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SERMON CXXIV. GUÉRISON D'UN PARALYTI QUE (1) .
ANALYSE. La santé rendue à ce paralytique devait, comme la vie humaine, durer si peu, que Notre-Seigneur, évidemment avait un dessein plus relevé en opérant ce miracle. II voulait nous faire entendre qu'il était venu pour nous assurer le salut éternel par le mérite de sa passion. De même en effet que les paralytiques ne pouvaient trouver la santé dans la piscine qu'au moment où l'eau en était troublée, ainsi il n'y a de salut pour le genre humain que dans les souffrances endurées par le Sauveur.
1. On vient de faire retentir à nos oreilles une leçon évangélique bien sainte; notre attention est éveillée et nous voudrions connaître ce qu'elle signifie. De moi sans doute vous en attendez l'explication et je promets de m'y employer de toutes mes forces avec l'aide du Seigneur. Il est sûr que ces miracles ne s'opéraient pas sans de grandes raisons et qu'ils se rapportaient de quelque façon au salut éternel. Combien devait durer en effet la santé corporelle rendue à ce paralytique? « Qu'est-ce que notre vie ? demande la sainte Ecriture. C'est, répond-elle, une vapeur qui paraît pour un peu de temps, et qui ensuite sera dissipée (2). » Ainsi la santé corporelle rendue à ce malade, c'est une durée telle quelle assurée à. une légère vapeur, ce qu'il ne faut pas estimer beaucoup : « la santé de l'homme est chose vaine (3). » Rappelez-vous aussi, mes frères, ce témoignage prophétique, et en même temps évangélique, puisqu'il est reproduit dans l'Evangile : « Toute chair est comme l'herbe, et toute sa gloire comme la fleur de l'herbe. L'herbe a séché et sa fleur est tombée ; mais le Verbe du Seigneur demeure éternellement (4). » Et ce Verbe de Dieu couvre de gloire l'herbe même, et cette gloire n'est point passagère, c'est l'immortalité conférée à la chair. 2. Auparavant, toutefois, passeront les afflictions dont nous délivre Celui à qui nous avons dit : «Secourez-nous dans la détresse (5). » Pour qui sait comprendre, en effet, cette vie n'est-elle pas tout entière un tissu d'angoissés ? L'âme y a deux bourreaux, deux bourreaux qui la torturent non pas ensemble mais alternativement. Ces deux bourreaux se nomment la crainte et la douleur. Es-tu heureux? Tu crains. Es-tu malheureux ? Tu es dans la douleur. Est-il un homme qui ne se laisse séduire par la prospérité et abattre par l'adversité du siècle ? Il faut donc, tant que dure cette herbe vaine, se tenir
1. Jean, V, 24. 2. Jacq. IV, 45. 3. Ps. LIX, 13. 4. Isaïe, XL, 6-8 ; Jacq. I, 10, 11 ; I Pierre, 1, 24, 25. 5. Ps. LIX, 13.
dans la voie la plus sûre, s'attacher au Verbe de Dieu. Car après ces mots : « Toute chair est comme la fleur, de l'herbe, » il semble, au prophète que nous demandions: Quelle espérance peut avoir ce qui n'est que de l'herbe? Quelle durée peut avoir une fleur? Et il répond : Mais « le Verbe de Dieu demeure éternellement. » Et ce Verbe de Dieu, comment puis-je latteindre ? « Ce Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous (1). » Il te dit lui-même : Ne dédaigne pas mes promesses, puisque je n'ai pas dédaigné de me faire herbe comme toi. Or, ce que nous a accordé le Verbe de Dieu poilu nous attacher à lui et pour ne pas nous laisser passer comme la fleur de l'herbe; ce qu'il nous a accordé en se faisant chair, en prenant une chair sans se changer en chair, en restant ce qu'il était et en s'unissant à ce qu'il n'était pas ; ce qu'il nous a accordé est représenté aussi par la piscine dont il a été question. 3. Quelques mots seulement : cette eau figurait le peuple juif, et les cinq portiques représentaient la loi donnée par Moïse en cinq livres; et ces cinq livres étaient un frein pour ce peuple comme les cinq portiques étaient une digue pour cette eau. Si l'eau se troublait, c'était pour désigner la passion endurée par le Seigneur au milieu des Juifs. Parmi ceux qui descendaient dans la piscine, il n'y en avait qu'un pour être guéri : symbole de l'unité. Ceux qui rejettent la passion du Sauveur sont des superbes; ils refusent de descendre, et ils ne sont pas guéris. Quoi! dit-on, je pourrais voir un Dieu dans la chair, un Dieu né d'une femme, un Dieu crucifié, flagellé, mort, déchiré et enseveli? Loin de moi d'avoir de telles idées sur bien! Elles sont indignes. Assez d'opiniâtreté, fais parler ton coeur. Le superbe regarde l'humilité comme indigne de Dieu; c'est ce qui éloigne la guérison de ces malheureux. Ah! ne t'élève point; si
