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SERMON CCCXXVII. POUR UNE FÊTE DE MARTYRS. II. CE QUI FAIT LE MARTYR.
ANALYSE. Les martyrs en appellent au mérite de la cause qu'ils soutiennent. Ce qui prouve que c'est la cause, plutôt que la souffrance, qui fait le martyr, c'est que les coupables souffrent souvent comme les justes, c'est que le mauvais larron a souffert comme le bon, mais n'a pas été récompensé comme lui.
1. En empruntant la parole des martyrs, nous avons chanté devant Dieu : « Jugez-moi, Seigneur, et distinguez ma cause de celle d'un peuple impie (1)». C'est bien là le cri des martyrs. Qui oserait dire : « Jugez-moi, Seigneur », s'il n'était pour la bonne cause? Les promesses et les menaces servent à tenter l'âme ; charmée par le plaisir, elle est torturée par la douleur; mais tout cela, pour le Christ, a été vaincu par les invincibles martyrs. Ils ont vaincu le monde avec ses promesses, le monde aussi avec ses rigueurs, sans être arrêtés, ni par ses caresses, ni par ses tourments. Une fois purifié dans la fournaise, l'or ne craint plus le feu de l'enfer. Aussi, parce qu'il est purifié par le feu de l'affliction, le bienheureux martyr dit-il en paix : « Jugez-moi, Seigneur ». Quel que soit le bien que vous trouviez en moi, jugez. C'est vous qui m'avez donné de quoi vous plaire ; voyez-le
1. Ps. XLII, 1.
en moi, et jugez-moi. Les appas du siècle ne m'ont point charmé, ses tourments ne m'ont point éloigné de vous. « Jugez-moi, et distinguez ma cause de celle d'un peuple impie ». Beaucoup supportent des tourments; avec les mêmes souffrances ils ne soutiennent pas la même cause. Que n'endurent pas les adultères, les malfaiteurs, les larrons, les homicides, les scélérats de tous genres? Et moi, votre martyr, que n'ai-je pas à endurer? Mais « distinguez ma cause de celle d'un peuple impie», de celle des larrons, des meurtriers, de tous les scélérats. Ils peuvent souffrir ce que je souffre; ils ne sauraient défendre la même cause. La fournaise me purifie, elle les réduit en cendres. Les hérétiques souffrent aussi, la plupart du temps ils se font souffrir eux-mêmes et veulent passer pour martyrs. C'est contre eux que nous nous sommes écriés : « Distinguez ma cause de celle d'un peuple impie ». Ce n'est pas la souffrance, c'est la cause qui fait le martyr.
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2. Durant la passion du Seigneur, trois croix étaient dressées; le supplice était le même, la cause était bien différente. A la droite était un larron, un autre à la gauche, au milieu le Juge, le Juge élevé entre l'un et l'autre pour prononcer l'arrêt du haut de son tribunal. Il entendit l'un lui dire : « Délivre-toi, si tu es juste »; et l'autre, au contraire, reprendre ainsi son compagnon : « Tu ne crains donc pas Dieu ? Nous souffrons pour nos crimes, nous; mais lui est juste ». La cause de ce larron était mauvaise, et il en distinguait la cause des martyrs. N'est-ce pas ce que signifient ces mots : « Nous souffrons, nous, pour nos crimes, mais lui est juste? » N'est-ce pas distinguer ici la cause des martyrs de la cause des impies quand ils sont châtiés? Lui, dit-il, est reconnu pour être juste; nous, au contraire, nous souffrons pour nous-mêmes, pour nos crimes. « Seigneur » : n'oublie pas ce que le bon larron vient de dire à son compagnon de supplice. Le Christ, sans doute, était crucifié comme lui , mais à ses yeux il n'était, pas digne du même mépris. Pendu à côté de lui, il voyait en lui le Seigneur. Tous deux étaient sur la croix, la récompense n'était pas la même pour tous deux. Mais pourquoi parler des récompenses, quand il s'agit du Christ qui les distribue? « Seigneur, dit donc le bon larron, souvenez-vous de moi lorsque vous serez arrivé dans votre royaume ». Il le voyait cloué, crucifié, et il espérait qu'il régnerait ! « Souvenez-vous de moi », lui dit-il, non pas maintenant , mais « lorsque vous serez arrivé dans votre royaume ». J'ai fait beaucoup de mal, je ne compte point parvenir promptement au repos ; mais contentez-vous de ce que je souffrirai jusqu'au jour de votre avènement. Je consens à être maintenant châtié; mais pardonnez-moi quand vous reviendrez. Ainsi s'ajournait-il lui-même; mais, sans qu'il le demandât, le Christ lui offrit le paradis. « Souvenez-vous de moi »; quand? « quand vous serez arrivé dans votre royaume. « En vérité, je te l'assure, reprit le Seigneur, tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis (1) ». Mes disciples m'ont abandonné, mes disciples ont désespéré de moi; et toi, tu m'as reconnu sur la croix, tu ne m'as point méprisé quand j'expire, tu comptes, que je régnerai « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis ». Je ne te quitte point. La cause ici est différente, la peine l'est-elle? Il est donc bien de dire : « Jugez-moi, Seigneur, et distinguez ma cause de celle d'un peuple impie ». Nous tous qui vivons en ce siècle, ah ! travaillons pour la bonne cause ; et si quelque accident nous survient durant la vie, que notre cause soit bonne quand nous en sortirons.
1. Luc, XXIII, 39, 43.
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