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SERMON CCCXVI. FÊTE DE SAINT ÉTIENNE, MARTYR. III. IMITATION DE JÉSUS-CHRIST.
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ANALYSE. Notre amour pour saint Etienne doit se reporter sur Jésus-Christ; car c'est Jésus-Christ qui l'a converti, c'est au nom de Jésus-Christ qu'il a fait tant de miracles, et c'est sur Jésus-Christ qu'il a pris modèle. Cruellement traité par les Juifs, comme Jésus-Christ il remet son âme à Dieu; comme lui il prie pour ses bourreaux ; enfin, comme la prière de Jésus-Christ a obtenu la conversion d'Etienne qui était peut-être au nombre de ceux qui demandaient sa mort, ainsi la prière d'Etienne obtient la conversion de Saul, le plus ardent de ses persécuteurs. Voilà pourquoi vous voyez Etienne et Paul réunis sur ce tableau : plus heureusement encore ils sont réunis au ciel.
1. Le bienheureux et glorieux en Jésus-Christ le saint martyr Etienne nous a déjà comme rassasiés de sa parole; voici toutefois comme un second service que vous offre mon ministère. Mais, que puis-je vous présenter de plus délicieux que le Christ et son martyr? Il est vrai, l'un est le Seigneur, l'autre le serviteur; mais de serviteur Etienne est devenu ami. Nous aussi ne sommes-nous pas serviteurs ? Fasse le ciel que nous devenions amis également ! Pourtant, que sommes-nous comme serviteurs ? Des serviteurs qui pourrions chanter sans faire rougir notre conscience : « Combien, Seigneur, vos amis sont en honneur à mes yeux (1) !». Vous avez appris ce qu'était saint Etienne quand il fut choisi par les Apôtres, et avant qu'il fût mis à mort publiquement pour être secrètement couronné. Il est nommé le premier des diacres, comme l'apôtre saint Pierre le premier des Apôtres. Eh bien ! quoique ordonné par les Apôtres, il les précéda bientôt au martyre: ordonné par eux, il fut couronné avant eux. Qu'avez-vous entendu pendant la lecture sainte ? « Rempli de la grâce et du Saint-Esprit, Etienne faisait des prodiges et de grands miracles parmi le peuple, au nom de Jésus-Christ, le Seigneur (2) ». Qui faisait ces prodiges ? et au nom de qui ? Vous qui savez aimer Etienne, aimez-le en Jésus-Christ. C'est ce qu'il veut, c'est ce qui lui est agréable; c'est ce qu'il désire, c'est ce qui lui plaît. Ah ! ce n'est pas son nom qu'il a voulu mettre en relief au milieu de ses bourreaux. Remarquez
1. Ps. CXXXVIII, 17. 2. Act. VI, 8.
qui il confessait pendant qu'on le lapidait; qui il confessait sur la terre et qui il contemplait au ciel; pour qui il sacrifiait son corps, et à qui il recommandait son âme. Lisons-nous, en effet, ou pouvons-nous lire dans ses enseignements que Jésus-Christ faisait ou qu'il fait des miracles au nom d'Etienne ? Etienne en a fait, mais au nom du Christ. Il continue; car tout ce que vous voyez s'opérer par le souvenir d'Etienne, se fait au nom du Christ; et cela, pour publier la gloire du Christ, pour le faire adorer, pour le faire attendre comme Juge des vivants et des morts, pour enfin disposer ceux qui l'aiment à mériter d'être placés à sa droite. Quand, en effet, il apparaîtra, les uns seront à sa droite et les autres à sa gauche; à sa droite pour être heureux, pour être malheureux à sa gauche. 2. Toutefois, que le bienheureux Etienne imite son Seigneur. Sous une grêle de dures pierres, il souffrait avec une patience invincible, ces bourreaux qui lui lançaient, quoi ? sinon ce qu'ils étaient. Voulez-vous savoir combien effectivement ils étaient durs? «Durs de tête, leur dit-il, et incirconcis de coeur et d'oreilles, toujours vous résistez au Saint-Esprit ». Tu veux donc mourir, tu cours te faire lapider, tu aspires à être couronné. « Ton« jours vous résistez à l'Esprit-Saint n. Pendant que lui parlait ainsi, eux frémissaient et grinçaient les dents. Continue, Etienne; dis ce qu'ils ne supporteront pas, ce qu'ils ne pourront endurer ; parle pour te faire lapider, afin que nous ayons de quoi célébrer. Les cieux s'ouvrirent; le martyr y vit le Chef des martyrs; il y vit Jésus debout à la droite (543) de son Père; il l'y vit, mais sans garder le silence. Les Juifs ne l'y voyaient pas, car ils étaient aveuglés par la haine. Pour parvenir jusqu'à Celui qu'il voyait, Etienne ne dissimula pas qu'il l'avait sous les yeux. « Voici, dit-il, je vois les cieux