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SERMON VII. MOÏSE ET LE BUISSON ARDENT (1).
ANALYSE. Ce discours, plus étendu que le précédent, est un développement beaucoup plus long de ce qui en faisait simplement la première partie. Evidemment saint Augustin a ici en vue les Ariens et il s'attache à réfuter les objections qu'attiraient, contre la divinité de Jésus-Christ, de ce qu'ici il est parlé d'un Ange. Les trois circonstances de l'apparition, déjà expliquées précédemment, font comme les divisions de ce deuxième discours.
1. Pendant qu'on faisait la divine lecture, nous avons considéré de tout notre coeur l'étonnant miracle qui avait déjà rendu si attentif Moïse, le serviteur de Dieu. Nous aussi nous nous demandions comment le buisson paraissait tout en feu sans se consumer. Nous avons remarqué encore que d'après un autre livre sacré l'Ange du Seigneur s'était montré d'abord à Moïse dans ce buisson (1) ; et Moïse toutefois ne converse pas avec un Ange, mais avec le Seigneur même. Nous avons remarqué, en troisième lieu,
1. Exod. III. 2. Act. VII, 30.
que Moïse ayant demandé à, connaître le nom de Dieu, afin de pouvoir répondre aux fils d'Israël lorsqu'ils lui adresseraient cette question, et lui demanderaient qui l'a envoyé, il lui fut répondu : « Je suis, l'Etre. » Cette réponse ne fut pas faite comme en passant; afin d'en mieux faire sentir l'importance, elle fut renouvelée: « Tu diras donc aux fils d'Israël. c'est l'Être qui m'a envoyé vers vous. » Enfin, après avoir ainsi fait connaître son nom, le Seigneur ajouta : « Tu leur diras : Le Seigneur Dieu de vos pères, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac et Dieu de Jacob, (31) m'a envoyé vers vous, et tel est mon nom pour l'éternité (1). » Entendez sur ces mystères ce que le Seigneur me communique. Ils sont grands, ils recèlent en quelque sorte de divins secrets, et si nous entreprenions de les développer comme il convient, nous n'en aurions ni le temps ni la force. 2. Ce que nous pouvons observer d'abord, c'est que si la flamme est dans le buisson sans le réduire en cendres, ce n'est pas en vain, ce n'est pas inutilement, ce n'est point sans indiquer une vérité cachée. Le buisson est une espèce d'épines; mais produite pour punir l'homme de son péché, l'épine ne saurait être employée comme symbole de bonheur ; car ce fut seulement après la faute première qu'il fut dit : « La terre portera pour toi des épines et des chardons (2). » Ce buisson qui ne brûle point, c'est-à-dire que la flamme ne saurait pénétrer, n'est pas -non plus un heureux indice. La flamme sans doute est de bon augure, puisque c'est un Ange ou le Seigneur même qui s'y montre ; puisqu'au moment où le Saint-Esprit descendit sur les Apôtres, ils virent des langues divisées comme des langues de feu. Il faudrait donc que ce feu nous pénétrât et que notre dureté ne l'empêchât point de nous enflammer. Mais ce buisson qui ne brûlait point, désignait le peuple qui résistait à Dieu et par conséquent le peuple coupable des Juifs à qui Moïse était envoyé. Si ce buisson résistait au feu, c'est que ce peuple, comme je l'ai dit, se révoltait contre la loi divine, et si ce peuple n'avait les épines pour symbole il n'en aurait point fait une couronne au Christ (3). 3. Le personnage qui s'adressait à Moïse s'appelle en même temps le Seigneur et l'Ange du Seigneur. Lequel des deux est-il ? C'est. une grande question. On ne doit pas se prononcer avec témérité, mais examiner avec soin. Or deux opinions peuvent s'élever sur ce point et quelle que soit la vraie chacune est orthodoxe. Quelle que soit la vraie, c'est-à-dire quelle qu'ait été la pensée de l'écrivain sacré ; car s'il nous arrive, en étudiant l'Écriture, de penser autrement que l'auteur, nous devons prendre garde de nous écarter de la règle de la foi, de la règle de la vérité. Je vais donc vous exposer ces deux opinions, sans nier qu'il y en ait une troisième que j'ignore, et vous choisirez celle que vous voudrez. Selon les uns ce personnage s'appelle le Seigneur
