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SERMON VI. MOÏSE ET LE BUISSON ARDENT (1).28
ANALYSE. Saint Augustin entreprend de montrer ici une vérité bien souvent exprimée par lui et. par les docteurs des premiers siècles, savoir que Jésus-Christ est comme voilé dans tous les faits de l'ancien Testament et que partout l'il pénétrant de la foi peut le contempler avec amour. Lorsque Dieu se révèle à Moïse au milieu du buisson ardent on peut considérer: 1° les circonstances principales de cet évènement ; 2° les miracles mêmes que le futur législateur opère auprès du buisson sacré. Or dans tout se montre le Fils de Dieu. I. Jésus se révèle dans les circonstances mêmes de l'apparition. En effet : 1° Dieu ne se montre pas à Moïse dans sa nature divine, mais sous la forme sensible créée par lui : ainsi le Fils de Dieu a du se revêtir de notre nature pour se donner: à nous ; 2° le buisson épineux ne se consume pas : la loi ne pouvait abolir le péché, il fallait l'Incarnation du Sauveur : 3° Dieu prend devant Moïse un double nom : un nom qui représente l'immutabilité de sa nature et un nom qui rappelle ses communications paternelles avec les hommes. Ainsi, du sein de son éternité, le Verbe divin est descendu parmi nous. II. Trois miracles surit opérés par Moïse, et tous trois reportent la pensée vers le Sauveur des hommes : 1° la verge ou le sceptre de Moïse désigne l'autorité. Pourquoi cette verge a-t-elle été changée en serpent? N'est-ce pas ainsi que la suprême Majesté est devenue le vrai serpent d'airain pour nous guérir de nos blessures ? 2° Pourquoi la main lépreuse de Moïse recouvre-t-elle la santé quand il la porte sur son coeur, sinon pour indiquer que nous trouvons dans le coeur de. Jésus-Christ la délivrance de tous nos maux ? 3° L'eau est prise dans l'Écriture pour un symbole de sagesse. Que signifie l'eau changée en sang, sinon la Sagesse souveraine incarnée et répandant son sang pour l'amour de nous ?
1. Pendant qu'on faisait les saintes lectures, nous nous sommes spécialement appliqué à la première d'entre elles, et nous nous empressons de partager avec votre sainteté ce que le Seigneur nous suggère : si vous entendiez charnellement les divins mystères, il serait à craindre que vous ne reculiez au lieu d'avancer. Ce qui s'offre d'abord à notre esprit, c'est que Dieu apparut à Moïse. Quand il daigne apparaître dans sa substance et tel qu'il est, c'est seulement aux coeurs purs. « Heureux les coeurs purs, dit l'Évangile, car ils verront Dieu (2). » Et s'il a voulu se montrer quelquefois aux yeux corporels de ses saints, ce n'est point dans sa nature même, c'est dans une forme visible, sensible, qui peut réellement tomber sous nos sens. Tantôt c'est une voix qui retentit aux oreilles, c'est tantôt le feu qui brille aux regards, c'est quelquefois un ange qui se révèle sous quelque visible apparence et qui fait le personnage de Dieu même. C'est ainsi, mes frères, que Dieu apparut à Moïse. Cette Majesté souveraine qui a fait le ciel et la terre, qui gouverne le monde entier et que les Anges avec leurs purs esprits s'attachent à contempler dans sa suprême beauté, il n'a pu se manifester aux regards mortels d'un homme sans avoir pris une forme visible et sensible qui pût frapper les yeux. Cette Sagesse divine elle-même, par qui tout a été fait, se montrerait-elle aux humains si elle n'avait pris une chair humaine?
