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SERMON CCXLIV. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. XII. DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST (1).
ANALYSE . La passion et la mort de Jésus-Christ avait fait perdre à ses Apôtres mêmes la foi en sa divinité ; et Marie-Madeleine en le cherchant ne paraît l'avoir cherché que comme homme et comme prophète. Ce qui prouve qu'il ne faut pas entendre à la lettre la défense que lui fit le Sauveur de le toucher, c'est qu'il se laissa toucher non-seulement par les Apôtres, mis encore par les saintes femmes et par elle-même. « Ne me touche pas, car je ne suis pas monté encore vers mon Père », signifie donc : Je veux qu'en m'approchant tu me considères comme le Fils de Dieu et comme devant bientôt retourner au ciel, tan patrie véritable. Les paroles de Jésus sont par conséquent la condamnation des disciples de Photin et d'Arius
1. On a commencé à lire aujourd'hui la résurrection de Notre-Seigneur d'après l'Evangile de saint Jean. On nous y a montré et nous avons vu des veux de la foi le tendre attachement d'une sainte femme pour sa personne sacrée. Elle le cherchait, mais son corps n'était encore pour elle que le corps d'un homme, et elle ne l'aimait que comme un Maître excellent. Elle ne comprenait pas, elle ne croyait
1. Jean, XX, 1-18.
pas qu'il fût ressuscité d'entre les morts; et quand elle vit la pierre ôtée de l'entrée du sépulcre,, elle crut que le corps de Jésus avait été enlevé, et elle en porta aux disciples la triste nouvelle. Deux d'entre eux coururent aussitôt : c'étaient Pierre et Jean, Jean que Jésus aimait plus que les autres; car, comme leur Seigneur, il les aimait tous. Ils coururent donc pourvoir si, comme le disait Madeleine, le corps sacré avait été enlevé du tombeau. Ils arrivent, regardent, ne le trouvent pas, et ils (290) croient. Que croient-ils? Ce qu'ils ne devraient pas croire. Quand vous entendez ces mots « Et ils crurent », vous vous imaginez peut-être qu'ils crurent ce que réellement ils devaient croire, savoir, que le Seigneur était ressuscité d'entre les morts. Ce n'est point cela qu'ils crurent, mais ce que leur avait dit Madeleine; et pour vous en convaincre, l'Evangéliste ajoute immédiatement : « Car ils ne savaient encore, comme le disent les Ecritures, qu'il fallait qu'il ressuscitât d'entre les morts ». Où est leur foi? Où est la vérité si souvent attestée par eux? Le Seigneur Jésus ne leur avait-il pas déclaré lui-même, et plusieurs fois, avant sa passion, qu'il serait trahi, mis à mort et qu'il ressusciterait? Mais il parlait à des hommes encore sourds. Déjà Pierre lui avait dit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Déjà il lui avait été répondu : « Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas, car ce n'est ni la chair ni le sang qui te l'ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux. A mon tour je te déclare que tu es Pierre et que sur cette Pierre je bâtirai mon Eglise, et que les portes de l'enfer n'en triompheront pas (1) ». Hélas ! une foi si éclairée a comme sombré quand le Seigneur a été attaché à la croix Pierre a cru que Jésus était le Fils de Dieu, mais c'est seulement jusqu'à ce qu'il l'a vu suspendu au gibet, cloué, mort et enseveli; car alors il a perdu tout ce qu'il possédait. Qu'est devenue cette pierre ? Qu'est devenue sa fermeté? Ah ! la Pierre véritable était le Christ lui-même, et Pierre n'était pierre que par participation. Aussi la Pierre a dû ressusciter pour affermir Pierre, et c'en était fait de Pierre, si la Pierre n'avait recouvré la vie. 2. Lorsqu'ensuite le Seigneur dit à Madeleine : « Marie », elle se retourna, le reconnut et l'appela Maître, « Rabboni ». Ainsi eut-elle connaissance de la résurrection du Sauveur. Que signifient donc ces mots : « Garde-toi de me toucher, car je ne suis pas monté encore vers mon Père ? » A plusieurs points de vue cette question étonne. D'abord, pourquoi défendre de le toucher, comme si elle avait pu le toucher avec des intentions coupables ? Pourquoi ensuite cette raison de la défense de le toucher : « Car je ne suis pas monté encore vers mon Père ? » N'était-ce pas dire : C'est