1. Exod. III, 14. 2. Gen. III, 18. 3. Matt. XXVII, 29.
et l'Ange du Seigneur, parce que c'était le Christ, nommé expressément par un prophète l'Ange du grand conseil (1). Le mot Ange désigne l'office et non la nature, car en grec il signifie messager; or ce terme de messager indique un être qui agit, qui annonce. Mais le Christ ne nous a-t-il point annoncé le royaume des cieux ? De plus, l'Ange ou le messager est envoyé par qui le charge d'annoncer quelque chose. Le Christ n'a-t-il pas été envoyé ? Ne dit-il pas souvent : « Je suis venu accomplir non pas ma volonté, mais la volonté de qui m'a envoyé (2) ? » Il est l'envoyé par excellence; il est cette piscine mystérieuse de Siloë qui signifie envoyé. Aussi est-ce là qu'après avoir couvert de boue les yeux de l'aveugle-né, il lui commanda de se lever (3). Nul en effet ne recouvre la vue s'il n'est purifié par le Christ. Ainsi l'Ange de Moïse peut être le Seigneur. 4. Mais voici un écueil à éviter. Il y a des hérétiques qui soutiennent qu'il y a des différences entre la nature du Père et la nature du Fils, et qu'ils n'ont pas une seule et même substance. La foi catholique croit au contraire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul. Dieu, trois personnes en une même essence, inséparables, égales, sans mélange ni confusion, sans division ni séparation. Or pour prouver que le Fils n'a point la même nature que le Père, ils s'appuient sur ce que le Fils a apparu aux anciens. Mais le Père, disent-ils, ne leur a point apparu; or une nature visible est différente d'une nature invisible. Aussi, poursuivent-ils, est-il dit du Père que « nul homme ne l'a vu ni ne peut le voir (4). » Ils veulent conclure ainsi que celui qui s'est montré à Moïse et à Abraham, à Adam et aux autres patriarches, n'est pas Dieu le Père, mais plutôt le Fils et qu'il est une créature. Tel n'est point le langage de l'Église Catholique. Que dit-elle ? Le Père est Dieu, le Fils est Dieu; le Père est immuable et le Fils immuable; le Père est éternel, le Fils également éternel; le Père est invisible et le Fils invisible : dire que le Père est invisible mais le Fils visible,. ce serait distinguer, séparer même les natures. Comment trouver la grâce quand on perd la foi ? Voici donc comment se résout cette question. Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, est invisible dans sa propre nature. Il s'est montré quand il a voulu et à qui il a voulu, non tel qu'il est, mais comme il a voulu, car tout est à ses ordres.
