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LETTRE CXLIII. (Année 412.)

 

La première partie de cette lettre renferme d'admirables leçons de modestie dont tous ceux qui écrivent doivent profiter. Le reste est consacré à l'examens ou plutôt à l'exposition des opinions diverses sur l'origine de l'âme. Saint Augustin n'a jamais voulu prendre parti dans cette difficile question.

AUGUSTIN A SON EXCELLENT, ILLUSTRE SEIGNEUR ET TRÈS-CHER FILS MARCELLIN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

1. Voulant répondre à votre lettre que j'ai reçue par mon saint frère et collègue Boniface, je l'ai cherchée et ne l'ai point trouvée. Je me souviens pourtant que vous y demandiez comment toute l'eau de l'Égypte ayant été changée en sang, les magiciens de Pharaon avaient pu (332) à leur tour faire quelque chose de pareil. Cette difficulté se résout de deux manières : On a pu apporter de l'eau de la mer, ou bien, ce qui est plus croyable, la région où se trouvaient les enfants d'Israël n'avait point été frappée de ces plaies. Cette préservation étant marquée en quelques endroits de l'Écriture, nous savons ce qu'il faut en penser, là même oit l'Écriture n'en parle pas.

2. Mais la lettre que m'a remise de votre part le prêtre Urbain, renferme une difficulté tirée non pas des Livres divins, mais des livres que j'ai écrits sur le Libre Arbitre. — De pareilles difficultés ne me retiennent pas longtemps; si les bonnes raisons manquent pour défendre mon avis, cet avis n'est que le mien; il ne s'agit pas ici d'un auteur dont il n'est pas permis de condamner le sentiment, lors même que, faute de le bien saisir, on comprend quelque chose qu'on né doit pas approuver. Je tâche, je l'avoue, de me mettre au nombre de ceux qui écrivent à mesure qu'ils profitent et profitent à mesure qu'ils écrivent. Si donc, par imprudence ou par ignorance, il m'est échappé quelque chose qui puisse être avec raison relevé par d'autres et aussi par moi-même (car si je profite, je dois m'apercevoir de mes fautes), il ne faut ni s'en étonner ni s'en affliger, mais il faut me pardonner, et me féliciter, non pas de m'être trompé, mais d'avoir été rectifié. Car celui-là s'aime lui-même d'un bien coupable amour qui veut que les autres se trompent pour que sa propre erreur ne soit pas connue. Combien il est meilleur et plus utile que, là où il s'est trompé lui-même, d'autres ne se trompent pas, afin qu'averti par eux il se corrige ! S'il ne veut pas se corriger, que d'autres au moins ne partagent pas son erreur. Si Dieu me fait la grâce d'exécuter un jour le dessein que j'ai d'écrire un ouvrage tout exprès pour marquer ce que pourra m'offrir de défectueux l'examen de tous mes livres, les hommes alors verront combien peu j'ai égard à ma personne (1).

3. Mais vous qui m'aimez beaucoup; si lorsqu'on me reprend par malice, ignorance ou même avec l'intelligence de la vérité; vous dites que je ne me suis jamais trompé dans mes écrits, vous travaillez en vain, vous soutenez

 

1. Ces belles lignes, d'une si sincère modestie, nous prouvent que, dès l'année 412, saint Augustin avait l'idée de l'ouvrage intitulé de Recensione librorum (de la révision ou revue des livres) qui occupe les derniers temps de sa vie. Voyez notre Hist. de saint Augustin, chap. LII.

 

une mauvaise cause, vous perdriez infailliblement votre procès, même devant moi. Je ne trouve pas bon que ceux qui me sont le plus chers me croient autre que je ne suis. S'ils aiment, non point ce que je suis, mais ce que je ne suis pas, ce n'est plus moi qu'ils aiment, mais un autre sous mon nom; c'est moi, si leur affection se fonde sur ce qu'ils savent ou ce qu'ils ont raison de croire; mais en m'attribuant ce qu'ils ne voient pas en moi , ils me prennent pour un autre et c'est un autre qu'ils aiment. Le plus éloquent des Romains, Cicéron, a dit de quelqu'un qu'il ne lui échappa jamais une parole qu'il aurait voulu ne pas avoir prononcée. Quelque belle que paraisse cette louange, elle pourrait plutôt s'appliquer à un fou achevé qu'à un sage accompli. Car ceux qu'on nomme vulgairement des bouffons, plus ils s'écartent du sens commun en multipliant les absurdités et les sottises, plus ils se félicitent de ce qu'ils disent : il n'appartient qu'à des gens sensés de se repentir d'une parole mauvaise, folle ou préjudiciable.

