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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

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SERMON CCLXXXVIII. NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE. II. LA PAROLE ET LA VOIX.

 

ANALYSE. — Après avoir annoncé que pour célébrer la naissance du Précurseur il va sonder un grand mystère, saint Augustin rappelle que nonobstant son élévation au-dessus de tous les hommes et de tous les prophètes, saint Jean disait simplement de lui-même qu'il était la voix, la voix du Verbe ou de la Parole éternelle. Quels traits de ressemblance en effet entre la voix et saint Jean d'une part, entre la parole divine et Jésus d'autre part ! Il suffit d'en indiquer quelques-uns pour que l'esprit les saisisse.  1° La voix n'est rien sans la parole ou sans la pensée. Qu'est-ce que saint Jean sans Jésus? 2° Dans l'intelligence qui la conçoit, la parole ou la pensée précède la voix ou le mot qui doit l'exprimer en quelque langue que ce soit; mais dans l'esprit à qui s'adresse la pensée, la voix porte la pensée, elle la précède. N'est-ce pas ainsi que le Verbe existe d'abord dam l'intelligence divine et que pour arriver jusqu'à nous il a dû avoir un précurseur, des précurseurs même ; car s'il faut à fidèle bien des mots pour se communiquer, pourquoi le Fils de Dieu n'aurait-il pas eu à son service des patriarches, des prophètes, des Apôtres? 3° Enfin la parole n'est plus nécessaire quand on a la pensée. C'est ainsi que saint Jean diminue et disparaît quand se montre Jésus ; c'est ainsi, encore qu’il ne sera plus nécessaire de le faire connaître par la parole quand au ciel nous le verrons face à face.

 

1. En revenant aujourd'hui comme chaque année, la fête que nous célébrons actuellement nous rappelle qu'avant l'Admirable est né admirablement le Précurseur du Seigneur. C'est aujourd'hui surtout qu'il convient de contempler et de louer cette naissance. Si fou a consacré au souvenir de ce miracle un jour de chaque année, c'est pour que l'oubli n'efface de nos coeurs ni les bienfaits de Dieu ni les magnificences du Très-Haut.

Le héraut du Seigneur, Jean fut envoyé avant lui, mais après avoir été fait par lui ; car « par lui tout a été fait et sans lui rien ne l'a été ». C'était un homme envoyé devant l'Homme-Dieu, un homme reconnaissant son Seigneur, annonçant son Créateur, le distinguant intérieurement et le montrant du doigt quand il était déjà sur la terre. Voici en effet les paroles qu'il prononçait en montrant le Sauveur et en lui rendant témoignage: « Voilà l'Agneau de Dieu, voilà Celui qui efface le péché du monde (1)». N'était-il donc pas juste qu'une femme stérile fût la mère du héraut, et une Vierge celle du Juge? On vit dans la

 

1. Jean, 3, 29.

 

429

 

mère de Jean la stérilité devenir féconde, et dans la mère du Christ la fécondité n'altérer en rien la virginité.

Si votre patience, si votre ardeur paisible, si votre attention silencieuse me le permettent, je vous dirai avec l'aide du Seigneur ce que le Seigneur m'inspire de vous dire; et pour vous dédommager de votre attention, de votre application, je ferai sûrement pénétrer dans vos oreilles et dans vos coeurs des vérités qui touchent à un profond mystère.

