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SERMON XII. LES MAUVAIS ANGES DEVANT DIEU (1).

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ANALYSE. — Chef-d'oeuvre de logique et d'éloquence, ce discours est une nouvelle réfutation des Manichéens. Dans ce qui est dit au livre de Job, que le démon se présenta avec les Anges à la vue de Dieu, ils prétendaient signaler une contradiction avec ces paroles de l'Évangile : « Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu. » Saint Augustin détruit cette accusation : 1° en examinant le texte sacré ; 2° en montrant combien l'interprétation des Manichéens est contraire à leur propre doctrine. — I. L'interprétation des Manichéens est contraire au texte sacré. Car 1° nulle part il n'y est. dit que les Anges ne peuvent voir Dieu ; 2° si le démon s'est présenté à là vue de Dieu, c'est comme un aveugle qui s'offre aux yeux de celui qu'il ne voit pas ; 3° tout ne prouve-t-il pas, dans le monde physique comme dans le monde moral, que le démon pouvait entendre Dieu sans le voir? 4° en disant que les Anges se présentèrent à la vue de Dieu, l’Écriture veut exprimer simplement que le fait rapporté s'accomplit dans un profond secret ; 5° si le démon était au milieu des bons anges, il y était comme l'accusé au milieu des gardes et sans voir Dieu. Ainsi les Manichéens ne nous accusent qu'en prêtant à l’Écriture ce que l’Écriture ne dit pas. — II. Leur interprétation les condamne eux-mêmes. Ils croient en effet la divinité de Jésus-Christ. Mais sur la terre Jésus-Christ avait un corps ou il n'en avait pas. 1° S'il n'en avait pas ; il montrait à tous et par conséquent au diable lui-même sa nature divine, ce que ne veulent pas les Manichéens ; ou bien il faisait semblant d'avoir un corps, ce qui est l'accuser de mensonge quand on craint d'admettre qu'il se soit entretenu avec le diable ; ou bien enfin il avait modifié sa substance divine de manière à la rendre visible : pourquoi Dieu n'en aurait-il pu faire autant pour se rendre visible au démon? Il est vrai, Dieu est immuable, et sa divine nature n'a pu être changée ni par Jésus-Christ ni par lui. Il faut donc admettre que Jésus-Christ avait un corps. 2° S'il avait un corps, ce corps venait ou ne venait pas de la Vierge Marie. S'il n'en venait pas, il était néanmoins emprunté au monde matériel et partant créé par la race des ténèbres. Comment craindre d'outrager Dieu en croyant ce qui est dit de lui dans Job, lorsqu'on lui donne un corps qui vient du démon? S'il venait de la Vierge, tout est au mieux et le Fils de Dieu ne s'est pas plus souillé en s'y unissant, que le soleil ne se souille en remplissant le monde de sa lumière. — Or c'est la foi catholique ; les Manichéens ne peuvent l'attaquer sans montrer combien leurs fables sont ridicules.

 

1. Nous en avons la confiance, mes très-chers frères, votre prudence tonnait déjà suffi' saurent les mensonges insidieux et les calomnies des Manichéens contre les saints livres de l'ancien Testament. Nous venons cependant montrer encore leurs artifices aux regards de votre esprit ainsi vous serez plus capables d'y échapper vous-mêmes, et vous pourrez, chacun selon vos moyens, enseigner aux faibles et à ceux qui connaissent peu les Écritures, comment ils doivent les éviter et les dédaigner.

Il est écrit clans Job, disent le Manichéens « Voici que les Anges vinrent devant Dieu, et le démon au milieu d'eux. D'où viens-tu ? dit Dieu à celui-ci. Il répondit : C'est en parcourant toute la terre que je suis venu ici. » Ceci prouve, ajoutent-ils, que le démon a vu Dieu et que de plus il a conversé avec lui. Mais il est dit dans l'Évangile : « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu (2) ; » il y      est dit aussi : « Je suis la porte : nul ne peut venir à mon Père, que par moi (3). » Ils raisonnent enfin de cette manière : S'il n'y a pour voir Dieu que ceux qui ont le coeur pur, comment avec un coeur aussi souillé et aussi impur le démon a-t-il pu le voir ? Comment entre-t-il par la porte, c'est-à-dire par le Christ ? L'Apôtre lui-même, concluent-ils, établit et confirme ce

 

1. Job I, 6. — 2. Matt. V, 8. — 3. Jean X, 7 ; XIV, 6.

 

sentiment quand il dit que ni les Princes, ni les Puissances ni les Vertus n'ont connu Dieu.

