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LETTRE CLXXXI. (Année 416.)
Cette lettre du pape Innocent est belle, éloquente, rapide; on aime à entendre le chef de l'Église déclarer sa conformité de sentiments avec la vieille Afrique chrétienne sur les grands points de la foi.
INNOCENT A AURÈLE, NUMIDE, RUSTICIEN, AURÈLE, NUMIDIUS, RUSTICIEN , FIDENTIEN , EVAGRE , ANTOINE, PALATIN, ADEODAT, VINCENT, PUBLIEN, THÉASE, TUTUS, PANNONIEN, VICTOR, RESTITUT, RUSTICUS , FORTUNATIEN , UN AUTRE RESTITUT, (474 ) AMPÉLIEN, AMBIVIEN, FÉLIX, DONATIEN, ADÉODAT, OCTAVIEN, SÉROTIN, MAJORIN, POSTHUMIEN, CRISPULE, UN AUTRE VICTOR, LEUCIEN, MARIANUS, FRUCTUOSUS, FAUSTINIEN, QUODVULTDEUS, CANDORIEN, MAXIME, MÉGASE, RUSTICUS, RUFINIEN , PROCULE, SÉVÈRE, THOMAS, JANVIER, OCTAVIEN, PRÉTEXTAT, SIXTE, QUODVULTDEUS, PENTHADIUS, QUODVULTDEUS, CYPRIEN, SERVILIEN,PÉLAGIEN, MARCELLUS , VENANTIUS , DIDYME , SATURNIN , BYZACENUS, GERMAIN, GERMANIEN , INVENTIUS, MAJORIN, INVENTIUS, CANDIDE , CYPRIEN, ÉMILIEN, ROMAIN, AFRICAIN, MARCELLIN, ET AUX AUTRES BIEN-AIMÉS FRÈRES DU CONCILE DE CARTHAGE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
1. Quand vous vous êtes occupés des questions les plus clignes de la sollicitude sacerdotale, les plus dignes surtout de l'examen d'un concile véritable, légitime et catholique, vous avez aussi efficacement servi la cause de notre religion en nous consultant et en vous référant à notre jugement qu'en prononçant vos décrets; vous vous montriez en cela fidèles à l'antique tradition et à la discipline ecclésiastique; vous saviez ce qui est dû au Siège apostolique, où nous tous qui y sommes assis n'avons d'autre désir que de suivre l'Apôtre lui-même, et d'où découlent tout l'épiscopat et toute l'autorité de ce nom. Aussi, à l'exemple de l'Apôtre, nous condamnons ce qui est mal et nous louons ce qui est bien; nous louons surtout la docilité sacerdotale que vous témoignez aujourd'hui. Persuadés qu'il ne faut pas dédaigner les lois de nos pères, puisqu'ils les ont établies en vertu d'une autorité non pas humaine mais divine, vous pensez que toute décision prise dans les pays les plus éloignés ne doit pas être considérée comme définitive avant qu'elle soit portée à la connaissance de ce siège; afin qu'une sentence justement prononcée se trouve ainsi confirmée par toute son autorité; afin que toutes les eaux partent comme de leur source première, qu'elles coulent pures à travers les diverses régions du inonde entier, et que les autres Eglises apprennent ce qu'elles ont à prescrire, qui sont ceux qu'elles peuvent purifier et ceux dont l'eau sainte ne pouvait plus laver les souillures indélébiles. 2. C'est pourquoi je vous félicite, très-chers frères, de nous avoir écrit par notre frère et collègue Jules ; en même temps que vous veillez au salut de vos Eglises, vous montrez votre sollicitude pour toutes les Eglises du monde et vous nous demandez un décret qui puisse leur profiter à toutes; vous désirez ainsi que l'Église, affermie dans ses propres règles et appuyée sur une juste sentence, soit mise en garde contre ces hommes pervers, armés ou. plutôt renversés par des subtilités coupables, qu'ils répandent sous ombre de foi catholique. Ils vomissent un poison mortel, et cherchent à détruire toutes les règles du vrai dogme pour corrompre là foi des coeurs pieux. 3. Il faut donc s'occuper de guérir promptement, de peur que ce mal exécrable ne fasse dans les esprits une plus profonde invasion. Lorsqu'un médecin se trouve en face de quelque maladie de ce corps de terre, il croit avoir donné une grande preuve de l'excellence de son art si ses soins rendent promptement la santé à un malade dont on désespérait. Découvre-t-il une plaie avec de la pourriture ? il emploie les fomentations ou tout autre remède pour la cicatriser; s'il ne lui est pas possible de guérir le membre atteint, il le retranche pour préserver le reste du corps. Il faut donc porter le fer là où la plaie menace d'envahir les parties pures et saines du corps, de peur. que, par un trop long retard, le mat ne s'attache aux entrailles et ne devienne incurable. 