1. Jean, I, 14.
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veux guérir, descends. Ta religion devrait s'effrayer si nous disions que le Christ incarné est devenu muable. Mais la Vérité même te crie que, considéré comme Verbe, le Christ est immuable. « Au commencement, est-il dit, était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ; » ce n'était pas la parole qui fait du bruit et qui passe, car « le Verbe était Dieu (1). » Ainsi ton Dieu demeure immuable. O piété sincère! ton Dieu te reste; ne crains rien, il ne périt pas, il ne te laissera pas périr non plus, il te reste. Il naît d'une femme, mais comme homme, car comme Verbe il a créé sa propre mère : lui qui était avant de naître a donné lêtre à celle de qui il a reçu la vie. Il a été enfant, mais selon la char. Il a pris le sein et il a grandi, il s'est nourri d'aliments solides et a parcouru tous les âges jusqu'à celui d'homme fait; mais selon la chair. Il s'est fatigué et endormi, mais selon la chair. Il a souffert de la faim et de la soif, mais selon la chair. Il a été saisi, garrotté, flagellé, couvert d'outrages, enfin attaché à la croix et mis à mort, mais selon la chair. Que crains-tu? « Le Verbe de Dieu demeure éternellement. » Repousser cette humilité d'un Dieu, c'est ne vouloir pas guérir de lenflure mortelle de l'orgueil. 4. C'est ainsi que dans sa chair Jésus-Christ Notre-Seigneur a rendu l'espérance à la nôtre. Il s'est assujetti à ce que nous connaissions, à ce qui était commun sur cette terre, à naître et à
1. Jean, I, 14.
mourir, car la naissance et la mort y étaient le partage de tous. Mais on ne rencontrait ici ni la résurrection ni l'éternelle vie. En échange donc de choses viles et terrestres, il a apporté des richesses précieuses et célestes; et si tu redoutes sa mort, aime sa résurrection. Dans ta détresse il est venu à ton secours; car ton salut était sans appui. Attachons-nous donc, mes frères, et appliquons-nous à ce salut que le monde ne saurait donner et qui est éternel; vivons ici comme des étrangers: Songeons que nous ne faisons qu'y passer, et nous pécherons moins. Au lieu de nous plaindre rendons plutôt grâces au Seigneur notre Dieu, de ce qu'il a voulu que le dernier jour de la vie fût à la fois rapproché et incertain. Qu'importait à Adam d'avoir vécu jusqu'ici, s'il était mort aujourd'hui? Peut-on 'appeler long ce qui finit? Nul ne peut rappeler le jour d'hier, et demain pèse sur aujourd'hui afin de le faire disparaître. Puisque nous sommés ici pour si peu de temps, appliquons-nous à bien vivre, afin d'arriver au lieu d'on nous ne sortirons plus. Maintenant même, pendant que nous parlons, nous marchons. Les paroles se précipitent et les heures s'envolent : ainsi en est il de toute notre vie, de tous nos actes, de nos honneurs, de nos adversités et de nos prospérités présentes. Tout passe; mais ne craignons pas : « Le Verbe de Dieu demeure éternellement. » Tournons-nous vers le Seigneur etc.
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