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SERMON CCXCVII. FÊTE DE SAINT PIERRE ET DE SAINT PAUL. III. LES TRIOMPHES DE LA GRACE.

 

ANALYSE. — I. La nature a horreur de la mort, cette horreur fait que Pierre renie d'abord son Maître jusqu'à trois fois. Mais, quoiqu'il la conserve encore dans sa vieillesse, la grâce lui, donne la force de la surmonter et de mourir plutôt que d'offenser Dieu. II. Cette  puissance de la grâce se révèle aussi dans    l'apôtre saint Paul : lui-même avoue que c'est la grâce qui l'a fait tout ce qu'il est ; ses mérites mêmes sont des dons de Dieu.  III. Enfin, autant il est nécessaire de vivre saintement pour arriver au ciel, autant il est nécessaire d'avoir la grâce pour vivre saintement et pour se délivrer, pour triompher des penchants pervers qui sont en nous : c'est ce qu'on voit encore dans l'histoire de saint Paul. Mais aussi une fois délivrés du mal qui est en nous, rien ne saurait nous nuire.

 

1. C'est le sang des Apôtres qui nous a fait de ce jour, un jour de fête; et c'est ainsi que ces serviteurs fidèles ont reconnu ce qu'ils devaient au sang de leur Maître.

A saint Pierre, comme nous venons de l'entendre, il est commandé de suivre Jésus; mais lui projetait de marcher en avant, ainsi qu'on le voit par ces mots qu'il lui adresse : « Pour vous, je donnerai ma vie (1)». C'était de la présomption; il ignorait, hélas ! le fond de crainte qui était en lui. Il voulait devancer Celui que seulement il devait suivre. Son désir était bon, mais il n'était pas réglé. Bientôt une crainte amère lui fit sentir l'amertume de la mort, puis l'amertume de ses larmes effaça le péché inspiré par l'amertume de la crainte. C'est à cette crainte que s'adressa la question de la servante ; ce fut l'amour qu'interrogea le Seigneur. Or, comment répondit la crainte, sinon par une frayeur tout humaine? Et comment répondit l'amour, sinon par une confession véritablement divine ? L'amour de Dieu est effectivement un don de Dieu;et quand le Seigneur questionnait Pierre sur cet amour, il ne lui demandait que ce que lui-même lui avait donné.

2. Mais qu'annonça le Seigneur à Pierre? C'est l'origine de cette fête. « Quand tu étais jeune, lui dit-il, tu te ceignais et tu allais où tu voulais; mais une fois avancé en âge, un

 

1. Jean, XIII, 37.

 

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autre te ceindra et te portera où tu ne veux point (1)». Qu'est devenue cette protestation

« Je resterai avec vous jusqu'à la mort (2)? » et cette autre: « Pour vous je donnerai ma vie? » Tu vas trembler, tu vas renier, mais aussi tu vas pleurer, ét Celui pour qui tu as craint de voir mourir, ressuscitera et t'affermira. Est-il étonnant que Pierre ait tremblé avant la résurrection du Christ? Mais voici le Christ ressuscité, voici la réalité vivante de son âme et de son corps, voici le modèle sensible de ce qui nous est promis; après avoir été crucifié, après être mort et après avoir été enseveli, on voit le Seigneur plein de vie. Que dis-je ? On voit? On le touche, on le palpe, on constate que c'est lui. Il passe quarante jours avec ses disciples, allant et venant, mangeant et buvant; non par besoin, mais parce qu'il en a le pouvoir; non par nécessité, mais par charité : il mange et il boit, non parce qu'il a faim et soif, mais pour instruire et convaincre. Maintenant qu'il a prouvé la vérité de sa résurrection et de sa parole, il monte au ciel, il en envoie l'Esprit-Saint qui remplit les disciples pénétrés de foi et appliqués à la prière, il les envoie prêcher ensuite. Néanmoins c'est après toutes ces merveilles qu'un autre ceint Pierre et le porte où il ne veut pas. Comment? ce que tu voulais quand le Seigneur prédisait ta chute, ne devrais-tu pas le vouloir au moins quand tu es obligé de le suivre ?

