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SERMON CCCXVIII. FÊTE DE SAINT ÉTIENNE, MARTYR. V. ÊTRE FIDÈLE JUSQU'A LA MORT.
ANALYSE. Pour y placer une portion des reliques de saint Etienne, découvertes miraculeusement, nous avons élevé un autel. Vous trouverez ici un modèle à imiter. Dans le dessein de témoigner à Dieu leur fidélité, les martyrs ont fait plus que de mépriser les caresses du monde, ils ont triomphé de ses tourments, de la mort même. Vous aussi, quand pour vous guérir on vous offre un remède coupable, préférez la mort, comme les martyrs, et comme eux vous porterez la palme.
1. Votre sainteté s'attend à savoir ce qu'on vient aujourd'hui de placer en ce lieu : ce sont des reliques du bienheureux Etienne, le premier martyr. Vous avez remarqué, pendant qu'on lisait l'histoire de son -martyre dans le livre canonique des Actes des Apôtres, comment il fut lapidé par les Juifs, comment il recommanda son esprit au Seigneur, comment encore il s'agenouilla à la fin, pour intercéder en faveur de ses bourreaux (1). Eh bien ! son corps est resté caché jusqu'à cette époque; dernièrement on l'a découvert comme on découvre habituellement les corps des saints martyrs, sur une révélation divine et quand il plait à leur Créateur. C'est ainsi qu'il y a quelques années, lorsque jeune homme encore nous étions établi à Milan, on découvrit les corps des saints martyrs Gervais et Protais. Vous savez que saint Gervais et saint Protais ont souffert bien longtemps après le bienheureux Etienne. Pourquoi l'invention de leur corps a-t-elle eu lieu avant l'invention du sien? Que personne ne dispute là-dessus; la volonté de Dieu demande la foi plutôt qu'aucune dispute. Ce qui prouve que la révélation était véritable, c'est qu'on montra réellement ce que d'après elle on avait découvert. Des prodiges commencèrent par indiquer le lieu des reliques, et on les trouva comme l'avait dit la révélation. Plusieurs en emportèrent, parce que Dieu le voulut, et il en est arrivé jusqu'à nous. Voilà ce qui consacre pour votre charité et ce jour et ce lieu; vous les respecterez l'un et l'autre en l'honneur du Seigneur confessé par Etienne; car ce n'est pas à Etienne que nous avons élevé ici un autel, mais avec les reliques (548) d'Etienne nous avons dressé un autel à Dieu même. Dieu aime ces autels. Pourquoi? demandes-tu: C'est que « la mort de ses saints est précieuse aux yeux du Seigneur (1) ». Rachetés par le sang, ils ont répandu leur sang pour leur Rédempteur. Lui a répandu le sien pour obtenir leur salut; eux ont répandu le leur pour publier son Evangile. Ils l'ont payé de retour, mais non par leurs propres forces; c'est à lui qu'ils doivent et de l'avoir pu et de l'avoir fait; il leur a accordé et sa grâce et l'occasion d'en profiter. Ils en ont profité réellement, ils ont souffert et foulé le monde aux pieds. 2. Peu contents de dédaigner les délices du siècle, ils en ont vaincu les supplices, les menaces et les tourments. Sans doute il est fort beau de dédaigner, pour la gloire de Dieu, ce qui flatte ; mais il est moins beau encore de mépriser ce qui flatte, que de triompher de ce qui blesse. Suppose qu'on dit à un homme Renie le Christ et je te donne ce qui te manque; que cet homme ait méprisé ce qui est de nature à flatter, et qu'il n'ait point renié le Christ. Le persécuteur ajoute : Tu ne veux point ce qui te manque? je t'enlève ce que tu as. Mais cet homme craint plus de perdre qu'il n'aime de gagner; aussi est-il plus facile de ne pas manger que de vomir. Il n'a pas gagné, il n'a pas mangé; en perdant même ce qu'il avait gagné, il a comme vomi ce qu'il avait mangé. Si, en ne mangeant pas, on se prive d'un plaisir de bouche, en vomissant on s'arrache en quelque sorte l'estomac. Ainsi donc, on montre plus de force lorsqu'en confessant le Christ on ne redoute point de perdre, que lorsqu'on dédaigne de gagner. Quelles pertes n'essuie-t-on pas alors? Perte d'argent, perte de son patrimoine, perte de tout ce qu'on possédait. L'ennemi, toutefois, ne touche pas encore de fort près; on n'a perdu que ce qui est en dehors de soi; et si on n'aimait pas ces biens en les possédant, on ne s'afflige pas en les perdant. Pour exprimer en deux mots ma pensée, leur perte cause autant de douleur que leur possession a pu faire de plaisir. Le persécuteur de cette époque, qui mettait à mort les saints, ne se contentait pas de dire: Je. te dépouille de ce que tu possèdes ; il ajoutait Je vais te torturer, t'enchaîner, te tuer. Ne pas craindre cela, c'était vaincre le monde; combattre