1. Isaïe, IX, 6. 2. Jean, VI, 38. 3. Ibid, IX, 7. 4. I Tim. VI, 16.
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Ton âme est invisible dans ton corps, et pour se montrer elle prononce une parole. Mais cette parole où se révèle ton âme n'en est pas la substance, elle en diffère, et néanmoins ton âme se montre dans ce qu'elle n'est pas. Ainsi Dieu a pu se manifester dans le feu sans être le feu; dans la fumée sans être la fumée; et dans le bruit sans être le bruit. Rien de cela n'est Dieu, mais un témoignage qui le rappelle. En nous conformant à ces principes, il n'y a aucun danger à croire que le Fils de Dieu a pu apparaître à Moïse et se nommer à la fois le Seigneur et l'Ange du Seigneur. 5. La seconde opinion enseigne que c'était véritablement un Ange du Seigneur, non pas le Christ, mais un Ange envoyé par Dieu. Il faut donc lui demander pourquoi cet Ange est nommé le Seigneur. A c'eux qui soutiennent que c'était le Christ on demande pourquoi il est appelé Ange; à ceux qui estiment que c'était un Ange il convient de demander aussi pourquoi il est désigné sous le nom de Seigneur. Je l'ai rappelé déjà, les premiers se tirent d'embarras en observant que s'il est appelé Ange, c'est qu'un prophète a dit expressément que le Christ Notre-Seigneur est l'Ange du grand conseil; les seconds doivent donc expliquer également comment un Ange a pu être appelé le Seigneur. Or voici comment ils répondent : Quand un prophète parle dans l'Écriture, on dit que c'est le Seigneur qui parle, non que le Seigneur soit le prophète, mais parce que le Seigneur est dans le prophète. De la même manière, lorsque le Seigneur daigne s'exprimer par l'organe d'un Ange, comme il s'exprime par l'organe d'un Apôtre, d'un Prophète, cet Ange conserve, à cause de lui-même, son nom propre d'Ange, et on le nomme Seigneur, à cause de Dieu qui habite en lui. Paul assurément était un homme et le Christ est Dieu. Paul dit néanmoins : « Voulez-vous éprouver celui qui parle en moi, le Christ (1) ? » Un prophète dit aussi . « J'écouterai comment parlera, en moi le Seigneur Dieu (2) » Celui qui parle dans l'homme est le même qui parle dans l'Ange: Voilà pourquoi on peut soutenir que ce fut l'Ange du Seigneur qui apparût, à Moïse et qui dit : « Je suis l'Être. » Ce n'est pas la voix du temple, mais de celui qui l'habite. 6. Mais si ce personnage qui porte le nom d'Ange était le Christ parce qu'il se trouvait seul; n'est-il pas vrai que trois Anges se montrèrent
1. II Cor. XIII, 3. 2. Ps. LXXXIV, 9.
à Abraham ? Comment répondre ? Ils étaient trois, et comme si Abraham ne parlait qu'à un seul, il dit: Seigneur. Que répondre encore? Pourquoi étaient-ils trois? Etait-ce alors la divine Trinité ? Mais pourquoi dire : Seigneur ? Parce que la Trinité est un seul Seigneur, et non pas trois Seigneurs ; un seul Dieu et non trois ; une seule nature en trois personnes. Car le Père n'est pas le Fils, le Fils n'est pas le Père, et l'Esprit n'est ni le Père ni le Fils. Le Père n'a qu'un Fils, le Fils n'a qu'un Père et l'Esprit-Saint est l'Esprit du Père et du Fils. Il est vrai néanmoins,. quelques-uns prétendent que parmi les trois personnages l'un s'élevait au dessus des autres ; c'est celui-là qu'Abraham appelait Seigneur, il apparaissait entre deux comme le Christ entre ses Anges. Mais quoi? N'y en eut-il pas deux seulement qui furent envoyés à Sodome et qui apparurent à Lot frère d'Abraham ? Lot cependant reconnut en eux la divinité, et quoiqu'il en vit deux, il dit Seigneur, au singulier (1). Ainsi dans les trois Anges, Abraham reconnaît le Seigneur, Lot le reconnaît également dans deux. Ne séparons pas la Trinité, ne faisons pas une dualité dans Sodome ; et il est mieux, je pense, de croire que nos Pères adoraient le Seigneur dans ses Anges l'habitant divin dans sa demeure; ils rendaient gloire, non aux porteurs mais à Celui qu'ils portaient. Ce sentiment est confirmé par l'Épître aux Hébreux. Il y est dit : « Si la parole annoncée pas les Anges est demeurée ferme (2). » L'auteur ici faisait mention du vieux Testament; il le recommande en observant que les Anges y parlaient : mais on honorait Dieu dans ses Anges et lon écoutait en eux Celui qui demeurait en eux. Étienne fournit aussi une preuve dans les Acte des Apôtres. Il accuse et réprimande les Juifs : « Durs de tête, leur dit-il, incirconcis de coeur et d'oreilles. » Durs de tête, épines incombustibles. « Toujours vous résistez à l'Esprit-Saint. » Si donc le buisson ne brûlait pas, c'est que ses épines, symboles d'iniquités, refusaient de s'enflammer sous le feu du Saint-Esprit. « Toujours; vous résistez à l'Esprit-Saint. Lequel des prophètes vos pères n'ont-ils pas mis à mort ? De là vient que vous avez reçu la loi par le ministère des Anges et que vous ne l'avez point gardée (3). » S'il disait de l'Ange et non des Anges; quelques-uns prétendraient qu'il s'agit du Christ appelé l'Ange du grand conseil. Le Christ peut
