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SERMON CCXCIII. NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE. VII. MISSION DU PRÉCURSEUR.
ANALYSE. La mission confiée au saint précurseur avait pour but la gloire de Jésus-Christ et nos propres, intérêts. I. La gloire de Jésus-Christ. Si la naissance et la vie de saint Jean offrent tant d'analogies avec la naissance et la vie de Jésus-Christ, c'était pour que le témoignage rendu à Jésus-Christ par saint Jean fit sur les hommes une impression plus profonde. Qu'était-ce que Jésus-Christ? Le Fils de Dieu sans doute; mais le Fils de Dieu voilé dans un corps humain. Combien donc on devait être frappé de la parole de saint,Jean, de saint Jean qui paraissait le rival de Jésus-Christ et que plusieurs prenaient pour le Messie, lorsqu'on lui entendait répéter avec une conviction si profonde que Jésus était le Christ, qu'il était le Fils même de Dieu ! II. Nos propres intérêts. En effet Jésus-Christ incarné est notre médiateur, médiateur nécessaire à tous, tu enfants mêmes, puisque les enfants sont coupables et reçoivent le baptême. Rien donc de plus indispensable que de nous attacher à lui. Or, n'est-ce pas ce que nous apprend encore saint Jean, soit lorsqu'à l'approche de Jésus il tressaille comme pour implorer de lui le salut, soit lorsque dans le Jourdain il lui demande et reçoit sans doute de lui le baptême?
1. Nous célébrons aujourd'hui la fête de saint Jean, dont nous venons d'entendre avec admiration lire la naissance dans le récit évangélique. Quelle n'est pas la gloire du luge, si telle est celle de son héraut? Quel n'est pas Celui qui doit venir, si tel est celui qui lui prépare la voie? LEglise considère la nativité de saint Jean comme une fête sacrée, et parmi tous les Pères il n'en est pas un seul dont nous célébrions solennellement la naissance. Nous célébrons la naissance de Jean, nous célébrons aussi celle du Christ : ce rapprochement ne saurait être sans raison, et si nos explications ne peuvent s'élever à la hauteur de ce grand mystère, nous y penserons avec plus de fruit et avec plus de profondeur. Jean naît, d'une mère âgée et stérile; le Christ, d'une Mère jeune et Vierge. Jean est le fruit de la stérilité; le Christ, celui de la virginité. Pour donner naissance à Jean, l'âge de ses parents n'était plus convenable ; et pour donner naissance au Christ, l'union des sexes a fait défaut. L'un est annoncé par le message d'un ange; à la voix dun ange l'autre est conçu. Le père ne croit pas à la future naissance de Jean, et il devient muet; la mère croit au Christ qui lui est annoncé, et sa foi l'amène dans son sein; la foi descend dans son coeur, puis la fécondité dans ses entrailles. Les paroles toutefois sont à peu près les mêmes de part et d'autre. A l'ange qui annonçait Jean, Zacharie répond : « Comment m'assurer de cela? car je suis vieux, et mon épouse est déjà fort avancée en âge » ; et quand le même ange prévint Marie qu'elle allait devenir Mère, la sainte reprit. « Comment cela se fera-t-il ? car je ne connais point d'homme » : les expressions sont presque identiques. A Zacharie il est dit : « Voilà que tu seras muet, sans pouvoir parler, jusqu'à ce que ces événements s'accomplissent ; parce que tu n'as pas eu foi à mes paroles, qui se réaliseront dans leur temps ». A Marie au contraire: « L'Esprit-Saint surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; c'est pourquoi le Saint qui naîtra de vous s'appellera le Fils de Dieu ». Le premier donc est repris, la seconde renseignée. A l'un il est dit: Parce que tu n'as pas eu foi; à l'autre: Recevez ce que vous avez demandé. Encore une fois, ce sont presque les mêmes paroles de part et d'autre. « Comment m'assurer de cela ? Comment se fera cela ? » Mais Celui qui entendait ces paroles voyait aussi le coeur sans qu'aucun repli lui demeurât caché. Le langage de chacun d'eux voilait une pensée; mais si cette pensée était voilée, elle l'était pour les hommes et non pour l'ange, ou plutôt pour Celui qui s'exprimait par l'organe de l'ange. Enfin. Jean naît à l'époque où le jour diminue et où la nuit commence à croître; le Christ naît au moment où la nuit décroît et où le jour augmente. Ne semble-t-il pas que le précurseur ait eu en vue ces époques mystérieuses des deux naissances lorsqu'il disait : (452) « Il faut qu'il croisse et que je diminue(1) ? » Voilà ce que nous nous sommes proposé d'examiner et d'approfondir. Mais j'ai cru devoir mettre tout cela en avant, et si le défaut de temps ou de lumière nous empêche de pouvoir sonder tous les replis de ce profond mystère, il sera suppléé avantageusement à notre enseignement par Celui qui vous parle intérieurement, même en notre absence, par Celui en qui se repose pieusement votre pensée, que vous avez reçu dans votre coeur, et dont vous êtes devenus les temples. 