2. Il y a eu avant Jean-Baptiste de nombreux, de grands et de saints prophètes, des prophètes dignes de Dieu et remplis de Dieu, qui annonçaient le futur avènement du Sauveur et prêchaient la vérité. D'aucun d'eux néanmoins on n'a pu dire, comme de Jean : « Nul ne s'est élevé, parmi les enfants des femmes, au-dessus de Jean-Baptiste (1)». Pourquoi cette grandeur envoyée devant la majesté ? Pour faire ressortir son' humilité profonde. Jean était si grand qu'on pouvait le prendre pur le Christ. Il lui était donc possible d'abuser de cette erreur répandue parmi ses contemporains et de leur persuader sans peine qu'il l'était réellement, puisque ceux qui le noyaient et l'entendaient se l'étaient imaginé tus qu'il l'eût dit. Il n'avait pas besoin de répandre l'erreur; il n'avait qu'à l'accréditer. Mais au lieu de prendre en adultère la place de l'Epoux, cet humble ami de l'Epoux, cet ami zélé de l'Epoux, rend témoignage à son ami et recommande à l'épouse celui qui est son époux véritable : il veut n'être aimé qu'en lui et aurait horreur qu'on l'aimât pour lui. L’Epoux, dit-il, est celui à qui appartient d'épouse ». Puis, comme si on lui demandait: Qu'es-tu donc? « Mais l'ami de l'Epoux, poursuit-il, reste debout, l'écoute et se réjouit d'entendre sa voix (2)». — « Il reste debout et l'écoute » ; c'est le disciple écoutant le maître, car s'il l'écoute il reste debout, ait lieu qu'il tombe s'il ne l'écoute pas. Ce qui montre principalement la grandeur de Jean, c'est qu'il aima mieux rendre témoignage au Christ, quand on pouvait le prendre pour le Christ; c'est qu'il aima mieux le mettre en relief et s'humilier que de passer pour le Christ et de tromper le monde.

C'est avec raison aussi qu'il est présenté comme étant plus qu'un prophète. Voici en

 

1. Matt. XI, 11. — 2. Jean, III, 29.

 

effet ce que dit le Seigneur lui-même, des prophètes qui ont précédé saint Jean: «Beaucoup de prophètes et de justes ont aspiré à voir ce « que vous voyez, et ne l'ont pas vu (1) ». Effectivement ces hommes remplis de l'Esprit de Dieu pour prédire l'avènement du Christ, auraient désiré, s'il eût été possible, voir le Christ présent sur la terre. Aussi bien, quand le Ciel prolongeait la vie a Siméon, c'était pour accorder à ce vieillard de voir sous la forme d'un nouveau-né Celui qui a créé l'univers (2). Sans doute il contempla dans son petit corps le Verbe de Dieu devenu enfant; mais cet Enfant n'enseignait pas encore, et tout Maître qu'il fût pour éclairer les anges auprès de son Père, il n'avait pas pris encore son rôle de Maître sur la terre. Siméon le vit donc, mais petit enfant; au lieu que Jean le vit quand il prêchait déjà et que déjà il faisait choix de ses disciples. Où le vit-il? Près du Jourdain ; c'est près de ce fleuve en effet que Jésus commença à enseigner. C'est là aussi que fut recommandé à la piété le futur baptême du Christ; car on y recevait un baptême avant-coureur qui semblait préparer la voie et dire: « Préparez la voie au Seigneur, rendez droits ses sentiers (3)». Si effectivement le Seigneur voulut recevoir le baptême de Jean serviteur, n'était-ce pas pour faire comprendre ce qu'on reçoit dans son baptême, à lui ? C'est donc par là qu'il commença ce qui justifiait cette antique prophétie: « Il dominera d'une mer à l'autre, et du fleuve jusqu'aux extrémités de l'univers (4) ». Eh bien ! ce fut près ale ce fleuve où commença la domination du Christ, que saint Jean vit, reconnut le Christ et lui rendit témoignage. Il s'humilia devant cette grandeur, pour être dans son humiliation relevé par elle. Il se dit bien l'ami de l'Epoux; mais quel ami ? Est-ce pour marcher avec lui sur le pied de l'égalité? Nullement: c'est pour marcher bien au dessous. A quelle distance de lui? « Je ne mérite pas « de dénouer les courroies de sa chaussure (5) ».

Aussi ce prophète, qui est plus qu'un prophète, mérita-t-il d'être prédit par un prophète. C'est de lui en effet que parlait Isaïe dans ce passage qu'on a lu aujourd'hui : « Voix de Celui qui crie dans le désert: Préparez la voie au Seigneur, rendez droits ses sentiers. Toute vallée sera comblée, toute montagne

 

1. Matt. XIII, 17. — 2. Luc, II, 25, 26. — 3. Matt. III, 3. — 4. Ps. LXXXI, 8. — 5. Marc, I, 7.

 

