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SERMON XX. NÉCESSITÉ DE FAIRE PÉNITENCE (1).
ANALYSE. Pour exhorter son peuple à la pénitence, saint Augustin expose plusieurs motifs qui doivent y engager; il réfute ensuite plusieurs objections que l'on invoque pour chercher à s'en dispenser. 1. Les motifs qui doivent nous exciter à confesser sincèrement nos fautes ou à en faire pénitence sont : 1° que nous pouvons nous perdre nous-mêmes, mais qu'il nous est impossible de nous sauver sans un divin secours ; 2° si nous reconnaissons nos péchés, Dieu les méconnaîtra ; 3° si au contraire nous les méconnaissons, Dieu les reconnaîtra et s'en vengera. II. Les obstacles qui nous détournent de la pénitence sont : 1° la propension à nous excuser et à rejeter nos fautes.sur autrui. Que le démon est heureux lors même que nous les lui attribuons, car c'est nous perdre! 2° Le découragement contre lequel nous prémunit l'Écriture est aussi un obstacle pour plusieurs. 3° Enfin la présomption séduit un grand nombre de pécheurs. Dieu a promis le pardon au repentir ; mais a-t-il promis de donner le temps de se repentir?
Que nul donc ne diffère de se convertir. Que nul ne prolonge sa vie mauvaise, c'est-à-dire un long mal, quand il peut avoir une bonne vie, c'est-à-dire un long bien.
1. D'une commune voix et d'un cur unanime nous avons prié Dieu pour notre coeur même et nous avons dit : « Créez en moi un coeur pur, ô mon Dieu, et renouvelez au fond de mon
1. Ps. L, 12; XL, 3,
âme l'esprit de droiture. » Nous vous exposerons, pour l'honneur de la grâce divine, les quelques idées que le Seigneur nous adonnées sur ce passage. On voit dans ce Psaume un pénitent qui (86) désire recouvrer son espérance flétrie; il est abattu sous le poids de sa chute et il presse Dieu à grands cris de venir à son secours : le malheureux a pu se blesser, il ne peut se guérir. Ne pouvons-nous, quand il nous plait, frapper et meurtrir notre chair, mais pour lui rendre la santé ne courons-nous pas au médecin, sans avoir pour nous rétablir autant de pouvoir que nous en avons pour nous détruire? Ainsi pour pécher, l'âme se suffit à elle-même ; pour guérir les plaies du péché, elle implore la main secourable de Dieu. De là ces paroles d'un autre psaume : « J'ai dit : « Seigneur ayez pitié de moi; guérissez mon âme, car j'ai péché contre vous. » On veut, en parlant ainsi, montrer sensiblement que l'âme trouve en elle-même la volonté, la liberté du péché, et que pour se perdre elle se suffit, mais que c'est à Dieu de la chercher et de la guérir quand elle s'est meurtrie. Car « le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui s'était perdu (1). » Voilà pourquoi nous disons en répandant notre prière : « Créez en moi un coeur pur, ô mon Dieu, et renouvelez au fond de mon âme l'esprit de droiture. » Parle ainsi, âme pécheresse, pour ne pas te perdre par le désespoir plus que tu ne t'es perdue par le péché. 2. Il faut avant tout prendre soin de ne pas pécher, de ne contracter pas avec le péché comme avec le serpent une amitié dangereuse. De sa dent venimeuse il tue celui qui pèche et ce n'est pas un être avec lequel on doive faire alliance. Mais s'il lui arrive d'opprimer le faible, de séduire un imprudent, de surpendre un égaré, de tromper et d'induire en erreur, que le coupable ne craigne pas de l'avouer et qu'il cherche non à s'excuser, mais à s'accuser. N'est-ce pas ce que l'on demande dans ces paroles d'un Psaume : « Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche, et à mes lèvres une porte qui les ferme; ne laissez pas mon coeur se porter aux paroles mauvaises, chercher des excuses à mes péchés (2) ? » On te conseille un péché? Repousse absolument. On t'a persuadé de le commettre? Ne t'excuse pas, mais plutôt accuse-toi. Celui à qui nous avons entendu dire: « Créez en moi un coeur pur, ô mon Dieu, » n'avait-il pas commencé ainsi: « Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon la grandeur de votre miséricorde ? » Grand pécheur il demande une grande miséricorde; à sa large plaie il veut un large remède. Il dit encore: « Détournez les yeux de mes crimes; effacez toutes mes iniquités. Créez en