4.Que pouvons-nous penser de bon de ceux qui s'attribuent à eux-mêmes ce qu'ils valent et ne rapportent rien à celui dont chaque jour ils obtiennent la grâce? Mais que dis-je ? de tels hommes n'obtiennent aucune grâce de Dieu; ils prétendent obtenir sans lui ce que méritent à peine de recevoir ceux qui s'adressent à lui. Quoi de plus inique, de plus grossier, de plus étranger à la religion, de plus ennemi des esprits chrétiens que de refuser d'attribuer ce que tu reçois chaque jour de la grâce, à Celui à qui tu reconnais devoir le bienfait de l'existence? Tu vaudras donc mieux pour te conduire que Celui qui t'a fait! Et tandis que tu crois lui devoir de vivre, comment ne crois-tu pas lui devoir de vivre pieusement en obtenant tous les jours sa grâce? Et toi qui ne conviens pas que nous ayons besoin du secours de Dieu, comme si nous ne devions notre perfection qu'à nous-mêmes, comment ne vois-tu pas que, lors même que nous pourrions devenir tels par nous-mêmes,, il nous faudrait demander encore son secours? 5. Je voudrais savoir ce que répondra celui qui nie ce secours de Dieu. Est-ce nous qui ne le méritons pas? est-ce Dieu qui ne peut pas l'accorder,. ou n'y a-t-il rien qui doive déterminer chacun de nous à le demander? Que Dieu le puisse, ses oeuvres même l'attestent; que nous ayons besoin de son aide tous les jours, nous ne pouvons pas le nier. Nous l'implorons si nous vivons sagement, pour une meilleure et plus sainte vie; et si des sentiments pervers nous éloignent du bien, nous en avons plus besoin encore pour rentrer dans la droite voie. Quoi de plus mortel, de plus menaçant, de plus périlleux que de se croire suffisamment pourvu avec le libre arbitre et de ne plus rien demander au Seigneur! C'est oublier notre Créateur, et faire étalage de notre liberté aux dépens de sa puissance, comme si, après nous avoir créés libres, Dieu n'avait plus rien à nous donner! C'est ne pas savoir que si, à force de grandes prières, la grâce de Dieu ne descend pas en nous, nous chercherons bien en vain à triompher de notre corruption et des entraînements de nos sens : la puissance de résister ne peut nous venir du libre arbitre, mais uniquement du secours de Dieu. 6. Il est un homme bienheureux et déjà élu qui (475) n'aurait eu besoin de rien et aurait eu raison de ne rien demander, si le libre arbitre eût mieux valu que le secours divin, et cependant il crie qu'il a besoin de l'aide de Dieu et il le prie : « Soyez mon appui, dit-il au Seigneur, ne m'abandonnez pas, ne me rejetez pas, Dieu mon Sauveur (1). » David appelle Dieu à son secours, et nous le libre arbitre! Nous disons qu'il peut nous suffire d'être nés, et David supplie Dieu qu'il ne le délaisse pas ! N'apprenons-nous pas clairement ce que nous devons demander à Dieu, quand un si saint homme, conjure le Seigneur de ne pas le rejeter? Ceux qui professent des sentiments pareils doivent condamner ces endroits du Psalmiste. Il faudra dire que David ne savait pas prier et ne connaissait pas sa nature, puisque, sachant tout ce qu'il y a de force en elle, il demande, dans ses oraisons, que Dieu soit son aide et son aide continuel! Il ne lui suffit pas de demander son assistance continuelle, il lui demande avec instance de ne l'abandonner jamais, il le dit et le crie dans tout le psautier. Si donc un aussi grand homme, en implorant sans cesse le Seigneur, nous a enseigné la nécessité du secours divin, comment Pélage et Célestius, mettant de côté les psaumes et les enseignements qu'on y trouve, espèrent-ils persuader à quelques-uns que nous ne devons pas chercher le secours de Dieu et que nous n'en avons pas besoin, pendant que tous les saints nous attestent qu'ils ne peuvent rien sans lui? 7. Cet homme éprouva ce que vaut tout seul le libre arbitre, lorsque, usant imprudemment de ses forces, il plongea dans les profondeurs de la prévarication et ne trouva rien pour en sortir; victime de sa liberté, il serait resté éternellement sous le coup de cette ruine, si le Christ à son avènement, ne l'en eût relevé par sa grâce. Le Christ, en effet, dans une régénération nouvelle, efface parle baptême tous ses péchés passés; il affermit ses pas