2. Jean paraît être une limite établie entre les deux Testaments, l'Ancien et le Nouveau. Le Seigneur même enseigne qu'il est en quelque sorte cette limite, lorsqu'il dit: « La loi et les prophètes jusqu'à Jean-Baptiste (2) ». Jean personnifie ainsi l'antiquité et annonce les temps nouveaux. Comme chargé de personnifier l'antiquité, il naît de parents âgés; et comme chargé d'annoncer les temps nouveaux, il se montre prophète dès le sein de sa mère. Car il n'était pas né encore, lorsqu'à l'arrivée de sainte Marie, il tressaillit dans le sein maternel. Là déjà il était marqué du caractère prophétique, marqué avant de naître; et il montra de qui il était le précurseur avant même de l'avoir vu. Ce sont là des traits divins et qui dépassent les bornes de ce que peut la faiblesse humaine. Enfin il naît, reçoit son nom, et la langue de son père se dénoue (3). Rapproche ce fait de ce que figure saint Jean, pourvu que tout en en signalant peut-être la signification, tu ne nies pas la réalité du fait en lui-même. Rapproche donc ce fait de ce qui est figuré par Jean, et vois quel profond mystère. Zacharie garde le silence, il perd l'usage de la parole jusqu'à ce qu'en naissant le précurseur du Seigneur lui rouvre la bouche. Que rappelle ce silence de Zacharie, sinon que les prophéties étaient voilées, et en quelque sorte cachées et scellées jusqu'à la prédication du Christ; tandis qu'elles s'ouvrent à son avènement, et qu'elles s'éclaircissent quand doit arriver Celui dont elles parlent ? Ainsi la bouche ouverte à Zacharie au moment de la naissance de Jean a le même sens que le voile du temple déchiré quand Jésus était en croix. Si Jean s'était simplement annoncé lui-même, il n'aurait pas ouvert la bouche à Zacharie ; mais la langue de celui-ci
1. Jean, III, 30. 2. Luc, XVI, 16. 3. Luc, I.
se délie, parce que la naissance de son fils est « la naissance de la voix. En effet, quand jean prêchait déjà Jésus-Christ, on vint lui demander : « Qui êtes-vous? » et il répondit: « Je suis la voix de Celui qui crie dans le désert (1) ». 3. Jean est la voix, mais dès le commence. ment le Seigneur était le Verbe (2). C'est pour un temps que Jean est la voix: Verbe dès le principe, le Christ est Verbe pour l'éternité. Supprime la parole : qu'est-ce que la voix? Il ne reste qu'un vain bruit, là où manque le sens. Ainsi la voix qui n'est point parole frappe l'oreille sans édifier le coeur. Remarquons ce qui se passe dans notre cur lorsqu'il s'agit de l'édifier. Si je réfléchis à ce que je veux dire, la parole est déjà dans mon coeur; mais en cherchant à m'adresser à toi, je suis en quête de la manière dont je ferai passer dans ton esprit ce qui déjà est dans le mien. En examinant ainsi comment te faire parvenir, comment te mettre au cur la parole, l'idée qui est en moi, je recours à la voix, et avec ma voix je te parle. Le son de ma voix conduit jusqu'à ton esprit l'intelligence de mon idée, et quand le son t'a ainsi conduit le sens de mon idée, ce son passe ; mais l'idée conduite par ce son est en toi, sans que je l'aie perdue: Quand donc le son t'a ainsi mené mon idée, ne semble-t-il pas te dire : « Il faut qu'elle croisse et que je diminue? » Le son de ma voix a fait son oeuvre et en disparaissant il semble s'écrier: «Ma joie est ainsi accomplie (4) ». Mais nous gardons l'idée, faisons-la entrer comme dans la moelle de nous-mêmes, ne la perdons pas. Veux-tu voir la voix qui passe et la divinité du Verbe qui demeure ? Où est maintenant le baptême de Jean ? Il a fait son oeuvre et il s'en est allé ; au lieu que le baptême du Christ est toujours en usage. Tous encore nous croyons au Christ, nous espérons en lui le salut. C'est ce que nous a fait entendre la voix. Aussi, comme il est difficile de discerner la parole de la voix, Jean a été pris pour le Christ. La voit a été prise pour la Parole; mais pour n'offenser pas la Parole, la voix a reconnu ce qu'elle était « Je ne suis, a-t-elle dit, ni le Christ, ni Elie, ni un prophète. Qui donc êtes-vous? » ajouta-t-on. « Je suis, reprit-elle, la voix de Celui qui crie dans le désert : Préparez la voie au Seigneur (4) ». « La voix de Celui qui crie