Mais si on prend en bonne part le mot de l'orateur romain et qu'on pense qu'il se soit rencontré des hommes, parlant de toute chose sagement et n'ayant jamais rien dit qu'ils ne voulussent avoir dit, il faut pieusement croire cela des hommes de Dieu qui ont parlé sous l'inspiration de l'Esprit-Saint plutôt que de le croire de celui que Cicéron a entendu louer de cette manière. Quant à moi je suis si éloigné de cette perfection que si je me vantais de ne rien dire que je ne voulusse avoir dit, je serais plus semblable à un fou qu'à un sage. On a écrit -des ouvrages de la plus haute autorité, non point quand on n'y a pas mis un seul mot qu'on regrette, mais quand on n'y a rien mis qu'on doive changer. Quiconque n'est point encore parvenu à ce degré de sagesse doit se résigner à être modeste : n'ayant pas pu tout dire de façon à ne pas s'en repentir, qu'il se repente de ce qu'il sait qu'il n'aurait pas dû dire.

4. Quelques-uns de mes meilleurs amis prétendent que je n'ai rien écrit ou presque rien que je puisse regretter, mais il y a au contraire beaucoup de choses que je voudrais effacer si je le pouvais, et beaucoup plus peut-être que ne le croient mes censeurs les plus malveillants ; aussi je ne me flatte pas du mot de Cicéron : Il ne lui échappa jamais une parole qu'il eût voulu ne pas avoir prononcée; mais (333) je me rappelle avec inquiétude cette pensée d'Horace : « une parole lâchée ne revient pas. » Voilà pourquoi je retiens entre ires mains, plus longtemps que vous ne le voudriez, mes livres sur la Genèse (1) et sur la Trinité, où se rencontrent les plus périlleuses questions; si je ne puis les rendre irréprochables, qu'ils soient un peu moins défectueux que si je m'étais imprudemment bâté de les mettre au jour. Vous autres, comme je le vis par vos lettres (car mon saint frère et collègue Florentius me l'écrit aussi), vous me pressez de les publier pour que je puisse, de mon vivant, les défendre s'ils sont attaqués sur quelques points, soit par la malice des ennemis, soit par les interprétations trop peu intelligentes des amis. Vous m'exprimez ce désir parce que, vous ne pensez pas qu'il y ait quelque chose dans ces livres qu'on puisse raisonnablement critiquer; autrement vous ne m'engageriez pas à les livrer, mais plutôt à les corriger avec plus de soin encore. Mais moi je m'inquiète davantage des vrais juges, des juges sévèrement armés de la vérité, parmi lesquels je veux d'abord m'établir moi-même, afin de ne leur laisser à reprendre que les fautes qui auront pu échapper à l'attention vigilante de mon esprit.

5. Dans le troisième livre du Libre Arbitré, en parlant de la substance raisonnable, j'ai dit « L'âme après le péché, établie dans des corps inférieurs, gouverne son corps, non pas tout à fait selon sa volonté, mais autant que le permettent les lois générales. » On a voulu croire qu'en cet endroit j'avais déterminé quelque chose touchant l'origine de l'âme humaine, soit qu'elle vienne des parents par la propagation, soit qu'ayant péché dans une vie supérieure et céleste, elle ait mérité d'être enfermée dans une chair incorruptible. Que ceux qui ont ainsi compris ce passage fassent attention aux expressions dont je me suis servi ; je n'y donne pour certain qu'une seule chose, c'est qu'après le péché du premier homme les autres hommes sont nés et naissent dans la chair du péché pour la guérison de laquelle le Seigneur est venu dans une chair semblable à celle du péché; l'ensemble de mes paroles ne préjuge rien contre aucune des quatre opinions sur l'origine

 

1. L'ouvrage sur le sens littéral de la Genèse, composé de douze bras, fut terminé des l'année 401 et ne fut publié qu'en 415. L'ouvrage sur la Trinité, composé de quinze livres, avait été commencé dans l'année 400 et ne fut livré à l’impatience des contemporains qu'en 416. Voyez notre Histoire de saint Augustin, chap. XXXV et XXXVI.

