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SERMON CCLXXIII (1). POUR LA FÊTE DES SAINTS FRUCTUEUX, AUGURE, EULOGE ET DE SAINTE AGNÈS. (21 Janvier.) LE CULTE DES SAINTS.
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ANALYSE. Qu'ils sont heureux de n'avoir pas craint de mourir pour Dieu! Notre devoir en célébrant leur martyre est de nous encourager à la vertu en profitant de leurs exemples et de leurs leçons; par conséquent nous devons nous attacher à l'Eglise catholique, ainsi que l'a recommandé saint Fructueux ; par conséquent encore c'est à Dieu et non aux saints que sou devons offrir des sacrifices. Les païens ont fait l'apothéose de quelques hommes qui leur avaient rendu quelques services: idolâtrie funeste qu'est venu dissiper le souffle de la grâce en formant les chrétiens, les chrétiens les plus faibles, comme cette petite Agnès, qui n'était âgée que de treize ans, à des vertus bien supérieures aux vertus des héros païens. Cependant nous nous gardons bien de rendre à nos grands hommes les honneurs divins. Eux-mêmes d'ailleurs les repousseraient avec énergie. Puisqu'ils étaient de, même nature que nous, songeons à les imiter plutôt qu'à les adorer.
1. Non content d'instruire ses martyrs en leur donnant ses commandements, Notre-Seigneur Jésus les a fortifiés encore en leur laissant son exemple. Afin qu'ils pussent le suivre dans leurs souffrances , il a le premier souffert pour eux; il leur a montré 1a voie et frayé la route. On distingue la mort de l'âme et la mort du corps. Mais l'âme ne saurait mourir et elle peut mourir; elle ne peut mourir, car en elle le sentiment ne s'éteint jamais ; et elle peut mourir, en perdant Dieu. De même en effet que l'âme est la vie du corps, ainsi Dieu est la vie de l'âme; et par conséquent, de même que meurt le corps quand son âme ou sa vie le quitte, ainsi l'âme meurt quand Dieu l'abandonne. Ah! pour n'être pas abandonnée de Dieu, que l'âme soit toujours si remplie de foi, qu'elle ne craigne point de mourir pour lui; et Dieu ne fera point sa mort en l'abandonnant. La mort n'est donc à craindre que pour le corps ? Mais sur ce point encore le Christ Notre-Seigneur a parfaitement rassuré ses martyrs. Pourquoi seraient-ils inquiets sur l'intégrité de leurs membres, quand ils n'ont rien à craindre pour le nombre de leurs cheveux? « Vos cheveux sont comptés », leur est-il été dit (2). Ailleurs encore il est dit plus clairement : « Je vous assure qu'aucun cheveu
1. Ici commence, dans l'édition des bénédictins, une troisième série que nous confondons ici avec la seconde, tout en conservant à chaque discours la place et le numéro qu'il occupe dans l'édition bénédictine. 2. Matt. X, 30; Luc, XXII, 7.
ne tombera de votre tête (1) ». C'est la Vérité qui parle, et la faiblesse tremblerait? 2. Heureux les saints dont nous honorons le tombeau en célébrant le jour de leur martyre ! Pour la vie temporelle qu'ils ont sacrifiée, ils ont reçu l'éternelle couronne, une immortalité qui ne finira jamais, et ils nous ont laissé, dans ces jours de fête, un puissant encouragement. Lors en effet que nous apprenons comment ont souffert les martyrs, nous nous réjouissons et nous glorifions Dieu en eux. Nous ne pleurons pas leur mort; car s'ils n'étaient morts pour le Christ, seraient-ils aujourd'hui vivants? Pourquoi ne seraient-ils point parvenus, en confessant le Christ, où ils devaient arriver en souffrant? Pendant qu'on lisait les actes de ces saints martyrs, vous avez entendu les questions des persécuteurs et les réponses des confesseurs, Qu'elle est belle; entre autres, cette réponse de l'évêque saint Fructueux! Quelqu'un lui disant et lui demandant de se souvenir de lui et de prier pour lui : « Il est nécessaire, reprit-il, que je prie pour l'Eglise catholique répandue de l'Orient à l'Occident». Qui peut prier pour chacun en particulier? Mais prier pour tous , c'est n'oublier personne; prier pour le corps entier, c'est n'omettre aucun de ses membres. Or, dites-moi, quel avis donnait le saint à cet homme qui lui demandait de prier pour lui ? Qu'en pensez-vous? Vous le voyez sans aucun doute. Permettez toutefois