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et toute colline sera abaissée; les tortuosités seront redressées et les aspérités aplanies, et toute chair verra le salut de Dieu. Crie. Que crierai-je? Que toute chair est de l'herbe et que toute sa gloire est comme la fleur de l'herbe. L'herbe s'est desséchée, la fleur est a tombée : mais le Verbe du Seigneur subsiste éternellement (1)». Que votre charité se rende bien attentive. Quand on demanda à saint Jean qui il était, s'il était le Christ, Elie ou un prophète, « Je ne suis, répondit-il, ni le Christ, ni Elie, ni un prophète. — Qui êtes-vous donc?» reprirent les envoyés. — « Je suis la voix de Celui qui crie dans le désert ». Il se dit donc une voix; Jean est une voix. Et le Christ, pour qui le prends-tu, sinon pour le Verbe? La voix précède pour donner l'intelligence de la pensée du Verbe. De quel Verbe? Ecoute, on va te le dire clairement : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Dès le commencement il était en Dieu.Tout a « été fait par lui, et sans lui rien ne l'a été (2) ». Si par lui tout a été fait, Jean aussi l'a été par lui. Pourquoi nous étonner que le Verbe se soit formé une voix? Considère, considère tout à la fois près du fleuve et la Voix et le Verbe, Jean et le Christ.

3. Examinons ce qui distingue la voix et le verbe ; examinons avec attention, car c'est une chose importante et qui demande une application soutenue. Le Seigneur nous accordera de ne point nous fatiguer, moi en vous expliquant, et vous en écoutant.

Voici donc deux choses: La voix et le verbe ou la parole. Qu'est-ce que la voix? Qu'est-ce que la parole? Qu'est-ce? Ecoutez ce dont vous allez reconnaître la vérité en vous-mêmes, en vous interrogeant et en vous répondant intérieurement. Il n'y a parole qu'autant qu'il y a signification. Quand on fait seulement un bruit de lèvres, un bruit qui n'a point de sens, comme le bruit qu'on fait en criant sans parler véritablement, on peut dire qu'il y a voix, mais il n'y a point parole. Un gémissement est une voix; un cri plaintif est une voix. La voix est comme un son informe qui retentit aux oreilles sans rien dire à l'entendement; tandis qu'il n'y a parole qu'autant qu'il y a signification, qu'autant qu'on s'adresse à l'intelligence en frappant les oreilles. Je le

 

1. Isaïe, XL, 3-8. — 2. Jean, I, 20, 21, 1, 2, 3.

 

répète, un cri jeté, c'est une voix; mais prononcer les mots homme, troupeau, Dieu, monde, ou tout autre semblable, c'est parler. Car ces émissions de voix signifient quelque chose, elles ont du sens; elles ne sont pas de sains sons qui n'apprennent rien. Si donc vous comprenez cette différence entre la voix et la parole, contemplez-la avec admiration dans saint Jean et dans le Christ.

De plus, séparée même de la voix, la parole peut avoir son. efficacité ; tandis que sans la parole la voix est vaine. Rendons compte de cette proposition, expliquons-la si nous le pouvons. Tu voulais dire quelque chose;ce que tu veux dire est déjà conçu dans fou coeur; ta mémoire le garde, ta volonté se dispose à l'exprimer, c'est une idée vivante de ton intelligence. Mais ce que tu veux dire n'est encore formulé dans aucune langue; cette idée que tu veux émettre, que tu as conçue dans ton esprit n'est encore formulée dans aucune langue, ni grecque, ni latine, ni punique, ni hébraïque, aucune langue enfin; l'idée n'est encore que dans l'esprit, d'on elle se prépare à sortir. Remarquez bien : C'est une idée, c'est une pensée, c'est une raison que conçoit l'intelligence et qui se prépare à s'en échapper pour s'insinuer dans l'esprit de l'auditeur. Or, en tant que connue de celui qui la possède dans son entendement, cette idée est un verbe, une parole ; parole connue de celui qui doit la proférer, mais non de celui qui doit la recueillir. Voilà donc dans l'esprit une parole déjà formée, déjà entière et cherchant à s'en échapper pour se donner à qui l'entendra. Considère à qui il va s'adresser, celui qui a conçu cette parole intérieure qu'il veut manifester et qu'il voit distinctement en lui-même.

