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SERMON LXXXVIII. L'AVEUGLEMENT SPIRITUEL (1).
ANALYSE. Pour nous amener à la foi et nous guérir de nos maux, le Christ a dû faire pendant sa vie des miracles corporels. Il fait aujourdhui beaucoup plus de miracles dans l'ordre spirituel et toute notre occupation doit être d'obtenir qu'il daigne nous guérir en particuliers de notre aveuglement spirituel. Afin de savoir comment peut s'opérer cette guérison, étudions les circonstances de la guérison des deux aveugles de Jéricho. Jésus passait quand ils eurent recours à lui; il fallait aussi, pour se mettre à notre portée, qu'il fit des choses transitoires, c'est-à-dire des actions humaines. Ces aveugles à guérir étaient au nombre de deux : Jésus avait à agir également sur deux peuples distincts, les Juifs et les Gentils. Les aveugles crient vers le Sauveur: nous devons crier, nous, par nos bonnes actions. La foule les empêche; mais ils n'en crient pas moins : la foule, même des chrétiens censure aussi la vie qui veut devenir sainte; il faut dédaigner ce blâme. Jésus s'arrête devant les aveugles et cet arrêt figure sa divinité toujours immuable et éternelle; c'est aussi à elle qu'il faut nous attacher pour obtenir de pouvoir contempler cette lumière dont l'éclat tourmente 1'il malade. Courage ! En persévérant dans le bien on obtiendra même les éloges de ceux qui ont commencé par critiquer. Il y aura toujours dans le monde des bons et des méchants. S'il est dit aux bons de se séparer des méchants, ce n'est pas comme l'entendent les Donatistes, qu'il faille les quitter corporellement. On doit ne pas consentir au mal qu'ils font, les en reprendre, les en reprendre avec humilité. Est-ce que les prophètes se sont jamais séparés extérieurement du peuple dont ils censuraient les désordres?
1. Votre sainteté tonnait parfaitement, comme nous, que notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ est notre médecin pour le salut éternel, et que s'il s'est revêtu des infirmités de notre nature, c'est pour empêcher les nôtres de durer
1. Matt. XX, 30-34.
toujours. Il a pris un corps mortel afin de tuer la mort; « et quoiqu'il ait été crucifié selon « notre faiblesse, il vit néanmoins par la puissance de Dieu (1), » ainsi que s'exprime l'Apôtre. Le même Apôtre dit aussi « qu'il ne meurt
1. II Cor. XIII, 4.
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plus et que la mort n'aura plus sur lui d'empire (1). » Votre foi connaît parfaitement ces vérités. Donc aussi nous devons savoir que tous les miracles qu'il a faits sur les corps ont pour but de nous instruire et de nous faire parvenir à ce qui ne passe pas, à ce qui n'aura jamais de fin. Il a rendu les yeux aux aveugles, et la mort devait encore les leur fermer ; il a ressuscité Lazare, et Lazare devait encore mourir. Tout ce qu'il a fait pour la guérison des corps ne tendait pas à les rendre immortels, quoique néanmoins il doive finir par assurer aux corps mêmes une éternelle santé : mais comme on ne croyait pas aux invisibles réalités, il a voulu, par le moyen d'actions visibles et passagères, élever la foi vers les choses invisibles. 2. Que nul donc, mes frères, ne s'avise de dire que Notre-Seigneur Jésus-Christ rie fait maintenant rien de semblable, et que pour ce motif les premiers temps de l'Eglise étaient préférables à ceux-ci. Notre-Seigneur lui-même ne préfère-t-il pas quelque part ceux qui croient ans avoir vu à ceux qui croient parce qu'ils voient ? Telle était durant sa vie la faiblesse chancelante de ses disciples que non contents de l'avoir vu ressuscité, ils voulaient encore, pour croire à sa résurrection, le toucher de leurs mains. Le témoignage de leurs yeux ne leur suffisait pas, ils voulaient de plus palper son corps sacré et toucher les cicatrices encore fraîches de ses blessures : et ce n'est qu'après s'être assuré par lui-même de la réalité de ces cicatrices, que l'apôtre incrédule s'écria: « Mon Seigneur et mon Dieu! » Ainsi les traces de ses plaies le révélaient et il avait guéri toutes les blessures d'autrui. Ne pouvait-il ressusciter sans ces marques sanglantes ? Ah ! c'est qu'il voyait, dans le coeur de ses disciples, des plaies qu'il voulait fermer en conservant les cicatrices de son corps. Et quand Thomas eut enfin confessé sa foi en s'écriant : « Mon Seigneur et mon Dieu! C'est pour m'avoir vu, dit le Seigneur, que tu as cru : heureux ceux qui croient sans voir (2). » N'est-ce pas nous, mes frères, que regardent ces dernières paroles ? N'est-ce pas nous et ceux qui nous suivront ? Peu de temps en effet après qu'il se fut dérobé aux regards mortels pour affermir la foi dans les coeurs, ceux qui croient en lui le firent sans avoir vu, et le mérite de leur foi fut considérable, et afin