 

de l'âme que j'ai ensuite exposées, .sans soutenir de préférence l'une d'elles, mais je faisais en- sorte que, n'importe laquelle serait conforme à la vérité, Dieu fût toujours loué.

6. En effet, soit que toutes les âmes proviennent de celle du premier homme, soit qu'il y ait une âme particulièrement formée pour chacun, soit que Dieu envoie les âmes après avoir été créées en dehors de nous, ou qu'elles se plongent d'elles-mêmes dans les corps, il est certain que cette créature raisonnable, l'âme humaine, établie, après le péché, dans des corps inférieurs, c'est-à-dire terrestres, ne gouverne pas tout à fait son corps selon sa volonté, et vous aurez ainsi une certitude du péché du premier homme. Car je n'ai pas dit après son péché, ou bien : après qu'elle a eu péché ; mais j'ai dit : « après le péché.» Par là s'il devient possible de déclarer avec vérité que ce soit le péché de l'âme elle-même ou le péché du premier père qui l'ait condamnée à s'unir à un corps, il demeurera toujours exact de dire « qu'après le péché l'âme établie dans des corps inférieurs ne gouverne pa «tout à fait son corps selon sa volonté; » car, selon les paroles de l'Apôtre, la chair convoite l'esprit (1) nous gémissons sous le poids de nos faiblesses (2), et le Sage nous dit que le corps corruptible appesantit l'âme (3). Et qui pourrait raconter toutes les misères de notre mortalité? elles disparaîtront quand ce corps corruptible sera revêtu de l'incorruptibilité pour que la vie absorbe ce qu'il y a de mortel en nous (4). L'âme alors gouvernera le corps spirituel tout à fait selon sa volonté; mais maintenant ce n'est pas tout à fait, c'est autant que le permettent les lois générales par lesquelles il est établi que les corps naissent et meurent, qu'ils se développent et. vieillissent. L'âme du premier homme, avant le péché, gouvernait son corps à volonté, quoique ce corps ne fût pas encore spirituel; mais après le péché, c'est-à-dire après que le péché a été commis dans cette chair d'où devait sortir ensuite la chair de péché, l'âme raisonnable « a été établie dans des corps inférieurs de façon à ne pas gouverner son corps tout à fait selon sa volonté. » Nos paroles ne sauraient déplaire à ceux-là mêmes qui n'admettent pas que les enfants, non encore coupables de péchés personnels, soient cependant une chair de péché : c'est pour la guérir que le baptême est donné comme un

 

1. Gal. V, 17. — 2. II Cor. V, 4. — 3. Sag. IX, 15. — 4. I Cor. XV, 53

 

 

334

 

remède nécessaire, au nom de Celui qui a pris la ressemblance de la chair de péché. Car il est certain, si je ne me trompe, que cette même chair, quoique infirme, non par une faute qui lui soit propre , mais par nature, a pourtant commencé à naître après le péché; Adam n'a pas été créé en cet état et n'a engendré personne avant le péché.

