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SERMON CCXXIV. POUR LE JOUR DE PAQUES. I. AU PEUPLE ET AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. DES PÉCHÉS DE LA CHAIR.
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ANALYSE. Qui pourra dire la grâce incomparable que vous avez reçue en devenant chrétiens ? Profitez-en et gardez-vous d'imiter les exemples des chrétiens mauvais. Ils regardent comme légers les péchés de la chair. Mais 1° n'est-ce pas ainsi que le démon trompa nos premiers parents? 2° Un homme regarderait-il comme une faute légère l'infidélité de sa femme? 3° L'Apôtre enfin nous représente comme horribles les péchés de la chair. Donc au plus tôt qu'on s'en corrige; et vous, nouveaux baptisés, je vous en conjure au nom de ce que vous avez de plus cher, n'imitez point ceux qui s'y livrent.
1. Adressons-nous à ceux qui ont aujourd'hui reçu le baptême, et qui sont régénérés en Jésus-Christ; mais nous vous envisagerons en eux comme nous les envisagerons en vous. Vous voilà devenus membres du Christ. Ah ! si vous songez au changement qui s'est fait en vous, tous vos ossements s'écrieront : « Qui vous ressemble, Seigneur (1)? » Non, on ne saurait se faire une idée assez haute de la bonté de Dieu; ni la parole ni la pensée humaines ne peuvent représenter cette grâce vraiment gratuite que vous avez reçue, puisqu'elle n'a trouvé en vous aucun mérite. Aussi est-ce de sa gratuité même que lui vient son nom de grâce. Quelle grâce ! d'être comme vous l'êtes, des membres du Christ, des enfants de Dieu, des frères du Fils unique ! Si le Fils de Dieu est Fils unique, comment pouvez-vous être ses frères, sinon parce qu'il est Fils unique par nature, et vous ses frères par grâce? A vous donc qui êtes devenus ainsi les membres du Christ, je vais donner un avertissement. Je crains pour vous, moins encore de la part des païens, de la part des juifs, de la part des hérétiques, que de la part des mauvais catholiques. Dans le peuple de Dieu même, faites choix de ceux que vous avez à imiter. En voulant marcher sur les traces de la foule, vous ne serez pas du petit nombre qui suit la voie étroite (2). Eloignez-vous de la fornication, du vol, de la fraude, du parjure, de tout ce qui est interdit, des querelles; ayez horreur de l'ivresse; redoutez l'adultère comme
1. Ps. XXXIV, 10. 2. Matt. VII, 14.
la mort, non pas comme la mort qui sépare l'âme du corps, mais comme la mort qui livre le corps et l'âme aux flammes éternelles. 2. Mes frères, mes fils et mes filles, mes soeurs, je sais que le démon joue son rôle et qu'il ne cesse de parler au coeur de ceux qu'il tient enchaînés; je sais qu'aux fornicateurs et aux adultères qui ne se contentent point da leur épouse, il dit secrètement : Ces péchés de la chair ne sont pas un grand mal. Ah ! contre cette insinuation perfide appelons à notre secours l'incarnation du Christ. Voilà bien le moyen employé par l'ennemi pour entraîner les chrétiens aux jouissances charnelles, c'est de leur montrer comme léger ce qui est grave, comme aimable ce qui est affreux, comme doux ce qui est amer. Mais qu'importe que Satan représente comme léger ce que le Christ nous assure être grave? Est-ce d'ailleurs pour la première fois que le démon dit aux chrétiens : Il n'y a pas grand mal dans ce que tu fais? Tu pèches dans ton corps; est-ce dans ton âme? Les péchés de la chair s'effacent aisément, Dieu les remet facilement. Pourquoi s'étonner de cela? N'est-ce pas le même artifice qu'il employa au paradis quand il disait : « Mangez et vous serez comme des dieux; vous ne mourrez pas? » Dieu avait dit : « Le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort ». L'ennemi vint et dit au contraire. « Vous ne mourrez pas, mais vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux (1) ». On laissa de côté alors