1. Rom. VI, 9. 2. Jean XX, 25-29.
d'acquérir cette foi ils approchèrent de lui leur coeur pour l'aimer et non la main pour le toucher. 3. Les oeuvres miraculeuses du Sauveur étaient donc une invitation à la foi. Cette foi brille aujourd'hui dans l'Eglise répandue par tout l'univers ; y produisant ces guérisons d'un ordre plus élevé qu'il avait en vue quand il ne dédaignait point de s'abaisser à des guérisons moins considérables. Car autant l'âme l'emporte sur le corps, autant la santé spirituelle est préférable à la santé corporelle. Si maintenant le corps d'un aveugle n'ouvre pas les yeux sous la main puissante du Seigneur; combien de coeurs non moins aveugles ouvrent les yeux à sa parole ! Si l'on ne voit pas aujourd'hui ressusciter un cadavre, de nouveau destiné à la mort ; combien ressuscitent d'âmes ensevelies dans un cadavre vivant ! Si les oreilles d'un sourd ne s'ouvrent pas aujourd'hui ; combien de coeurs fermés s'épanouissent à l'action pénétrante de la parole de Dieu, et passent de l'incrédulité à la foi, du désordre à une vie réglée, de l'insubordination à lobéissance ! Un tel est devenu croyant, disons-nous ; et nous sommes dans l'admiration, car il est du nombre de ceux dont nous connaissions la dureté. Mais pourquoi t'étonner de sa foi, de son innocence et de sa fidélité à Dieu ? N'est-ce point parce que tu vois éclairé celui que tu savais aveugle, vivant celui que tu savais mort; n'est-ce pas aussi parce que ce sourd entend ? Considérez en effet ces autres morts dont parlait le Seigneur, quand à un jeune homme qui différait de le suivre afin de pouvoir ensevelir son père, il répondait : « Laisse les morts ensevelir leurs morts. (1) » Pour ensevelir les morts il ne faut pas assurément être mort soi-même ; comment un cadavre pourrait-il ensevelir un cadavre ? Le Sauveur néanmoins suppose que des morts peuvent ensevelir: comment sont-ils morts, suce n'est spirituellement ? De même en effet qu'on voit souvent, dans une maison où rien ne manque, le maître de la maison étendu sans vie ; ainsi est-il beaucoup d'hommes dont le corps est sain et dont l'âme est morte. Ce sont ces morts que cherche à réveiller l'Apôtre quand il dit : « Toi qui dors, lève-toi ; lève-toi d'entre les morts et le Christ t'éclairera (2). » Il l'éclairera en le ressuscitant ; car c'est sa voix que fait retentir l'Apôtre aux oreilles du mort : « Toi qui dors, lève-toi. » Ce mort en ressuscitant ouvrira les yeux à la
