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SERMON XVII. LE SILENCE DE JÉSUS-CHRIST (1).

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ANALYSE. — Si Jésus-Christ a gardé le silence devant son juge, il ne le gardera pas toujours. I. Il ne le garde point quand notre salut demande qu'il parle. Il nous a parlé par les prophètes, par lui-même; maintenant encore il nous parle dans ses Écritures, par l'Église, et c'est lui qui m'oblige, sous peine de mort, de vous dénoncer que les pécheurs d'habitude, aussi insensibles à leurs crimes que des cadavres, méritent d'être retranchés de l'Église. II. Il est vrai, Jésus-Christ maintenant ne parle point par sa propre bouche et quoiqu'il parle de tant d'autres manières, des malheureux interprètent son silence comme une indifférence ou même un consentement au crime. Mais il parlera un jour d'une manière terrible, et ce sera pour charger le pécheur d'une épouvantable et irrémédiable confusion. III. Donc empresse-toi de te corriger. Profite des réprimandes de l'Église et ne t'imagine point que le jugement soit si éloigné, puisque tu es si fragile et que ta mort est si proche.

 

1. Frères, nous venons de chanter : « Dieu viendra avec éclat ; c'est notre Dieu et il ne gardera point le silence. » L'Écriture a prédit que le Christ notre Dieu viendra pour juger les vivants et les morts. Lorsque d'abord il est venu pour être jugé, il est resté caché; quand il viendra pour juger, il paraîtra avec éclat. Combien il fut caché alors ! Comprenez-le par ces paroles de l'Apôtre: « S'ils l'avaient connu, ils n'auraient point crucifié le Seigneur de la gloire (2). » Même interrogé il garda le silence ; l'Évangile le dit et c'était l'accomplissement de cette prophétie d'Isaïe : « Il a été conduit comme une brebis à l'immolation, et comme l'agneau se tait devant qui le tond, il n'a point ouvert la bouche (3). »

« Il viendra donc avec éclat et ne gardera pas le silence. » Ces paroles : « Il ne gardera point le silence, » sont une allusion au silence qu'il garda devant son juge. Le garda-t-il jamais quand pour nous il était nécessaire qu'il parlat ? Il ne l'a gardé ni dans la bouche des prophètes ni dans sa propre bouche, et si maintenant il le gardait, l'Écriture ne parlerait point. Le lecteur monte à la tribune, et le Christ n'est point silencieux. Le prédicateur explique, et s'il dit vrai c'est le Christ qui parle. Si le Christ gardait le silence, je ne vous dirais point ce que je vous dis. Mais il ne le garde pas non plus dans votre bouche. Quand vous chantiez, n'était-ce pas lui qui parlait : Il n'est point silencieux ; c'est à nous de l'écouter, mais avec l'oreille du cœur. Il est facile d'entendre avec les oreilles du corps ; mais nous lui devons une autre attention, celle que ce Maître réclamait lui-même en disant : « Entende, qui a des oreilles pour entendre (4). » Qui était alors, devant lui, privé de cet organe ? Tous l'avaient et peu l'avaient. Tous n'avaient pas des

 

1. Ps. XLIX, 3. — 2. I Cor. II, 8. —3. Isaïe, LIII, 7. — 4. Matt, XIII, 9.

 

oreilles pour entendre, c'est-à-dire pour obéir.

2. Ne vient-il pas de parler d'une manière terrible dans la prophétie d'Ézéchiel ? Vous y avez été attentifs, je le crois ; je crois que vous avez remarqué ces paroles : « Je t'enverrai à la maison d'Israël, je ne t'enverrai pas à un peuple d'un langage profond. Mais ce peuple refusera de t'entendre, parce qu'il ne veut pas m'entendre (1). » N'est-ce pas une preuve que Dieu parlait lui-même par la bouche du Prophète?