1. Exod, III. 2. Matt. V, 8.
2. De même donc que le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu a pris une chair pour se révéler à ; nos yeux, ainsi toutes les fois que Dieu a voulu se rendre sensible aux hommes, il a daigné j se couvrir de quelque forme visible. Mais les Actes des Apôtres disent expressément que ce fut un Ange qui apparut à Moïse dans le buisson (1), Ce livre serait-il vrai et l'Exode serait-il faux? Ou bien l'Exode serait-il faux et les Actes seraient-ils vrais? Mais si nous sommes chrétiens, si notre foi est éclairée, chacun de,ces livres est également véridique. Et si tous deux sont vrais, comment l'un enseigne-t-il que ce l'ut Dieu qui apparut, et l'autre, que ce l'ut un Ange? N'est-ce pas que le Saint-Esprit, en révélant dans les Actes qu'un Ange apparut, a expliqué l'Exode et fait connaître de quelle manière Dieu se montra ?. Ce passage des Actes a porté la lumière dans ce qui restait ici d'obscur, et pour détourner de nous là pensée que Dieu ait apparu en lui-même, on nous dit que l'Ange, fut la l'orme créée sous laquelle il se manifesta. Mais, si c'est un Ange qui se montre pourquoi ces expressions : « Dieu dit; Dieu appela Moïse qui s'approcha de lui; Dieu dit à Moïse? ». Parce que l'attention se porte, non sur le temple ou sur l'ange, mais sur celui qui l'habite, c'est-à-dire sur Dieu, dont l'Ange était le temple. Dieu daigne demeurer dans un homme, parler par sa bouche, et quand un prophète parle, on ne craint pas de dire : « Dieu a parlé. » Ne
1. Act. VII, 30.
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me parle-t-il pas bien mieux encore par la bouche d'un Ange ? Nous disons : « Dieu a parlé par Isaïe. » Qu'était donc Isaïe ? N'était-ce pas un homme revêtu de chair, comme nous, et comme nous né d'un père et d'une mère? Cet homme parle et que disons-nous de son langage? « Voici ce que dit le Seigneur (1). » Si c'est Isaïe qui parle, comment est-ce Dieu? L'unique moyen de l'expliquer, c'est de croire que Dieu a parlé, par Isaïe. Ainsi, dans le passage que nous commentons, si on attribue à Dieu ce qu'exprime l'Ange, n'est-ce point parce que Dieu s'énonce par l'organe de l'Ange? 3. Cette question résolue, examinez la suivante : Qu'est-ce que Dieu a voulu figurer en choisissant, pour s'y révéler, ce buisson qui paraissait tout en feu, sans brûler, sans se consumer ? Ce buisson épineux peut-il désigner quelque chose de bon? Si le feu en avait consumé les épines, on pourrait entendre que la parole de Dieu adressée aux Juifs a consumé leurs péchés et que la loi ancienne a mis un terme à leurs iniquités. Le feu dans le buisson représente la loi parmi les Juifs; les épines représentent les péchés; et si le feu ne brûle pas les unes, c'est que la loi n'a point effacé les autres. 4. Maintenant, Dieu dit à Moïse; vous savez tout cela et le temps. ne nous permet point de vous entretenir trop longuement; Dieu donc dit : à Moïse : « Je suis l'Être ; l'Être m'a envoyé. » Moïse en effet cherchait à connaître le nom de Dieu, et il lui fut dit : « Je suis l'Être. Voici ce que tu feras entendre aux fils d'Israël : C'est l'Être qui m'a envoyé vers vous. » Quel nom ? ô Seigneur ! ô notre Dieu ! quel nom vous donnez-vous ? Je m'appelle l'Être, répond-t-il. Qu'est-ce à dire? Que je subsiste éternellement sans pouvoir changer. Ce qui change n'est point en tant qu'il change: Être c'est subsister. Ce qui change a été une chose et en sera une autre; mais il n'est pas véritablement, car il est muable. C'est donc l'immuabilité divine qui a daigné se révéler elle-même dans cette parole : « Je suis l'Être. » 5. Mais pourquoi Dieu s'est-il donné ensuite un autre nom ? Il dit à Moïse : « Je suis le Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob : voilà mon nom pour l'éternité. » Comment se nommer, d'un côté, l'Être, et d'autre part : le Dieu d'Abraham et le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ? Le voici : Dieu en