1. Matt. VIII, 22. 2. Ephés. V, 14.
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lumière. Combien aussi le Seigneur ne voyait-il pas de sourds devant lui lorsqu'il disait : « Entende, celui qui a des oreilles pour entendre (1) » Eh ! qui donc était alors sans oreilles devant lui? Il demandait, par conséquent, l'attention de l'oreille intérieure. 4. De quels yeux parlait-il aussi en s'adressant à des hommes qui corporellement n'étaient pas aveugles? « Seigneur, lui disait Philippe, montrez-nous votre Père et cela nous suffit. » Ah ! il avait bien raison de dire que la vue du Père pourrait nous suffire! Comment toutefois le Père lui aurait-il suffi, puisque l'Egal du Père ne lui suffisait point? Pourquoi ? Parce qu'il ne le voyait pas. Et pourquoi ne le voyait-il pas ? C'est que l'oeil qui aurait pu le lui découvrir n'était pas encore suffisamment guéri. Il voyait dans l'humanité du Seigneur ce qui se révélait aux yeux du corps, ce que voyaient en lui, non-seulement les fidèles disciples, mais encore les Juifs ses bourreaux. Mais Jésus demandait qu'on le vit autrement; il cherchait d'autres regards. Aussi après avoir entendu ces mots : « Montrez-nous votre Père et cela nous suffit ; » il répondit : « Je suis depuis si longtemps avec tous, et vous ne me connaissez pas? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père. » Afin donc de guérir les yeux de la foi, il adresse à la foi des avertissements qui pourront la mettre en état d'arriver à la claire vue. Car pour détourner de Philippe l'idée qu'il y a en Dieu ce qu'il voyait dans le corps de Jésus-Christ Notre-Seigneur, il ajouta aussitôt: « Ne crois-tu pas que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi (2). » Il avait dit auparavant : « Eu me voyant on voit mon Père ; » mais l'il de Philippe n'était pas encore en état de voir le Père; ni par conséquent de voir le Vils égal au Père ; et le regard de son âme étant malade encore et incapable de fixer une si vive lumière, le Seigneur entreprenait de le guérit et de le fortifier en y appliquant le remède et le collyre de la foi. Dans ce but il disait : « Ne crois-tu pas que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi? » Ainsi donc; si l'on est incapable encore de contempler ce que le Seigneur doit mettre à découvert, au lieu de chercher d'abord à voir pour croire, il faut s'appliquer à croire et à guérir par ce moyen l'oeil qui permettra de voir. Le regard corporel ne voyait dans le Sauveur que sa nature d'esclave. Egal à Dieu sans avoir rien
1. Matt. XI, 16. 2. Jean, XIV, 8-10.
usurpé, s'il avait pu être considéré dans cette égalité même par les hommes qu'il venait guérir, quel besoin aurait-il eu de s'anéantir et de prendre cette nature de serviteur (1) ? Mais incapables devoir Dieu nous pouvions voir l'homme ; c'est pourquoi celui qui était Dieu s'est fait homme, afin que ce qu'on voyait en lui mit en état devoir ce qu'on n'y voyait pas. Aussi bien dit-il ailleurs : « Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu (2). » Philippe aurait pu répondre sans doute : Mais je vous vois, Seigneur; le Père est-il donc comme ce que je vois en vous ? Pourquoi alors avez-vous dit : « Qui me voit, voit aussi mon Père ? » Avant donc que Philippe fit cette réponse ou même en eut l'idée, le Sauveur après avoir dit « Qui me voit voit; aussi mon Père, » ajouta incontinent : « Ne crois-tu pas que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi ?» L'oeil intérieur de l'Apôtre ne pouvait voir ni le Père, ni le Fils égal au Père, et pour l'en rendre capable il fallait le laver avec l'eau de la foi. Toi donc aussi, afin de voir un jour ce dont tu es incapable aujourd'hui, crois ce que tu ne vois pas encore. Pour arriver à la claire vue, marche par la foi ; car si la foi ne nous soutient sur la route, la claire vue ne fera pas notre bonheur dans la patrie. « Tant que nous sommes dans ce corps, dit en effet l'Apôtre, nous voyageons loin du Seigneur: » et pour expliquer comment nous voyageons loin du Seigneur, tout croyants que nous sommes, il ajoute aussitôt : «Car c'est par la foi que nous marchons et non par la claire vue (3). » 5. Aussi, mes frères, toute notre application durant cette vie doit être de nous mettre en état de voir Dieu, en guérissant l'il du coeur. Tel est le but qu'on se propose dans la célébration des saints mystères, dans la prédication de la parole de Dieu, dans les exhortations morales; c'est-à-dire dans les exhortations adressées par l'Eglise pour porter à l'amendement des moeurs, à la correction des convoitises charnelles et pour déterminer à renoncer au siècle non-seulement de vive voix, mais aussi par le changement de la vie; tout le dessein que poursuivent les divines Lettres est de purifier notre intérieur de tout ce qui nous empêche d'arriver à contempler Dieu. L'oeil du corps est destiné à voir cette lumière sensible, lumière céleste sans doute, mais pourtant matérielle et sensible ; l'il est destiné à voir cette