1. Gen. II, 17; III, 5.
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la défense de Dieu pour écouter l'insinuation du diable, et l'on reconnut combien l'une était vraie et combien l'autre était fausse. Et ensuite, je vous le demande, que servit-il à la femme de dire : « C'est le serpent qui m'a séduite? » Cette excuse fut-elle admise? Si elle le fut, pourquoi cette terrible condamnation qui suivit? 3. Voilà pourquoi, vous, mes frères et mes fils qui avez une épouse, je vous recommande de n'aller pas au delà. Quant à vous qui n'en avez pas et qui voulez en prendre une, conservez pour elle votre pureté, comme vous voulez que pour vous elle conserve la sienne. Et vous qui avez fait à Dieu le voeu de continence, évitez de regarder en arrière. Vous le voyez, je vous avertis, je crie a vos oreilles, ainsi je me dégage, car Dieu m'a chargé de départir et non de sévir. Et pourtant, lorsque nous le pouvons, lorsque s'en offre l'occasion, lorsque nous connaissons le mal, nous le reprenons, nous le reprochons, nous l'anathématisons, nous l'excommunions; mais, hélas ! nous ne le détruisons pas. Pourquoi? C'est que « ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont quelque chose, mais Dieu qui donne l'accroissement (1) ». Maintenant donc que je vous parle, que je vous avertis, que faut-il, sinon que Dieu m'exauce et qu'il agisse en vous. c'est-à-dire dans vos coeurs ? Voici quelques mots encore que je vous recommande : ils sont de nature à effrayer les fidèles et à vous porter au bien. Vous êtes des membres du Christ, écoutez donc, non pas moi, mais l'Apôtre : « Prendrai-je, dit-il, les membres du Christ, pour en faire les membres d'une prostituée (2)? » Mais, reprend je pesais qui, je n'ai point de prostituée, c'est une concubine. O saint évêque, irez-vous dire que ma concubine soit une prostituée? Est-ce donc moi qui l'ai dit? C'est l'Apôtre qui le crie, et c'est moi que tu accuses? Je veux te guérir; pourquoi te jeter sur moi comme un furieux? Toi qui tiens ce langage, as-tu une épouse? Oui. C'est bien; par conséquent, comme je l'ai déjà dit, cette autre qui dort près de toi est une prostituée.
1. I Cor. III, 7. 2. I Cor. VI, 15.
Va maintenant et dis à ton épouse que l'évêque vient de t'outrager. Oui, toi qui as une épouse légitime, si tu dors avec une autre femme, quelle qu'elle soit, c'est une prostituée. Mais ton épouse garde envers toi la fidélité, elle ne connaît que toi et ne cherche point à en connaître un autre. Puisqu'elle est chaste, pourquoi ne l'es-tu pas? Si elle n'a que toi, pourquoi en as-tu deux? C'est ma servante, reprends-tu, qui me sert de concubine; croyez-vous que je cours à la femme d'un autre ou aux femmes publiques? Dans ma propre maison ne puis-je faire ce que je veux? Non, te dis-je; et ceux qui le font se jettent en enfer, ils brûleront dans les flammes éternelles. 4. Qu'on me permette de dire au moins ceci encore. Je demande,qu'on se corrige de ces désordres pendant qu'on est encore en vie, dans la crainte que plus tard on ne le puisse tout en le voulant; car la mort vient soudain; il n'y a plus alors à se corriger, mais à se jeter au feu. Comment ! on ne sait à quel moment arrive la dernière heure et l'on dit : Je vais me corriger? Quand t'appliqueras-tu à te corriger ainsi, à changer? Demain, réponds-tu. Mais en disant : Demain, demain, cras, cras, tu fais le corbeau. Eh bien ! je te déclare moi que crier comme le corbeau c'est préparer ta perte. Ce corbeau dont tu imites la voix sortit de l'arche et n'y rentra pas (1). Pour toi, mon frère, rentre dans l'Eglise, dont cette arche était un symbole. Mais vous, nouveaux baptisés, écoutez-moi; écoutez-moi, vous qui venez d'être régénérés par le sang de Jésus-Christ. Je vous en conjure donc par le nom que vous avez reçu, par cet autel dont vous vous êtes approchés, par ces sacrements auxquels vous avez été admis, par Celui qui viendra juger les vivants et les morts; je vous en conjure, je vous adjure au nom de Jésus-Christ, n'imitez point ceux en qui vous reconnaissez une telle conduite. Ah ! conservez en vous la grâce du sacrement; si le Fils de Dieu n'a point voulu descendre de la croix, c'est qu'il voulait sortir vivant du tombeau,
1. Gen. VIII, 7.
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