1. Luc, XIX, 10. 2. Ps. CXL, 3, 4.
moi un cur pur, ô mon Dieu (1).» Ainsi Dieu détourne sa vue du péché quand on le confesse, quand on s'en accuse et que l'on implore son divin secours et sa miséricorde. Mais en détournant la vue des crimes, il ne la détourne pas du coupable. On lui dit ici : « Détournez les yeux de mes crimes; effacez toutes mes iniquités ; » mais on lui dit ailleurs : « Ne détournez pas de moi votre face (2). » Il se détourne quand il ne remarque point; car s'il remarque il châtie, comme font les juges lorsqu'ils prononcent leur sentence contre les accusés reconnus coupables. Si donc nous disons à Dieu: « Détournez les yeux de mes crimes, » c'est pour obtenir qu'il ne nous châtie point, qu'il ne sévisse point contre nous. Ne pas les reconnaître, c'est les méconnaître. Nous nommons noble celui qui est noble et ignoble celui qui n'est pas noble : c'est à peu près ainsi que nous disons qu'un homme connaît quand il connaît, et qu'il méconnaît quand il ne connaît pas. Mais si tu veux que Dieu méconnaisse tes fautes, reconnais-les. Car le péché ne peut rester impuni : il ne convient pas, il ne faut pas, il n'est pas juste, qu'il le soit. Et puisqu'il ne peut demeurer impuni, punis-le donc pour n'être pas puni à cause de lui. Qu'il trouve en toi un juge; non un défenseur. Monte sur le tribunal de ta conscience pour prononcer contre toi ; accusé, place-toi devant toi-même. Ne te place pas derrière : autrement Dieu te placerait devant lui. Aussi pour obtenir un facile pardon, le pénitent dit-il dans notre psaume : « Car je reconnais mon iniquité et mon péché est toujours devant moi (3). » Comme s'il disait : Puisqu'il est devant moi, il ne doit pas être devant vous; méconnaissez-le, puisque je le reconnais. Ainsi ton péché sera châtié par toi ou par Dieu; s'il l'est par toi il le sera sans toi; s'il l'est par Dieu, tu seras châtié avec lui. Sévis donc contre lui pour que Dieu te défende. Dis franchement : C'est moi qui l'ai commis. « J'ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi; guérissez mon âme, parce que j'ai péché contre vous. » C'est moi, dit-il, qui ai dit. Je ne cherche pas, pour excuser mon péché, qui a péché en me tentant ou qui m'a poussé au crime. Je ne dis pas : La Fortune en est cause. Je ne dis pas : Le destin l'a voulu. Je ne dis pas non plus : Le diable en est l'auteur. Le diable en effet peut conseiller, effrayer; il peut même tourmenter sérieusement s'il en a reçu la permission: et il faut demander
