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SERMON XL. CONTRE LE DÉLAI DE LA CONVERSION. (1) .
ANALYSE. Notre devoir est de servir Dieu avec une patience et une confiance inaltérables. Combien donc ils se trompent ceux qui ne veulent point revenir à lui, soit par désespoir soit par présomption ! Combien se méprennent aussi ceux qui diffèrent de se convertir ! - En effet, 1° fussent-ils.surs de se convertir plus tard, pourquoi mener une vie mauvaise quand ils peuvent la rendre bonne? 2° Qu'ils montrent le passage de l'Écriture qui leur promet de vivre demain : partout au contraire ils y sont pressés de se convertir. 3° Donc qu'ils regardent comme un bienfait mes instances importunes à les tirer de leur sommeil. 4° Que leur servirait-il d'être rassurés par moi si Dieu me désavoue? Ainsi tous demandons avec ferveur notre conversion et la parfaite sanctification de nos âmes.
1. Souvent, mes frères, nous avons chanté avec le Psalmiste : « Attends le Seigneur, agis avec courage; fortifie ton cur et attends le Seigneur (2). » Que veut dire: « Attends le Seigneur? » Que tu reçoives quand il donnera, que tu n'exiges point quand il te plaît. L'époque de ses récompenses n'est point encore arrivée ; attends-le, puisqu'il t'a attendu. Mais qu'ai-je dit : Attends-le puisqu'il t'a attendu? Si déjà tu vis dans la justice, si déjà tu es converti, si tes anciens péchés te déplaisent, si tu es déterminé à mener dans la pratique du bien une vie nouvelle; ne te hâte point d'exiger la récompense. Dieu a attendu que tu corrigeasses la perversité de ta vie ; attends qu'il en couronne la vertu. Car si lui-même n'attendait encore, il n'y aurait personne à qui il pût donner. Attends donc, puisqu'on t'a attendu. 2. Pour toi, qui ne veux pas té corriger, oh! qui que tu sois qui refuses de revenir à Dieu; hélas! je parle comme s'il n'y en avait qu'un seul et j'aurais dû dire plutôt : Qui que vous soyez ici; cependant toi qui es ici et qui n'es point résolu de te corriger, et pour parler comme s'il n'y en avait qu'un; qui que tu sois qui ne veux pas te convertir, que te promets-tu? Est-ce le désespoir ou la présomption qui te perd? Victime du désespoir, tu dis en ton coeur, qui que tu sois Mon péché m'accable, mes iniquités me dévorent, quel espoir ai-je de vivre? Écoute le prophète. « Je ne veux pas la mort de l'impie, je veux seulement que l'impie se convertisse de sa voie détestable et qu'il vive (3). » Et toi que perd la présomption, tu dis aussi dans ton cur Dieu est bon, Dieu est miséricordieux, il pardonne tout, il ne rend pas le mal pour le mal. Mais écoute l'Apôtre : « Ignores-tu, dit-il, que la patience de Dieu t'invite à la pénitence ? (4).»