7. Que mes censeurs cherchent donc autre chose qu'ils soient fondés à reprendre, non-seulement dans des ouvrages de moi publiés avec trop de hâte, mais même dans mes livres sur le Libre Arbitre. Je ne nie pas qu'ils puissent y découvrir des points dont la rectification me serait profitable; ces livres ont passé en trop de mains pour qu'ils puissent se corriger; mais moi je vis encore et je puis me corriger moi-même. Les paroles de mon troisième livre, mesurées avec tant de précaution qu'elles ne s'opposent à aucune des quatre opinions sur l'origine de l'âme, ne sauraient être critiquées que par ceux qui me reprocheraient d'hésiter en présence d'une question aussi obscure; je ne me défendrai pas contre eux en leur disant que je fais bien de ne rien affirmer sur cette question, car je ne doute nullement que l'âme soit immortelle, non à la manière de Dieu même qui seul a l'immortalité (1), mais d'une certaine manière conforme à sa nature, et je ne doute pas qu'elle soit créature et non substance du Créateur : je me prononce de la même façon sur tout ce que nous pouvons savoir de certain touchant la nature de l'âme. Ce qui me forcé à rester en suspens devant l'origine de l'âme, c'est la profondeur des ténèbres dont elle est enveloppée : qu'on tende la main à celui qui avoue son ignorance et qui désire savoir ce qu'il en est; qu'on me l'apprenne si on peut; qu'on me le démontre si on a découvert par la raison quelque chose de certain là-dessus, ou si on a trouvé dans les divines Ecritures quelque chose de très-clair qui commande à cet égard notre foi. Car ce que la raison, même la plus habile, peut faire contrairement à l'autorité des saints Livres, n'a qu'un, semblant de vrai et ne saurait être la vérité. Et si l'autorité des saintes Ecritures semble contraire aux enseignements clairs et certains de la raison , c'est qu'on n'a pas pu pénétrer leur vrai sens , et qu'on y a mis du sien : ce n'est pas dans les divins livres, mais en lui-même que le commentateur a

 

1. I Tim. VI, 16.

 

trouvé ce qui est en opposition avec la vérité.

8. En voici un exemple : faites bien attention à ce que je vais dire. A la fin du livre qui se nomme Ecclésiaste, il est question de la dissolution de l'homme qui se fait par la séparation de l'âme et du corps, et l'Ecriture dit; « Que la poussière rentre dans la terre d'où elle a été tirée, et que l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné (1). » Un sentiment de cette autorité ne laisse aucun doute et ne saurait tromper personne; mais si quelqu'un y veut montrer un témoignage favorable à l'opinion qui fait venir toutes les âmes de celle du premier homme; son sentiment semble être appuyé , sur ce qui est dit ici de la chair sous le nom de poussière (car la poussière et l'esprit ne signifient pas autre chose dans cet endroit que le corps et l'âme) ; il pourrait dire que l'âme retourne à Dieu parce qu'elle tire son origine de cette âme que Dieu donna au premier homme, comme la chair retourne en terre parce qu'elle vient de cette chair qui fut faite de terre dans le premier homme : il soutiendrait ainsi que ce que nous connaissons du corps doit nous déterminer à croire ce qui nous demeure caché sur l'âme, car c'est l'origine de l'âme qui fait doute et non pas l'origine du corps. Les deux questions dans ce passage de l'Ecriture semblent s'expliquer l'une par l'autre : que la chair retourne en terre comme auparavant, car elle en fut tirée quand le premier homme fut fait; que l'esprit retourne à Dieu. qui le donna quand il répandit un souffle de vie sur la face de l'homme qu'il venait de former, et que l'homme devint une âme vivante (2) d'où les hommes devaient sortir, corps et âme, par voie de propagation.

9. Cependant, s'il est vrai que toutes les âmes ne viennent pas de celle du premier homme, mais que, créées ailleurs, Dieu les donne à mesure qu'un corps humain se forme, cette opinion peut encore s'accorder avec ces paroles; « Que l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné. » Ces paroles n'exclueraient donc que les deux autres opinions, parce que, si une âme particulière était créée à chaque création d'homme, on ne pense pas que l'Ecriture aurait dû dire; « Que l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné; » mais à Dieu qui l'a fait. Ce mot: « il a donné, » suppose l'existence antérieure, de ce qui pouvait se donner. On presse encore ces paroles; « Que l'esprit retourne à Dieu, » et on demanda;

 

1. Ecclési. XII, 7. —  2. Genès. II. 7.

 

335

 