Au nom du Christ je veux me faire entendre des esprits cultivés qui sont dans cette église, j'ose même présenter à ceux qui ne sont pas dépourvus de toute instruction, des considérations plus métaphysiques. Que votre charité se rende donc attentive.

Voyez une parole conçue dans l'intelligence, elle cherche à en sortir, elle veut qu'on la profère; on examine à qui on va la porter. Rencontre-t-on un Grec ? On cherche une expression grecque pour la lui faire comprendre. Un Latin ? C'est un terme latin. Un Carthaginois? C'est une expression punique. Supprime ces différents interlocuteurs, et la parole intérieure n'est ni grecque, ni latine, ni (431) punique, ni d'aucune autre langue. Elle a besoin, pour se montrer, d'un son de voix connu de celui à qui on veut l'adresser.

Afin de vous faire parfaitement comprendre, je voudrais, mes frères, vous citer maintenant un exemple : je voudrais exprimer l'idée de Dieu. Cette idée conçue en moi est une idée grande; car ce n'est pas la syllabe, ce n'est pas ce petit mot que j'ai en vue, c'est l'idée même de Dieu. Je considère donc à qui je parle. Est-ce à un Latin? Je prononce : Deus. A un Grec? Theos. Au Latin donc je dis: Deus; au Grec: Theos. Entre ces deux mots il n'y a de différence que le son et les lettres qui le forment; mais dans mon esprit, dans l'idée que je veux exprimer, que je médite, il n'y a ni diversité de lettres, ni variété de sons et de syllabes : c'est la même idée. Pour parler à un latin, il m'a fallu une voix latine; une voix grecque pour m'adresser à un Grec. Pour me faire comprendre d'un Carthaginois, d'un Hébreu, d'un Egyptien, d'un Indien, il m'aurait fallu également des voix différentes. Combien de voix différentes, vu le changement de personnes, n'amènerait pas la même idée à former, sans changer ni sans se modifier en elle-même ! Elle se communique à un Latin sous la forme d'une voix latine, sous une voix grecque à un Grec, hébraïque à un Hébreu.

De plus, tout en parvenant à celui qui écoute, elle ne quitte pas celui qui parle. Est-ce en effet que je n'ai plus en moi ce que je dis à un autre ? En te portant ma pensée, le son qui m'a servi d'intermédiaire te l'a communiquée sans me la ravir. J'avais présente l’idée de Dieu ; tu n'avais pas encore entendu ma voix; mais après l'avoir, entendue tu as commencé à avoir la même idée que moi : l'ai-je perdue en te la donnant? En moi donc, dans mon coeur qui lui donne le mouvement, dans mon esprit qui l'engendre secrètement, la parole existe avant de paraître sous forme de voix. La voix n'est pas encore formée dans ma bouche, et la parole est dans mon intelligence : c'est pour arriver jusqu'à toi que celle conception de mon âme recourt au ministère de ma voix.

4. Si maintenant, soutenu par votre attention et vos prières, je pouvais exprimer ce que je désire, celui qui me comprendrait serait ravi, je pense; pour celui qui ne me comprendra pas, je lui demande d'avoir égard à mes efforts et d'implorer la miséricorde de Dieu. Ce que je dis vient de lui ; je vois bien dans mon esprit ce que j'ai à exprimer ; ce sont les termes, les voix que je cherche avec effort pour le porter à vos oreilles.

Que voulais-je donc dire, mes frères ? que voulais-je dire ? Vous avez bien remarqué, vous comprenez bien que la parole ou l'idée était en mon esprit avant de choisir un terme, une -voix pour arriver jusqu'à vous. Tous comprennent aussi, je pense, que ce qui se fait en moi se produit également dans tous ceux qui parlent. Je sais donc ce que je veux dire, je le possède dans mon esprit, je cherche des termes pour l'exprimer ; avant que ces termes soient prononcés par ma voix, je possède assurément la parole, la pensée en moi-même. Ainsi la parole est en moi antérieure à la voix; elle existe d'abord, la voix ne vient qu'ensuite. En toi au contraire, c'est l'oreille qui est frappée d'abord du son de ma voix pour porter ma pensée, ma parole à ton esprit. Comment connaîtrais-tu ce qui était en moi avant aucune émission de voix, si ma voix ne l'avait porté jusqu'à toi ?

