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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

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SERMON CCLXXXVI. SAINT GERVAIS ET SAINT PROTAIS, MARTYRS. GLOIRE DES SAINTS MARTYRS.

 

ANALYSE. — Martyr signifie témoin. Or, la première gloire des saints martyrs est d'avoir rendu à Dieu le plus haut témoignage qui se puisse imaginer. Une autre gloire des saints martyrs est d'être aujourd'hui aussi honorés dans le monde qu'ils y ont été décriés de leur vivant. Une autre gloire enfin, ce sont les miracles que Dieu accorde souvent à leur intercession : j'ai été témoin de plusieurs prodiges opérés à Milan par saint Gervais et saint Protais. Ne vous étonnez pas cependant de n'obtenir pas toujours les faveurs et les guérisons que vous sollicitez. Vous êtes souvent mieux exaucés quand Dieu parait ne pas vous exaucer. Ainsi il a accordé beaucoup plus aux Macchabées en ne pas les délivrant de la fureur d'Antiochus , qu'aux trois jeunes Hébreux préservés miraculeusement des atteintes de la flamme dans la fournaise de Babylone. Prenez donc courage et sachez que même sur votre lit vous pouvez arriver à la gloire du martyre.

 

l. Le mot martyr est un terme grec que fon emploie habituellement comme s'il était latin, et qui signifie témoin. Il y a donc de frais martyrs et il y en a de faux, comme il y a de vrais, et de faux témoins. « Le faux témoin, dit l'Ecriture, ne restera pas impuni (1)». Si le faux témoin ne doit pas rester sans châtiment, le témoin véridique ne restera pas sans couronne.

 

1. Prov. XIX, 5, 9.

 

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Sans doute il était facile de rendre témoignage à Jésus-Christ Notre-Seigneur et de confesser la vérité de sa divinité; l'affaire importante était de la confesser jusqu'à la mort. Il y avait, observe l'Evangile, des notables parmi les Juifs qui croyaient au Seigneur Jésus, mais que la peur des autres Juifs empêchait de l'avouer publiquement. Mais l'écrivain sacré fait aussitôt cette remarque: « C'est qu'ils aimaient la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu (1)». Ainsi plusieurs ont rougi de confesser le Christ devant les hommes. Il y en a eu d'autres qui valaient mieux et qui n'ont pas rougi de le confesser publiquement, mais qui n'ont pu le confesser jusqu'à la mort. Ces différents degrés de dévouement sont des grâces de Dieu, et ces grâces parfois ne se développent que peu à peu dans l'âme.

Arrêtez-vous d'abord ici, et comparez entre eux ces trois sortes de témoins : l'un, qui croit au Christ et ose à peine murmurer son nom ; l'autre, qui croit également au Christ, mais qui le confesse publiquement; un autre enfin qui croit aussi au Christ et qui est tout disposé à mourir pour lui en le confessant. Le premier est si faible que la timidité plutôt que la crainte suffit pour le vaincre; le second a du front et de la fermeté, mais pas encore jusqu'au sang; le troisième a tout ce qu'il faut et on ne peut lui souhaiter plus que ce qu'il a, car on voit en lui la fidélité à ce commandement: « Combats pour la vérité jusqu'à la mort (2) ».

2. Que disons-nous de Pierre ? Qu'il a prêché le Christ, après en avoir reçu la mission, et qu'avant la passion même il a publié l'Evangile. Nous savons en effet que le Seigneur envoya ses Apôtres prêcher l'Evangile : Pierre fut envoyé et prêcha comme eux. Combien donc il l'emportait sur ces Juifs qui n'osaient se prononcer publiquement pour le Christ ! Alors toutefois il ne ressemblait point encore ni à saint Gervais ni à saint Protais. Il était Apôtre, le premier des Apôtres et intimement uni au Seigneur, qui lui adressa même cette parole : « Tu es Pierre (3) » ; mais il n'était encore ni Gervais ni Protais, il n'était pas même ce que fut Némésien, un enfant; Pierre n'était pas cela encore; il n'était pas ce que furent des femmes, de jeunes filles, une Crispine,

 

1. Jean, XII, 43. — 2. Eccli. IV, 35. — 3. Matt. XVI, 18.

 

une Agnès; Pierre n'était pas encore ce que fut la faiblesse de ces femmes.

Je loue Pierre; mais je commence par rougir pour lui. Quelle âme ardente ! mais il ne sait se modérer. Si son âme n'était une âme ardente, il ne dirait pas au Sauveur: Je mourrai pour vous; « me fallût-il mourir pour vous, je ne vous renierai.point (1)». Mais le Médecin qui voyait les pulsations de son coeur, lui fit connaître le danger de cette ardeur. « Toi, lui dit-il, tu mourras pour moi. En vérité je te le déclare, avant que le coq ait chanté tu me renieras trois fois (2) ». Ainsi le Médecin avertissait-il le malade de ce qu'ignorait celui-ci ; et le malade reconnut qu'il avait faussement présumé de lui-même, quand on lui demanda : « Es-tu l'un d'entre eux (3)? » La question venait d'une servante: c'était comme la fièvre. La fièvre donc s'avance, elle saisit le malade; que dis-je? le voilà en danger, il meurt. N'est-ce pas mourir que de renoncer à la vie? Pierre a renié le Christ, il a renoncé à la vie, il est mort.