2. Voilà dans ces paroles toute leur accusation. C'est une question que tout chrétien éclairé doit examiner avec soin ; mais l'intention des Manichéens qui la tournent contre nous est en même temps de détacher les simples de l'autorité salutaire des divines Écritures et de les amener à leur donner à eux-mêmes toute leur confiance.

Je voudrais donc leur demander d'abord en quel endroit de l'Apôtre leur Adimante, car , c'est lui qui a écrit toutes ces accusations, en quel endroit il a lu que l'Apôtre établit et confirme, comme il dit, que ni les Princes, ni les Puissances, ni les Vertus n'ont connu Dieu. Le Seigneur ne dit-il pas que les Anges même des hommes qui croient en lui voient chaque jour la face de son Père (1) ? Peut-être citera-t-on ce passage de saint Paul :  « Nous prêchons la sagesse parmi les parfaits, non la sagesse de ce siècle ni des princes de ce siècle, qui périssent ; mais nous prêchons la sagesse de Dieu dans le mystère, sagesse qui a été cachée,  que Dieu a prédestinée avant les siècles pour notre gloire ; qu'aucun prince de ce siècle n'a connue, car s'ils l'avaient connue, jamais ils n'auraient crucifié le Seigneur de la gloire (2). »

 

1. Matt. XVIII, 10. — 2. II Cor. II, 6-8.

 

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Si donc Adimante avait en vue ce passage, pourquoi a-t-il ajouté les Puissances et les Vertus,

dont il n'y est point parlé, et pourquoi a-t-il retranché de ce siècle, qui s'y lit en toutes lettres? Je désire qu'il l'ait fait, plutôt par erreur que par malice. Lors même cependant que l'Apôtre se serait exprimé comme il suppose, s'ensuivrait-il que le démon n'a pu entendre la voix de Dieu ? Il est écrit qu'il s'est présenté à la vue de Dieu, il n'est pas écrit qu'il ait vu Dieu.

On entend par princes de ce siècle soit les hommes orgueilleux qui font étalage d'une vaine pompe ; soit le diable et ses anges, car le Seigneur le nomme expressément le prince ou le magistrat de se siècle (1). Sous le nom de ce siècle en effet on comprend les pécheurs dont l'espoir ne se porte pas au delà. On dit d'une maison qu'elle est ruinée, quand on veut le dire de ceux qui l’habitent ; ainsi on dit que le siècle est pervers, quand on parle de ceux dont le coeur y est attaché, c'est-à-dire, dont la vie n'est pas dans les cieux, conformément à ces paroles de l'Apôtre : « notre vie est dans les cieux (2). » Or du diable dépendent tous les péchés ; car c'est lui qui a voulu porter le libre arbitre au péché, et pour ce motif il est appelé le prince de ce siècle.

Gravez cette règle d'interprétation dans vos coeurs ; elle vous servira, avec le, secours du Seigneur, à discuter et à éclaircir plusieurs passage des Écritures, où ces hérétiques cherchent des arguments en faveur de leur fausse doctrine.

3. Ainsi donc il n'est pas écrit que le diable a vu Dieu, mais seulement qu'il est venu en sa présence avec les Anges et qu'il a entendu sa voix. Pourquoi alors ces misérables s'attachent-ils à calomnier les Écritures et à corrompre la foi des simples en prétendant que le diable a vu Dieu? Cette courte réponse fait tomber leur accusation; quelle que soit leur loquacité quand ils demandent comment le démon a pu voir Dieu, nous nous contentons de répondre ; le démon n'a point vu Dieu.

Ils répliqueront : Comment.donc lui a-t-il parlé? Ici pour lors ce n'est pas nous, ce sont les aveugles qui les convaincront d'aveuglement. Les aveugles en effet ne causent-ils point chaque jour avec ceux qu'ils ne peuvent voir ? — Comment, insistent-ils, le démon s'est-il présenté à la vue de Dieu ? — Comme l'aveugle se présente à la vue de celui qui le voit et qu'il ne peut voir. Permettez-nous ces comparaisons, mes très-chers

 

1. Jean, XII, 31. — 2. Philip.III, 20.

 

frères, afin de mettre à nu la mauvaise foi de ces hommes charnels, afin, s'il est possible, que réfutés par ce moyen, ces coeurs impies sentent qu'ils ont besoin de s'instruire.     .

