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SERMON CCCIX. FÊTE DE SAINT CYPRIEN, MARTYR. I. CIRCONSTANCES DE SON MARTYRE.
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ANALYSE. Si le jour de sa mort fut pour son peuple un jour de deuil, le jour de sa fête n'excite en nous que la joie, car toutes les circonstances de son martyre ont contribué à sa gloire. On l'envoie d'abord eh exil, mais y a-t-il un exil pour le chrétien, qui trouve Jésus-Christ partout ? Revenu de l'exil, il attend avec bonheur le moment de la mort que le ciel lui a annoncée. Saisi par deux bourreaux, il est heureux de marcher au milieu d'eux comme Jésus-Christ au milieu des deux larrons. Durant la nuit qu'il passe en attendant l'heure du martyre, il commande en pasteur vigilant de mettre en sûreté les jeunes filles qui se trouvent mêlées au peuple accouru autour de lui. Ah ! qu'il réfléchissait à ses intérêts bien mieux que ne le lui conseillait le juge qui voulait l'amener à sacrifier aux idoles ! Pour veiller sur nos propres intérêts, passons chacun de nos jours comme s'il était le dernier de notre vie; et nous unissant à saint Cyprien qui accepte la mort de grand coeur, avec lui rendons grâces à Dieu.
1. Une solennité si belle et si religieuse, consacrée à célébrer la mort d'un bienheureux martyr, demande que nous vous adressions le discours que nous devons faire entendre à vos oreilles et à vos coeurs. Sans aucun doute l'Eglise alors fut affligée, non du malheur de ce martyr, mais du regret de le perdre; elle aurait voulu jouir toujours de la présence d'un tel pasteur, d'un tel docteur. Mais après s'être affligés et inquiétés du combat, les fidèles se consolèrent en voyant le vainqueur couronné. Et maintenant ce n'est pas seulement sans tristesse, c'est de plus avec une joie immense que nous nous rappelons et que nous lisons avec amour ce qui s'est alors accompli; ce jour enfin n'est plus un jour de crainte, c'est un jour de joie ; nous ne redoutons point de le voir se lever avec un appareil menaçant, nous attendons plutôt son gai retour. Ainsi donc, contemplons avec bonheur toute la carrière parcourue par ce fidèle, par ce courageux, par ce glorieux martyr, que nos frères considéraient avec alarmes au moment où il allait y entrer. 2. Le premier pas qu'il y fit, fut d'être envoyé en exil à Curube, pour avoir confessé le Christ avec foi : mais sans nuire à saint Cyprien, cet exil profita grandement à cette ville. Eh ! où pouvait-on l'envoyer, sans qu'il y trouvât Celui à qui on le punissait d'avoir rendu témoignage ? Le Christ a dit : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation du siècle (1)» ; aussi accueillait-il ce membre de son corps partout où le jetait la rage de l'ennemi. O aveugle infidélité du persécuteur, si tu cherches pour le chrétien un lieu qui soit vraiment pour lui un lieu d'exil, découvre d'abord, si tu le peux, un lieu d'où il te soit possible de faire sortir le Christ. Tu veux jeter cet homme de Dieu de sa patrie sur une terre étrangère ; mais avec le Christ il n'est exilé nulle part, et avec son propre corps il l'est partout sur la terre. Après avoir parlé de ce voyage que l'ennemi considérait comme un exil et dont Cyprien ne ressentit point la peine, rappelons et contemplons avec joie ce qui vient ensuite dans l'histoire de son martyre. Lorsque ce saint confesseur, lorsque cet élu de Dieu fut revenu de la ville de Curube où il avait été exilé par l'ordre du proconsul Aspase-Paterne, il resta quelque temps dans ses propres jardins : mais là il espérait chaque jour qu'on allait venir se saisir de lui, comme le lui avait prédit une révélation. 3. Pourquoi frémirait maintenant la rage du persécuteur ? Ce grand coeur est prêt, le Seigneur même l'a affermi en lui envoyant une révélation céleste. Comment Dieu l'abandonnerait-il dans la souffrance, puisqu'il n'a pas voulu qu'on s'emparât de lui sans qu'il fût prévenu? Ainsi donc, lorsque pour le transporter sur le théâtre de, son martyre, deux envoyés le prirent avec eux et le placèrent au milieu d'eux sur le même char, Cyprien en avait été, aussi, divinement averti d'avance Dieu voulant, en le prévenant, qu'il se réjouit à la pensée d'appartenir au corps de Celui qui