Cependant Celui qui ressuscite les morts « regarda Pierre, et il pleura amèrement (4) ». Il était mort en reniant, il ressuscita en pleurant. Le Seigneur ensuite mourut d'abord pour lui, comme il le fallait; plus tard Pierre mourut pour le Seigneur, comme le demandait la convenance, et les martyrs l'ont suivi. Une fois tracée et aplanie sous les pieds des Apôtres, la voie est devenue plus douce pour ceux qui ont marché derrière eux.

3. Les martyrs ont été sur toute la terre comme une semence de sang, et cette semence a produit la moisson de l'Eglise. Morts, ils ont plus glorifié le Christ que pendant leur vie; aujourd'hui encore ils le publient, ils le prêchent : leur langue se tait, mais leurs actions parlent. On les arrêtait, on les garrottait, on les emprisonnait, on les traduisait, on les torturait, on les brûlait, on les lapidait, on les flagellait, on les exposait à la dent des bêtes, et malgré tant de genres de mort on se riait d'eux comme de gens de rien : mais « devant Dieu est précieuse la mort de ses saints (5) ». C'était seulement aux yeux du Seigneur qu'elle était précieuse alors, aujourd'hui c'est aussi devant nous. Quand, alors, c'était un opprobre d'être chrétien, la mort des saints était aux yeux des hommes une

 

1. Matt. XXVII, 35. — 2. Jean, XIII, 37, 38. — 3. Matt. XXVI, 69. — 4. Luc, XXII, 61, 62. — 5. Ps. CXV, 15.

 

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mort ignominieuse; on les détestait, on les exécrait, et on souhaitait comme une malédiction de mourir, d'être crucifié , d'être brûlé comme eux. Quel fidèle n'ambitionne aujourd'hui ce genre de malédiction?

4. Aujourd'hui donc, mes frères, nous célébrons la mémoire, vivante en ce lieu, de saint Gervais et de saint Protais, martyrs de Milan. Nous ne solennisons par le jour où leur monument a été élevé parmi nous, mais le jour où leurs cendres précieuses devant le Seigneur ont été découvertes par l'évêque Ambroise, un homme de Dieu. Je fus témoin alors de la gloire immense de ces martyrs; j'étais là, j'étais à Milan; je connais les miracles que Dieu y a opérés, pour rendre témoignage à la mort précieuse de ses saints; car ces miracles devaient faire que cette mort, déjà précieuse devant Dieu, devint précieuse aussi aux yeux des hommes. Un aveugle fort connu de toute la ville recouvra la vue; il accourut, se fit conduire et retourna sans guide. Nous n'avons pas encore entendu dire qu'il soit mort; peut-être vit-il encore. Il se dévoua à servir toute sa vie dans la basilique où reposent leurs corps. Que nous étions heureux  de lui voir la vue rendue ! nous l'avons laissé occupé de son service (1).

5. Dieu ne cesse de se rendre témoignage, et il sait comment il doit faire ses miracles; lisait prendre les moyens de les rendre éclatants, empêcher qu'on ne vienne à les dédaigner. Il n'accorde pas à tous la santé par l'intercession des martyrs ; mais à tous ceux qui imitent les martyrs il promet l'immortalité. S'il ne donne pas à tous, que ne s'en inquiète point celui à qui il ne donne pas, afin d'obtenir ce qui est promis au terme, qu'il ne murmure point de ce que Dieu refuse. Ceux que Dieu guérit miraculeusement aujourd'hui ne meurent-ils pas quelque temps après? Mais ceux qui ressusciteront plus tard vivront éternellement avec le Christ.

Comme chef il nous a précédés et il attend que ses membres le suivent; le corps entier, le Christ et l'Eglise, sera complet alors. Ah ! qu'il nous voie marqués sur son livre et que durant cette vie il nous donne ce qui nous est utile. Il sait en effet ce qui convient à ses enfants. « Si donc, dit-il, tout méchants que vous soyez, vous savez faire à vos fils des dons

 

1. Voir Cité de Dieu, liv. XXII, ch. 8 ; Conf. liv. IX, ch. 7.

 

utiles, à combien plus forte raison votre Père qui est aux cieux donnera-t-il ce qui est bon à ceux qui lui en feront la demande (1)? » Or, qu'est-ce qui est bon? Les choses temporelles? Dieu les donne aussi; mais il les donne également aux infidèles. Il les donne aussi; mais il les donne également et aux impies et aux blasphémateurs de son nom. Cherchons ce qui est bon, mais ce que les méchants ne sauraient posséder comme nous. Ce Père sait donner à ses enfants ce qui leur est avantageux. Voici un fils qui lui demande la santé du corps ; il ne la lui donne pas, il continue à le frapper. Est-ce qu'un père, même en frappant, ne fait pas du bien ? Il emploie la verge, mais aussi pense au patrimoine qu'il réserve. « Il frappe, dit l'Ecriture, tous les enfants qu'il accueille; car le Seigneur corrige qu’il aime (2) ».