Est-ce que Dieu est circonscrit quelque part ? Est-ce qu'il n'est pas présent à toute conscience, des Anges et des hommes, des bons et des méchants? Il y a toutefois cette différence; qu'il est dans la conscience des bons comme un père, et comme un juge dans la conscience des méchants. C'est ce qui est écrit : « Le Seigneur interroge le juste et l'impie (1). — L'impie sera interrogé sur ses pensées (2). » Sa voix ne retentit pas plus fort aux oreilles que dans ce sanctuaire de la pensée où seul il entend, où seul il se fait entendre. Est-ce que les méchants eux-mêmes, quand il leur arrive de dire la vérité sans qu'on les croie, ne jurent pas en ces termes : Dieu m'est témoin ? et ils disent vrai. Mais où Dieu leur est-il témoin ? Sur la langue ou dans le coeur ? dans le son de la voix ou le silence de la conscience ? Et pourquoi s'irritent-ils souvent quand on ne les croit pas quoiqu'ils soutiennent la vérité ? N'est-ce point parce qu'ils ne peuvent nous ouvrir leur cœur où ils ont Dieu pour témoin ?

4. Dieu peut nous parler de bien des manières. Il nous parle, tantôt par quelque moyen extérieur, comme par le livre des divines Ecritures; et tantôt au moyen de quelqu'une de ses créatures, comme aux Mages par le moyen de l'étoile (3); le langage est-il effectivement autre chose que l'expression de la volonté ? Il parle au moyen du sort: ainsi fit-il connaître qu'il fallait ordonner Matthias à la place de Judas (4). Il parle par les hommes, ainsi par les prophètes. Il parle par les Anges, comme nous apprenons qu'il parla à quelques uns des Patriarches, des Prophètes et des Apôtres. Il parle au moyen de quelque bruit, de quelque voix formée par lui : ainsi nous lisons et nous sommes sûrs que des voix descendirent du ciel, quand on ne.voyait personne. Enfin Dieu parle à l'homme lui-même, non en frappant à l'extérieur ses oreilles ou ses yeux, mais en s'adressant intérieurement et de plusieurs manières à son âme. Quelque fois en songe : ainsi défendit-il à .Laban le Syrien de nuire à son serviteur Jacob en quoi que ce fût (5); et fit-il connaître à Pharaon les sept années d'abondance et les sept autres de disette (6). D'autres fois il transporte l'esprit de l'homme et le met en

 

1. Ps. X, 6. — 2. Sag. I, 9. — 3. Matt. II, 2. — 4 Act. I, 26. — 5. Gen. XXXI, 24. — 6. Id. XLI, 1-32.

 

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extase, comme disent les Grecs :ainsi l'Apôtre Pierre, pendant sa prière, vit descendre du ciel un vase rempli d'animaux figurant les gentils qui devaient arriver à la foi. Il parle dans. l'esprit même : c'est ainsi que réfléchissant en lui-même après cette vision, l'Apôtre connut ce que Dieu demandait de lui. Nul en effet ne peut le connaître si la vérité ne fait entendre à l'intérieur comme un cri silencieux. Dieu parle aussi dans la conscience des hommes de bien; car nul ne peut ni approuver le bien, ni réprouver le mal qu'il fait, qu'autant que ce cri de la vérité applaudit ou réclame dans le silence du coeur.

Or la Vérité c'est Dieu; et puisqu'elle peut de tant de manières parler aux hommes, aux bons et aux méchants, sans que tous.ceux à qui elle s'adresse puissent voir sa.substance et sa nature; qui d'entre nous peut conjecturer ou imaginer de quelles manières et de combien de manières elle parle aux Anges; soit aux bons Anges qui jouissent avec transport de son ineffable beauté en la contemplant avec une charité merveilleuse; soit aux Anges apostats, qui corrompus par leur orgueil et rejetés au loin comme ils le méritaient, par la Vérité même, peuvent néanmoins entendre sa voix de quelques manières inconnues de nous, quoiqu'ils ne soient pas dignes de la contempler face à face?

