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SERMON CCXXXVI. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. VII. CHARITÉ FRATERNELLE (1).
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ANALYSE. Quoique Jésus-Christ fût mort pour nous purifier et ressuscité pour nous justifier, les Apôtres après sa mort et insurrection n'avaient pas même la foi ! Quel malheur pour eux ! En donnant l'hospitalité au Sauveur, qu'ils ne connaissaient pas, les disciples ouvrirent les yeux et furent justifiés. Qui donc pourrait exciter suffisamment aux oeuvres charitables ?
1. Ainsi que renseigne l'Apôtre, Jésus-Christ Notre-Seigneur « a été livré pour nos péchés, puis il est ressuscité pour notre justification (2) ». Sa mort nous jette à terre comme one semence, sa résurrection nous en fait sortir comme un germe. Sa mort, en effet, nous apprend à mourir à notre vie. Ecoute l'Apôtre : « Par le baptême, nous avons été ensevelis avec le Christ pour mourir, afin que comme de Christ est ressuscité d'entre les morts, nous aussi nous menions une vie nouvelle (3)». Il n'avait rien à expier sur la croix, puisqu'il lest monté sans péché; c'est à nous de nous piller par la vertu de ses souffrances, de placer sur cette croix tout le mal que nous avons commis, afin de pouvoir être justifiés par sa résurrection. Car tel est le sens précis attaché à ces deux membres de phrase : « Il a été livré pour nos péchés, puis il est ressuscité pour notre justification ». Il n'est pas dit: Il a été livré pour notre justification, puis il est ressuscité pour nos crimes. A sa passion est attachée l'idée de crime et l'idée de justice à sa résurrection. 2. Mais ce don, cette. promesse, cette grâce immense de la justification, tout, à la mort du Christ, s'évanouit pour ses disciples, ils perdirent même l'espérance. On leur annonçait la résurrection du Sauveur, mais ils regardaient cette nouvelle comme du délire; oui, la vérité hait pour eux du délire. Quand aujourd'hui on prêche la résurrection, ne plaint-on pas amèrement celui qui la considère comme une imagination vaine? Tous ne repoussent-ils pas, tous n'ont-ils pas en horreur et en aversion cette incrédulité? On se ferme les oreilles, on
1. Luc, XXIV, 13-31. 2. Rom. IV, 25. 3. Ib. VI, 4.
refuse d'écouter. Voilà pourtant ce qu'étaient les Apôtres après la mort de leur Maître; ils avaient des idées qui nous font horreur aujourd'hui; ces chefs du troupeau étaient coupables d'un crime qui fait horreur aux agneaux. Quant à ces deux disciples à qui le Seigneur se montra sur la route et dont les yeux étaient retenus pour qu'ils ne le reconnussent pas, leurs paroles font connaître où ils en étaient, leur langage témoigne de ce qui se passait dans leur coeur, pour nous et non pour lui, car son regard plongeait au fond de leur âme. Ils s'entretenaient donc de sa mort; et lui se joignit à eux comme un troisième voyageur mais c'était la Voie même qui sur la voie leur parlait et échangeait avec eux des discours. Il leur demanda, quoiqu'il sût tout, de quoi ils s'entretenaient; mais c'était pour les amener à un aveu qu'il faisait ainsi l'ignorant. « Etes-vous le seul assez étranger à Jérusalem, lui répondirent-ils, pour ignorer ce qui vient de s'y passer à propos de Jésus de Nazareth, qui a été un grand prophète ? » Pour eux donc il n'était plus le Seigneur, mais un prophète ; et telle est l'idée que sa mort leur avait donnée de lui. Ils l'honoraient encore comme un prophète; ils ne le reconnaissaient pas comme le Seigneur des prophètes et des anges mêmes. « Et comment, poursuivent-ils, nos anciens et les princes des prêtres l'ont livré pour être condamné à mort. Et voilà déjà le troisième jour