ouverts, et le Fils de l'homme debout à la droite de son Père ». Comme si ces paroles eussent été un blasphème, les Juifs se bouchèrent les oreilles. Ne les reconnaissez-vous point dans ce passage d'un psaume: « Comme l'aspic qui se rend sourd en se bouchant les oreilles, pour n'écouter pas la voix de l'enchanteur, pour ne prendre pas le remède présenté par le sage (1)? » On dit que pour ne pas se produire ni sortir de leur caverne, les serpents, quand on les enchante, se pressent une oreille contre terre et se ferment l'autre avec leur queue, ce qui toutefois n'empêche pas l'enchanteur de les tirer de leurs retraites ; ainsi les Juifs sifflaient en quelque sorte dans leurs cavernes quand ils s'animaient intérieurement; sans se montrer encore, ils se bouchaient les oreilles. Qu'ils sortent, maintenant, qu'ils paraissent ce qu'ils sont; qu'ils courent aux pierres. Ils y coururent et les lancèrent. 3. Mais Etienne? Etienne? Considérez d'abord Celui que prenait pour modèle cet ami généreux. Au moment où il était suspendu à la croix, le Seigneur Jésus-Christ s'écria : « Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains ». Il s'exprimait ainsi comme homme, comme Fils d'une femme, comme crucifié, comme revêtu d'un corps humain, comme étant sur le point de mourir pour nous, d'être déposé dans un sépulcre, de ressusciter le troisième jour et de monter aux cieux ; car tous ces actes sont des actes de son humanité. Comme homme il dit donc : « Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains ». Jésus dit : « Mon Père » ; Etienne : « Seigneur Jésus» ; et qu'ajoute-t-il à son tour ? « Recevez mon esprit ». Vous parliez,vous, à votre Père ; c'est à vous que je m'adresse. Je reconnais en vous mon Médiateur; vous êtes venu me relever de ma chute, sans tomber avec moi. « Recevez mon esprit ». C'est pour lui-même qu'il priait ainsi. Mais autre chose se présente à son esprit, qui le porte à imiter son Maître autrement encore. Rappelez-vous maintenant les paroles du Sauveur
1. Ps. LVII, 5, 6.
sur la croix, et comparez-les aux paroles du serviteur qui le confessait sous cette masse de pierres. Que disait le Sauveur ? « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (1) ». Peut-être Etienne était-il au nombre de. ces malheureux qui ignoraient ce qu'ils faisaient. Car beaucoup d'entre eux crurent ensuite, et nous ne savons de quel parti était alors le bienheureux Etienne; s'il était de ceux qui crurent d'abord au Christ, comme Nicodème, celui qui vint trouver Jésus pendant la nuit (2) et qui a mérité d'être enseveli près d'Etienne, puisque c'est par lui qu'on a découvert son corps; ou bien s'il était de ceux qui en voyant, après. l'ascension, quand le Saint-Esprit descendit et remplit les Apôtres, ceux-ci parler les langues de tous les peuples, leur dirent avec componction: « Frères, que ferons-nous ? » Apprenez-le-nous. Pour avoir mis à mort le Sauveur, ils désespéraient de leur salut. Pierre alors leur répondit: « Faites pénitence, et que chacun de vous accepte le baptême au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vous recevrez le Saint-Esprit, et vos péchés vous seront remis (3) ». Est-ce bien tous? Eh ! lequel ne l'eût pas été, quand l'était le crime d'avoir mis à mort le destructeur des péchés ? Quel péché plus horrible que d'avoir donné la mort au Christ ? Ce péché, pourtant, fut effacé. Où allons-nous? Peut-être donc Etienne fut-il au nombre de ces meurtriers. S'il était parmi eux, lui aussi profita de cette prière : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font »: Mais Saul était sûrement de ce parti; et quand on lapidait Etienne comme un doux agneau, loup encore Saul était encore altéré de sang, et peu content de pouvoir lapider de ses propres mains, il gardait les vêtements des, bourreaux. Quoi qu'il en soit, se rappelant que pour lui-même, s'il était au nombre des meurtriers du Sauveur, le Sauveur avait dit : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font », et imitant encore, pour être son ami, ce trait de son Seigneur; « Seigneur, dit-il à son tour, ne leur imputez pas ce péché (4) ». Dans quelle attitude encore parla-t-il ainsi? Il était agenouillé. Pour lui, il parlait debout; il s'agenouilla quand il voulut prier pour ses ennemis. Pourquoi restait-il debout quand il priait