Comment l'esprit retournera-t-il là où il n'a jamais été? Au lieu de ces expressions : « Que« l'esprit retourne à Dieu, » il eût mieux valu dire, ajoute-t-on: Que l'esprit s'avance ou qu'il aille vers Dieu, s'il est à croire que cet esprit n'y ait jamais été auparavant. De même il ne serait pas facile d'expliquer comment les âmes se plongeraient, de leur propre volonté, dans le corps, puisqu'il est écrit en parlant de l'esprit: « Dieu l'a donné. » C'est pourquoi, je le répète, ces deux opinions souffrent de ce passage de l'Ecriture : l'une, qui veut que chaque âme soit créée dans le corps qui lui est destiné; l'autre, qui prétend que les âmes se jettent de leur propre volonté dans les corps. Mais ce texte ne repousse pas les deux autres opinions l'une, qui fait venir toutes les âmes de celle du premier homme; l'autre, par laquelle les âmes déjà créées auparavant et établies en Dieu sont données aux corps.

10. Et cependant si les partisans de l'opinion qui veut que chaque âme soit créée dans son corps, soutenaient que ces mots de l'Ecriture « Dieu a donné l'esprit, » doivent être compris comme quand on dit que Dieu nous a donné les yeux, les oreilles, les mains, ou toute autre chose, sans avoir besoin d'admettre que ces membres étaient faits a l'avance et mis en réserve en attendant les desseins- providentiels, mais que le Créateur les a donnés quand il les a faits, je ne vois pas ce qu'on pourrait leur répondre : à moins que d'autres témoignages ne fussent produits contre eux ou qu'il n'y eût des raisons certaines devant lesquelles dût fléchir leur opinion. De leur côté, ceux qui pensent que les âmes passent de leur propre volonté dans les corps, entendent les mots de l'Ecclésiaste : « Dieu a donné l'esprit, » comme ces mots de l'Apôtre : « Dieu les a livrés à la concupiscence de leur coeur (1). » Ces partisans de la création des âmes dans les corps, sont embarrassés de ce qui est dit du retour de l'esprit vers Dieu; ce seul mot les met mal à l'aise; mais, à mon avis, cela ne suffirait pas pour rejeter ce sentiment : on pourrait montrer par le langage accoutumé des saints Livres, que l'esprit créé retourne vers Dieu comme vers son auteur, et non pas comme vers celui en qui il avait été une première fois.

11. Je vous ai écrit ces choses pour que celui qui voudra s'attacher à la défense de l'une des quatre opinions sur l'origine de l'âme, établisse

 

1. Rom. I, 24.

 

son sentiment, soit par des citations des saints Livres qui ne puissent pas être comprises d'une autre manière, comme lorsque l'Ecriture dit que Dieu a fait l'homme, ou par des raisons certaines qu'il soit impossible de contredire sans folie, comme lorsqu'on dit que, pour connaître la vérité ou pour pouvoir se tromper, il faut être vivant. Car on juge de la vérité de ceci, sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'autorité des divins Livres; il suffit pour cela du sens commun, et celui qui soutiendrait le contraire serait regardé comme fou. Si quelqu'un peut réunir ces conditions de certitude dans cette question sur l'âme, mêlée à tant d'obscurités, qu'il vienne en aide à mon ignorance ; s'il ne le peut pas qu'il ne me reproche point mon hésitation.

12. Quant à ce que j'ai écrit sur la virginité de sainte Marie, on ne saurait en nier la possibilité, sans nier tout ce qui est arrivé miraculeusement dans des corps. Si on ne le croit pas, parce que cette merveille ne s'est accomplie qu'une fois, demandez à l'ami qu'une telle difficulté arrête, s'il ne se rencontre rien, dans les lettres profanes, qui ne soit arrivé qu'une fois : ce qui n'empêche pas qu'on y croie, non point dans la mesure qu'on accorde à des tables, mais, comme on dit, par une foi historique : demandez-le lui, je vous en prie. S'il nie que quelque chose de pareil se trouve dans l'histoire profane, il faut l'en faire souvenir; mais s'il l'avoue, la difficulté est résolue.

 

   

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