaux de la vie, qui, selon Ezéchiel (Eséch.. XLVII, 7), sortent du sanctuaire, vivifient tout, et sont bordées, sur leurs deux rives de toute sorte d'arbres fertiles dont les feuilles ne tombent pas, et dont les fruits ne font jamais défaut. Pourquoi donc ce bois bénit craindrait-il la sécheresse ou serait-il inquiet à cause de là chaleur puisque l'eau vive, c'est-à-dire la grâce du Saint-Esprit, ne cesse point de lui fournir en secret le suc vital de l'espérance et de la charité ? Aussi sa feuille est-elle verte, c'est-à-dire, le Verbe est plein de grâce et de vérité, et lui-même, il ne cesse de produire des fruits de toute sorte d'oeuvres de piété? Cette douce température de paix et de joie est agréable ; désirable est cette pluie volontaire que Dieu a réservée pour son héritage : mais, si cela est nécessaire, que le feu de la tribulation brûle tout, que se réalisent encore toutes les menaces que Jérémie a prophétisées au sujet de la sécheresse spirituelle (Jerem. XVII, 6), l'homme que la. confiance en Dieu a enraciné au bord de l'eau de la réfection, c'est-à-dire de la grâce du Saint-Esprit, ne craindra pas néanmoins ,parce que si cette eau ne touche pas manifestement, ne coule pas sensiblement, elle ne laisse pas cependant de le vivifier et de le féconder secrètement, et, tant qu'il conserve fidèlement les résolutions qu'il a prises, elle le fortifie pour qu'il persévère et lui fournit des paroles irrépréhensibles et des uvres stables. 6. Que ces sentiments, mes frères, soient votre consolation, toutes les fois que la providence vous retranchera, sans qu'il y ait de votre faute, les autres consolations non-seulement charnelles, mais encore spirituelles. Et peut-être cette grâce cachée du Saint-Esprit dont nous avons parlé, est-elle ce courant inférieur dont Axa ne veut pas se contenter (Jos. XV, 19), si on y ajoute le courant supérieur, parce qu'elle veut que le Saint-Esprit soit répandu d'en haut, que les cieux versent leur rosées, que les nuées angéliques pleuvent le juste, le Verbe de Dieu qui justifie et parle au coeur de Jérusalem. L'une de ces grâces est bien appelée courant inférieur : pénétrant vers les racines elle nourrit l'humilité : l'autre est le courant supérieur, qui se répand d'en, haut et, élève l'âme. par l'espérance et l'allégresse. Si donc, mes frères, vous soupirez, vous aussi, après ce courant supérieur : votre désir est louable ; si cependant vous n'en atteignez pas l'objet, jetez des racines pour puiser de l'humilité, qui vous soit un remède salutaire. Celui donc qui ne peut goûter la joie de la vie contemplative, doit méditer la justice de la vie active, en engraisser les racines de ses affections, adoucir ses moeurs et régler tout l'ensemble de sa vie, afin que ses feuilles, je veux parler des paroles inutiles ou vaines, ne se flétrissent et ne tombent point, et que son existence ne cesse pas de donner de fruits. Béni le bois dont la feuille sert de remède, et le fruit donne la vie, c'est-à-dire celui dont les paroles procurent la grâce aux auditeurs et l'oeuvre à qui pratique la vie. 7. Sans nul doute, mes frères, vous que la génération selon la chair ou les habitudes du siècle avait établis dans une terre desséchée, dans une terre d'eau saumâtre, la génération divine ou le changement de la droite du Très-Haut vous a transplantés sur le bord des eaux de la réfection, afin qu'après avoir été menacés de la hache et du feu à cause de votre stérilité, maintenant plantés dans la maison du Seigneur, vous fleurissiez, vous donniez du fruit et un fruit qui subsiste. Les Écritures du Saint-Esprit que nous méditons nuit et jour ne sont-elles pas des eaux de réfection? N'en est-il pas de même des larmes de componction qui sont notre pain, le jour et la nuit, ainsi que des sacrements et des moyens qui concourent à notre salut, dont nous sommes alimentés et abreuvés à l'autel? Par là comme par autant de ruisseaux, la source de sagesse qui jaillit au milieu du paradis, écoule au dehors et distribue des eaux sur les places. « Comme un aqueduc, » dit la Sagesse, « je suis sortie du paradis. J'ai dit, j'arroserai mon jardin de plantations, j'enivrerai le fruit de mon enfantement (Eccli. XXIV, 41). » Voici, comme vous pouvez le recueillir de la bouche même de la Sagesse qui enfante et qui plante, le jardin garni de tiges, est la congrégation des enfants. « Est-ce que moi, qui fais enfanter les autres, je n'enfanterai pas moi-même, dit le Seigneur (Psa. LXVI, 9)? » Dieu enfante lorsqu'il produit en nous la bonne volonté; il plante, lorsqu'il règle la vie; il arrose, lorsqu'il répand la grâce dans nos sens; il cultive quand il soumet les moeurs à la discipline. «Écoutez-moi. fruits divins, et fructifiez comme un rosier planté le long des cours d'eaux (Eccli. XXXIX, 17). » Jetez vos racines pour puiser le suc de la vie, c'est-à-dire aimez la terre des vivants, et non celle-ci où tout vieillit et se consume. Un arbre ne peut produire du fruit qui se conserve, s'il ne fixe ses racines en haut, dans les régions célestes, en sorte qu'il cherche et goûte ce qui est au dessus, non ce qui est sur la terre. Quant à ce que les Physiciens disent que l'homme est un arbre renversé, parce que les nerfs ont leur racine et leur origine dans la tête, je l'explique préférablement en ce sens, qu'il doit fixer dans le ciel, la racine de son amour et de ses désirs, dans Jésus-Christ, le chef souverain de toutes choses. Qui y aura jeté ses racines et aura puisé à cette fontaine éternelle le suc de la grâce et de la vie, ne craindra point, quand viendra la chaleur du jugement; mais portant et offrant le fruit qu'il aura produit en grande abondance, il recevra, pour récompense, de fleurir éternellement devant le Seigneur, à qui soit honneur et gloire dans tous les siècles des siècles. Amen.
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