1. Luc, XXI, 18.
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que nous nous répétions. Cet homme lui demandait donc de prier pour lui. « Moi, reprit-il, je prie pour l'Eglise catholique répandue de l'Orient à l'Occident ». Si tu veux que je prie pour toi, comme je prie pour elle, cela quitte pas. 3. Qu'elle est belle aussi cette autre réponse du saint diacre qui fut martyrisé et couronné avec son évêque ! « Est-ce que toi aussi, lui dit le juge, tu adores Fructueux? Je m'adore pas Fructueux, répliqua-t-il, mais j'adore le même Dieu qu'adore Fructueux ». Nétait-ce pas nous dire d'honorer les martyrs et d'adorer Dieu avec eux? Nous ne devons pas effectivement ressembler aux païens que nous plaignons. Qu'adorent-ils? Des hommes morts : car tous ces prétendus dieux dont vous entendez les noms et à qui on a construit des temples, étaient simplement des hommes qui, pour la plupart et presque tous, jouirent sur la terre de la puissance royale. On vous parle de Jupiter, d'Hercule, de Neptune, de Pluton, de Mercure, de Bacchus et des autres: c'étaient des hommes, et c'est ce qu'enseignent non-seulement les fables des poètes, mais encore l'histoire des peuples. Ceux d'entre vous qui les ont lues, le savent, et ceux qui ne les ont pas lues, doivent s'en rapporter à ceux qui les ont lues. En faisant aux hommes quelque bien temporel, ces hommes se sont attiré des faveurs humaines et ont mérité que des hommes vains et vaniteux les adorassent jusqu'à les appeler des dieux, les regarder comme des dieux, et comme à des dieux leur élever des temples, leur adresser des supplications, leur construire des autels, leur consacrer des prêtres et leur immoler des victimes. 4. Mais il n'y a que le vrai Dieu qui doive avoir des temples; il est le seul à qui doivent soffrir le sacrifice ; et pourtant ces pauvres dupes faisaient pour une multitude de faux dieux ce qui ne doit se faire régulièrement et absolument que pour le Dieu unique. De là vinrent les ténèbres épaisses qui s'appesantirent sur l'humanité déjà malheureuse; de là vint qu'après avoir abattu toutes les âmes, le démon établit en elles son trône. Mais sitôt que la grâce du Sauveur, sitôt que la miséricorde de Dieu se fût abaissée vers nous malgré notre indignité, on vit l'accomplissement de ce qui avait été dit dans un sens prophétique au Cantique des Cantiques : « Aquilon, lève-toi; accours, vent du midi, et souffle dans mon jardin, et des parfums s'en exhaleront (1) ». Que veut dire: « Lève-toi, aquilon? » La partie du monde située à l'aquilon est froide. C'est qu'au souffle de Satan comme au souffle de l'aquilon les âmes se sont refroidies; elles ont gelé en quelque sorte après avoir perdu la chaleur de la charité. Que dit-on à ce tyran ? « Lève-toi, aquilon » : c'est assez .de tyrannie, c'est assez de captivité , c'est avoir pesé assez longtemps sur ces coeurs écrasés par toi: « Lève-toi », pars, « Accours, vent du midi » , accours des régions de la lumière et de la chaleur; « souffle dans mon jardin, et des parfums s'en exhaleront ». Des parfums comme ceux que nous venons de respirer pendant la lecture. 5. Quels sont ces parfums? Ceux dont parle ainsi l'épouse sacrée: « Nous courrons après l'odeur de vos parfums (2)». C'est le souvenir de cette odeur qui fait dire à l'apôtre Paul: « Nous sommes partout la bonne odeur du Christ, à l'égard de ceux qui se sauvent, et à l'égard de ceux qui périssent ». Quel mystère ! « Nous sommes partout la bonne odeur du Christ, et pour ceux qui se sauvent, et pour ceux qui périssent. Aux uns une odeur de vie pour la vie ; aux autres une odeur de mort pour la mort. Or, qui est capable de» comprendre « cela? » Comment se peut-il que cette bonne odeur ranime les uns, tue les autres? Elle n'est pas mauvaise, elle est bonne, car l'Apôtre ne dit pas : La bonne odeur ranime les bons, la mauvaise tue les mauvais; il ne dit pas : Nous sommes pour les bons une bonne odeur qui les ranime, pour les méchants une odeur mauvaise qui les tue; il ne dit pas cela, mais: « Nous sommes partout la bonne odeur du Christ ». Malheur aux infortunés que tue cette bonne odeur ! Si vous êtes la bonne odeur, ô Apôtre, pourquoi cette bonne odeur tue-t-elle les uns et rend-elle aux autres la vigueur ? Qu'elle ranime ceux-ci, je l'entends, je le comprends; qu'elle tue ceux-là, c'est ce que je saisis d'autant plus difficilement que vous avez dit vous-même : « Or, qui est capable de » comprendre « cela? » Hélas ! il n'est pas étonnant que nous n'en soyons point capables; daigne seulement