1. Jean, I, 22, 23. 2. Ib. I. 3. Jean, III, 30, 29. 4. Ib. I, 20-23.
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dans le désert » ; qui rompt le silence. « Préparez la voie au Seigneur ». C'était comme dire: Si je me fais entendre; c'est pour l'introduire dans vos coeurs ; mais si vous ne lui préparez la voie, il ne daigne pas venir où je voudrais le faire entrer. Que signifie : « Préparez la voie», sinon: Priez avec ardeur? Que signifie: « Préparez la voie », sinon : Soyez humbles dans vos pensées ? Imitez en lui ses exemples d'humilité. On le prend pour le Christ ; il dit qu'il n'est pas ce qu'on pense de lui, et il ne profite pas, pour s'élever, de l'erreur d'autrui. Fil disait : Je suis le Christ, avec quelle facilité on le croirait, puisque avant qu'il eût rien dit, on le croyait déjà ! Il ne dit pas cela, il sait ce qu'il est, il ne se confond pas avec le Christ, il s'humilie. Il sait où trouver le salut; et comprenant qu'il n'est qu'un flambeau, il craint de s'éteindre au souffle de l'orgueil. 4. Aussi Dieu se plut-il à voir rendre ainsi témoignage au Christ, un homme comblé de tant de grâces qu'il pouvait passer pour le Christ. « Parmi les enfants des femmes, dit le Christ lui-même, nul ne s'est élevé au-dessus de Jean-Baptiste (1)». Mais si nul homme ne surpassa Jean, Celui qui le surpassait était sûrement plus qu'un homme. Voilà certes un remarquable témoignage que le Christ se rend à lui-même. Mais pour des yeux chassieux et malades, le jour est peu sensible. Cependant si les yeux malades redoutent la lumière du jour, ils supportent celle d'un flambeau. Voilà pourquoi le Jour, avant de paraître, se fit précéder d'un flambeau ; il s'en fit précéder aux yeux des fidèles, et pour confondre les incrédules. «J'ai préparé, est-il dit, un flambeau à mon Christ ». C'est Dieu le Père qui s'exprime ainsi dans une prophétie. J'ai préparé un flambeau à mon Christ » : ce flambeau est Jean, le héraut du Sauveur, le précurseur du Juge, l'ami de l'Epoux qui va venir. « J'ai préparé un flambeau à mon Christ ». Pourquoi le lui avez-vous préparé? « Je couvrirai ses ennemis de confusion, et sur sa tête fleurira ma sainteté (2) ». Comment ce flambeau a-t-il servi à couvrir ses ennemis de confusion? Ouvrons l'Evangile. Les Juifs calomniateurs y disent au Seigneur : « En vertu de quel pouvoir agis-tu ainsi? Si tu es le Christ, dis-le nous sans détour ». Ils cherchaient, non pas à croire, mais à accuser; non