dans une voie plus droite et ne refuse pas sa grâce pour l'avenir. Quoiqu'il ait racheté l'homme des fautes anciennes, cependant, sachant que l'homme pouvait pécher de nouveau, le Sauveur a mis pour lui en réserve de nombreux moyens de s'amender encore. Il a des remèdes quotidiens, et si nous ne nous appuyons pas sur eus avec confiance, nous ne pourrons surmonter les erreurs humaines : il faut vaincre avec son secours ou être vaincu sans lui. J'insisterais davantage si vous n'aviez pas tout dit. 8. Quiconque donc soutient que nous n'avons pas besoin du secours divin, se déclare ennemi de la foi catholique et se montre ingrat envers les bienfaits de Dieu. Ils ne sont plus dignes de notre communion ceux qui l'ont souillée en prêchant une telle doctrine. En pratiquant ce qu'ils disent, ils se sont grandement écartés de la vraie religion. Toute notre religion, nos prières de chaque jour ont pour but unique d'obtenir la miséricorde de Dieu ; comment pourrions-nous supporter des discours pareils? Quel est l'aveuglement de ces âmes pour ne pas voire que si, par
1. Ps. XXVI, 9.
leur indignité, elles ne sentent aucune grâce de Dieu, il en est d'autres que la grâce divine comble chaque jour de ses dons? Il n'est pas d'aveuglement que ne méritent ceux qui ne se sont pas même laissé la ressource de revenir de leurs erreurs avec le secours divin. En niant ce secours, ils ne l'ont point ôté aux autres, mais ils l'ont ôté entièrement à eux-mêmes. Il importe de les repousser, de les rejeter bien loin du sein de l'Eglise, de peur que l'impunité de l'erreur ne la fasse croître et devenir inguérissable. Une plus longue condescendance exposerait beaucoup de fidèles, beaucoup d'imprudents à tomber dans les pièges de la perversité : s'ils voyaient qu'on laissât ces gens-là en paix dans l'Eglise, ils pourraient croire que leur doctrine est bonne. 9. Qu'elle soit donc séparée d'un corps sain la partie qui ne l'est pas; que ce qui est en bon état soit préservé soigneusement de la contagion; que les brebis malades soient enlevées du milieu du troupeau ; que dans le corps tout entier éclate cette pureté de doctrine qui est la vôtre et dont votre jugement en cette occasion est pour nous le témoignage; il y a entre nous communauté de sentiments. Si cependant ces hommes-là venaient à invoquer le secours de Dieu qu'ils ont nié jusqu'à présent, et à reconnaître qu'ils en ont besoin ; si, guéris de la maladie produite en eux par les inclinations corrompues de leur coeur, si, délivrés de tout ce qui obscurcit leur âme et les empêche de voir la vérité, ils passaient de l'épaisseur de leurs ténèbres à la lumière, et qu'ils condamnassent ce qu'ils ont soutenu jusqu'ici ; enfin si dociles à de bons enseignements et déjà quelque peu amendés, ils se montraient disposés à se laisser désabuser par les conseils de la vérité; les évêques pourraient leur prêter assistance jusqu'à un certain point et donner à leurs blessures les soins que l'Eglise ne refuse pas aux pécheurs lorsqu'ils viennent à résipiscence. Ainsi ramenés des précipices, ils rentreraient dans le bercail du Seigneur : laissés dehors et n'étant plus protégés par les remparts de la foi, ils demeureraient exposés à tous les périls et à la fureur des loups ; ils seraient d'autant moins en état de leur résister que la perversité de leur doctrine les aurait déjà excités contre eux. Mais vos instructions et l'abondance des témoignages de notre loi ont déjà suffisamment répondu aux novateurs; il ne nous reste plus rien à dire parce que vous n'avez rien omis, rien supprimé de ce qui est de nature à les réfuter et à les convaincre. C'est pourquoi nous n'avons cité aucun passage de l'Ecriture ; votre relation est remplie de ces saintes autorités ; on voit assez que tant de doctes évêques n'ont rien oublié : il ne conviendrait pas de croire que vous eussiez passé quelque chose d'important pour la cause. Et d'une autre main. Portez-vous bien, frères. Et à côté. Donné le sixième des calendes de février (1) après le vifs consulat de Théodose et le Ve de Junius Quartus.
1. Le 26 Janvier.
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