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SERMON XXXV. LE SAGE ET L'INSENSÉ. (1).
ANALYSE. Ce discours, ou plutôt ce court fragment, est simplement destiné à expliquer pourquoi, la bonté du sage rejaillissant sur ceux qui l'entourent, la méchanceté du méchant ne nuit qu'à lui-même. C'est que la vertu des bons profite aux bons qui en sont témoins, qui y applaudissent et qui l'imitent; mais au lieu de rien faire perdre aux âmes vertueuses, le vice des pécheurs leur offre de nouvelles occasions de pratiquer la vertu et de s'améliorer.
1. Quand on n'écoute pas avec négligence les divins oracles, on peut être surpris de cette maxime: « Mon Fils, si tu es sage, tu le seras pour « toi et pour tes proches; mais si tu deviens méchant, toi seul en porteras la peine. » Quelle interprétation droite peut-on donner à ces paroles ? Est-ce que la vie corrompue du prochain ne nous attriste pas comme nous réjouit la vie vertueuse ? Si l'on estime qu'il s'agit ici de persuasion et que le sage profite de sa sagesse et en fait profiter ceux à qui il l'inspire; comment peut-on dire que celui qui devient méchant porte seul la peine de sa méchanceté, puisqu'il est dit des insinuations des méchants: « Les entretiens pervers corrompent les bonnes moeurs (2)? » N'est-ce pas ce que crie encore ce héraut de la charité: « Si un membre est honoré, tous les autres se réjouissent avec lui; et si un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui (3) ? » Comment donc est-il vrai de dire : « Mon Fils, si tu es sage, tu le seras pour toi et pour tes proches ; et si tu deviens méchant, toi seul en porteras la peine ? » Comment me réjouir de la bonté de quelqu'un, quand sa méchanceté ne peut me rendre méchant contre moi-même? Comment être heureux d'avoir retrouvé quelqu'un, lorsque sans danger pour moi il pouvait rester perdu ? Etre sage, n'est-ce pas être un membre plein de santé avec lequel se réjouissent les autres membres ? Comment donc le méchant portera-t-il seul la peine de sa méchanceté, puisque tous les membres souffrent semblablement avec le membre malade ? 2. L'esprit ne sera point en paix, si cette question n'est résolue. Elle le sera avec l'aide du Seigneur, si d'abord nous croyons avec une pleine certitude, si nous regardons comme une vérité immuable et inébranlable ce principe, que nul ne saurait être bon de la bonté d'autrui, ni méchant de la méchanceté d'autrui. Ce qui fait
1. Prov. IX, 12. 2. I Cor. XV, 33. 3. Ibid. XII, 26.
dire à l'Apôtre : « Chacun de nous portera son propre fardeau (1); » et ailleurs: «Ainsi chacun de nous rendra compte pour soi-même (2). » il dit encore : « Que chacun éprouve ses propres oeuvres et alors il trouvera sa gloire en lui-même seulement et non dans autrui (3). » Le prophète Ezéchiel exprime la même vérité: « L'âme du père est à moi, l'âme du fils est également à moi ; l'âme qui péchera mourra elle-même (4). » Il a pour but dans tout ce passage, de montrer que les enfants méchants ne sont point soulagés par les mérites de leurs parents, et que les enfants vertueux ne souffrent point de leurs vices. Une fois ce principe indubitable fortement établi en nous, examinons en quoi nous rendons service au prochain, et distinguons avec grand soin ce que nous désirons pour notre salut, de l'affection que nous témoignons au prochain. Si tu es bon, ce n'est point de la bonté d'autrui, c'est de la tienne ; néanmoins cette bonté qui est en toi et qui te rend bon, fait que tu jouis aussi de la bonté d'autrui, non pas en la lui empruntant, mais en l'aimant lui-même. De même, si tu es méchant, tu ne l'es pas de la méchanceté d'autrui, mais de la tienne, et cette méchanceté fait que tu n'aimes pas le prochain comme toi-même; car alors tu ne t'aimes pas toi-même puisque tu aimes ton plus cruel ennemi, le péché. Il ne t'attaque pas à l'extérieur, tu l'as introduit dans ton âme, et pour lui aider à te vaincre plus facilement, tu le secondes contre toi-même. En aimant ainsi l'ennemi qui t'inflige une si honteuse défaite, tu es manifestement convaincu de te haïr; et tu vérifies cet oracle divin: « Aimer l'iniquité, c'est haïr son âme (5). » 3. Aussi par là même que l'on est bon on se réjouit du bonheur des autres comme on s'attriste de leur malheur. Alors surtout on mérite le nom de prochain, puisque le prochain est celui
1. Gal. VI, 6. 2. Rom. XIV, 12. 3. Gal. VI, 4. 4. Ezèch. XVIII, 4. 5. Ps. X, 6.
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qui nous regarde de près, c'est-à-dire qui nous considère avec bonté. Or, « si tu es sage », tu le seras non-seulement pour toi, mais encore pour celui qui sera ton prochain dans ce sens ; il ne sera pas bon de ta bonté, mais sa bonté lui fera aimer ton bonheur. Si au contraire « tu deviens méchant, tu en porteras seul la peine, » il ne la partagera point avec toi. En effet ta méchanceté ne le rendra pas méchant, elle lui inspirera plutôt de la compassion. Il s'attriste de tes vices, il n'en est pas puni : cette tristesse témoigne de son amour et de ta perte ; elle te condamne et elle le couronne: elle t'accable et elle l'élève. C'est aussi pour ce motif qu'il est écrit : « Obéissez à vos supérieurs, car ils veillent comme devant rendre compte de vos âmes; afin qu'ils remplissent ce devoir avec joie et non avec tristesse; ce qui ne vous serait pas avantageux (1). » Il ne vous est pas avantageux d'être chargé de leur tristesse; mais il leur est utile de s'attrister de votre méchanceté. Ainsi donc regarde les bons comme tes proches, et sois bon non pas de leur bonté mais de la tienne, reconnaissant toutefois qu'elle ne vient pas de toi et qu'elle t'a été octroyée par Dieu même. Qu'as-tu en effet que tu n'aies reçu (2)? De cette manière, « si tu es sage, tu le seras pour toi et pour tes proches, » à qui il est avantageux de se réjouir de ta vertu. « Mais si tu deviens méchant, tu en subiras seul la peine; » et non pas eux, puisqu'il leur est avantageux aussi de s'attrister de ta méchanceté.
1. Héb. XIII, 17. 2. I Cor. VI, 7.
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