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SERMON CCXLVI. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. XVII. DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST (1).
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ANALYSE. En apparaissant à sainte Madeleine après sa résurrection, Jésus veut lui rappeler d'abord qu'il est vraiment le Fils de Dieu et qu'il n'accepte ses hommages qu'à ce titre. C'est pourquoi il lui dit : « Garde-toi de me toucher, car je ne suis pas monté encore vers mon Père ». En ajoutant : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu », au lieu de dire simplement : vers notre Père, vers notre Dieu, il veut faire sentir de plus en plus combien sa nature est élevée au-dessus de la nôtre, et que Dieu n'est pas notre Père au même titre qu'il est le sien.
1. C'est de bien des manières que le Seigneur Jésus a apparu, après sa résurrection, à ses fidèles; et tous les Evangélistes y ont trouvé de quoi écrire en suivant l'inspiration de leurs souvenirs. L'un d'eux a rapporté une chose, l'autre une autre. Ils ont pu omettre quelque tait réel, mais non pas rapporter de fait controuvé. Croyez même que tout a été écrit par un seul, attendu que c'est le même Esprit qui a dicté à tous et qui les a tous animés. Que vient-on de nous lire aujourd'hui ? Que les disciples ne croyaient point que Jésus fût ressuscité; non, ils ne le croyaient point, quoique lui-même le leur eût annoncé auparavant. Ce fait n'est pas douteux ; et s'il est écrit, c'est pour notas engager à rendre à Dieu d'immenses actions de grâces, de ce que nous avons cru en lui sans l'avoir vu sur la terre, au lieu queux-mêmes y ont cru à peine, nonobstant le témoignage de leurs yeux et de leurs mains. 2. On vous a lu encore qu'un de ses disciples entra dans le tombeau, y « vit les linges placés à terre et qu'il crut; car il ne savait pas encore que d'après les Ecritures il fallait qu'il ressuscitât d'entre les morts ». Voilà bien ce que vous venez d'entendre, ce qu'on vous a lu : « Il vit et il crut ; car il ne savait pas encore que d'après les Ecritures ». Ne devait-on pas écrire : Il vit et il ne crut pas, parce qu'il ne savait pas encore que d'après les Ecritures ? Que signifie: « Il vit les linges et il crut ? » Que crut-il,?- Ce qu'avait dit une femme : « Ils a ont enlevé, le Seigneur et je ne sais où ils a l'ont placé ». A ces mots il courut avec un autre, il entra dans le tombeau, y reconnut
1. Jean, XX, 1-18.
les linges et crut, comme cette femme l'avait dit, que le Christ en avait été enlevé. Qui le porta à croire que le Christ avait été dérobé, emporté du tombeau ? C'est qu' « il ne savait pas encore que d'après les Ecritures il fallait qu'il ressuscitât d'entre les morts ». Sans doute il ne l'avait point vu après être entré ; mais il aurait dû croire qu'il était ressuscité et non pas enlevé. 3. Que conclure de là ? Chaque année nous vous entretenons de ce sujet; mais puisqu'on en fait chaque année la lecture, il convient que chaque année aussi nous vous en parlions, et que nous vous expliquions ce que le Christ Notre-Seigneur dit à cette femme, après en avoir été reconnu. Il lui avait dit d'abord : « Qui cherches-tu? Pourquoi pleures-tu? » Or, elle le prenait pour un jardinier. De fait, si l'on considère que nous sommes des plantes cultivées par lui, le Christ est jardinier. N'est-il pas jardinier pour avoir semé dans son jardin ce, grain de sénevé, la plus petite, mais aussi la plus active des semences, qui a grandi, qui s'est élevé, qui même est devenu un si grand arbre que les oiseaux du ciel se sont reposés sur ses rameaux. « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé », disait le Sauveur en personne (1). Ce grain paraît fort peu de chose, rien de plus méprisable à la vue , mais au goût rien de plus acre. N'est-ce pas l'emblème de la ferveur brûlante et de la vigueur intime de la foi dans l'Eglise ? Ce n'est donc pas sans motif que Madeleine prit Jésus pour un jardinier. Si elle lui dit : « Seigneur », c'est pour lui donner un terme honorifique et