1. Matt. XVI, 16-18.
quand je serai monté vers mon Père que tu pourras me toucher? Quoi ! il lui défendait de le toucher pendant qu'il était sur la terre, et, elle pourrait le faire quand il serait dans le ciel ? Je me demandais ce que signifie : « Garde-toi de me toucher, car je ne suis pas monté encore vers mon Père ». Je vais plus loin, Après sa résurrection même, il apparut à ses disciples, et nous en avons son propre témoignage et celui de tous les autres Evangélistes, ainsi que nous venons de le voir encore pendant les lectures sacrées. Comme ils voyaient en lui un esprit, il leur dit : « Pourquoi vous troublez-vous, et pourquoi ces pensées montent-elles dans votre coeur? Voyez mes mains et mes pieds. Touchez et voyez (1) ». Etait-il déjà monté au ciel? Non, il n'était pas remonté encore vers son Père, et pourtant il leur disait : « Touchez et voyez ». Est-ce là le « Garde-toi de me toucher? » Quelqu'un dira peut-être ici : Il a bien voulu être touché par des hommes, mais non par des femmes. S'il avait tant d'horreur pour les femmes, il n'en aurait pas pris une pour Mère. Mais il n'y a pas même à se préoccuper tant soit peu d'entendre dire qu'avant de remonter vers son Père le Seigneur a bien voulu se laisser toucher par des hommes et non par des femmes. En effet l'Evangéliste saint Matthieu rapporte lui-même que des femmes pieuses, du nombre desquelles était Marie-Madeleine, rencontrèrent le Seigneur ressuscité et qu'elles lui embrassèrent les pieds (2). N'est-ce pas rendre de plus en plus difficile la réponse à cette question : Que signifie: «Garde-toi de me toucher, car je ne suis pas monté encore vers mon Père? » Ainsi tout ce que j'ai dit jusqu'alors n'a abouti qu'à rendre plus difficile cette réponse; vous voyez la question sérieuse et pour ainsi dire insoluble. Daigne le Seigneur m'aider à la résoudre. Il lui a plu de la présenter, qu'il lui plaise aussi de la décider. Demandez cette grâce avec moi; ouvrez moi les oreilles et à lui votre coeur; je vous ferai part de ce qu'il daigne me communiquer, Que celui qui comprend mieux veuille bien m'instruire, car je ne suis pas un docteur indocile. Quant à celui qui ne comprend pas mieux, qu'il ne refuse pas d'entendre de ma bouche ce qu'il comprend déjà.
1. Luc, XXIV, 37-39. 2. Matt. XXVIII, 9.
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3. Nous l'avons remarqué, et la chose est du reste évidente, les disciples ne voyaient qu'un homme dans le Seigneur Jésus; c'est là que s'arrêtait leur foi, ils ne l'élevaient pas plus haut. Ils marchaient sur la terre avec le Sauveur; ils connaissaient ce qu'il s'était fait pour nous et non pas ce qu'il a fait, car il est à la fois Créateur et créé. Créateur: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu; et le Verbe était Dieu; il était en Dieu dès le commencement. Tout a été fait par lui ». Crée : « Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous (1) ». A ces traits nous reconnaissons Jésus, mais c'est depuis que nous a été prêchée la foi des Apôtres. Or, à l'époque dont nous parlons, ils ne savaient pas encore ce que nous savons. Mon langage ne les outrage point. le n'oserais les traiter d'ignorants, et toutefois ils publient qu'ils le sont. C'est ensuite seulement qu'ils apprirent ce qu'ils ne savaient pas et ce que nous savons aujourd'hui. Le Christ est à la fois Dieu et homme, producteur des êtres et créé parmi eux, Créateur de l'homme et homme créé : nous le savons, eux ne le savaient pas encore. Comme Dieu il est égal au Père, aussi grand que lui, parfaitement semblable à lui, un autre lui-même sans être lui-même. Un autre lui-même; car il est Dieu comme lui, tout-puissant comme lui et comme lui immuable. Il est un autre lui-même, sans être toutefois lui-même; car il est Fils, tandis que lui est Père. Pour quiconque sait cela, le Christ est monté vers son Père; il n'y est pas monté pour quiconque ne le sait, mais il reste encore petit avec cet homme et sur la terre avec lui, sans être l'égal du Tout-Puissant. Enfin pour celui qui progresse dans la foi, le Christ est en voie de monter, il monte pour ainsi dire avec lui. Que signifie alors : « Garde-toi de me toucher? » L'attouchement désigne ici la foi, attendu que pour toucher quelqu'un on s'en approche. Voyez cette femme qui souffrait d'une perte de sang. Elle se disait : « Je serai guérie, si je touche la frange de son vêtement (2) ». Elle s'approcha de lui, le toucha, fut guérie. Que signifie : Elle s'approcha de lui et le toucha? Qu'elle s'en approcha et qu'elle crut. Pour vous convaincre avec quelle foi elle le toucha, le Seigneur s'écria : « Quelqu'un m'a touché » . Quelqu'un m'a touché?