que tout cela s'est accompli. Nous espérions pourtant que c'était lui qui devait racheter Israël ». C'est à cela que se réduisent tous vos efforts? Vous espériez, et déjà vous désespérez? Vous voyez bien qu'ils n'avaient plus d'espoir. Aussi le Sauveur commença-t-il à leur (266) expliquer les Ecritures, afin de leur faire voir le Christ là surtout où ils l'avaient méconnu et délaissé. Ce qui les avait portés à désespérer, c'est qu'ils l'avaient vu mort; et lui leur fit voir dans les Ecritures que sans mourir il ne pouvait être le Christ. Il leur démontra par les livres de Moise, par les suivants, et par les prophètes, qu' « il fallait », comme il le leur avait dit, « que le Christ mourût et entrât ainsi dans sa gloire ». Ils l'écoutaient avec des transports, avec des soupirs, et, comme ils l'exprimèrent, avec un coeur enflammé; mais ils ne reconnaissaient pas encore la lumière qui brillait à leurs yeux. 3. Quel mystère profond, mes frères ! Jésus entre chez eux, il devient leur hôte; et à la fraction du pain ils le reconnaissent, quand sa vie entière n'a pu suffire à leur ouvrir les yeux. Apprenez donc à pratiquer l'hospitalité, puisque c'est le moyen de reconnaître le Christ. Ignorez-vous que recevoir un chrétien, c'est le recevoir lui-même ? N'est-ce pas lui qui dit : « J'étais étranger, et vous m'avez et accueilli? » Qu'on lui demande alors: « Quand vous avons-nous vu étranger? » Il répond : « Lorsque vous avez fait du bien aux derniers de mes frères, c'est à moi que vous en avez fait (1) ». Par conséquent, lorsqu'un chrétien reçoit un chrétien, c'est un membre qui rend service à un autre membre; le Chef se réjouit alors et considère comme donné à lui-même ce que reçoit un de ses membres. Ici donc nourrissons le Christ quand il a faim, donnons-lui à boire quand il a soif, des vêtements quand il en manque, l'hospitalité quand il voyage, et visitons-le quand il est malade. C'est ce que réclame notre vie voyageuse;
1. Matt. XXV, 35, 38,40.
c'est ce qu'il faut faire dans cet exil où le Christ est indigent, car tout riche qu'il soit en lui-même, dans les siens il est pauvre. Oui, riche en lui-même, dans les siens il est pauvre; c'est pourquoi il appelle à lui tous ceux qui sont dans le besoin. Avec lui en effet il n'y aura ni faim, ni soif, ni nudité, ni maladie, ni exil, ni fatigue, ni douleur. Je sais qu'on n'éprouvera rien de tout cela; mais qu'éprouvera-t-on? Je l'ignore. La raison en est que je connais trop ces souffrances, tandis que l'oeil n'a point vu, ni l'oreille entendu,ni le coeur de l'homme pressenti les biens qu'on goûtera près de lui (1). Nous pouvons, durant ce voyage, aimer ces biens immenses, les désirer, les appeler de tous nos soupirs; nous ne saurions nous les représenter ni en parler convenablement. Pour mon compte, j'en suis sûrement incapable. Cherchez donc, mes frères, qui sera plus heureux que moi. Si vous parvenez à trouver quelqu'un ; menez-moi pour être avec vous son disciple. Ce que je sais, c'est que a Celui qui peut faire au-delà « de nos demandes , de nos conceptions mêmes (2) », conduira ses élus dans ce séjour où s'accompliront ces paroles : « Heureux ceux qui habitent en votre demeure, ils vous béniront durant les siècles des siècles (3) ». Là toute notre occupation sera de louer Dieu. Mais comment louer si nous n'aimons pas, et aimer si nous ne voyons pas? Nous verront donc alors la Vérité, et cette Vérité sera Dieu même, l'objet de nos louanges. Là nous contemplerons cet Amen que nous avons chanté aujourd'hui; c'est la Vérité même. Alleluia, louez le Seigneur.
1. I Cor, II, 9. 2. Ephés. III, 20. 3. Ps. CXXXIII, 5.
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