|
|
SERMON LXXXIV. LES DEUX VIES (1).
ANALYSE. Des misères et du peu de durée de la vie présente, que néanmoins on aime beaucoup, saint Augustin conclut combien nous devons nous attacher à la vie bienheureuse et éternelle.
1. Le Seigneur disait à un jeune homme : « Si tu veux parvenir à la vie, observe les commandements. » Il ne disait pas: Si tu veux parvenir à l'éternelle vie; mais : « Si tu veux parvenir à la vie : » c'est qu'il n'entend par vie que celle qui dure éternellement. Commençons donc par en inspirer l'amour. Quelle que soit la vie présente, on s'y attache, et malgré ses chagrins et ses misères, on craint, on tremble d'arriver au terme de cette chétive vie. Puisqu'on aime ainsi une vie pleine de tristesses et périssable, ne doit-on pas comprendre, ne doit-on pas considérer combien la vie immortelle est digne de notre amour? Remarquez attentivement, mes frères, combien il faut s'attacher à une vie où jamais l'on ne cesse de vivre. Tu aimes cette vie où tu as tant à travailler, tant à courir, à te hâter, à te fatiguer. Comment nombrer tous les besoins que nous y éprouvons? Il y faut semer, labourer, défricher, voyager sur mer, moudre, cuire, tisser et mourir après tout cela. Combien d'afflictions dans cette misérable vie que tu aimes! Et tu crois vivre toujours et ne mourir jamais? On voit tomber les temples, la pierre et le marbre, tout scellés qu'ils sont avec le fer et le plomb ; et l'homme s'attend à ne pas mourir? Apprenez donc, mes frères, à rechercher la vie éternelle où vous n'aurez à endurer aucune de ces misères, où vous régnerez éternellement avec Dieu. « Celui qui veut la vie, dit le prophète, aime à voir des jours heureux (2). » Quand en effet les jours sont malheureux, on désire moins la vie que la mort. Au milieu des afflictions et des
1. Matt. XIX, 17. 2. Ps. XXXIII,13.
angoisses, des conflits et des maladies qui les éprouvent, n'entendons-nous pas, ne voyons-nous pas les hommes répéter sans cesse : O Dieu, envoyez-moi la mort, hâtez la fin de mes jours? Quelque temps après on se sent menacé : on court, on ramène les médecins, on leur fait des promesses d'argent et de cadeaux. Me voici, dit alors la mort, c'est moi que tu viens de demander à Dieu; pourquoi me chasser maintenant ? Ah ? tu es dupe de toi-même et attaché à cette misérable vie.
2. C'est du temps que nous parcourons que l'Apôtre a dit : « Rachetez le temps car les jours sont mauvais (1). » Et ils ne seraient pas mauvais, ces jours que nous traversons au milieu de la corruption de notre chair, sous le poids accablant d'un corps qui se dissout, parmi tant de tentations et de difficultés, quand on ne rencontre que de faux, plaisirs, que des joies inquiètes, les tourments de la crainte, des passions qui demandent et des chagrins qui dessèchent ? Ah ! que ces jours sont mauvais! Et personne ne veut en voir la fin ? et l'on prie Dieu avec ardeur pour obtenir une vie longue? Eh ! qu'est-ce qu'une longue vie, sinon un long tourment? Qu'est-ce qu'une longue vie, sinon une longue succession de jours mauvais? Lorsque les enfants grandissent, ils croient que leurs jours se multiplient, et ils ignorent qu'ils diminuent. Le calcul de ces enfants les égare, puisqu'avec l'âge le nombre des jours s'amoindrit plutôt que d'augmenter. Supposons, par exemple, un homme âgé de quatre-vingts ans: n'est-il pas vrai que chaque moment de sa vie est pris sur
1. Ephés. , 10.
Ce quil lui en reste? Et des insensés se réjouissent à mesure qu'ils célèbrent les retours de leur naissance ou de celle de leurs enfants! Quelle vue de l'avenir ! Quand le vite baisse dans ton outre, tu t'attristes, et tu chantes quand s'écoule le nombre de tes jours ? Oui, nos jours sont mauvais, ils le sont d'autant plus qu'on les aime davantage. Les caresses du monde sont si perfides, que personne ne voudrait voir la fin de cette vie d'afflictions. Mais la vraie vie, la vie bienheureuse est celle qui nous attend lorsque nous ressusciterons pour régner avec le Christ. Les impies ressusciteront aussi, mais pour aller au feu. Il n'y a donc de vie véritable que la vie bienheureuse. Or, la vie ne saurait être heureuse si elle n'est éternelle en même temps que les jours ou plutôt que le jour y est heureux; Car il n'y a point là plusieurs jours, mais un seul. Si nous disons plusieurs, c'est par suite d'une habitude contractée dans cette vie. Ce jour unique ne connaît ni soir ni matin; il n'est pas suivi d'un lendemain, parce qu'il n'avait pas d'hier. C'est ce jour ou ces jours, c'est cette vie et cette vie véritable qui nous est promise. Récompense, elle suppose le mérite. Ah! si nous aimons cette récompense, ne nous lassons pas de travailler, et durant l'éternité nous règnerons avec le Christ.
|