1. Matt. XI, 11. 2. Ps. CXXXI, 17, 18.
pas à se sauver, mais à le surprendre. Aussi remarquez ce que leur répondit Celui qui lisait dans leurs coeurs; il va prendre le flambeau pour les couvrir de confusion. « A mon tour, leur dit-il, je vous ferai aussi une a question. Dites-moi, le baptême de Jean, d'où vient-il ? du ciel ou des hommes ? » Frappés tout à coup et, bien que la lumière ne rayonnât que faiblement à leurs yeux, réduits à tâtonner, parce qu'ils ne pouvaient rester en face du jour, ils coururent se cacher dans les ténèbres de leur coeur, et là ils se troublèrent, heurtant et se précipitant de tous côtés. « Si nous répondons », se disaient-ils dans le secret de leurs pensées où les discernait l'il du Sauveur; « si nous répondons qu'il vient du ciel, il nous demandera: Pourquoi donc n'avez-vous pas cru à sa parole? » Jean en effet avait rendu témoignage au Christ comme étant le Seigneur même. « Mais si nous répondons qu'il vient des hommes, le peuple va nous lapider », attendu que Jean passait pour un grand prophète. Ils répliquèrent alors « Nous ne savons ». Vous ne savez ! vous êtes donc dans les ténèbres, vous perdez la vue. Qu'il serait bien préférable, lorsqu'il survient des ténèbres dans le coeur humain, d'y faire entrer la lumière au lieu de l'en écarter ! Dès qu'ils eurent répondu : « Nous ne savons », le Seigneur reprit: «Je ne vous dis pas non plus en vertu de quel pouvoir j'agis ainsi (1) », car je sais dans quel dessein vous dites : «Nous ne savons » : vous ne voulez pas vous instruire, vous redoutez de faire un aveu. 5. Autant que l'homme est en état de le comprendre, et le meilleur comprend mieux, de même que comprend moins celui qui vaut moins, cette disposition providentielle nous révèle un profond mystère. Le Christ devait venir parmi nous avec un corps; c'était le Christ, non pas un ange, non pas un envoyé, non pas tout autre, mais Celui qui doit les sauver Q. Celui qui devait venir n'était donc pas le premier venu; et pourtant, comment devait-il venir? Il devait naître avec un corps mortel, être petit enfant, placé dans une crèche, enveloppé de langes, se nourrir de lait, croître avec l'âge et finir par être victime de la mort. C'étaient autant d'actes d'humilité et d'humilité extrême. Or, qui devait s'humilier ainsi? Le Très-Haut. Et combien
1. Matt. XXI, 23-27. 2. Isaïe, XXXV, 4.
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est-il élevé ! Ne cherche point sur la terre de terme de comparaison, élève-toi jusqu'au-dessus des astres. Lorsque tu te seras approché des célestes armées des anges, elles te diront Monte plus loin encore. Arrivé près des Trônes, des Dominations, des Principautés et des Puissances, on te dira de nouveau : Encore plus loin; nous aussi nous sommes des créatures : « Tout a été fait par lui ». Elève-toi au-dessus de la création entière, au-dessus de tout ce qui a été formé, établi, au-dessus de tout ce qui est muable, corporel ou incorporel, enfin, au-dessus de tout. Tu ne saurais télever encore ainsi réellement, élève-toi par la foi, élève-toi jusqu'au Créateur, élève-toi jusqu'à lui, guidé et précédé par la foi. Là, contemple le Verbe qui était au commencement. Jamais il n'a été fait, mais au commencement il était. Il est dit de la créature : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre (1) ». Pour le Verbe, au contraire, il était dès le commencement, et jamais il ne fut sans être. Eh bien ! ce Verbe qui était au commencement; ce Verbe qui était en Dieu et qui était Dieu lui-même ; ce Verbe par qui tout a été fait, sans qui rien ne l'a été, et en qui est vie tout ce qui a été fait (2), est descendu vers nous. Vers nous? Le méritions-nous ? Nullement; nous étions bien indignes. Aussi « le Christ est-il mort pour des impies (3) » et des indignes, lui si digne. Car si nous ne méritions pas qu'il eût pitié de nous, il était digne, lui, de nous prendre en compassion et de s'entendre dire . « En considération de votre miséricorde, délivrez-nous, Seigneur ». Hélas ! nous ne l'avons pas mérité jusqu'alors; mais « en considération de votre miséricorde, délivrez-nous, Seigneur, et pour la gloire de votre nom, pardonnez-nous nos péchés (4) ». Nous ne sollicitons point ce pardon à cause de nos mérites, puisque nos mérites sont des péchés; mais « pour la gloire de votre nom ». Des pécheurs, hélas ! ne méritent point des récompenses, mais des supplices; et voilà pourquoi nous disons: « Pour la gloire de votre nom ». Tels sont ceux vers qui il vient, telle est la grandeur de Celui qui s'approche de nous. Mais comment vient-il? Sûrement «le Verbe s'est fait chair » pour habiter parmi nous (5). S'il n'était venu qu'avec sa divinité, qui aurait pu supporter sa majesté ? qui l'aurait