Si je vous parle ainsi, mes frères, c'est pour vous détourner de vous laisser aller à la tristesse lorsque vous demandez sans obtenir, et de croire que Dieu vous perd de vue, si pendant quelque temps il n'exauce pas vos désirs. Est-ce que le médecin fait toujours la volonté de son malade? Il n'est pas douteux néanmoins qu'il ne travaille et n'aspire à lui rendre la santé. Il ne lui donne pas ce qu'il demande; mais il lui assure ce qu'il ne demande pas. Il lui refuse l'eau froide: est-ce cruauté de sa part ? Il est venu pour guérir le malade; il suit les règles de son art, il n'est pas cruel. Il ne lui donne pas ce qui pour le moment lui ferait plaisir. mais s'il lui refuse quelque chose pendant qu'il est malade encore, c'est afin ,de pouvoir lui laisser toute liberté quand il sera guéri.

6. Réfléchissez, mes frères, aux divines promesses. Croyez-vous qu'à ces martyrs Dieu ait toujours donné ce qu'ils demandaient? Non. Beaucoup d'entre eux lui ont demandé d'être mis en liberté et d'y être mis miraculeusement, comme y furent mis les trois jeunes hommes jetés dans la fournaise. Que dit alors le roi Nabuchodonosor? «C'est qu'ils ont espéré en Dieu et ont résisté à l'ordre du roi ». Quel aveu dans un prince qui cherchait à leur ôter la vie ! Il voulut d'abord les livrer aux flammes, puis ils firent de lui un croyant ! Mais s'ils étaient morts dans ces flammes, ils eussent été couronnés à l'insu et sans profit

 

1. Matt. VII, 11. — 2. Héb. XII, 6.

 

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pour ce prince. Dieu donc leur conserva la vie quelque temps encore, afin d'amener à la foi cet infidèle, afin de le porter à louer Dieu après les avoir condamnés à mort.

Le Dieu des jeunes hébreux était aussi le Dieu des Macchabées. Il délivra des flammes les Premiers (1), et y laissa mourir les seconds (2). Aurait-il changé? Aimerait-il les uns plus que les autres ? La couronne donnée aux Macchabées était plus belle. Sans doute les jeunes Hébreux échappèrent aux flammes; mais ils restèrent exposés aux dangers de ce siècle, tandis que les autres trouvèrent au milieu des flammés la cessation de tout danger. Pour eux, plus de tentation, mais uniquement la couronne. Il est donc bien vrai que les Macchabées reçurent davantage.

Réveillez votre foi, ouvrez les yeux du mur et non ceux du corps; car vous avez au dedans d'autres yeux que ceux-ci : le Seigneur  vous les a formés quand il vous a ouvert les yeux du coeur en vous donnant la foi. Demandez donc à ces yeux du corps si ce sont les Macchabées ou les jeunes Hébreux qui ont reçu davantage. C'est à la foi que je m'adresse. Si j'interrogeais les amis de ce siècle : Pour moi., me dirait une âme faible, j'aurais voulu être du nombre de ces jeunes Hébreux. Rougis, malheureux, devant cette mère des Macchabées qui voulut voir mourir ses fils devant elle, parce qu'elle savait qu'ils ne mourraient point.

 

1. Dan. III, 95. — 2. II Macc. VII.

 

7. Je me rappelle quelquefois les relations des miracles faits par les martyrs, qu'on lit sous vos yeux (1). On a lu, il y a quelques jours, dans une de ces relations, qu'une malade en proie aux douleurs les plus vives ayant dit : Je ne puis les supporter, le martyr qui était. venu. pour la guérir répondit : Que serait-ce si tu prolongeais ton martyre? Beaucoup donc souffrent le martyre sur leur couche ; oui, beaucoup. Satan les y persécute d'une manière plus dissimulée et plus adroite qu'il ne faisait alors. Voici un fidèle étendu sur son lit, il souffre cruellement, il prie et n'est pas exaucé; ou plutôt il est exaucé, mais il est éprouvé, exercé; et pour être reçu comme un fils, il est frappé de verges. Or, pendant qu'il souffre ainsi cruellement, voici une langue de tentateur : c'est une petite femme, c'est peut-être un homme, si toutefois on mérite alors le nom d'homme, qui s'approche du lit et qui dit au patient : Fais telle ligature, et tu seras guéri ; recours à tel enchantement, et la santé te sera rendue. C'est par là que se sont trouvés guéris, tu peux t'en assurer, un tel, un tel et encore un tel. Le malade ne se laisse point ébranler, il ne suit pas ce conseil, il ne consent pas à cette recommandation, mais il combat. Il est sans force, et pourtant il triomphe du diable; sur son lit il devient martyr et il est couronné par Celui qui est mort pour lui attaché à la croix.

 

1. Voir Cité de Dieu, liv. XXII, ch. 8.

 

 

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