3. C'est un autre qui te ceint et qui te porte où tu ne veux pas. Ici même le Seigneur nous console, car il personnifie en lui-même notre faiblesse, quand il dit: « Mon âme est triste à la mort (3) ». Aussi bien, ce qui fait la grandeur des martyrs, c'est qu'ils ont foulé aux pieds les douceurs de ce monde ; ce qui fait la grandeur des martyrs, c'est qu'ils ont bravé les duretés, les âpretés et les amertumes de la mort. S'il était si facile d'endurer la mort, qu'est-ce que les martyrs auraient fait d'important en reconnaissance de la mort du Seigneur? D'où vient leur grandeur? D'où vient leur élévation ? D'où vient la couronne bien plus brillante qui les distingue des autres hommes ? D'où vient que leurs noms, comme le savent les fidèles, ne sont pas rappelés avec les noms des autres défunts, mais séparément? D'où vient qu'au lieu de prier pour eux, l'Eglise se recommande à leurs prières ?

 

1. Jean, XXI, 18. — 2. Luc, XXII, 33. — 3. Matt. XXVI, 38

 

D'où vient cela, sinon de ce que la mort qu'ils ont mieux aimé endurer, pour confesser le Seigneur, que de le renier, est pleine d'amertumes ? Oui, la nature a horreur de la mort. Contemple toutes les espèces d'êtres vivants ; tu n'en trouveras aucune qui ne veuille vivre et qui ne redoute de mourir. C'est ce que ressent le genre humain. Aussi la mort est acerbe; mais de ce que la mort soit acerbe, je le répète, s'ensuit-il qu'il faille renier la vie ? Arrivé même à la vieillesse, Pierre aurait voulu ne pas mourir. Oui, il aurait voulu ne pas mourir ; mais il voulait davantage encore suivre le Christ. Il aimait mieux suivre le Christ que de se préserver de la mort. S'il y avait une voie assez large pour lui permettre de suivre le Christ sans subir la mort, qui doute qu'il  n'y fût entré, qu'il ne l'eût préférée ? Mais il ne pouvait suivre le Christ ni arriver où il désirait qu'en passant par la voie oit il aurait voulu ne passer pas. Il arriva toutefois qu'en marchant par cet âpre chemin de la mort, les béliers furent suivis des brebis. Ces béliers sont les saints Apôtres. L'âpre voie de la mort est hérissée d'épines ; mais au passage de la Pierre et de Pierre ces épines ont été comme broyées sous la pierre.

4. Nous ne blâmons, nous n'accusons personne d'aimer cette vie. Qu'on ait soin toutefois de ne pécher pas en l'aimant. Qu'on aime la vie, soit ; mais qu'on fasse choix d'une vie. Je m'adresse à ceux qui aiment la vie, je leur demande : « Quel est l'homme qui veut vivre ? » Tout en gardant le silence vous me répondez tous : Eh ! quel est l'homme qui ne veut pas vivre ? J'ajoute avec le Psalmiste: « Quel est l'homme qui veut vivre et qui aime à voir des jours heureux ? » Ici encore on me répond : Quel est plutôt l'homme qui ne veut pas vivre et qui n'aime pas à voir des jours heureux ? — Eh bien ! si tu veux parvenir à vivre et à avoir des jours de bonheur, comme c'est une récompense, apprends ce que tu dois faire pour la mériter. « Préserve « ta langue de tout ce qui est mal ». Ces mots sont dans le psaume la réponse à ceux-ci : « Quel est l'homme qui veut vivre et qui aime à voir des jours heureux? » Voici en effet ce qui vient après ces derniers: « Préserve ta langue de ce qui est mal, et tes lèvres de toute parole artificieuse; évite le mal et fais le bien (1)».