1. Gen. I, 1. 2. Jean, I, 1-14. 3.
accueilli? qui l'aurait reçu? Pour ne pas nous laisser ce que nous étions, il a pris, non pas ce que nous étions par notre faute, mais ce que nous étions par notre nature. S'il s'est fait homme pour se donner aux hommes, il ne s'ensuit pas que pour se donner aux pécheurs il se soit fait pécheur. De ces deux parties de notre humanité, la nature et la faute, il a pris l'une et il a guéri l'autre. S'il s'était chargé de nos iniquités, lui aussi n'aurait-il pas eu besoin d'un Sauveur? Et pourtant il s'en est chargé, mais pour en porter le poids et nous en délivrer, et non pour les garder, tandis que voilant sa divinité il s'est montré homme au milieu des hommes. 6. Qui donc rendra témoignage à ce grand Jour caché en quelque sorte dans les nuages de la chair ? Donne-moi un flambeau pour me montrer le Jour ; donne à ce flambeau tant d'éclat que le Jour seul le surpasse en splendeur, « Parmi les enfants des femmes, nul ne s'est élevé au-dessus de Jean-Baptiste (1) ». Oh ! quelle ineffable Providence ! Pour moi, mes frères, lorsque je réfléchis à cela; je suis frappé d'admiration au souvenir de ce que, d'après l'Evangile, saint Jean dit du Christ; « Je ne mérite pas, ce sont ses expressions, de dénouer les courroies de sa chaussure (2) ». Se peut-il rien de plus humble? Mais aussi quoi de plus élevé que le Christ? et quoi de plus bas qu'un homme crucifié? « L'Epoux est Celui à qui appartient l'épouse; pour lami de l'Epoux, il reste debout, il l'écoute, et se trouve fort heureux d'entendre sa voix (3) », et non de parler lui-même. « Nous, dit encore saint Jean, nous avons tous reçu de sa plénitude (4) » . Que de grandes choses il dit du Christ ! combien est magnifique, combien est relevé, combien est digne ce qu'il nous en apprend, si toutefois on peut dire de lui quelque chose qui soit en rapport avec lui ! Nonobstant, Jean. Baptiste ne marche point parmi ses disciples, il ne le suit point comme le suivent Pierre, André, Jean et leurs compagnons. Lui-même a aussi réuni des disciples, et il les conserve, bien que le Seigneur soit près de lui avec les siens. On les appelait les disciples de Jean, et on ne craignait pas de dire au Seigneur lui. même : « Pourquoi les disciples de Jean jeûnent-ils, tandis que les vôtres ne jeûnent pas (5)? »
1. Matt. XI, 11. 2. Jean, I, 27. 3. Ib. III, 29. 4. Ib. I,16. 5. Marc, II, 18.
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Eh bien ! c'est qu'il était nécessaire que le Christ fût prêché par un précurseur fidèle qu'on pouvait regarder comme son rival.Jean avait des disciples, le Christ aussi en avait; Jean paraissait enseigner en dehors de son école, mais il lui était attaché intimement et lui rendait témoignage. Voilà pourquoi « nul parmi les enfants des femmes ne s'est élevé au-dessus de Jean-Baptiste ». Des prophètes ont paru avec des disciples aussi, mais quand le Seigneur n'était pas là. Vinrent ensuite les grands Apôtres, mais comme disciples du Christ et non comme ayant pu avoir des disciples en même temps que Lui. Jean au contraire a des disciples, il appelle à lui, il baptise; mais où, mes frères? Est-ce en dehors de lui ou d'accord avec lui ? C'était de plein accord avec lui et pour être, vu qu'il était homme, sauvé par Dieu: s'il paraissait agir en dehors, c'était pour donner plus d'autorité à son témoignage. Remarque bien cette circonstance : Quand, par exemple, Pierre, André, Jean et les autres rendaient témoignage au Sauveur, on pouvait leur dire: Vous louez après tout Celui que vous suivez, vous prêchez Celui à qui vous vous êtes donné. Vienne donc le flambeau destiné à confondre les ennemis du Christ, qu'autour de lui accourent des disciples. Le Christ en a, Jean aussi. Le Christ baptise, Jean aussi ; et quand on aient à Jean, on lui dit : « Celui à qui vous avez rendu témoignage, le voilà qui baptise, et tous courent à lui ». C'était comme pour exciter sa jalousie et l'amener à dire du Christ quelque mal. Mais c'est alors que la flamme de ce flambeau vacille moins que jamais, qu'elle jette un plus vif éclat, qu'elle est plus nourrie et d'autant moins exposée à s'éteindre qu'elle montre plus distinctement la vérité. «Je vous ai déjà dit, leur répond Jean, que je ne suis pas le Christ. L'Epoux est Celui à c qui appartient l'épouse; Celui qui est descendu du ciel l'emporte sur tous (1)». Ceux qui ajoutèrent foi à sa parole furent alors saisis d'une admiration qui se reporta sur le Christ; quant aux ennemis du Sauveur, ils furent couverts de confusion en voyant comme forcé de publier sa gloire celui qui aurait pu lui porter envie. Ici en effet le serviteur est contraint de reconnaître son Seigneur, la créature, de rendre témoignage au Créateur;