1. Philip. II, 6. 7. 2. Matt. V, 8. 3. II Cor. V, 6, 7.
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lumière, non seulement l'il des hommes, mais encore l'oeil des plus vils animaux, c'est bien pour cela qu'il est formé. Si néanmoins on y jette ou s'il y tombe quelque chose qui l'obscurcisse, il devient étranger à la lumière. La lumière en vain l'environne et se presse autour de lui ; il s'en détourne, il en est comme séparé. Non-seulement il y devient alors étranger, il y trouve même un supplice ; et pourtant il a été formé pour la contempler. C'est ainsi qu'une fois obscurci et blessé, l'oeil du coeur se détourne de la lumière de justice, sans oser, sans pouvoir même la considérer. 6. Qu'est-ce qui trouble l'oeil du coeur ? Cet il est troublé, fermé, éteint par la cupidité, l'avarice, l'injustice, l'amour du siècle : et quand il est blessé, comme on court au médecin, comme on s'empresse de le faire ouvrir, nettoyer et guérir afin de pouvoir jouir encore de la lumière! Qu'une petite paille vienne à y tomber, plus de repos, on court et on s'empresse. C'est Dieu assurément qui a fait ce soleil que nous cherchons à voir quand nous n'avons pas les yeux malades. L'auteur de cet astre est donc beaucoup plus brillant; mais sa splendeur, destinée à l'il de l'âme, n'est pas de même nature que l'éclat du soleil. Cette divine lumière est l'éternelle sagesse. O homme ! Dieu t'a fait à son image. Quoi ! il t'a fait à son image, et en t'accordant de voir ce soleil qu'il a fait, il ne te donnerait point de le voir, lui, l'auteur de ton être ? Non, il ne t'a pas refusé non plus ce pouvoir, il t'a donné l'un et l'autre. Hélas ! néanmoins, autant tu tiens à tes yeux extérieurs, autant tu négliges le regard intérieur il est en toi flétri et blessé ; et c'est pour toi un supplice que ton Créateur veuille se montrer : oui c'est un supplice pour ton oeil avant d'être pansé et guéri. Après avoir péché dans le paradis même, Adam ne se cacha-t-il pas loin de la face de Dieu ? Ah ! quand il avait le coeuret la conscience pure, la présence de Dieu faisait son bonheur. Mais quand le péché eut flétri son oeil intérieur, il se mit à redouter la lumière divine, s'enfonçant dans les ténèbres et dans l'épaisseur des bois, transfuge de la vérité et passionné pour les ombres. 7. Conclusion, mes frères : puisque c'est de lui que nous descendons, puisque, d'après l'Apôtre, « tous meurent en Adam (1); » tous étant en effet issus de deux premiers parents ; si nous avons refusé d'obéir au médecin pour nous préserver du mal, obéissons-lui pour en être délivrés. Quand