1. Luc, XXIII, 46, 34. 2. Jean, III, 2. 3. Act. II, 37, 38. 4. Ib. VI, 59.
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pour lui-même? C'est qu'il priait pour un juste. Et pourquoi fléchit-il le genou lorsqu'il pria pour eux? C'est qu'il intercédait pour de grands coupables. « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché ». 4. Crois-tu que Saul entendit ces mots? Il les entendit, mais il s'en moqua; et pourtant il était compris dans la prière d'Etienne. Il courait encore au meurtre, et déjà Etienne était exaucé en sa faveur. Vous savez ce qu'il en est; car je vous dois un mot sur ce Saul, plus tard devenu Paul; oui, vous savez ce qu'il en est; car le même livre des Actes nous enseigne comment Paul parvint à la foi. Après la mort d'Etienne, l'Eglise souffrit à Jérusalem une persécution cruelle. Les frères qui étaient là prirent la fuite; les seuls Apôtres restèrent, tous les autres prirent la fuite. Or, comme des torches ardentes, ils mettaient le feu partout où ils allaient. Que les Juifs étaient insensés, puisqu'en les chassant de Jérusalem, ils mettaient en quelque sorte le feu à la forêt 1 Et Saul, Saul qui ne se contentait pas du meurtre de saint Etienne, de ce meurtre que nous nous rappelons avec plaisir, puisqu'il est cause de la fête de ce jour, que fit Saul ? Il prit, des prêtres et des scribes , l'autorisation écrite d'enchaîner partout ceux qu'il rencontrerait attachés à cette manière de vivre, c'est-à-dire les chrétiens, et de les mener à des supplices pareils à celui qu'avait enduré saint Etienne. Il allait donc plein de colère; comme le loup qui court au bercail, il se précipitait vers les troupeaux du Seigneur; tout écumant de rage, il était altéré de sang, soupirait après le carnage et poursuivait ainsi sa route. « Saul, Saul, lui cria le Seigneur du haut du ciel, pourquoi me persécuter? » Loup, loup, pourquoi poursuivre un agneau? En mourant j'ai mis à mort le lion. « Pourquoi me persécuter? » Cesse d'être loup; de loup, deviens brebis; et de brebis, berger (1). 5. Cette peinture est délicieuse: vous y voyez lapider saint Etienne ; vous y voyez aussi Saul occupé à garder les vêtements des bourreaux. Ce Saut est le même que « Paul, Apôtre de Jésus-Christ»; que «Paul, serviteur de Jésus-Christ».Vous avez bien entendu ce cri: «Pourquoi me persécuter ? » Tu es à la fois renversé et relevé, renversé comme persécuteur, relevé comme prédicateur. Dis maintenant, nous voulons t'écouter : « Paul, serviteur de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu (2)». O Saul, est-ce par ta volonté? Nous savons, nous voyons ce qu'a produit ta volonté propre : ta volonté propre vient de mettre Etienne à mort. Mais nous voyons aussi ce que tu as fait par la volonté de Dieu: partout on te lit, partout on te cite, partout tu convertis au Christ les coeurs ennemis ; partout, ô bon pasteur, tu amènes vers lui d'immenses troupeaux. Associés maintenant à celui que tu as lapidé, tu règnes avec le Christ. Là vous vous voyez tous deux, tous deux maintenant vous entendez nos paroles; priez pour nous tous deux. Tous deux vous serez exaucés par Celui qui vous a couronnés, l'un d'abord, l'autre ensuite ; l'un persécuté, et l'autre persécuteur. Le premier était agneau d'abord, l'autre était loup ; mais tous deux sont agneaux aujourd'hui. O agneaux, jetez les yeux sur nous, puissiez-vous nous voir dans le troupeau du Christ ! Ah ! qu'ils nous recommandent dans leurs supplications, et qu'ils obtiennent à l'Eglise de leur Seigneur une vie calme et tranquille.
1. Act. VIII, IX. 2.
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