Ne s'ensuit-il pas, si Jean est la voix, et le Christ la Parole ou le Verbe, que le Christ est antérieur à Jean, mais dans le sein de Dieu, et que Jean parmi nous est antérieur au Christ ? Quel mystère admirable, mes frères! Méditez-le, pénétrez-vous de plus en plus de la grandeur de cette vérité.

Je suis charmé de votre intelligence, elle m'enhardit près de vous, mais avec l'aide de Celui que je prêche, moi si petit et lui si grand, moi un homme quelconque et lui le Verbe de Dieu. Donc, avec son secours je m'enhardis près de vous, et après avoir exposé cette formation et cette distinction de la voix et de la parole ou du verbe, je vais indiquer quelques conséquences.

D'après les mystérieux desseins de Dieu, la voix se personnifiait dans saint Jean: mais seul il n'était pas la voix; car tout homme qui prêche le Verbe est la voix du Verbe, et ce que; la voix de notre bouche est à la pensée conçue dans notre coeur, toute âme pieuse qui prêche le Verbe l'est à ce Verbe dont il est dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était en Dieu dès le commencement (1) ». Combien de paroles ou plutôt combien de voix produit

 

1. Jean, I, l, 2.

 

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aussi le Verbe conçu dans notre intelligence ! Combien de prédicateurs a envoyés le Verbe tout en demeurant dans le sein de son Père ! Il a envoyé les patriarches, il a envoyé les prophètes, il a envoyé en si grand nombre les grands hommes qui l'ont fait connaître d'avance: Autant de voix qu'il a fait entendre sans sortir du sein de son Père ; mais après toutes ces voix le Verbe est venu lui-même et tout seul, porté par sa chair, comme par sa voix, comme sur un véhicule sacré. Eh bien ! réunis toutes ces voix qui ont précédé le Verbe, et mets-les dans la personne de Jean. Il en était comme l'incarnation, comme la personnification mystérieuse et sacrée. Si donc il a été seul et spécialement appelé la Voix, c'est qu'il était comme le symbole et la représentation de toutes ces autres voix.

5. Considérez maintenant la portée de ces mots : « Il faut qu'il croisse et que je diminue ». Mais pourrai-je exprimer ma pensée? Pourrai-je même, non pas vous faire comprendre, mais comprendre moi-même de quelle manière, dans quel sens, dans quel but, pour quel motif, la voix elle-même, saint Jean a dit, d'après la distinction que je viens d'établir entre la voix et la parole: « Il faut qu'il croisse et que je diminue (1)? » O mystère profond et admirable ! Contemplez la voix en personne, ce précurseur en qui se résument symboliquement toutes les voix, disant de la personne du Verbe : « Il faut qu'il croisse et que je diminue !» Pourquoi ce langage? Examinez.

L'Apôtre dit : « Nous connaissons partiellement et partiellement nous prophétisons; mais quand viendra ce qui est parfait, alors s'évanouira ce qui est partiel (2) ». Qu'entendre par ce qui est parfait? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Voilà ce qui est parfait. Qu'est-ce encore que ce qui est parfait? Dites-le-nous à votre tour, apôtre Paul. « Il avait la nature même de Dieu et il ne crut pas usurper en se faisant l'égal de Dieu (3) ». Eh bien ! ce Dieu égal à Dieu le Père, ce Verbe de Dieu, qui demeure dans le sein de Dieu et par qui tout a été fait, nous le verrons tel qu'il est, mais à la fin seulement. Pour le moment en effet, comme s'exprime l'Evangéliste saint Jean, « mes bien-aimés, nous sommes les enfants

 

1. Jean, III, 30. — 2. I Cor. XIII, 9, 10. — 3. Philip. II, 6.

 

de Dieu, et ce que nous serons ne se voit pas encore. Nous savons, mes bien-aimés, que nous serons semblables à Dieu, lorsqu'il apparaîtra, parce que nous le verrons tel qu'il est (1) ». Cette vue de Dieu nous est promise; c'est pour y parvenir que nous travaillons à nous instruire et à purifier nos coeurs. « Bienheureux, est-il dit, ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu (2) ».