C'est nous surtout, nous pasteurs chargés par Dieu d'adresser la parole à son peuple, que ce langage prophétique jette dans l'effroi ; aussi nous nous regardons d'abord dans ce miroir, Ce que disait le lecteur était en effet comme un miroir où nous devons nous considérer. Nous l'avons fait, à vous de le faire. Pour moi je pratique actuellement ce que j'y ai entendu : « Si tu ne distingues pas le juste, y est-il dit, si tu ne dis pas au pécheur : Tu mourras de mort et si tu ne lui montres pas à renoncer à ses iniquités ; à la vérité il mourra dans ses péchés, mais je redemanderai son sang à tes mains. Si au contraire tu l'avertis, qu'il dédaigne et n'obéisse pas, il mourra dans ses crimes, mais tu délivreras ton âme (2). » Je vous avertis, je délivre mon âme. Car si je me tais, je suis jeté non dans un grand danger, mais dans une grande ruine.

Maintenant que je parle et accomplis mon devoir, réfléchissez à vos propres dangers. Que pensez-vous que je veux, que je désire, que j'ambitionne ? Pourquoi estimez-vous que je parle que je siège ici, que je vis ? Mon but n'est-il pas que tous ensemble nous vivions pour le Christ ? Telle est mon ambition, tel est mon honneur, telle est ma gloire, telle est ma joie, telles sont mes richesses. Si vous ne m'écoutez ;

 

1. Ézéch. III, 5-7. — 2. Ézéch. XXXIII, 8, 9.

 

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point et si néanmoins je ne cesse de parler, je délivrerai mon âme ; mais je ne veux point me sauver sans vous.

3. Mes fières, gardez-vous de mépriser les péchés dont peut-être vous avez déjà contracté l'habitude. On l'ait peu de cas d'un péché d'habitude, on le regarde même comme nul : on y est endurci, on n'en ressent aucune douleur. On n'en ressent point non plus d'un membre entièrement pourri ; toutefois loin de le considérer comme bien portant, on le regarde nomme un membre mort. Soyez attentifs à ce que dit l'Écriture et voyez-y votre règle de conduite. Qui ne dédaigne le péché d'ivrognerie ? Ce vice est, commun et on le dédaigne. Le coeur alluma- au vin n'est plus sensible à la douleur, parce qu'il n'a plus de vie. Le membre qui frémit quand on le blesse est plein de santé, ou présente quelque espoir de recouvrer la santé. S'il ne sent rien quand on le presse, quand on le pique, quand on le blesse,  c'est qu'il n'a plus de vie et doit être retranché du corps. Nous épargnons quelquefois et nous nous contentons de parler; nous différons d'excommunier et d'exclure de l'Eglise, parce que nous craignons que ce châtiment ne rende pire le coupable. Dans cette situation son âme est morte : cependant notre Médecin est tout-puissant; il ne faut point désespérer au salut de ces malades, il faut le supplier de toutes nos forces de vouloir bien leur ouvrir l'oreille du coeur, qui certainement est fermée.

Néanmoins ce redoutable Seigneur épargnera-t-il toujours ? gardera-t-il toujours le silence ? Vous venez de l'entendre, mes frères; lorsque dans ce psaume il énumérait les iniquités du pécheur, il disait : « Voilà ce que tuas fait et je me suis tu. » Mais n'y est-il pas dit aussi : «Il viendra et ne gardera point le silence ? » Il sera là et parlera. Car sans compter ce silence dont j'ai fait mention tout à l'heure et que Jésus-christ notre Seigneur et notre Dieu a gardé devant son juge, pour accomplir cette prophétie comme les autres, actuellement il ne parle point par lui-même. Il est monté au ciel, il est assis à la droite de son Père, d'où il viendra juger les vivants et les morts ; mais tant qu'il est là et jusqu'à son avènement il se tait. Nous l'entendons dans les livres, il ne nous parle pas de vive voix. Vous entendez maintenant son langage dans les saintes Écritures ; vous l'entendez aussi lorsque vous vous les rappelez ou lorsque peut-être vous vous en entretenez entre vous.

4. Quand on veut, mes très-chers, être écouté de Dieu, il faut d'abord écouter Dieu. Mais l'écoutes-tu quand tu commets un adultère que tu crois caché parce qu'aucun homme n'en est témoin ? Dieu te voit, mais il se tait. Quand tu veux dérober, tu observes d'abord les regards de celui que tu veux dépouiller, et tu accomplis ton dessein lorsqu'il n'en a point connaissance. T'abstiens-tu dans la crainte d'être surpris ? Tu as fait le crime intérieurement, tu l'as commis dans ton coeur : tu n'as rien emporté et l'on te tient pour voleur. Toi-même d'ailleurs, quand l'occasion se présente, tu exécutes ton injuste projet et tu t'applaudis du silence de Dieu.