5. Ainsi donc, frères bien-aimés, fidèles de Dieu, et vrais enfants de l'Eglise catholique, votre mère, que personne ne puisse vous faire prendre des aliments empoisonnés, quoique vous ayez besoin encore d'être nourris de lait. Marchez maintenant avec persévérance dans la foi de la vérité; afin qu'au temps déterminé et convenable vous puissiez parvenir à la contempler. Car, comme dit l'Apôtre, « pendant que nous sommes dans ce corps, nous voyageons en étrangers loin du Seigneur; c'est parla foi que nous marchons en effet et non en le voyant (1). » Mais la foi chrétienne nous conduit voir cette beauté du Père, ce qui a fait dire au Seigneur : « Nul ne vient au Père que par moi (2). »

Nos adversaires n'ont ainsi aucun motif de demander comment le démon a pu aller à Dieu par le Christ. Le démon en effet ne saurait parvenir à ce bonheur de la contemplation où la foi chrétienne conduit les coeurs purs. Il ne s'ensuit pas toutefois qu'il ne puisse entendre la voix et la parole de Dieu ; puisque bien des hommes parmi ceux-mêmes qui ne croyaient pas au

 

1. II Cor. V, 6, 7. — 2. Jean, XIV, 6.

 

Christ, ont pu entendre cette voix divine qui disait du haut du ciel : « Je l'ai glorifié, je le glorifierai encore, » après que le Sauveur se fut écrié: « Père glorifiez votre Fils (1). »

6. S'il est écrit que le diable se présenta à la vue de Dieu, ce n'est pas pour exprimer que personne puisse jamais se dérober à ses regards, puisqu'il voit tout et que: le coeur n'a point de secrets pour lui. Ce que l'Écriture rapporte se fit secrètement, c'est pourquoi elle dit: « Et voici que les Anges se présentaient à la vue de Dieu, » à la quelle pourtant ils ne se dérobent jamais. Où qu'ils soient envoyés, l'oeil de Dieu les accompagne, et pour parler dans le sens propre, ou dit soumis au regard de Dieu ce que ne saurait découvrir le regard humain, comme les secrets de la conscience. Pour ce motif, lorsque nous réprimandons un menteur, nous disons qu'il n'a point parlé sous le regard de Dieu : il n'a pas dit en effet ce que l'oeil de Dieu voit dans son âme où nul homme ne saurait porter la vue.

Ainsi donc, parce que les choses dont il s'agit se sont accomplies dans le plus profond secret et que sans la révélation de l'Esprit-Saint l'Écriture n'aurait pu les faire connaître aux hommes, il est dit qu'on se présenta à la vue de Dieu et que là se tint le conseil.

7. Le diable, est-il écrit, se trouvait au milieu des Anges., Si tu vois ici les bons Anges, comprends que le diable était au milieu d'eux, comme l'accusé au milieu des gardes quand il comparait devant le tribunal. L'Écriture ne déclare point de quels Anges il s'agit ici. Et si tu y vois les mauvais anges, est-il étonnant que le prince et le chef soit au milieu de ses ministres? Veux-tu entendre la vue de Dieu en ce sens que non-seulement Dieu voit ceux qui se présentent à sa vue, mais qu'eux aussi voient Dieu ? Alors il faut comprendre que le diable était au indien des bons Anges sans voir Dieu comme eux, et que Dieu lui parla par le moyen de quelqu'un d'entre-eux.

Remarquons néanmoins que le livre sacré porte simplement : « Dieu dit. » Mais quoique le: juge ait presque tout dit, dans les affaires publiques, par l'organe de son héraut, n'est-il pas vrai que le nom du héraut ne figure point à côté de celui du juge dans la rédaction des Actes? Tout indigne qu'on soit d'une vision prophétique, ne peut-on se trouver au milieu des prophètes, entendre ce que le Seigneur dit parleur, bouche sans voir ce qu'ils voient ? Ainsi, pour

 

1. Jean, XII, 28, 27.

 

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entendre la voix de Dieu, le diable a pu paraître au milieu des saints Anges qui voyaient Dieu, sans le voir lui-même.

8. Vous le voyez, très-chers frères, on périt renverser de bien des manières les batteries élevées par les Manichéens contre la question qui nous occupe. Désormais vous ne penserez plus qu'en s'entretenant avec Dieu le diable ait pu voir face à face la vérité dont la vue est réservée aux coeurs purs ; ni qu'il soit parvenu à la jouissance de ce bonheur où nul ne saurait arriver que par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Je ne me lasse point d'admirer l'impudence de ces hérétiques. Comment? Ils veulent nous accuser à propos de la vue de Dieu, et ils attribuent menteusement à nos Écritures ce que nos Écritures ne disent pas, savoir que le diable a vu Dieu? Ils Veulent à ce sujet indisposer furieusement les esprits contre nous; et si l'ignorance s'en rapporte â eux plutôt qu'au texte sacré, on ne peut que frémir à la pensée que le démon ait vu Dieu et perdre toute confiance à l'autorité des divines Écritures.