Le Sauveur montrait ici son corps, il montrait à ses serviteurs sa nature de serviteur, après les voix nombreuses dont il s'était fait précéder, il voulut que son corps sacré fût en quelque sorte sa voix spéciale. Un jour qu'on demandait à voir son Père, comme si on l'eût vu lui-même tel qu'il est, lui le Fils égal au Père qui parlait à ses serviteurs sous sa forme de serviteur: « Seigneur, lui dit Philippe, montrez-nous votre Père, et cela nous suffit». C'était le but de tous ses désirs, le terme de ses progrès, et après y être parvenu, il ne lui restait plus rien à ambitionner. « Montrez-nous votre Père, et cela nous suffit ». C'est bien, Philippe, c'est bien, tu comprends à merveille que le Père te suffit. Qu'il te suffit? qu'est-ce à dire? Que tu ne chercheras plus rien au delà; il te comblera, il te rassasiera, il te rendra parfait. Mais examine si Celui qui te parle ne te suffirait pas aussi. Te suffirait-il seul ou conjointement avec son Père? Eh ! comment te suffirait-il seul, puisque jamais il ne se sépare de son Père? A ce désir qu'a Philippe de voir le Père, le Fils va répondre . « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas encore ? Philippe, qui me voit, voit aussi mon Père (3) ». —Ces mots : «Qui me voit, Philippe, voit aussi mon Père », ne signifient-ils pas. Tu ne m'as donc pas vu, puisque tu cherches à voir mon Père ? « Qui me voit, Philippe, voit aussi mon Père ». Pour toi, tu me vois et tu ne me vois pas. Tu ne vois pas en moi Celui qui t'a fait, mais tu vois ce que je me suis fait pour toi. « Qui me voit, voit aussi mon Père». Pourquoi parle-t-il ainsi, sinon parce qu' « ayant la nature de Dieu, il n'a pas cru usurper en se disant égal à Dieu ». Qu'est-ce que Philippe voyait en lui ? Il voyait qu' « il s'est anéanti en prenant une nature, d'esclave, en devenant semblable aux hommes et en paraissant homme par

 

1. I Jean, III, 2. — 2. Matt. V, 8. — 3. Jean, XIV, 8, 9.

 

433

 

l'extérieur (1) ». Voilà ce que voyait Philippe, la nature d'esclave, avant de devenir capable de voir en lui la nature de Dieu.

N'oublions pas que Jean était la personnification de toutes les voix, et le Christ, la personnification du Verbe. Or il est nécessaire que toutes les voix diminuent à mesure que lions devenons aptes à voir le Christ. N'est-il pas vrai que tu as d'autant moins besoin du secours de la voix d'autrui; que tu t'approches davantage de la contemplation de la sagesse? La voix est dans les prophètes ; elle est dans les Apôtres, dans les psaumes, dans l'Evangile. Advienne ce Verbe qui était au commencement, qui était en Dieu, qui était Dieu. Lorsque nous le verrons tel qu'il est, lira-t-on encore l'Evangile? écouterons-nous encore les prophéties? étudierons-nous encore les Epîtres es Apôtres? Pourquoi non? Parce que les voix se taisent quand le Verbe grandit : « Il faut qu'il croisse et que je diminue». Sans

 

1. Philip. II, 6, 7.

 

doute, considéré en lui-même, le Verbe ne croît ni ne déchoît. Mais en nous on peut dire qu'il croît, lorsque nos progrès dans la vertu nous élèvent vers lui. C'est ainsi que la lumière croît dans les yeux, lorsqu'en guérissant, les yeux voient plus qu'ils ne voyaient étant malades. Oui, la lumière était moindre dans les yeux souffrants que dans les yeux guéris, quoiqu'en elle-même elle n'ait pas diminué d'abord ni augmenté ensuite.

On peut donc dire que l'utilité de la voix diminue à mesure qu'on s'approche davantage du Verbe. Dans ce sens il faut que le Christ croisse et que Jean diminue. C'est ce qu'indique aussi la différence de leur mort. Jean décapité a été comme raccourci ; le Christ élevé en croix a en quelque sorte grandi. C'est ce que rappellent encore les jours de leur naissance; car à dater de la naissance de Jean les jours commencent à diminuer, et ils recommencent à augmenter à partir de la Nativité du Christ.

 

 

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