 

1. Ps. XXXIII, 13-15.

 

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Réponds maintenant : Je le veux. Je te demandais : Veux-tu vivre? Tu répondais :.Je le veux. — Veux-tu voir des jours heureux? — Je le veux, répondais-tu encore. J'ajoute

« Préserve ta langue de ce qui est mal ». Dis aussi : Je le veux. — « Evite le mal et fais le bien ». Dis : Je le veux. Eh bien ! si tu le veux; cherche à le mériter, et tu cours vers la récompense.

5. Considère l'apôtre saint Paul: De lui encore c'est aujourd'hui la fête ; car ces deux Apôtres ont mené une vie pareille, ils ont répandu leur sang en commun, ils ont conquis tous deux la couronne céleste et tous fait de ce jour un jour sacré. Considère donc l'apôtre saint Paul, rappelle-toi les paroles que nous avons entendues tout à l'heure , lorsqu'on lisait son Epître : « On m'immole déjà, dit-il, et le moment de ma dissolution approche. J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi. Reste, poursuit-il, la couronne de justice qui m'est réservée, et que le Seigneur, en juste Juge, me rendra en ce jour (1) ». Lui qui m'a donné ce qu'il ne me devait pas, ne me refusera pas assurément ce qu'il me doit. Il est juste Juge, il rendra la couronne, il la rendra, car il a un sujet à qui la rendre. « J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi ». C'est à ces mérites qu'il accordera la couronne; et, je le répète, après m'avoir donné ce qu'il ne me devait pas, il ne me refusera point ce qu'il me doit. Que m'a-t-il donné sans me le devoir ? « J'étais d'abord blasphémateur, persécuteur et outrageux ». Mais qu'a-t-il donné sans le devoir ? Apprenons-le de la bouche même de l'Apôtre , voyons comment il trouve dans sa vie même de quoi louer et bénir l'Auteur de la grâce. « J'étais d'abord, dit-il donc, blasphémateur, persécuteur et outrageux ». Avais-tu droit à être Apôtre ? Eh ! quel droit avait un blasphémateur, un persécuteur, un outrageux ? Quel droit, sinon à l'éternelle damnation? Mais, au lieu de cette éternelle damnation, qu'a-t-il reçu ? « J'ai obtenu miséricorde, parce que j'agissais par ignorance, dans l'incrédulité (2) ». Telle est la miséricorde que Dieu a accordée sans le devoir.

Ecoute de la même bouche un autre aveu fait ailleurs: « Je ne mérite pas, dit-il, le titre 

 

1. II Tim. IV, 6-8. — 2. I Tim. I, 13.

 

d'Apôtre, parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu ». Je vois bien, ô Apôtre, que tu n'étais pas digne de ce titre. Comment en es-tu devenu digne ? Comment es-tu ce que tu ne mérites pas ? Le voici : « C'est par la grâce de Dieu que j'ai obtenu d'être ce que je suis ». Mon juste châtiment était d'être ce que j'étais; c'est par la,grâce de Dieu que je suis ce que je suis. « C'est donc par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce n'a pas été stérile en moi, car j'ai travaillé plus qu'eux tous ». — Tu as donc payé la grâce de Dieu? Tu as reçu et tu as payé ? Fais attention à ce que tu viens de dire. — Je mesure mes paroles : « Non pas moi, toutefois, mais la grâce de Dieu avec moi (1)». — Quand cet Apôtre est si laborieux, quand il a combattu le bon combat, achevé sa course, gardé la foi, Dieu . dans sa. justice lui refuserait la couronne qui lui est due, après lui avoir accordé la grâce qu'il ne lui devait pas ?