1. Jean, III, 26-31.
ou plutôt il n'y a point contrainte ici, mais plaisir; Jean n'est pas un envieux mais un ami, et son zèle n'est pas pour lui, mais pour l'Epoux. 7. C'est ce qu'on voit dans les amis d'un époux ordinaire. C'est en effet une coutume dans les mariages humains de choisir, indépendamment des autres amis, un ami plus intime, un confident des secrets de l'union conjugale, que l'on nomme paranymphe. Mais il y a ici une différence, et une différence énorme. Dans les noces humaines, c'est un homme qui sert de paranymphe à un homme ; ici c'est Jean qui sert de paranymphe au Christ; mais le Christ, mais l'Epoux est Dieu , et comme homme il est médiateur entre Dieu et les hommes. Comme Dieu, il n'est pas médiateur, il est égal à son Père, il a la même nature que lui, il est un seul Dieu avec lui. Comment aurait pu être médiatrice cette nature suréminente si loin de laquelle nous étions relégués et abattus sous le poids du mal ? Pour être médiateur, il faut que le Fils de Dieu devienne ce qu'il n'était pas; et qu'il demeure ce qu'il était, pour que nous puissions parvenir jusqu'à lui. En effet, ne voyez-vous pas que Dieu est au-dessus de nous , que nous sommes au-dessous de lui, qu'entre lui et nous s'étendent des espaces immenses, surtout.depuis que le péché nous rejette et nous relègue si loin de lui ? Comment franchir une telle distance pour arriver jusqu'à Dieu ? Dieu reste ce qu'il est ; mais une nature humaine s'unit à lui de manière à ne former avec lui qu'une même personne. Il n'est donc pas ce qu'on pourrait appeler un demi-Dieu, un être moitié Dieu et moitié homme; il est à la fois complètement Dieu et homme complètement, Dieu libérateur et homme médiateur; c'est par lui que nous allons à lui, ce n'est point par un autre que nous allons à qui n'est pas lui; mais c'est par le moyen de ce que nous sommes en lui que nous allons à lui comme Auteur de notre être. L'Apôtre connaissait la divinité du Christ , aussi disait-il de lui, en parlant de ce qu'avaient mérité les Juifs jusqu'alors : « Dont les pères sont ceux de qui est sorti, selon la chair, le Christ même, qui est, au-dessus de toutes choses, Dieu béni pour tous les siècles (1)». Mais tout en reconnaissant que le Christ était Dieu, Dieu au-dessus de tout, et au-dessus de
1. Rom. IX, 5.
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tout pour avoir tout fait; lorsqu'il eut à parler de son rôle de médiateur, il ne le nomma point Dieu, attendu que s'il est médiateur, ce n'est pas comme Dieu, mais comme Dieu fait homme. « Il n'y a qu'un Dieu » , dit-il. Comme vous êtes catholiques et catholiques instruits, vous prêtez ici une oreille fort attentive. « Il n'y a qu'un Dieu ». Ne s'agit-il ici que du Père, que du Fils, que de l'Esprit-Saint? MaislePère, le Fils et le Saint-Esprit ne forment qu'un seul Dieu. Donc « il n'y a qu'un Dieu, il n'y a non plus qu'un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ, homme (1) ». Si l'Apôtre disait: Il n'y a qu'un Dieu; il n'y a non plus qu'un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ; on prendrait le Christ pour un Dieu d'ordre inférieur; car il semblerait séparé de la Trinité divine, s'il était dit simplement : Il n'y a qu'un Dieu; il n'y a non plus qu'un médiateur entre Dieu et les hommes, c'est Jésus-Christ, attendu qu'il ne paraîtrait pas être ce Dieu que l'Apôtre dit unique. Mais l'unité de Dieu comprenant le Père, le Fils et le Saint-Esprit, la divinité du Sauveur reste dans l'unité divine, et par son humanité il devient médiateur. 8. C'est cette médiation qui réconcilie avec Dieu la masse du genre humain, éloignée de lui par Adam. « Par Adam, en effet, le péché est entré dans le monde, et, à l'aide du péché , la mort; et ainsi elle a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (2) ». Qui aurait pu se tirer de là ? Se séparer de cette masse sur qui pèse la colère, pour être l'objet de la miséricorde divine ? « Qui te discerne, demande l'Apôtre ? et qu'as-tu que tu n'aies reçu (3)? » Ainsi, ce n'est pas le mérite, c'est la grâce qui nous sépare de cette masse. Si c'était le mérite, la séparation serait un droit ; si elle était un droit, elle ne serait point gratuité ; mais si elle n'était point gratuite , elle ne serait plus une grâce. C'est le raisonnement de l'Apôtre lui-même : « Si c'est par la grâce, dit-il, ce n'est plus par les oeuvres ; autrement la grâce ne serait plus une grâce (4)». Tous donc, grands et petits, vieillards et jeunes gens, enfants de tout âge , tous nous devons le salut à un seul. « Car il n'y a qu'un a Dieu; il n'y a non plus qu'un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ, homme. Par un homme est venue la mort,