Entends donc le psaume : c'est à toi qu'il s'adresse, à toi qui es ici et qui peut-être as fait cette nuit quelque acte criminel. « Voilà ce que tu as fait, dit-il, et je me suis tu. M'as-tu injustement soupçonné d'être semblable à toi? » O vous qui ne dites ni ne pensez ce que je vais exprimer, je vous estime heureux. Ces hommes qui font le mal ou qui se repentent d'avoir fait le bien et qui perdent par une pénitence vicieuse le fruit de leurs bonnes oeuvres, ces hommes ne disent-ils pas chaque jour et ne murmurent-ils pas avec aigreur : Réellement si ces actes déplaisaient à Dieu, les laisserait-il faire et les auteurs en' seraient-ils heureux sur la terre ? Voici des ravisseurs, voici des hommes qui oppriment les faibles, qui exproprient leurs voisins, qui dépassent violemment les limites et qui calomnient : cependant ils sont puissants, riches et heureux dans ce monde. Dieu les épargnerait-il si réellement il voyait tout cela, s'il en prenait souci ? On va même jusqu'à dire, ce qui est plus horrible : Il n'y a de faveur que pour les méchants. Qu'un homme fasse le bien et soit ensuite éprouvé, il s'écrie aussitôt : Il n'y a point d'avantage à bien faire ; qui fait bien n'en profite pas. Mais n'est-ce pas assez pour toi de chercher à mal faire ? Te faut-il maudire encore ceux qui font le bien ? « Voilà ce que tu as fait, dit le Seigneur, et je me suis tu. M'as-tu injustement soupçonné d'être semblable à toi ? » D'être semblable à toi, qu'est-ce à dire ? C'est-à-dire: as-tu pensé que le mal me plait comme à toi ? Tu t'es contenté de le dire en ton coeur ; mais je t'ai entendu. Ce qu'il y a de plus malheureux encore, c'est qu'on tient ostensiblement ce langage sans craindre qu'il soit entendu.

5. « Tu m'as donc injustement soupçonné d'être semblable à toi. Je t'accuserai » de la (78) manière et dans le temps que tu ne penses pas. Lorsque tu agis je garde le silence, mais je ne le garde point quand je juge. «Je t'accuserai. » Et que te ferai-je alors ? « Je te placerai en face de « toi-même. » En faisant le mal tu crois encore être bon parce que tu refuses de te considérer. Tu critiques les autres sans te regarder ; tu accuses les autres sans penser à toi : tu les fais poser devant tes yeux et tu te places derrière toi-même. En t'accusant je fais le contraire. C'est toi-même que je place devant toi-même. Tu te verras alors et tu te plaindras; mais il n'y aura plus moyen de te corriger. Tu méprises donc le temps de la miséricorde ; viendra le jour du jugement ; car tu as chanté toi-même dans mon Église : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement (1). »

Ce cri sort de notre bouche et les Églises redisent partout en l'honneur du Christ : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement. » Nous sommes au temps de la miséricorde et pas encore à l'époque du jugement : corrigeons-nous. Voici le temps, le moment convenable ; nous avons péché, corrigeons-nous. Nous ne sommes point encore au terme de la voie ; le jour n'est pas tombé, nous n'avons point rendu le dernier soupir : ah ! ne désespérons point, ce serait aggraver le mal. Pour effacer les péchés, hélas! si facilement explicables des mortels, péchés d'autant plus fréquents qu'ils sont de moindre gravité, Dieu a établi dans son Église, pour le temps de la miséricorde, un remède à prendre chaque jour. « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (2). » Cette prière doit nous purifier et nous disposer à approcher de l'autel, à recevoir le corps et le sang de Jésus-Christ.