6. A qui maintenant accordera-t-il cette couronne qui t'est due, ô Paul, toi qui es à la fois si petit et si grand ? A quoi l'accordera-t-il ? Sans doute à tes mérites. Tu as combattu le bon combat, tu as achevé ta course et gardé la foi : c'est à cause de ces mérites qu'il te doit et qu'il t'accordera la couronne. Mais aussi ces mérites qui te donnent droit à la couronné, sont des dons de Dieu. Sans doute, tu as combattu le bon combat, tu as achevé ta course ; tu as vu dans tes membres une autre loi qui résistait à la loi de ton esprit et qui te mettait dans l'esclavage de cette loi du péché, qui est dans tes membres: comment es-tu devenu vainqueur, sinon par ce moyen que tu indiques ensuite ? « Misérable homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur (2) ». Voilà comment tu as combattu, comment tu as travaillé, comment tu n'as pas succombé, comment tu as vaincu. Voulez-vous le voir combattre ? « Qui nous séparera de l'amour du Christ? L'affliction? l'angoisse? la faim? la persécution? la nudité ? le glaive ? Car il est écrit: Pour vous on nous met à mort chaque jour; nous sommes considérés comme des brebis à immoler ». Voilà la faiblesse, le travail, la misère, les dangers, les tentations. D'où vient la victoire aux combattants ? Prête l'oreille à

 

1. I Cor. XV, 9, 10. — 2. Rom. VII, 23-25.

 

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ce qui suit : « Mais en tout cela nous triomphons par Celui qui nous a aimés (1)». Tu as achevé ta course : sous la conduite, sous la direction, avec le secours de qui ? Que dis-tu ici: « J'ai achevé ma course » ; quand « cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde (2)? » Tu as gardé la foi , c'est vrai. Mais d'abord quelle foi? Celle que tu t'es donnée toi-même? Donc tu aurais eu tort de dire : «Selon la mesure de foi que Dieu a départie à chacun (3) ? » N'est-ce pas toi encore qui en t'adressant à quelques-uns de tes compagnons d'armes, de ceux qui luttent- et qui courent avec toi dans l'arène de cette vie, leur dis : « Il vous a été donné ? » Que leur a-t-il été donné? « Il vous a été donné pour le Christ, non-seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui (4) ». Ainsi deux choses leur ont été données, de croire au Christ et de souffrir pour lui.

7. Quelqu'un me dira peut-être ici: Il est vrai, j'ai reçu la foi, mais c'est moi qui l'ai gardée. Ce serait écouter sans intelligence que de dire : J'ai reçu la foi, mais c'est moi qui l'ai gardée. Notre Apôtre ne dit pas, lui : C'est moi qui l'ai gardée, car il a en vue ces mots : «Si Dieu ne garde la cité, inutilement veillent ses gardiens (5) ». Travaille donc, garde; mais tu as besoin qu'on te garde aussi, tu ne suffis pas à te garder toi-même. Qu'on te laisse, tu sommeilleras, tu t'endormiras; « au lieu que ne dort ni ne s'assoupit le gardien d'Israël (6)».

8. Ainsi donc nous aimons la vie, et nous ne doutons pas que nous l'aimions ; il nous est absolument impossible .de nier que nous aimons la vie. Eh bien ! si nous aimons la vie, faisons choix d'une vie. Que voulons-nous choisir? Une vie, une vie bonne ici et plus tard éternelle. Bonne ici pour commencer, sans qu'elle soit encore heureuse. Oui, rendons-la bonne maintenant; c'est ainsi que plus tard elle sera heureuse. La vie bonne, c'est le devoir; la vie heureuse, c'est la récompense. Rends ta vie bonne, et tu recevras l'heureuse rie. Est-il rien de plus juste, de plus régulier? Où es-tu, ami de la vie ? Choisis-la bonne,. Si tu chérissais une épouse, ne la voudrais-tu pas bonne ? Tu aimes la vie, et tu la choisis mauvaise ? Mais dis-moi, que veux-tu de mauvais ?

 

1. Rom. VIII, 35-37. — 2. Ib. IX, 16. — 3. Ib. XII, 3. — 4. Philip. I, 29. — 5. Ps. CXXVI, 1. — 6. Ps. CXX, 4.

 