1. Ps. L, 3, 11, 12. 2. Ps. XXVI, 9. 3. Ps. L, 5.
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au Seigneur la force de n'être ni séduit par ses attraits ni abattu par ses violences. Contre les charmes et les menaces de l'ennemi, qu'il daigne nous donner deux vertus : l'une pour contenir et l'autre pour souffrir : pour contenir les passions et n'être point pris par la prospérité; pour soutenir les terreurs et n'être point abattus par l'adversité. «. Et comme je savais que nul ne peut se contenir sans un don de Dieu (1). » Il est dit clans le même sens : « Créez en moi un coeur pur, mon Dieu. ». Il est dit encore : « Malheur à ceux qui ont perdu la patience (2). » Ne cherche donc à accuser personne, autrement tu pourrais rencontrer un accusateur de qui tu ne pourrais te défendre. Notre ennemi lui-même, le diable est content lorsqu'on l'accuse; il veut résolument que tu le charges et il est disposé à subir tous les reproches qu'il te plaira, pourvu que tu n'avoues point tes fautes. C'est pour déjouer ses ruses que ce pénitent s'écrie : « J'ai dit, Seigneur. » En vain cet ennemi me dresse des pièges, je connais ses embûches. Il cherche à captiver ma langue et à me faire dire : Le diable en est l'auteur. « J'ai dit » au contraire : « Seigneur. » C'est donc par ces artifices qu'il séduit les âmes et les éloigne du remède de la confession : tantôt il leur insinue de s'excuser et de chercher à en accuser d'autres; tantôt il leur inspire, quand elles ont péché, de se livrer au désespoir et de considérer le pardon comme impossible à obtenir; tantôt encore il leur persuade que Dieu oublie tout sur-le-champ et qu'il n'est pas nécessaire de se corriger. 3. Considérez donc quel sont les danger s contre lesquels doit se tenir en garde un coeur pénitent! Pour ne pas rejeter la faute sur autrui; qu'il se rappelle ces paroles : « J'ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi; guérissez mon âme, car j'ai péché contre vous. » Mais on ne doit pas succomber au désespoir, croire qu'il soit impossible de guérir après avoir péché et beaucoup péché. On ne doit pas s'abandonner aux passions, ni se laisser aller à la remorque de toutes les convoitises; car alors on fait tout ce qui plaît, sans égard à la défense, ou si on ne le fait pas, c'est uniquement par respect humain; et comme un gladiateur, comme un homme dévoué à l'immolation, qui désespère entièrement de la vie, on s'abandonne à tout ce qui peut satisfaire ses inclinations et ses penchants déréglés, on périt misérablement par désespoir. Afin donc de protéger ces pécheurs contre eux-mêmes, c'est-à-dire contre ces pensées
1. Sag. VIII, 21. 2. Eccli. II, 16.
funestes, l'Écriture dit avec soin : « En quelque jour que l'impie se convertisse et pratique la justice, j'oublierai toutes ses iniquités (1). » Hélas ! une fois guérie du désespoir, grâce à ces paroles si elle y ajoute foi, l'âme rencontre une autre précipice: le désespoir n'a pu la faire périr, la présomption peut la perdre. Et qui peut périr par présomption ? Le voici : c'est celui qui dit dans son âme : Dieu a promis le pardon à tous ceux qui renoncent aux péchés, à quelque heure qu'il se convertissent il oubliera leurs iniquités. Donc je ferai ce qui me plaît, je me convertirai quand je le voudrai et rues fautes seront effacées. Que répondre à cet homme? Que Dieu ne prend pas soin de guérir le pénitent, qu'il ne lui remet pas tous les péchés commis lorsqu'il se convertit? Mais le nier serait contester contre la clémence divine, traverser les enseignements des prophètes, résister aux divins oracles. Un fidèle dispensateur ne fera point cela. 4. Donc, me répliquera-t-on, tu lâcheras les rênes aux péchés et tu laisseras faire aux hommes ce qu'ils veulent en leur promettant le pardon, limpunité même au jour de leur conversion ? C'est leur donner toute liberté pour le crime; ils s'y précipitent avec impétuosité sans que personne les rappelle, et leur espérance en fait des désespérés. Mais quoi ?l'Écriture aurait des remèdes tout préparés contre le désespoir et elle non aurait point contre l'espérance trompeuse ? Écoute ce qu'elle dit contre l'espoir funeste et pervers: « Ne tarde pas de revenir au Seigneur et ne diffère point de jour en jour; car sa colère viendra soudain, et il te perdra au moment de la vengeance (2). » Comprends-tu, présomptueux ? Tu péris si tu désespères, et si tu espères tu péris encore. Où seras-tu en sûreté ? Comment échapper à ce double précipice ? Comment te placer dans la droite voie pour servir Dieu, avoir pitié de ton âme, plaire au Seigneur? Tu désespérais et l'on t'a dit : « En quelque jour que l'impie se convertisse, joublierai toutes ses iniquités. » Tu commençais à te livrer à une espérance déréglée et l'on t'a dit : « Ne tarde point de revenir au Seigneur, et ne. diffère point de jour en jour. » La providence et la miséricorde divine t'environnent de toutes parts. Que réponds-tu ? Dieu m'a promis le pardon; il me l'accordera quand je me convertirai. Oui, il te l'accordera quand tu reviendras à lui: et pourquoi n'y reviens-tu point ? C'est parce qu'il me