1. I Cor. XV, 22.
nous avions la santé, il nous a donné des conseils, il nous a fait des prescriptions pour pouvoir nous passer de lui. « Le médecin, dit le Seigneur, n'est pas nécessaire à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades (1). » Avant de tomber malades, nous avons dédaigné ses conseils, et une douloureuse expérience nous a fait sentir combien ce mépris tournait à notre malheur. Maintenant donc nous sommes malades, nous souffrons, nous sommes sur un lit de douleur mais pas de désespoir. Nous ne pouvions aller au médecin; il a daigné venir à nous. Avant d'être malades nous l'avions méprisé; lui ne nous a pas méprisés dans notre malheur, et il a fait de nouvelles prescriptions à cet infirme qui n'avait pas tenu compte des premières, destinées à le préserver de linfirmité. Ne semble-t-il pas qu'il lut tient ce langage ! Tu sens certainement aujourd'hui combien j'avais raison de te dire : Ne touche pas à cela. Ah! guéris donc enfin et reviens à la vie. Je me charge de ton mal : prends cette coupe. Elle est amère ; mais c'est toi qui as rendu si difficiles ces préceptes, qui étaient si doux quand je te les ai donnés et que tu avais la santé. Tu les as foulés aux pieds et tu es tombé malade; et maintenant tune saurais guérir sans boire cette coupe amère, cette coupe des épreuves, car cette vie en est pleine, cette coupe d'afflictions, d'angoisses et de douleurs. Bois donc, poursuit-il, bois pour recouvrer la vie. Et pour détourner le malade de lui répondre : Je ne le puis, j'en suis incapable, je ne boirai point ; pour l'engager à boire sans hésitation, ce Médecin compatissant a bu le premier tout en jouissant d'une pleine santé. Qu'y a-t-il, en effet, qu'y a-t-il d'amer en cette coupe qu'il ne l'ait bu ? Est-ce l'outrage ? Mais n'est-il pas le premier qui en chassant les démons ait entendu crier qu'il était possédé par le démon (2), et qu'il les chassait au nom de Béelzébud (3) ? De là vient qu'il disait à ses malades, pour les consoler: « S'ils ont appelé Béelzébud le père de famille, combien plus ceux de sa maison (4)? » Est-ce là souffrance qui est amère ? Mais il a été enchaîné, et flagellé, et cloué à la croix. Est-ce la mort ? Il est mort aussi. Est-ce un genre particulier de mort que redoute notre faiblesse ? Rien alors n'était plus ignominieux que la mort de la croix ; et ce n'est pas sans raison que pour célébrer son obéissance l'Apôtre faisait cette remarque: «Il s'est montré obéissant
1. Matt. IX, 12. 2. Luc, VII, 33. 3. Ibid. XI, 15. 4. Matt. X, 26.
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jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix (1). » 8. Néanmoins, comme il devait à la. fin des siècles glorifier ses fidèles, il a mis dans ce .siècle même sa croix en honneur ; et les princes de la terre qui croient en lui ont interdit de condamner aucun coupable au supplice de la croix ; et l'instrument de mort auquel les Juifs ses bourreaux ont attaché le Seigneur avec tant d'insolence, est porté maintenant sur le front et avec beaucoup de gloire par ses serviteurs et par les rois mêmes ; en sorte que l'on ne voit plus autant combien était humiliante la mort qu'il daigna endurer pour nous et à laquelle fait allusion l'Apôtre quand il dit : « Pour nous il s'est fait a malédiction (2).» Lorsque l'aveugle fureur des Juifs lui insultait jusque sur la croix, il pouvait sans doute en descendre, puisque s'il ne l'avait voulu, on ne l'y aurait point attaché : mais il était mieux de sortir vivant du tombeau que de descendre de la croix. Par ces oeuvres divines et ces souffrances humaines, par ces miracles sensibles et cette patience dans les douleurs corporelles, le Sauveur nous presse de croire et de nous guérir, afin de pouvoir contempler ces invisibles réalités, étrangères à l'oeil de la chair. C'est dans ce but qu'il a guéri les aveugles dont il vient d'être question dans la lecture de l'Evangile. Mais voyez ce qu'enseigne cette guérison à l'âme malade. 9. Observez d'abord le fait en lui-même et la suite des circonstances. Ces deux aveugles étaient assis sur le chemin et entendant passer le Seigneur ils criaient pour éveiller sa compassion. Mais la foule qui l'accompagnait leur imposait silence ; ce qui, croyez-le bien, n'est pas sans mystère. Et plus la foule leur imposait silence, plus ils continuaient de crier. Ils voulaient être entendus du Seigneur, comme si lui-même n'eût connu d'avance leurs pensées- mêmes. Ainsi ces deux aveugles criaient pour se faire entendre de lui, et les.efforts de la foule ne purent les empêcher. Le Seigneur passait, et eux criaient ; le Seigneur s'arrêta, et ils furent guéris ; car il est écrit : « Le Seigneur Jésus s'arrêta, puis il les appela et leur dit : Que voulez-vous que je fasse pour vous ? Que nos yeux s'ouvrent, répondirent-ils. » Le Seigneur fit ce que demandait leur foi et leur rendit des yeux. Si déjà nous avons vu une âme malade, ne âme sourde, une âme morte, examinons si elle n'est