1. Isaïe, I, 1.
lui-même est immuable, mais il a tout fait par miséricorde, et le Fils de Dieu même a daigné prendre une chair muable, tout en demeurant Verbe de Dieu, pour venir au secours de l'homme. L'Être s'est ainsi revêtu d'une chair mortelle afin de pouvoir s'appeler le Dieu d'Abraham et, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. 6. Expliquons ensuite les signes ou prodiges que Dieu accorda à Moïse d'opérer. « Si le peuple, dit Moïse, me fait cette objection : Dieu ne t'a pas envoyé, comment lui montrerai-je que c'est vous qui m'avez envoyé ? Jette ta verge, lui fut-il répondu; il jeta la verge qu'il portait à la main, elle devint un serpent et Moïse en eut peur. » Le Seigneur lui dit encore : « Saisis-la par la queue. Il la saisit et elle redevint ce qu'elle était. » Dieu lui donna un autre signe : « Mets ta main dans ton sein. Il l'y mit. « Retire-la. Et elle était blanche comme la neige, c'est-à-dire couverte de lèpre. » La blancheur de la peau est une maladie dans l'homme. « Mets-la de nouveau dans ton sein. Il l'y mit et elle recouvra sa couleur. » Voici un troisième signe : « Prends de l'eau du fleuve et répands la dans un vase assez grand. Il en prit, l'y répandit et elle se changea en sang. A ces signes le peuple t'écoutera. Si le premier ne suffit pas, le second et le troisième suffiront pour que l'on t'écoute (1). » 7. Essayons, avec l'aide de Dieu, d'expliquer ce qu'ils signifient. La verge est le symbole de l'autorité, et le serpent rappelle la mort ; car c'est le serpent qui a fait boire à l'homme la coupe empoisonnée et le Seigneur a daigné s'obliger à mourir. Quand donc la verge est jetée à terre où elle prend la forme d'un serpent, ne figure-t-elle pas l'autorité suprême, Notre-Seigneur Jésus-Christ, descendant, parmi nous et s'y revêtant de notre mortalité pour l'attacher à la croix ? Votre sainteté n'ignore pas que le peuple orgueilleux et opiniâtre murmura au désert contre Dieu et commença à être blessé à mort par des serpents. La miséricorde divine indiqua un remède ; ce remède rendait la santé pour le moment, et pour l'avenir il annonçait l'éternelle Sagesse. « Élève au milieu du désert un serpent d'airain attaché à une colonne de bois, dit le Seigneur, et déclare au peuple : Que tout homme blessé regarde ce serpent. Et les blessés regardaient ce serpent, et ils étaient guéris (2).» Le Seigneur dans l'Evangile
1. Exod. XI, 1-9. 2. Nombr. XXI, 8, 9, 14, 15.
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ne parle-t-il point d'un signe pareil? « Comme Moïse a élevé le serpent au milieu du désert, ainsi doit être élevé le fils de l'homme, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle (1). » Ce qui signifie : Quiconque est blessé par le péché comme par un serpent, doit regarder le Christ, et il recouvrera la santé avec le pardon de ses fautes. Voilà, mes frères, comment le Seigneur s'est revêtu de notre mortalité. Son corps mystique, dont le chef divin est un homme dans le ciel, doit la porter aussi. Cette mortalité est pour l'Église comme la blessure causée par le serpent trompeur; car si nous mourons, c'est par la faute du premier homme, et toutefois, par les mérites de Jésus-Christ Notre-Seigneur, la mort nous fait passer à l'éternelle vie. Mais à qu'elle époque l'Église rentre-t-elle dans la vie et retourne-t-elle dans son royaume ? A la fin du siècle. Aussi pour ramener le serpent à son état primitif, Moïse le prit par la queue, c'est la fin. 8. Que signifie sa main? Elle désigne certainement son peuple. Et qu'est-ce que le sein de l'homme ? Le sein de Moïse est le sanctuaire de Dieu. Quand nous étions dans ce divin
1. Jean, III, 14, 15.
sanctuaire, nous avions santé et bonne couleur. Nous en sommes sortis, Adam a quitté le paradis après avoir offensé son Créateur et il s'est couvert de vices; la main est devenue lépreuse. Mais elle est rentrée dans le sein de Dieu, dans le, sein de Notre-Seigneur Jésus-Christ, elle y a repris sa couleur. Et cette eau ? Elle est le symbole, de la sagesse; car l'Ecriture désigne souvent la sagesse sous la figure de l'eau, ce qui a fait dire au Sauveur : « Elle deviendra en lui une fontaine d'eau jaillissante jusque dans la vie éternelle (1). » Or cette eau ou cette sagesse, qui sur la terre s'est changée en sang, ne nous rappelle-t-elle pas le Verbe qui s'est fait chair et qui habite parmi nous ? Sans aucun doute. Tout est donc, pour le peuple chrétien, signe et mystère relatif à Notre-Seigneur Jésus-Christ. S'il est d'autres sacrements dans les anciennes Écritures, qu'on les comprenne ou qu'on ne les comprenne pas, il faut les étudier, non les mépriser. Pour obtenir qu'ils nous soient découverts, demandons, cherchons et frappons. Ces sacrements étaient pour les Juifs des prédictions, ils sont pour nous dans l'Église la réalité même.
1. Jean, IV, 14.
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