1. Cant. IV, 16. 2. Ib. I, 3.
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nous en rendre capables Celui dont s'exhalait l'odeur dont nous parlons. Voici soudain la réponse de saint Paul: Oui, dit-il, « nous sommes partout la bonne odeur du Christ, et pour. ceux qui se sauvent et pour ceux qui se perdent ». Mais toute bonne odeur que nous soyons , « nous sommes à l'égard des uns une odeur de vie pour la vie, et à l'égard des autres une odeur de mort pour là mort ». Cette odeur ranime ceux qui l'aiment, elle tue les envieux. Ah! s'il n'y avait de l'éclat dans les. saints, on ne verrait pas surgir l'envie dans l'âme des impies. Ceux-ci ont voulu dissiper la, bonne odeur répandue par les saints; mais plus ils frappaient et brisaient le vase des parfums, plus s'en répandait l'odeur. 6. Heureux les martyrs , dont on nous a lu les actes ! heureuse cette sainte Agnès qui a souffert à pareil jour ! Vierge pieuse, elle portait bien son nom. Agnès en latin signifie jeune agneau; en grec ce mot veut dire chaste. Elle. était tout cela; il était juste qu'elle fût couronnée. Maintenant donc, mes frères, que vous dirai-je de ces hommes à qui les païens ont rendu les honneurs divins, à qui ils ont consacré des temples, des sacerdoces, des autels, des sacrifices ? Que Nous en dirai-je ? Qu'il ne faut pas les, comparer à nos martyrs? Rien que ce que je dis est url,outrage pour ceux-ci. Si faibles que soient les fidèles, qu'ils soient charnels encore, qu'il faille leur donner non pas des aliments mais du lait, quels qu'ils soient enfin, loin de moula pensée de leur comparer ces dieux sacrilèges ! En face d'une pauvre vieille mais fidèle chrétienne, qu'est-ce que Junon? Qu'est-ce qu'Hercule en face d'un vieillard chrétien, malade et tremblant de tous ses membres ? Ce fameux Hercule a triomphé de Cacus, il a triomphé d'un lion, il a triomphé de Cerbère : Fructueux a triomphé. du monde entier. Compare l'un avec l'autre. Agée de treize ans seulement, notre petite Agnès a triomphé du démon ; oui, cette enfant a vaincu celui qui a fait tant de dupes au sujet d'Hercule. 7. Cependant, mes bien-aimés, quoique ces divinités n'aient absolument rien qui puisse les faire comparer à nos martyrs, nous ne regardons point, nous n'honorons point ces derniers comme des dieux; nous ne faisons pour eux ni temples, ni autels, ni sacrifices. Ce n'est pas à eux qu'offrent les prêtres. bien les en garde ! C'est à Dieu, oui c'est à Dieu de qui nous recevons tout. Lors même que nous sacrifions sur les tombeaux des saints martyrs, n'est-ce pas à Dieu que nous sacrifions? Remarquez bien : ces saints martyrs y occupent une place honorable; à l'autel du Christ leurs noms paraissent en premier lieu; mais nous ne les adorons point à la place du Christ. Quand avez-vous entendu dire, sur le tombeau de saint Théogène, soit par moi, soit par un de mes frères et collègues , soit par quelque prêtre : Je vous offre, saint Théogène; je vous offre, Pierre, je vous offre, Paul ? Jamais. Cela ne se fait point, cela n'est pas permis. Si donc jamais on te disait : Adores-tu Pierre? réponds comme Euloge a répondu à propos de Fructueux : Je n'adore pas Pierre, mais j'adore le même Dieu que Pierre adore. Ainsi tu mérites l'amour de Pierre. Mais en mettant Pierre à la place de Dieu, tu offenserais la Pierre; en te heurtant contre cette Pierre, prends garde de te briser le pied. 8. Voulez-vous vous convaincre de ce