Tout ce que tu veux, tout ce que tu aimes, tu le veux bon. Tu ne veux sûrement ni un mauvais cheval, ni un serviteur mauvais, ni un mauvais habit, ni une mauvaise campagne, ni une maison mauvaise, ni une mauvaise épouse, ni des enfants mauvais. Tu ne veux rien que de bon : sois donc bon toi-même. Qu'as-tu contre toi pour vouloir rester mauvais, quand tu veux n'avoir rien que de bon ? Tu attaches un grand prix à ta compagne, à ton épouse, à ton vêtement, et, pour descendre aussi bas que possible, à ta chaussure ; et à tes yeux, ton âme est sans valeur ? Sans doute cette vie est remplie de fatigues, de chagrins, de tentations, de misères, de douleurs, de craintes, elle en est remplie ; oui, elle en est remplie, la chose n'est que trop manifeste. Si néanmoins, telle qu'elle est, avec tous les maux dont elle est chargée, on nous la rendait éternelle, quelles ne seraient pas nos actions de grâces parce qu'il nous serait donné d'être toujours malheureux ? Eh bien ! telle n'est pas la vie que nous promet, non pas un homme, mais Dieu même. C'est la Vérité même qui nous promet non-seulement une vie éternelle, mais encore une vie heureuse ; une vie où il n'y aura ni fatigues, ni afflictions, ni crainte, ni douleur, mais pleine, entière et parfaite sécurité ; une vie soumise à Dieu, unie à Dieu, puisée en Dieu, une vie qui sera Dieu même. Telle est l'éternelle vie qui nous est promise ; et à cette vie on préfère la vie du temps,une vie de misères et d'afflictions? La préfère-t-on, je le demande, ou ne la préfère-t-on pas ? Ne la préfères-tu pas, lorsque pour échapper à la mort tu veux te rendre homicide ? Lorsque, dans la crainte d'être tué par ton esclave, tu lui donnes la mort ? lorsque, dans la crainte d'être mis à mort par ton épouse, que tu as tort peut-être de soupçonner, tu l'abandonnes en te livrant au désir de contracter avec une autre une union adultère ? C'est, ainsi qu'en aimant la vie tu perds la vie, préférant la vie temporelle à la vie éternelle, la vie malheureuse à la vie bienheureuse. Qu'obtiens-tu en agissant ainsi ? N'est-il pas possible qu'en t'attachant à conserver cette vie misérable, tu expires malgré toi ? Tu ignores sûrement à quel moment tu la quitteras. De quel air alors te présenter devant le Christ ? De quel air te défendre contre ta condamnation? Je ne dis pas : De quel air demander la récompense ? Attends-toi à être condamné à (482) l'éternelle mort pour avoir fait choix de la vie temporelle, et pour avoir par ce choix dédaigné l'éternelle.

9. Mais tu n'écoutes pas mon conseil. Tu cherches à vivre et à voir des jours heureux. C'est bien; mais ne cherche pas cela ici; c'est une pierre précieuse qui se forme dans, un pays particulier, et non ici. Tant que tu te fatigues à fouiller, tu ne trouveras pas ici ce qui n'y est point. Néanmoins fais ce qu'on t'y commande et tu obtiendras ce que tu désires. Si longue en effet que soit la vie présente, y auras-tu des jours heureux ? Aussi voyez comme s'exprime l'écrivain sacré : A la vie il joint les jours heureux, attendu qu'on peut vivre et être malheureux à cause des jours misérables qu'on traverse. Ici sont bien nombreux les jours infortunés. Or, ce qui les rend infortunés, ce n'est pas ce soleil qui se précipite de l'Orient à l'Occident pour recommencer demain ; c'est nous, mes frères, qui rendons malheureux nos jours. Ah ! si nous vivions bien chaque jour, ici même nous aurions des jours heureux. Qui fait le mal de l'homme, sinon l'homme ? Calculez combien de maux viennent à l'homme du dehors; il y en a fort peu qui ne paraissent pas avoir l'homme pour auteur. L'homme est accablé de maux par l'homme : les larcins viennent de l'homme; l'adultère de ton épouse, si douloureux pour toi, vient de l'homme ; c'est un homme qui t'a séduit ton esclave, qui l'a caché, qui t'a proscrit, qui t'a attaqué, qui t'a réduit en captivité.