1. I Tim. II, 5. 2.
et par un homme la résurrection des morts. Et comme tous meurent en Adam, tous revivront aussi dans le Christ (1) ». 9. Quelqu'un vient me dire ici: Comment est-il possible que ce soient tous ? Tous ? Ceux donc aussi qui seront jetés en enfer, condamnés avec le diable et tourmentés dans les feux éternels? Comment dire tous de part et d'autre? C'est que personne ne meurt que par Adam, et que personne ne ressuscite que par le Christ. Si un autre qu'Adam était cause de notre mort, nous ne mourrions pas tous en Adam; et si un autre que le Christ nous rendait la vie, nous ne revivrions pas tous dans le Christ. 10. Quoi ! me dira-t-on encore, un enfant même aurait besoin d'être délivré ? Sans aucun doute : nous en avons pour garant cette mère qui court à l'église avec son petit pour le faire baptiser. Nous en avons pour garant notre sainte mère l'Eglise elle-même qui reçoit ce petit pour le purifier, soit qu'elle doive le laisser mourir après l'avoir délivré, ou le faire élever avec piété. Qui oserait élever la voix contre une telle mère ? Nous en avons pour garant enfin les pleurs mêmes que répand cet enfant en témoignage de sa misère. Si peu intelligente qu'elle soit, cette faible nature atteste à sa manière son malheureux état; elle ne commence point par rire, mais par pleurer. Ah ! reconnais cette triste situation et prête-lui secours. Que, tous ici prennent des entrailles de miséricorde. Moins ces petits peuvent faire pour eux-mêmes, plus nous devons parler en leur faveur: L'Eglise a coutume de protéger les intérêts des orphelins : ah ! parlons tous pour eux, tous portons-leur secours afin de les faire échapper à la perte du patrimoine céleste. C'est pour eux que leur Seigneur s'est fait petit enfant. Comment n'auraient-ils point part à la délivrance qu'il assure, puisque les premiers ils ont mérité d'être mis à mort pour lui ? 11. Ajoutons qu'au moment où on annonçait la prochaine naissance du Sauveur, il fut dit de lui : « On lui donnera le nom de Jésus, parce qu'il sauvera son peuplé de ses péchés (2) ». Nous possédons Jésus, nous connaissons la signification de son nom. Pourquoi? pourquoi s'appelle-t- il Jésus, c'est-à-dire Sauveur? «C'est qu'il sauvera son peuple ». Mais Moïse aussi l'a sauvé . avec la main puissante et le secours