que je dis? Ecoutez, je vous y invite. On lit, dans les Actes des Apôtres, que l'apôtre saint Paul ayant fait un grand miracle en Lycaonie, les habitants de ce pays ou de cette province simaginèrent que c'étaient des dieux qui venaient de descendre parmi les hommes, et ils prirent Barnabé pour, Jupiter et Paul pour Mercure, à cause de son habileté dans l'art de la parole. Sur cette idée, ils firent venir des bandelettes et des victimes et voulurent leur offrir un sacrifice. Les Apôtres aussitôt, non pas de rire, mais de trembler , de déchirer leurs vêtements et de s'écrier : « Frères, que faites-vous? Nous aussi nous sommes comme vous des hommes passibles; mais c'est le vrai Dieu que nous vous annonçons. Laissez là ces vanités (1) ». Vous voyez combien les saints ont horreur d'être honorés comme des dieux. Autre trait : Pendant que l'Evangéliste saint Jean, l'auteur de l'Apocalypse, était ravi à la vue des merveilles qui lui étaient révélées, ému de frayeur en un certain moment, il tomba aux pieds de l'ange qui lui faisait voir tant de mystères..On ne saurait comparer aucun homme avec un ange; l'ange lui dit néanmoins : « Lève-toi, que fais-tu ? Adore Dieu. Je ne suis que son serviteur, comme toi et comme tes frères (2) ». Les martyrs détestent donc et vos amphores et vos gâteaux et vos scènes d'ivresse. Ce que je dis sans manquer
1. Act. XIV, 10-14. 2. Apoc. XIX, 10.
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à ceux qui n'ont pas à se faire de tels reproches. A ceux qui les méritent de se les appliquer. Les martyrs détestent ces pratiques, ils n'aiment pas ceux qui s'y livrent. Mais ils seraient bien plus blessés encore si on les adorait. 9. Ainsi donc, mes très-chers , réjouissez-vous aux fêtes des saints martyrs ; mais demandes de marcher sur leurs traces. Vous êtes des hommes; n'en étaient-ils pas ? Ont-ils eu une autre origine que vous? Avaient-ils : une chair d'autre nature que la vôtre ? Tous nous descendons d'Adam et nous travaillons à nous unir i Jésus-Christ. Et lui-même , lui Notre-Seigneur, lui le Chef de l'Église, lui le Fils unique de Dieu, le Verbe par qui tout a été fait, son corps n'était pas d'une autre nature que le notre, et c'est pour nous le faire comprendre qu'il a voulu s'incarner dans le sein d'une Vierge, naître d'un membre véritable du genre humain. S'il avait pris ailleurs son corps, qui croirait qu'il avait la même chair que nous? Sa chair toutefois ne portait que la ressemblance de la chair de péché, tandis que la nôtre est la chair même de péché. Aussi bien ne dut-il sa naissance ni au concours d'aucun homme, ni à la concupiscence; mais à l'Esprit envoyé par le Père. Eh bien ! nonobstant sa naissance merveilleuse, il a voulu être d'une nature mortelle, mourir pour nous, et en tant qu'homme nous racheter par son sang. Ah ! mes frères, remarquez bien ceci. Oui, le Christ est Dieu, un seul Dieu avec le Père; il est le Verbe du Père, son Fils unique, son égal et coéternel à lui ; en tant qu'homme toutefois , il a mieux aimé se dire prêtre que de demander un prêtre pour lui-même, se faire victime que d'en exiger, toujours en tant qu'homme. Car en tant que Dieu, il a droit, lui le Fils unique, à tout ce qui est dû à son Père. Ainsi donc; mes très-chers frères, vénérez , louez, aimez, célébrez, honorez les martyrs ; mais adorez le Dieu des martyrs. Convertissons-nous, etc.
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