1. Matth. XXVIII, 20.
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fut compté parmi les scélérats. Aussi voyait-il, pour lui servir de modèle de patience, le Christ attaché à la: croix entre deux larrons (1) ; et conduit également entre deux bourreaux , Cyprien sur son char marchait sur les traces du Christ. 4. Quand ensuite, remis au lendemain pour son supplice, et passant la nuit dans la maison des gardes, aux portes de laquelle s'était réunie, pour y passer également la nuit, une grande multitude de frères et de soeurs, il ordonna qu'on gardât avec soin les jeunes filles, quel exemple il donna ! avec quelle attention ne faut-il pas l'étudier ! comme il faut louer et exalter ce trait! Son corps allait mourir, mais dans son âme ne mourait pas sa vigilance de pasteur; il y conservait avec une sérénité parfaite l'attention à protéger, jusqu'à son dernier souffle, le troupeau du Seigneur, et sous la mails cruelle du bourreau, il ne renonçait pas au zèle d'un fidèle dispensateur. Tout en se voyant sur le point d'être martyr, il n'oubliait pas qu'il était évêque ; plus occupé du compte qu'il allait rendre, au Prince des pasteurs, des ouailles qui lui avaient été confiées, que des réponses qu'il aurait à faire, sur sa propre foi, à l'infidèle proconsul. Ah ! c'est qu'il aimait Celui qui a dit à Pierre : « M'aimes-tu ? Pais mes brebis (2) » ; c'est qu'il paissait réellement le troupeau du Sauveur à l'imitation duquel il se préparait, pour ce même troupeau, à répandre son sang. Il savait, en ordonnant de mettre les jeunes filles sous bonne garde, que s'il avait affaire à un Seigneur qui aime la simplicité, il avait aussi en face de lui un ennemi rusé. Ainsi donc, pendant qu'en confessant sa foi il montrait courageusement sa poitrine au lion qui rugissait aux yeux de tous, il prémunissait le sexe faible contre les desseins perfides que formait le loup contre le troupeau sacré. 5. C'est ainsi qu'on réfléchit véritablement à ses propres intérêts, lorsqu'on songe au jugement de Dieu , devant qui chacun doit rendre compte et de la conduite personnelle qu'il a tenue, et de la manière dont il a accompli les devoirs d'état imposés par lui ; devant qui chacun recevra, comme l'atteste l'Apôtre, « conformément à ce qu'il a fait de bien ou de mal pendant qu'il était uni à son corps (3) ». C'est ainsi qu'on réfléchit à ses
1. Marc, XV, 17, 28. 2 Jean, XXII, 17. 3. II Cor. V, 10.
intérêts, quand, vivant de la foi et travaillant à n'être pas surpris par le dernier jour, on compte chaque jour comme le dernier, et que jusqu'au dernier on persévère à se rendre agréable à Dieu. C'est dans ce sens aussi que le bienheureux Cyprien, évêque si compatissant et si fidèle martyr, réfléchissait à ses intérêts; car il ne les comprenait point comme les comprenait le diable, dont la langue perfide lui disait, par l'organe du juge impie qu'il possédait : « Pense à toi ». Quand, en effet, il le vit inébranlable devant cette sentence . « Les princes te commandent de sacrifier aux dieux » ; et que Cyprien eut répondu : « Je ne sacrifie pas » , il ajouta: « Pense à toi ». C'était dans la pensée du diable un langage perfide: la perfidie pouvait n'être pas dans celui qui parlait; elle était dans celui dont il était l'organe ; car le proconsul était moins l'interprète des princes humains dont il se vantait d'accompli les ordres, que du prince des puissances de l'air de qui l'Apôtre a dit : « Il agit dans les fils de la défiance (1) », et que saint Cyprien voyait mouvoir, à l'insu du proconsul, la langue du proconsul même. Oui, en entendant ce dernier lui dire: «Pense à toi», Cyprien savait que ce que la chair et le sang lui conseillaient dans un sens grossier, le diable le lui conseillait avec malice : il voyait deux agents appliqués à la même oeuvre ; il voyait l'un des yeux du corps et l'autre des yeux de la foi. Le premier ne voulait pas qu'il mourût ; le second, qu'il reçût. la couronne; aussi, calme vis-à-vis du premier, sur ses gardes vis-à-vis du second, il répondait hautement à fun et secrètement triomphait de l'autre. 6. « Fais, dit-il au premier, ce qui t'est commandé : en matière aussi juste il n'y a pas à réfléchir » . Le juge avait dit en effet: « Songe à toi » ; et à cette invitation se rapporte la réponse : « En matière aussi juste il n'y a pas à réfléchir ». On réfléchit pour donner ou pour prendre conseil. Or, le proconsul ne demandait pas conseil à Cyprien, il prétendait plutôt que Cyprien suivît le conseil qu'il lui donnait. « En matière aussi juste , reprit celui-ci, il n'y a pas à réfléchir ». Je n'ai plus à réfléchir, car je ne suis pas dans le doute ; la justice de la cause dissipe en moi toute ombre d'hésitation. Or, le juste, pour
1. Eph. II, 2.
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subir eu paix la mort corporelle, vit avec.certitude de la foi. Beaucoup de martyrs avaient précédé Cyprien, et, par ses exhortations brûlantes, il les avait portés à triompher du diable. N'était-il pas juste qu'après les avoir précédés en quelque sorte en leur disant la vérité, il les suivît en souffrant avec intrépidité ? C'est ainsi qu'en matière aussi juste, il n'y avait pas à réfléchir. A cela, que répondre ? comment faire éclater notre joie? Le coeur aussi rempli d'allégresse, comment exprimer ce que nous ressentons, sinon en recourant à la dernière parole du vénérable martyr? Quand, en effet, Galère-Maxime eut lu cette sentence : « Il nous plaît de frapper du glaive Tascius Cyprien », celui-ci répondit : «Grâces à Dieu ». Nous aussi qui devons à ce grand événement et le monument élevé dans ce lieu, et cette fête si solennelle, et l'édification d'un exemple si salutaire, crions également de tout notre coeur : Grâces à Dieu.
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