1. Matt. XVII, 19.
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parce qu'elle lui demandait un service. « Si c'est vous qui l'avez enlevé, montrez-moi où vous l'avez mis et je l'emporterai ». C'était dire : J'en ai besoin, et vous, pas. O femme ! tu crois avoir besoin du Christ mort; reconnais-le, il est vivant. Tu cherches un mort; mais ce mort est le vivant qui te parle. Que nous servirait sa mort, s'il n'était ressuscité d'entre les morts ? C'est alors que se montra plein de vie Celui qu'elle croyait mort. Comment prouva-t-il qu'il était vivant ? En l'appelant par son nom propre : « Marie. Rabboni », répondit-elle aussitôt après s'être entendu nommer. Un jardinier pouvait bien dire : « Qui cherches-tu ? Pourquoi pleures-tu ? » Il n'y avait que le Seigneur pour pouvoir dire: « Marie ». Ainsi l'appelait par son nom Celui qui l'appelait au Royaume des cieux. C'était le nom inscrit par lui-même dans son livre. « Marie ! Rabboni ! » reprit-elle, c'est-à-dire, Maître. Elle avait donc reconnu Celui qui l'éclairait pour se faire reconnaître ; à ses yeux ce n'était plus un jardinier, c'était bien le Christ. Le Seigneur lui dit ensuite : « Garde-toi de me toucher, car je ne suis pas monté encore vers mon Père ». 4. Que signifie : « Garde-toi de me toucher, car je ne suis pas monté encore vers mon Père ? » Si elle ne pouvait le toucher quand il était debout sur la terre, le pourrait-elle quand il serait au ciel élevé sur son trône ? Il semblait dire: Ne me touche pas maintenant; tu le feras quand je serai monté près de mon Père. Rappelez à votre charité comment, dans la lecture d'hier, le Seigneur apparut à ses disciples, qui le prirent pour un esprit; et comment, pour dissiper leur erreur, il leur permit de le toucher. Que leur dit-il ? On l'a lu hier, et ç'a été le sujet du sermon. « Pourquoi vous troublez-vous ? leur demanda-t-il ; et pourquoi ces pensées montent-elles dans votre coeur ? Voyez mes mains et mes pieds; toua chez et reconnaissez (1) ». Etait-il donc monté déjà près de son Père quand il disait: « Touchez et reconnaissez ? » Il permet à ses disciples de le toucher, non pas de le toucher, mais de le palper, afin de leur apprendre que c'est vraiment de la chair, un corps véritable, afin que le toucher même s'assure en quelque sorte
1. Luc, XXIV, 37-39.
de la solidité de la vérité. Oui, il permet à ses disciples de le toucher avec leurs mains, et il dit à cette femme: « Garde-toi de me toucher, car je ne suis pas monté encore vers mon Père ! » Pourquoi cela ? Est-ce parce que les hommes ne pouvaient le toucher que sur la terre, tandis qu'il serait donné aux femmes de le toucher dans le ciel ? Que signifie toucher, sinon croire? C'est par la foi que nous touchons le Christ; mieux vaudrait même ne pas le toucher de la main et s'approcher de lui par la foi, que de le presser de la main sans avoir foi en lui. Il n'eût pas grand bonheur à le toucher uniquement de la main. Les Juifs l'ont touché ainsi quand ils l'ont pris, quand ils l'ont garrotté, quand ils l'ont suspendu ; ils l'ont touché alors, mais parce que leurs dispositions étaient mauvaises , ils ont perdu le trésor qu'ils avaient en main. Pour toi, ô Eglise catholique, tu le touches avec foi, et cette foi te sauve. Ah ! ne le touche qu'avec foi, c'est-à-dire, approche-toi de lui avec foi et que cette foi demeure ferme. Si tu ne vois en lui qu'un homme, tu le touches sur la terre; crois-tu qu'il est Dieu égal à son Père ? tu le touches élevé au ciel. Pour nous donc il est élevé, quand nous avons de lui une idée juste. Une fois seulement il est monté alors vers son Père; maintenant il y monte chaque jour. Hélas ! pour combien encore n'y est-il pas monté ! pour combien reste-t-il sur la terre ! Combien disent de lui: Ce fut un grand homme ! Combien : Ce fut un prophète ! Combien d'antéchrists sont venus dire avec Photin . C'était un homme, rien de plus, mais un homme élevé par l'excellence de sa sagesse et de sa justice au-dessus de tous les hommes sages el de tous les hommes pieux, car il n'était pas Dieu. O Photin, tu le touches sur la terre, tu t'es trop hâté de le toucher et tu es tombé ; aussi égaré sur la route, tu n'es point arrivé dans la patrie. 