1. I Cor. XV, 21, 22. 2. Matt. I, 21.
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du Très-Haut, il l'a sauvé de la persécution et de la tyrannie des Egyptiens; Jésus, fils de Navé, l'a sauvé des attaques et des guerres que lui faisaient les gentils ; les juges l'ont sauvé en le délivrant des Philistins, les rois également l'on sauvé en l'arrachant au joug des gentils qui ne cessaient d'aboyer autour de lui. Ce n'est pas ainsi que le sauve Jésus; il le sauve « de ses péchés. On lui donnera le nom de «Jésus ». Pourquoi ? « Parce que lui-même sauvera son peuple ». De quoi ? « de ses péchés ». Parlons maintenant de ce petit enfant. On l'apporte à l'Eglise pour le baptiser, pour en faire un chrétien, pour le faire entrer, je présume, dans le peuple de Jésus. De quel Jésus? De Celui qui « sauvera son peuple de ses péchés ». Dans cet enfant il n'y a rien à sauver, qu'on l'emporte d'ici. Pourquoi ne disons-nous pas aux mères : Loin d'ici ces enfants ; Jésus est le Sauveur : si dans ces petits il n'y arien à sauver, emportez-les : « Ceux qui ont bonne santé n'ont pas besoin du médecin, mais les malades (1) ? » Pendant que se débattrait ainsi la cause de cet enfant, y aurait-il un seul homme pour oser me dire : J'ai un Jésus, celui-ci n'en a point? Tu as un Jésus, cet enfant n'en a point? N'est-il pas venu près de Jésus ? Ne répond-on pas pour lui qu'il croira en Jésus? Etablissons-nous pour les enfants un nouveau baptême où il ne s'agit pas de la rémission des péchés ? Ah ! si cet enfant pouvait se défendre, comme il réfuterait ce contradicteur ! Il s'écrierait : Donnez-moi la vie du Christ; je suis mort en Adam; donnez-moi la vie du Christ, « car à ses yeux personne n'est pur, pas même l'enfant qui ne respire que depuis un seul jour sur la terre (2) ». Fallût-il donner du sien, on ne refuserait point la grâce à ces petits. Qu'on ait de la. compassion pour ces infortunés. Pourquoi vanter démesurément leur innocence ? Qu'ils trouvent un Sauveur: ils ont le temps d'avoir des adulateurs. Quand ils sont si exposés, nous ne devons pas même discuter, dans la crainte de paraître par là retarder leur salut. Qu'on les apporte, qu'on les purifie; qu'on les délivre, qu'on leur donne la vie. « Comme tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ ». On ne peut venir dans la vie de ce
1. Matt. IX, 12. 2. Job, XIV, 4, Sept.
monde que par Adam; on ne pourra échapper aux châtiments du siècle futur que par Jésus-Christ. Pourquoi leur fermer cette porte , quand il n'y en a qu'une? «Car il n'y a qu'un seul Dieu ; il n'y a non plus un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ, homme ». Et c'est lui qui te crie, écoute : « Ceux qui ont bonne santé n'ont pas «besoin de médecin, mais les malades » . Pourquoi dire que cet enfant a bonne santé ? N'est-ce pas te mettre en contradiction avec le Médecin ? 12. Ainsi donc, poursuit-on, Jean-Baptiste lui-même, dont vous venez de nous dire de si grandes choses, serait né aussi avec le péché? Tu n'as sûrement trouvé pour être exempt de péché à sa naissance, que celui que tu pourrais me montrer n'être pas de la race d'Adam. Jamais tu n'arracheras aux mains des fidèles cette vérité: « Par un homme est venue la mort, et par un homme la résurrection des morts. De même que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ. Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort, qui a ainsi passé dans tous les hommes». Si ces paroles étaient les miennes, aurais-je pu m'exprimer plus formellement? plus clairement ? plus intégralement ? « Ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché ». Maintenant donc excepte Jean de cette loi. Si tu parviens à l'écarter du genre humain, à lui donner une autre origine que celle des descendants du premier couple, à le faire naître autrement que de l'union d'un homme et d'une femme, il ne sera point compris dans cet arrêt ; car Celui qui a voulu se placer en dehors a daigné naître d'une Vierge. Pourquoi me pousser à examiner ce qu'a mérité Jean ? Dans le sein maternel il a salué le Seigneur ; mais, je le crois, il l'a salué en sollicitant de lui le salut. Il ne demande pas à être si malheureusement défendu par toi. Lorsqu'ensuite le Seigneur vient lui demander le baptême, il lui dit avec la conscience de partager l'infirmité commune : « C'est moi qui dois être baptisé par vous (1) ». Le Seigneur se présentait alors pour recommander l'humilité même en recevant le baptême et tout en consacrant ce sacrement ; car il a reçu le baptême dans sa jeunesse avec les
1. Matt. III, 14.
mêmes dispositions que la circoncision dans son enfance. Mais recommander l'utilité d'un remède, ce n'est pas faire l'éloge du mal. Quant au précurseur, dirait-il : « C'est moi qui dois être baptisé par vous », s'il était exempt de toute faute absolument, s'il n'y avait en lui rien à guérir, rien à purifier? Il croit avoir des dettes, et tu déclares le contraire, sans doute pour qu'il n'en soit pas déchargé. « C'est moi qui dois être baptisé par vous » ; j'ai besoin de votre baptême, il m'est nécessaire. Ce baptême, il le reçut alors ; car il n'était pas hors de l'eau, quand le Seigneur était dans l'eau. Pourquoi en dire davantage? Maintenant au moins, s'il est possible, que la contradiction se taise, puisque le Sauveur lui-même a délivré son héraut.
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