1. Ezéch. XVIII, 21; XXXIII, 14, 15. 2. Eccli. V, 8, 9.
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l'accordera lorsque je me convertirai. Sans doute, au moment où tu te convertiras il te l'accordera. Mais ce moment, quand arrivera-t-il? Pourquoi n'est ce pas aujourd'hui ? Pourquoi n'est-ce pas en cet instant où tu mécoutes ? Pourquoi n'est-ce pas maintenant que tu t'acclames, maintenant que tu applaudis? Que mes' cris te soutiennent, que les tiens te condamnent. Pourquoi n'est-ce pas aujourd'hui ? Pourquoi n'est-ce pas à l'instant ? Demain, dis-tu ; car Dieu m'a promis le pardon. Et c'est toi qui te promets un demain ? Eh bien ! si tu me montres dans le livre, sacré que Dieu t'a promis le jour de demain comme il a promis le pardon à quiconque est converti, j'y consens, diffère jusqu'à demain. Mais n'est-ce pas lui qui, pour te pénétrer d'une salutaire frayeur et en t'adressant de justes reproches, a dit en premier lieu : « Ne diffère point de jour en jour, car sa colère viendra soudain ? » Tu crains donc, homme sage, de mener une bonne vie pendant plus de deux jours ? Si c'est demain que tu commences cette bonne vie, commence dès aujourd'hui et elle aura deux jours. De cette manière encore, si le jour de demain vient à te faire défaut, celui d'aujourd'hui te mettra en sûreté, et si tu vis encore demain, ce sera un jour de plus. Quoi ! tu désires une longue vie, et tu ne crains pas une mauvaise vie ! Tu veux vivre longtemps et vivre mal ! Tu cherches un long mal; pourquoi ne pas chercher plutôt un long bien ? Est-il rien que tu ne veuilles avoir en bon état ? La vie sera donc la seule chose mauvaise qui tombera sur toi? Si je te demande quel vêtement tu désires : Un bon réponds-tu quelle campagne ? une bonne : quelle épouse? une bonne; quels enfants ? de bons : quelle demeure ? une bonne. La vie est la seule chose que tu veuilles mauvaise. Comment? Tu préfères la vie à tous tes biens et de tous ces biens la vie est la seule chose que tu veuilles mauvaise? Tous ces objets que tu voulais bons, vêtements, maison, campagne, et les autres, tu es disposé à les sacrifier pour ta vie. Qu'on vienne à te dire : Tous ces biens ou la vie; tu es prêt à les donner tous pour la conserver même mauvaise. Pourquoi ne pas la vouloir bonne, quand pour elle tu donnes tout? Ainsi tu n'as plus d'excuse: accuse-toi pour n'être pas condamné. Après le sermon :
Nous exhortons votre charité à écouter avec soin et avec vigilance la parole de Dieu, quand les prêtres en sont les ministres. Car le Seigneur notre Dieu est la vérité même que vous entendez, quelle que soit la bouche qui l'exprime; et il n'y a de premier parmi vous que celui qui est le dernier. Pour nous conformer à l'usage, nous avons dû parler d'abord : à vous maintenant d'obéir par amour.
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