1. Gen. XVIII, XIX. 2. Héb. II, 2. 3. Act. VII, 51-53.
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être nommé un Ange, peut-il être nommé des Anges ? L'Apôtre Paul dit aussi que la race d'Abraham a été servie, « administrée par les Anges et par l'entremise d'un médiateur (1). » 7. Lors donc que Moïse demandait à l'Ange ou plutôt au Seigneur présent dans l'Ange, quel était son nom : « Je suis l'Être, répondit-il; c'est l'Être qui m'a envoyé vers vous. » L'Être est le nom de l'immuabilité ; car tout ce qui change cesse d'être ce qu'il était et commence à être ce qu'il n'était pas. L'Être vrai, l'Être pur, l'Être réel ne peut appartenir qu'à celui qui ne change pas. Il possède cet Être, Celui à qui l'on dit : « Tu les changeras et ils seront changés, pour toi tu demeureras toujours le même (2). » Que signifie «je suis l'Être, » si non je suis éternel? Que signifie je suis l'Être sinon je ne puis changer? Il n'est donc aucune créature; il n'est ni le ciel, ni la terre, ni un Ange; ni une Vertu, ni un Trône, ni une Domination, ni une Puissance. Son nom étant un nom d'éternité, qui ne serait attendri qu'il ait daigné prendre un nom de miséricorde ? « Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob. » Il prend le premier nom par rapport à lui-même et celui-ci à cause de nous. Eh! que serions-nous, s'il avait voulu demeurer uniquement ce qu'il est en lui-même ? Si Moïse comprit, ou plutôt puisque Moïse comprit ces mots.: « Je suis l'Être ; c'est l'Être qui m'a envoyé avec vous, » il reconnut que les derniers rapprochaient beaucoup Dieu des hommes et que les premiers l'en éloignaient beaucoup. Comprendre dignement, comprendre à la
1. Gal. III, 19. 2. Ps. CI, 27, 28.
lumière de l'essence véritable, ne fut-ce que sommairement et sous une inspiration rapide comme l'éclair, ce que c'est que l'Être proprement dit, c'est se voir bien au-dessous, bien éloigné et bien différent de lui. Tel fut celui qui s'écriait : « J'ai dit dans mon extase. » Dans un transport d'esprit il vit je ne sais quoi de bien élevé au dessus de lui. C'était l'Être véritable. « J'ai dit, s'écrie-t-il; dans mon extase. » Qu'as-tu dit ? « Je suis jeté loin de tes yeux (1). » Moïse aussi se sentit bien au-dessous, non de ce qu'il voyait, mais de ce qu'il entendait; et comme incapable de le saisir. Enflammé alors du désir de voir l'Être même, il disait familièrement à Dieu : « Découvrez-vous à moi vous-même (2). » Et parce que, trop diffèrent de cette suprême nature, il désespérait en quelque sorte d'y atteindre, Dieu releva son courage (car il le vit pénétré de sa crainte) comme s'il lui eut parlé de la manière suivante : Parce que je t'ai dit : « je suis l'Être, » et encore : « c'est l'Être qui m'a envoyé, » tu as compris qu'est-ce que l'Être et tu as désespéré de pouvoir t'élever jusqu'à lui ; courage donc! « Je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ; » je suis ce que je suis, je suis l'Être même, et je suis avec l'Être, mais sans vouloir m'éloigner des hommes. Si nous pouvons de quelque manière chercher le Seigneur, découvrir qu'il est l'Être et qu'il n'est pas loin de chacun de nous, car c'est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes (3), louons avec transport sa nature et chérissons sa miséricorde.
1. Ps. XXX, 23. 2. Exod. XXXIII, 18. 3. Act. XVII, 27.
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