Cependant eux-mêmes ne nient pas la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ils débitent qu'il s'est montré aux hommes sans avoir pris un corps humain.

9. Donc, quand le diable osa le tenter (1), que voyait-il en le voyant ? Si c'était son corps, le Seigneur avait donc un corps; mais ces misérables refusent de l'avouer. Et si le Seigneur n'avait pas de corps; le diable voyait donc la nature divine; mais les coeurs purs sont seuls capables de lavoir, comme il nous le répètent eux-mêmes d'après l'Évangile. O insupportable aveuglement des hérétiques! Pourquoi reprocher faussement à nos Écritures d'enseigner que le diable a vu Dieu, quand en refusant un corps au Christ tu es convaincu de vouloir mettre sous les yeux du diable sa divine nature ?

Serait-il vrai, comme ils le disent, que sans avoir de corps humain le Christ faisait semblant d'en avoir un? Insensés, pour qui est davantage la vérité, la raison ? Pour celui qui croit que Dieu s'est entretenu avec le diable, du pour celui qui croit, non-seulement que Dieu s'est entretenu avec le diable, mais encore qu'il a menti au diable ? L'Écriture , rappelle que des Anges se sont montrés à des hommes. Mais ils ont reçu du Seigneur une telle puissance sur les corps, qu'ils en disposent comme il leur plaît. Sans être nés d'une femme, ces Anges avaient donc

 

1. Matt. IV, 1-11.

 

un corps véritable qu'il pouvaient transfigurer selon que l'exigeaient leur ministère et la nature de leurs fonctions ; mais c'était toujours un corps véritable. Quand le Seigneur changea lui-même l'eau en vin, pouvons-nous dire que c'était de fausse eau ou de faux vin?

10. Quelques transformations qu'ait subies, par la volonté du Tout-Puissant, un corps rouable dans sa nature et dans la disposition de ses parties, il n'en est pas moins un vrai corps dans son genre; car quels que soient ses changements, il ne cesse pas d'être corps et corps véritable.

Mais ces novateurs imaginent que tous les corps viennent, non pas du Créateur divin et tout-puissant, mais de je ne sais quelle race de ténèbres. Aussi nous leur demandons d'où Notre-Seigneur Jésus-Christ a tiré son corps. Disent-ils qu'il n'a point pris de corps? Mais. qu'était ce qu'il montrait aux regards corporels ? Ou bien c'était un fantôme trompeur, ce qu'il serait exécrable de penser; ou bien, s'ils prétendent que c'était la nature divine elle-même qu'il montrait aux yeux des hommes sans avoir pris de corps, le diable l'a donc vue aussi. Que deviennent alors ces paroles qu'ils répètent ici d'une voix accusatrice : « Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu ? » Diront-ils que la nature divine et propre du Sauveur n'est pas clans le sein du Père ce quelle voulut paraître sur la terre sans s'être incarnée ? N'est-ce pas croire, malheureux, qu'elle est muable dans l'espace et le temps ? Ils ne veulent donc pas lire ou il ne sauraient comprendre aisément ce que dit un prophète : « Vous les changerez et ils seront changés : pour vous, vous êtes le même et vos années ne finiront pas; » ni ce qui est écrit de la divine Sagesse dans livre même de la Sagesse : « Immuable en elle-même, elle renouvelle tout (1). »

11. Et si, en suivant leur raisonnement, on leur disait : Pourquoi donc vous étonner que Dieu ait transformé la nature de sa divinité afin de permettre au coeur impur du diable de le contempler, puisque vous en croyez autant du Christ notre Dieu ? J'ignore ce qu'ils répondraient. Jamais, en effet, ils n'ont osé avancer que le Père et le Fils n'eussent pas la même nature; et s'ils attribuaient au Fils une nature différente, il serait facile de leur répondre : Eh ! savez-vous si c'est avec le Père ou avec le Fils que, d'après cet ancien livre, le diable s'est entretenu? Nous leur demanderions ensuite : Le diable voit-il, oui ou non, ce soleil ? S'il le voit; comment ce soleil

 

1. Ps. CI, 27. 28; Sag. VII, 27.

 

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peut-il être Dieu, puisque le diable le voit ? S'il ne le voit pas; mais les hommes mauvais le voient, et comment peut-il encore être Dieu, puisque Dieu n'est vu que des coeurs purs? Si enfin pour se l'aire voir, lui aussi a changé et n'est pas tel qu'il paraît; que répondre si je dis que pour imiter le soleil et ne pas l'adorer seulement, vous aussi vous vous montrez différents de ce que vous êtes?