1. Ps. CXV, 15.
jusque-là, c'était pousser jusqu'au dernier degré la lutte soutenue en faveur de la vérité. C'est ce que nous lisons dans l'épître aux Hébreux : « Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang en combattant le péché (1) ». Combattre ainsi contre le péché jusqu'au sang, c'est être parfait. Qu'est-ce à dire contre le péché ? Contre le grand péché, contre le renoncement au Christ. Vous savez comment Suzanne a jusqu'au sang combattu contre le péché (2). Mais les femmes ne doivent pas s'estimer seules heureuses d'un trait pareil, et les hommes ne sont pas réduits à regretter pour quelqu'un d'entre eux la gloire de Suzanne. Ne savez-vous pas, en effet, comment Joseph, lui aussi, lutta contre le péché jusqu'au sang (3)? La cause était la même. Suzanne eut pour faux témoins les misérables dont elle refusa de contenter la passion criminelle, et Joseph eut pour faux témoin la femme à qui il refusa son consentement. De part et d'autre le faux témoignage vint de ceux à qui on résista pour ne pas pécher; on ajouta foi à leurs dépositions, mais ils ne gagnèrent pas Dieu. Les deux innocents furent délivrés. Que dis-je? Ne l'eussent-ils pas été plus complètement encore, s'ils étaient morts, puisqu'à l'abri de tout danger, ils auraient reçu la couronne? Pourquoi dire qu'à l'abri de tout danger ils auraient reçu la couronne ? Parce qu'ils n'eussent plus été exposés à aucune tentation. Quoique délivrée, Suzanne y était sujette encore; et, tout délivré qu'il fût, Joseph aussi y était sujet. Pourquoi? Parce que « la vie humaine n'est qu'une tentation sur terre (4) ». Jusqu'à la mort tout y est tentation ; après la mort, il n'y a plus que félicité, mais pour les saints dont la mort a été précieuse aux yeux de Dieu. C'est ainsi que Suzanne et Joseph ont lutté jusqu'au sang, l'une contre le péché d'adultère, et l'autre contre un péché de même nature. Mais il y a plus de mal à renier le Christ qu'à commettre un adultère. L'adultère charnel consiste dans des rapports illicites; l'adultère du coeur, à renier la vérité. La foi, l'esprit doivent avoir aussi leur chasteté. C'est par la perte de cette espèce de chasteté que s'est corrompue Eve, notre première mère. Veux-tu savoir combien fut énorme le crime de cette corruption ? Considère combien sont énormes
1. Héb. XII, 4. 2. Dan. XIII. 3. Gen. XXXIX. 4. Job. VII, 1.
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les calamités qui pèsent sur nous, ses enfants. Je vais, pour prouver ce que je dis, citer la sainte Ecriture : « Le péché a commencé par la femme, et par elle nous mourons tous (1) ».Eh bien t ce qui lui a été infligé comme châtiment, les martyrs le dédaignent en vue de la victoire. Dieu a menacé de la mort nos premiers parents pour les détourner du péché; l'ennemi en a menacé les martyrs pour les entraîner au péché. Les premiers ont péché pour mourir; les martyrs sont morts pour ne pécher pas. Ce qui a été pour les uns une source de châtiment, a été pour les autres un principe de gloire. 3. Ainsi les martyrs ont lutté et ont vaincu. Mais, après avoir vaincu, les premiers d'entre eux n'ont pas rompu le pont par où ils ont passé, pour nous empêcher de passer à leur suite. Ce pont reste ouvert à qui veut passer. Sans doute on ne doit pas souhaiter des persécutions comme ils en ont endurées; mais la vie humaine est chaque jour en butte aux tentations. Un fidèle tombe-t-il malade? Voici le
1. Eccli. xxv, 33.
tentateur. Ce tentateur, pour le guérir, lui parle d'un sacrifice coupable, de quelque ligature criminelle et sacrilège, d'horribles enchantements, de consécration magique; il lui dit : Tel et tel, plus en danger que toi, se sont sauvés par ces moyens; emploie-les, si tu veux vivre; si tu n'en fais rien, tu mourras. Ceci ne revient-il pas à cette menace: Mort à toi, si tu ne renies le Christ? Ce que disait formellement au martyr le persécuteur, le tentateur secret te le dit indirectement aujourd'hui. Fais-toi ce remède, et tu guériras; n'est-ce pas dire: Sacrifie et tu conserveras la vie? Si tu ne le prends pas, tu mourras: n'est-ce pas dire: Mort à toi, si tu ne sacrifies? Ainsi tu as rencontré le même ennemi, aspire à la même palme. Ta couche est une arène; tout étendu que tu y sois, tu luttes: demeure ferme dans la foi, et, si fatigué que tu sois, tu es vainqueur. Ce lieu de prières sera donc pour vous, mes très-chers, un lieu de douces consolations. Honorez ici le saint martyr Etienne, mais adorez-y, en son honneur, Celui qui l'a couronné.
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