5. Aussi méditons de lui ces autres paroles; « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ». Pourquoi ne dit-il pas : Vers notre Père et notre Dieu, mais, en faisant une distinction: « Vers mon Père et votre Père ? » Il dit: « Mon Père », parce qu'il est son Fils unique ; « votre Père », parce que nous sommes ses fils par grâce et non par nature. Il dit : « Mon Père », parce que toujours il a été son Fils ; « votre Père », (297) parce que lui-même nous a choisis. Il ajoute : « Mon e Dieu et votre Dieu ». Comment Dieu est-il le Père du Christ ? Il est son Père, pour l'avoir engendré. Comment est-il son Dieu ? Pour l'avoir créé. Il l'a engendré comme Verbe et Fils unique, il l'a créé en le faisant naître, selon la chair, de la race de David. C'est ainsi qu'il est à la fois le Père et le Dieu du Christ ; son Père, à cause de sa divinité ; son Dieu, à cause de son humanité. Veux-tu te convaincre qu'à ce litre il est son Dieu ? Interrogeons un psaume : « Depuis le sein de ma Mère, y est-il dit, vous êtes mon Dieu (1) ». Auparavant vous étiez mon Père; depuis, vous êtes mon Dieu. Vois-tu maintenant pourquoi cette distinction : « Mon Père et votre Père ? » C'est qu'à des titres divers, Dieu est le Père de son Fils unique et le nôtre ; il est son Père par nature et le nôtre par grâce. Il s'ensuit que le Sauveur a dû dire « vers mon Père et votre Père » ; mais il devait dire aussi : Vers notre Dieu. En effet le terme de Dieu a rapport à la créature si donc Dieu est le Dieu du Christ, c'est que le Christ en tant qu'homme est une créature. Le nom du Père demandait pour le Christ une distinction, attendu que le Christ est Créateur comme le Père ; mais pourquoi une distinction dans ce terme de Dieu quand il s'agit du Christ, puisqu'en tant qu'homme le Christ est une créature, une créature comme nous ? Le Christ dans son humanité n'est-il pas même serviteur, puisque d'après l'Apôtre, il en a pris la nature (2) ? Pourquoi donc distinguer en disant: « Mon Dieu et votre Dieu ? » Cette distinction s'explique clairement. Dieu nous a
1. Ps. XXI, 11. 2. Philipp. II, 7.
tous fait naître d'une race de péché ; il n'en est pas ainsi de l'humanité de son Fils, car il est né d'une Vierge, d'une Vierge qui l'a conçu, non pas avec convoitise mais par la foi ; en sorte qu'il n'a point contracté en Adam la faute d'origine. Notre naissance à tous est l'oeuvre du péché; pour lui il est né sans péché, il a même effacé le péché. Voilà sur quoi est établie cette distinction : « Mon Dieu et votre Dieu ». N'êtes-vous pas tous issus d'un homme et d'une femme, produits par la concupiscence et souillés du péché héréditaire, puisqu'il est dit : dans l'Ecriture : « Qui est pur devant lui? Pas même l'enfant qui ne vit sur la terre que depuis un jour (1) ». Aussi s'empresse-t-on de porter les petits enfants pour faire effacer en eux ce qu'ils ont contracté en naissant et non pas ce qu'ils y ont ajouté par leur conduite. Bien différent est le Christ. Il dit: « Mon Dieu et votre Dieu. « Mon Dieu », parce que je porte une chair semblable à la chair de péché ; « votre Dieu », parce que vous avez vous-mêmes cette chair de péché. 6. Contentons-nous de ce qui vient d'être dit sur ce passage de l'Evangile écrit par saint Jean, relatif à la résurrection du Seigneur ; parce qu'il faudra lire encore, dans le même Evangile, d'autres traits concernant le même événement. Aucun autre écrivain sacré n'a parlé plus longuement de la résurrection; aussi ne saurait-on lire tout le même jour; on lit un second et un troisième jour, jusqu'à ce qu'on ait épuisé tout ce qu'a dit le saint Apôtre sur ce sujet important.
1. Job. XIV, 4, sept.
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