Veux-tu néanmoins leur demander si la nature divine est muable ou immuable ? Moins conduits par la raison que couverts de confusion, ils ne peuvent se dispenser de répondre quelle est immuable. Ils sont donc forcés d'avouer que pour se montrer aux yeux Notre-Seigneur Jésus-Christ a pris son corps ailleurs que pour cette substance. S'il l'a pris ailleurs, ou l'a-t-il pris? Dans ce monde? Mais qui a créé, ce monde des corps? La race des ténèbres, répondent-ils promptement. O folie surprenante! Comment, misérables, vous avez peur du sein d'une vierge pour la formation du corps du Sauveur et vous n'avez pas peur de la race des démons?

12. Voici notre profession de foi: Toute nature corporelle vient du Créateur divin et tout-puissant; donc Notre-Seigneur n'a pu prendre un corps sans le prendre à sa créature: Mais il a préféré dans son humilité le tirer d'une femme, parce qu'il venait délivrer la créature jetée par une femme dans les liens de la mort , et pour amener les deux sexes à l'espoir d'être renouvelés et réparés, il les a choisis tous deux, le sexe de l'homme pour le garder et le sexe de la femme pour y recevoir la vie.

Et vous qui avez horreur du chaste sein d'une vierge, examinez, de grâce, où le Seigneur pouvait prendre un corps: Tous les corps, dites-vous, sont de la nature de la race de ténèbres. Examinons donc, vous dis-je, d'où le Fils de Dieu a du tirer son corps. Ne voyez-vous plus assez pour répondre, parce que de tous côtés vos yeux ne rencontrent que ténèbres?

Une chair mortelle, répliquent-ils, semble trop impure. Répétez-leur ces paroles de l'Apôtre « Tout est pur à qui est pur. » Dites encore contre eux ces autres paroles du même Apôtre: «Mais rien n'est pur à ceux qui sont impurs et infidèles; leur esprit et leur conscience sont souillés (1). » S'ils

 

1. Tite I, 15.

 

ne disent pas qu'elle est trop impure, mais trop faible, nous sommes pleinement d'accord. Aussi le Christ est notre forée parce que notre faiblesse ne l'a point affaibli. Car ici je reconnais ce cri du prophète : « Vous les changerez et ils seront changés : pour vous, vous êtes toujours le même et vos ans ne finiront point. (1) » Non-seulement la faiblesse de la chair ne l'a point affaibli, lui-même l'a fortifiée. Voyez ce soleil. Les Manichéens ne croient pas que ce soit un corps, tant ils ignorent la nature des corps, eux qui se glorifient, contre toute raison, de savoir s'élever aux discussions spirituelles. Voyez donc ce soleil que nous appellerons un corps, uniquement parce qu'il est un corps céleste : il éclaire la terre sans en être obscurci; il aspire l'eau sans en être humecté ; il rompt la glace sans en être refroidi; il durcit la terre sans en être amolli. Et Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Verbe du Père par qui tout a été fait, la Vertu et la Sagesse de Dieu, présent partout et partout caché, tout entier partout et nulle part contenu, atteignant avec force d'une extrémité à l'autre et disposant' tout avec douceur, n'aurait pu, craignent ces malheureux,  se faire homme pour donner la vie aux mortels. sans mourir lui même; sanctifier la chair sans en être souillé; relâcher la mort sans en être enchaîné; changer l'homme en soi sans se changer en lui?

Pour ménager la faiblesse de quelques uns et écarter d'eux les dangers, il nous a fallu passer d'un genre à l'autre dans cette discussion. Quant à la question même que nous devions examiner, d'abord l'Écriture, qu'ils aiment mieux attaquer que d'en recevoir les lumières, ne dit pas que le diable ait vu Dieu. D'ailleurs c'est à eux, de nous dire comment la race des ténèbres a pu voir la nature divine quand, avant la lutte où, d'après eux, se sont mêlés le bien et le mal, cette divine nature n'avait point encore pris de corps pour se montrer à son ennemi. C'est assez pour leur prouver qu'ils essaient vainement d'ébranler les fondements de la foi catholique, et qu'aucune réponse ne saurait soutenir leurs fables qui tombent en ruines.

 

1. Ps. CI, 27, 28.

 

 

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