1. Eccli. V, 8, 9. 2. Ps. XXVI, 14. 3 Ezéch. XXXIII, 11 . 4. Rom. II, 4.
3. Qu'as-tu donc encore à répondre ? Si nous avons gagné sur toi quelque chose, si tu as saisi ce que je viens de rappeler, je vois ce que tu m'objecteras. J'en conviens, diras-tu; mais je ne m'abandonne ni au désespoir pour en être victime, ni à la présomption pour en être également accablé. Je ne répète pas : mon iniquité m'écrase, je n'ai plus d'espoir. Je ne dis pas non plus : Dieu est bon, il ne châtie personne. Je m'abstiens de ces deux extrêmes, également pressé par l'autorité dit Prophète et par l'autorité de l'Apôtre. Alors que dis-tu? Je vivrai encore un peu de temps à ma fantaisie. Voilà ceux qui nous fatiguent; ils sont nombreux et importuns. Je vivrai encore un peu de temps à ma fantaisie, je me corrigerai ensuite; et comme la vérité est dans ces paroles du prophète : « Je ne veux pas la mort de l'impie, je veux seulement qu'il sorte de sa voie perverse et qu'il vive : » quant je me serai converti, Dieu effacera toutes mes fautes. Pourquoi n'ajouter pas à mes plaisirs et ne pas suivre mes désirs aussi longtemps que je veux, puisque je dois ensuite me convertir au Seigneur ? 4. pourquoi ce langage, mon frère, pourquoi? Parce que Dieu m'a promis le pardon si je change. Je le vois, je le sais, Dieu a promis le pardon. Il le promet par son saint prophète, il le promet par moi-même, le dernier de ses serviteurs; il est bien vrai qu'il le promet, il l'a promis encore par son Vils unique. Mais pourquoi vouloir joindre des jours mauvais à de mauvais jours ? Qu'à chaque jour suffise son mal (1). Le jour d'hier était mauvais, celui-ci l'est encore, demain le sera aussi. Crois-tu bons en effet les jours où tu satisfais tes passions, où tu plonges ton cur dans l'a débauche, où tu tends des pièges à la pudeur, où tu aigris le
1. Matt. VI, 34.
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prochain par la fraude, où tu nies un dépôt, où pour une pièce de monnaie tu fais un faux serment? Le bonheur du jour consiste-t-il pour toi dans un bon repas ? Eh ! comment le jour serait-il bon pour toi si tu es mauvais? A de mauvais jours tu veux donc ajouter des jours mauvais? 5. Qu'on me laisse donc un peu, dit ce pécheur. Pourquoi ? Parce que Dieu m'a promis le pardon. Mais personne ne t'a promis de vivre demain. Tu lis bien dans le Prophète, dans l'Évangile et dans l'Apôtre que Dieu effacera tes iniquités lorsque tu te seras converti montre-moi mais de la même manière quel est le texte sacré qui t'assure du lendemain, et demain je te permettrai de faire le mal. Mais non, mon frère, je ne puis t'adresser ce langage. Peut-être cependant ta vie sera-t-elle longue. Si elle est longue, qu'elle soit donc bonne. Pourquoi chercher une vie à la fois longue et mauvaise ? Mais si elle n'est pas longue, aime alors cette autre vie qui sera vraiment longue, puisqu'elle n'aura pas de fin. Si d'ailleurs elle est longue, comment te repentir d'avoir mené une vie bonne et longue en même temps? Voudrais-tu mal vivre pendant longtemps? Voudrais-tu ne pas bien vivre? Personne toutefois ne t'a promis de lendemain. Corrige-toi, écoute l'Écriture. « Ne diffère pas, .dit-elle, de te convertir à Dieu. » Ces paroles ne sont pas de moi et elles sont à moi. Elles sont à moi, si je les aime aimez-les, et elles seront également pour vous. Elles viennent de la sainte Écriture; méprise-les, elles seront pour toi l'ennemi, l'ennemi avec lequel, dit le Seigneur, il faut t'empresser de te mettre d'accord (1). Que tous soient attentifs, je répète ici les paroles de l'Écriture divine. Malheureux qui diffères, malheureux ami du jour de demain, écoute le Seigneur quand il parle, écoute l'Écriture quand elle prédit. Je suis ici une sentinelle avancée. « Ne tarde pas de te convertir au Seigneur et ne diffère pas de jour en jour. » N'est-il pas ici question, n'est-ce pas ici le caractère de ceux qui disent : c'est demain que je commence à bien vivre, je vis mal aujourd'hui? Demain encore tu tiendras le même langage. « Ne tarde pas de te convertir à Dieu et ne diffère pas de jour en jour. Car sa colère viendra soudain et il te perdra au jour de la vengeance.» Est-ce moi qui ai écrit cela? Puis-je l'effacer ? et si je l'efface ne serai-je pas effacé? Je puis le taire sans douté, mais je crains
Matt. V, 25.