6. Ce qu'il y a de plus douloureux, c'est qu'on méprise complètement ce divin remède : il est des hommes qui refusent le pardon à qui les offense, qui vont même jusqu'à ne vouloir pas le demander à ceux qu'ils blessent. La tentation a pénétré dans l'âme, la colère s'y est glissée, elle y a établi son empire et s'y est rendue tellement maîtresse, que le coeur a été bouleversé et que la langue a vomi les outrages et les injures. Ne vois-tu pas où elle t'a poussé? Ne vois-tu pas où elle t'a précipité ? Corrige-toi enfin, dis J'ai mal fait, j'ai péché. Tu ne mourras pas de parler ainsi : crois-en, non pas moi, mais Dieu même. Que suis-je, hélas ? un homme, votre

 

1. Ps. C, 1. — 2. Math. VI, 12.

 

semblable, chargé de chair et d'infirmité. Nous croyons en Dieu.

Attention à vous ! Le Christ Notre-Seigneur a dit, remarquez bien : « Si ton frère a péché contre toi, reprends-le entre toi et lui seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère; s'il ne t'écoute point, prends encore avec toi une ou deux personnes, et sur la parole de deux ou trois témoins tout sera avéré. S'il ne les écoute pas eux-mêmes, réfères en à l'Église, et s'il

n'écoute pas l'Église non plus, qu'il te soit comme un païen et un publicain (1). » Le païen est un gentil, et le gentil est celui qui ne croit point au Christ. Si donc on n'écoute pas l'Église, on est mort.

Mais on est vivant; dis-tu ; on entre dans l'Église, on se signe, on fléchit le genoux, on prie, on approche de l'autel. Peu importe ! Que l'on « soit pour toi comme un païen et un publicain.» Ne considère point ces trompeuses apparences: tout vivant, on est mort. D'où vient cette vie ? Comment se soutient-elle. ? Je dis à quelqu'un devant vous : Tu as fait cela, — Etait-ce un si grand mal, répondra-t-il ensuite. Il devrait m'avertir secrètement, me dire en particulier que j'ai mal fait, je reconnaîtrais ainsi ma faute, Pourquoi m'accuser en public? — J'ai fait ce que tu demandes et tu ne t'es point corrigé? Je l'ai fait et tu continues ? Je l'ai fait et dans ton coeur tu prétends encore avoir bien agi? Es-tu juste, parce que Dieu se tait ? N'as-tu point manqué, parce que Dieu ne punit pas encore ? Ne crains-tu pas d'entendre : « Je t'accuserai ? »Ne crains-tu pas : « Je te placerai en face de toi-même ? » Ne le crains-tu pas ?

7. Mais le jugement, dis-tu, est encore éloigné. D'abord qui t'a dit que le jour du jugement est encore loin ? Si ce jour est encore loin, ton jour l'est-il également ? Comment en sais-tu l'époque? Beaucoup ne se sont-ils pas endormis pleins de santé pour devenir des cadavres glacés! Ne portons-nous pas la mort avec nous dans notre corps ? Ne sommes-nous pas plus fragiles, que si nous étions de verre ? Tout fragile qu’il soit, le verre avec des précautions peut durer longtemps, et l'on rencontre, entre les mains de petits-fils et d'arrière petits-fils, des coupes où ont bu des aïeuls et des bisaïeuls. Tant de fragilité s'est conservée pendant de longues années. Nous autres mortels nous sommes fragiles et nous marchons chaque jour au milieu des

 

1. Matth. XVIII, 15-17.

 

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dangers; en dehors même des cas imprévus, il nous est impossible de vivre longtemps. La vie humaine, même complète, est courte. De l'enfance à la vieillesse décrépite elle est courte. Si Adam avait vécu jusqu'ici et qu'il mourut aujourd'hui, que lui importerait sa longue vie ? Ajoutez que le moment où la mort semble devoir arriver naturellement est toujours incertain, à cause ales maladies qui peuvent survenir. Des hommes meurent chaque jour ; ceux qui survivent forment leur convoi, célèbrent leurs funérailles et se promettent de vivre encore. Personne ne dit : Je me corrigerai pour n'être pas comme ce défunt que j'ai conduit.

Vous aimez les paroles ; je demande des actes. Veuillez ne me point attrister par vos moeurs corrompues : car je n'ai dans cette vie d'autre plaisir que votre bonne vie.

 

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