« Délivrez-moi, Seigneur, de l'homme méchant (1) » . En entendant ces mots, tu ne penses qu'à ton ennemi, à ce voisin mauvais et puissant, à ce collègue, à ce concitoyen qui te fait souffrir. Peut-être aussi penses-tu , au voleur quand tu entends: « Délivrez-moi, Seigneur, de l'homme méchant » ; et quand tu pries, c'est pour demander à Dieu qu'en te délivrant de l’homme méchant, il te sauve des poursuites de tel ou tel ennemi. Ah ! ne sois pas méchant pour toi-même. Ecoute : Demande à Dieu de te délivrer de toi. Quand, en effet, par sa grâce et par sa miséricorde, Dieu te rend bon, de méchant que tu étais, comment te rend-il bon, sinon en te délivrant de ta propre méchanceté ? Voilà, mes frères, ce qui est absolument vrai, certain, indubitable. Or, si

 

1. Ps. CXXXIX, 2.

 

Dieu te délivre ainsi de toi-même, de la propre méchanceté ; tout autre, si méchant qu'il soit, ne pourra te nuire en rien.

10. Je trouve un exemple, à l'appui de ce que je viens de dire, dans ce même apôtre saint Paul, dont nous célébrons aujourd'hui le martyre. Il était d'abord un persécuteur, un blasphémateur, un homme outrageux, un méchant enfin ; mais il l'était pour son malheur. Le voilà qui respire le meurtre, il est altéré dit sang des chrétiens jusqu'à être prêt à répandre le sien ; il a obtenu des princes des prêtres l'autorisation d'enchaîner et d'emmener tous les chrétiens qu'il pourra rencontrer à Damas. Or, pendant qu'étranger à la piété il parcourt ainsi les voies de la cruauté, il entend la voix même de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui lui crie du haut du ciel: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? Il est dangereux pour toi de regimber contre l'aiguillon (1) ». Frappé de cet éclat de voix, il tombe; il tombe persécuteur et se relève prédicateur ; aveugle de corps, son coeur est éclairé; il recouvre ensuite la vue du corps pour aller prêcher avec les lumières du coeur. Que pensez-vous de cela, mes frères ? Quand Saul est délivré de l'homme méchant, de qui est-il délivré, sinon de lui-même ? Et une fois délivré de cet homme méchant qui est lui-même, que peut contre lui tout autre homme méchant? L'apôtre saint Pierre dit expressément: « Et qui vous nuira, si vous êtes dévoués au bien (2)? » Que ce méchant te persécute, qu'il te lapide, qu'il te déchire à coups de verges, qu'il finisse par mettre la main sur toi, te charger de chaînes, t'entraîner, te mettre à mort ; plus il te fait de mal, plus Dieu te prépare de bonheur; tout ce que tu souffres est moins un supplice qu'une occasion de mériter la couronne. Voilà où on en est quand on est délivré de l'homme méchant, ou de soi-même. « Et qui vous nuira, si vous êtes dévoués au bien ? »

11. Les méchants nuisent pourtant : que de maux ils vous ont fait endurer, ô Paul ! Paul répond : J'aurais plus besoin d'être délivré de ma propre méchanceté ; quel mal en effet me font ces méchants ? « Les souffrances de cette vie ne sont pas proportionnées à la gloire future qui éclatera en nous (3). — Car nos tribulations si légères produisent en nous le

 

1. Act. IX, 4, 5. — 2. I Pierre, III, 13. — 3. Rom. VIII, 18.

 

483

 

poids éternel d'une gloire incroyable ; parce que nous ne considérons point les choses qui se voient, car ce qui se voit est temporel, au lieu que ce qui ne se voit pas est éternel (1)». Tu es donc réellement délivré de l'homme méchant ou de toi-même, puisque les méchants te profitent plus qu'ils ne te nuisent.

Ainsi donc, mes frères, quand nous célébrons la fête de ces saints qui ont combattu contre le péché jusqu'au sang, et qui ont triomphé avec la grâce et le secours de leur Seigneur, au culte joignons l'amour, et à l'amour l'imitation, afin qu'en marchant sur leurs traces nous méritions de partager leur récompense.

 

1. II Cor. IV, 17, 18.

 

 

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