ce silence. Je suis contraint de publier cette vérité, et je communique la crainte qu'elle m'inspire. Partagez ma crainte pour partager ma joie. « Ne tarde pas de te convertir à Dieu. » Voyez, Seigneur, ce que je dis; vous savez, Seigneur., que vous m'avez effrayé à la la lecture de votre prophète. Vous connaissez, Seigneur, l'effroi dont alors j'étais glacé sur cette chaire. Écoutez, je répète encore : « Ne tarde pas de te convertir à Dieu et ne diffère pas de jour en jour; car sa colère viendra soudain et il te perdra au jour de la vengeance. » Or je ne veux pas qu'il te perde. 6. Ne me dis pas : Je veux périr; car je ne veux pas, moi. Mon refus est préférable à ton vouloir. Je suppose que ton père malade soit tombé en léthargie ; il est entre tes bras et c'est toi qui, jeune encore, dois assister ce vieillard. Le médecin te dit : Ton père est en danger; ce sommeil est un appesantissement mortel. Attention! ne le laisse pas dormir; si tu le vois céder, au sommeil, excite-le; si c'est peu, va jusqu'à le pincer; si c'est peu encore, emploie l'aiguillon pour le dérober à la mort. N'est-il pas vrai que malgré ta jeunesse tu ne craindrais point de te rendre importun à sa vieillesse? Il se laisserait aller aux douceurs d'un sommeil maladif, dans ce lourd assoupissement il fermerait les yeux et tu lui crierais : Ne t'endors pas. Laisse-moi, je veux dormir, répondrait-il. Mais le médecin a dit, répliquerais-tu, qu'il ne faut point te laisser dormir. Je t'en conjure, reprendrait-il, laisse-moi, je veux mourir. Et moi je ne le veux pas, dit le fils à son père, à son père qui appelle la mort. Toi donc, tu veux retarder cette mort, tu veux vivre un peu plus longtemps encore avec ce vénérable vieillard condamné pourtant à mourir. Maintenant le Seigneur te crie lui-même : Ne t'endors point pour ne pas dormir toujours, éveille-toi pour vivre avec moi et posséder en moi un père dont tu ne conduiras point le deuil. Tu l'entends et tu es sourd. 7. Sentinelle avancée, qu'ai-je fait? J'agis libéralement, je ne, vous veux point de mal. Je bais néanmoins que plusieurs diront : Que prétend-il ? Il nous a effrayés, accablés, condamnés. Ah! j'ai voulu plutôt vous sauver de la condamnation. Il serait pour moi hideux, honteux, pour ne pas dire coupable, dangereux et funeste; donc il serait pour moi honteux de vous tromper, puisque Dieu ne me trompe pas.
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Le Seigneur menace de la mort les impies, les débauchés, les trompeurs, les scélérats, les adultères, les chercheurs de plaisirs, les contempteurs d'eux-mêmes, ceux qui se plaignent des temps sans changer de moeurs ; le Seigneur les menace de la mort, il les menace de la géhenne, il les menace de la ruine éternelle. Pourquoi veulent-ils que je leur promette ce que Dieu ne promet point? En vain le régisseur te laisse en paix : quel, service te rend-il si le père de famille n'y consent pas? Je suis ici régisseur, serviteur moi-même. Tu veux que e te dise : Vis à ta fantaisie et Dieu ne te perdra point? Ce serait une assurance de régisseur, assurance inutile. Ah! mieux vaudrait qu'elle te vint du Seigneur et que l'inquiétude vint de moi. L'assurance du Seigneur aurait son effet malgré moi ; la mienne serait sans .valeur malgré lui. Or, mes frères, quelle peut être ma sécurité ou la vôtre, sinon d'écouter avec attention et avec soin les ordres du Seigneur et d'attendre ses promesses avec confiance ? Ce travail nous fatigue, parce que nous sommes hommes : donc implorons 'son secours, élevons jusqu'à lui nos gémissements. Ne prions pas pour obtenir les biens du siècle qui passent, qui fuient, qui s'évanouissent comme une vapeur; prions pour obtenir l'accomplissement de la justice et la sainteté au nom du Seigneur; non pour la défaite d'un voisin, mais pour la défaite de la cupidité; non pour la guérison du corps, mais pour la ruine de l'avarice. Prions ainsi; la prière alors nous fortifiera intérieurement dans la lutte et nous couronnera dans la victoire.
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