1. Jean, I,1, 2, 3, 14. 2. Matt. II, 21.
Qu'est-ce à dire, sinon : Quelqu'un a cru en moi? Pour vous convaincre encore que m'a touché est synonyme de a cru en moi, « les disciples lui répondirent : La foule vous accable, et vous dites : Qui m'a touché (1) ? » Si vous marchiez seul, si la foule vous faisait place sur le chemin, si près de vous il n'y avait personne, vous pourriez dire : « Quelqu'un m'a touché ». Mais c'est la foule qui vous accable, et vous ne parlez que d'une main pour vous avoir touché. « Quelqu'un m'a touché », répéta encore le Sauveur. Cette foule peut me presser, elle ne sait me toucher. Il est donc sûr qu'en disant : « Quelqu'un m'a touché; qui m'a touché ? » telle a été la pensée du Christ, et qu'il a voulu nous enseigner que ce toucher est comme le rapprochement que la foi établit avec lui. Que signifie alors la phrase entière : « Garde-toi de me toucher, car je ne suis pas monté encore vers mon Père? » Tu ne vois en moi que ce qu'y découvrent tes regards. « Je ne suis pas monté encore vers mon Père». Tu vois en moi un homme et tu crois que je le suis. Je le suis, il est vrai, mais que ta foi ne s'arrête pas là. Ne me touche pas avec la pensée que je ne suis qu'un homme. « Car je ne suis pas monté encore vers mon Père ». Voici que je monte vers lui; touche-moi alors; en d'autres termes, avance, comprends que je suis égal à mon Père, touche-moi avec cette pensée et tu seras sauvé. « Garde-toi de me toucher, car je ne suis pas monté encore vers mon Père ». Tu vois en moi ce qui est descendu, tu ne vois pas ce qui est monté. « Car je ne suis pas monté encore vers mon Père ». Je me suis anéanti moi-même « en prenant une nature de serviteur, en me faisant semblable aux hommes et en paraissant homme extérieurement ». C'est cette nature que l'on voit en moi crucifiée, ensevelie et ressuscitée. Mais tu ne vois pas encore l'autre nature dont il est parlé ici : « Il avait la nature de Dieu et il n'a pas cru usurper en s'égalant à Dieu (2) ». Tu ne vois pas ce qui est élevé en moi. Ah ! prends garde de perdre le ciel en touchant la terre; prends garde de ne pas croire en Dieu en sarrêtant à l'homme; « prends garde de « me toucher, car je ne suis pas monté encore a vers mon Père ». 4. Vienne ici l'Arien ; que le Photinien pourtant passe avant lui. Nous répondons au
1. Luc, VIII, 45, 46. 2. Philip. II, 7, 6.
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Photinien : Garde-toi de le toucher. Qu'est-ce à dire ? Ne crois pas ce que tu crois, car le Christ à tes yeux n'est pas monté encore vers son Père. A ton tour, Arien. Je crois, dit-il, que le Christ est Dieu, mais à un degré inférieur. Il n'est donc pas non plus monté vers son Père à tes yeux. Mais, puisqu'il y est monté réellement, hausse-toi, pour le toucher; hausse-toi, pour atteindre à sa divinité. Moi aussi, répond-il, je confesse qu'il est Dieu. Sans doute, mais tu veux qu'il soit d'une autre nature et d'une autre substance ; créé et non pas Créateur de toutes choses; formé et non pas ce Verbe qui existe dès le commencement et en dehors de tout temps. Ainsi tu es bien au-dessous de la vérité, et pour toi il n'est pas monté encore vers son Père. Veux-tu qu'il y monte ? Crois qu' « ayant la nature de Dieu, il n'a point estimé usurper en s'égalant à Dieu ». Ce n'est pas une usurpation, puisque c'est sa nature même et il lui suffit de nous la faire connaître. « Ayant la nature de Dieu, il n'a point estimé usurper en s'égalant à Dieu ». C'est dans cette égalité même qu'il est né, né éternellement; qu'il est né, né éternellement, né sans avoir jamais commencé. Pour toi, Arien, que prétends-tu ? Qu'il fut un temps où le Fils n'existait pas. Pour toi donc il n'est pas monté encore vers son Père. Garde-toi de le toucher, d'avoir de pareils sentiments. Entre le Père et le Fils il n'y a pas d'intervalle. Le Père a engendré, le Fils est né; le Père a engendré en dehors du temps, en dehors du temps aussi le Fils est né, puisque c'est lui qui a fait tous les temps. Touche-le avec cette croyance, et pour toi il est monté vers son Père. Il est le Verbe, mais ce Verbe est coéternel à Dieu; il est la Sagesse de Dieu, mais le Père n'a été jamais sans cette Sagesse. Ta chair voudrait te répondre, elle voudrait s'entretenir avec toi et te dire dans l'obscurité; Comment ce Fils est-il né? Voilà le langage des ténèbres. Qu'on me l'explique, t'écries-tu; je veux qu'on me l'explique. Que veux-tu qu'on t'explique ? Si le Fils est né ou s'il n'est pas né. Mais s'il n'était pas né, il ne serait pas le Fils. Il est né ? donc il fut un temps où il n'était pas ? Fausseté, fausseté; c'est toi, terre, qui parles: ce langage est tout terrestre. S'il a été toujours, poursuit-il, explique-moi comment il est né. Non, non, je ne l'explique pas, je ne le puis. Je ne l'explique pas, mais en ma faveur je cite un prophète : « Qui expliquera, dit-il, sa génération (1) ? »
1. Isaïe LIII, 8.
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