1. Philip. II, 8. 2. Gal. III, 13.
pas aveugle aussi. L'oeil du coeur est donc fermé, et Jésus passe pouf nous exciter à crier. Jésus passe, qu'est-ce à dire ? C'est-à-dire qu'il fait des choses temporelles. Jésus passe, qu'est-ce à dire! C'est-à-dire qu'il fait des actes passagers. Examinez et reconnaissez combien de ses actes sont de cette nature. Il est né de la Vierge Marie; en naît-il toujours! Enfant il a pris son lait ; le prend-il encore? Il a grandi à chaque âge jusqu'à la maturité; sou corps se développe-t-il toujours ? En lui la seconde enfance a succédé à la première, l'adolescence à la seconde et la jeunesse à l'adolescence; ses âges ont passé, ils ont disparu. Ses miracles mêmes ont passé. On les lit et on y croit, et à a fallu les écrire pour permettre de les lire, c'el qu'ils passaient en s'accomplissant. Mais ne nous arrêtons pas à tout : il a été crucifié ; est-il toujours attaché à la croix ? Il a été enseveli, il est ; ressuscité, il est monté au ciel, il ne meurt plus, et la mort n'aura plus d'empire sur lui, et sa divinité demeure éternellement, et l'immortalité même de son corps n'aura jamais de fin. Il n'en est pas moins vrai que tout ce qu'il a fait dans le temps est passé. On l'a écrit pour le faire lire et on le prêche pour amener à y croire. Dans tout cela donc c'est Jésus qui passe. 10. Et que représentent ces deux aveugles près du chemin, sinon les deux peuples que Jésus est venu guérir ? Montrons ces deux peuples dans les saintes Ecritures. « J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie, est-il dit dans l'Evangile ; il faut aussi que je les amène, afin qu'il n'y ait qu'un troupeau et qu'un pasteur (1). » Quels sont donc ces deux peuples ? L'un est le peuple juif, et l'autre le peuple des gentils. « Je ne suis envoyé, dit encore le Sauveur, que vers les brebis égarées de la maison d'Israël. » A qui parlait-il ainsi? A ses disciples, et cela au moment même où cette femme de Chanaan qui avoua qu'elle n'était qu'un chien, criait pour obtenir les miettes tombées de la table de ses maîtres. Elle les obtint : d'est-ce pas ce qui fait connaître les deux peuples que venait sauver Jésus ? Le peuple juif n'est-il pas désigné pas ces mots : « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison d'Israël? » Et la gentilité n'était-elle pas représentée par cette femme que le Seigneur avait d'abord repoussée en lui disant : « Il ne convient pas de jeter aux chiens le pain des enfants; » et qui lui
1. Jean, X, 16.
avait répondu : « Il est vrai Seigneur ; mais les chiens se nourrissent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ; » pour entendre ensuite : « O femme ! ta foi est grande ; qu'il te soit « fait comme tu désires (1). » De la gentilité faisait aussi partie ce Centurion de qui le Seigneur disait : « En vérité je vous le déclare, je n'ai pas rencontré autant de foi dans Israël. » C'est que ce Centurion s'était écrié : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma demeure : mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri (2). » Ainsi donc avant même sa passion et la diffusion de sa gloire, le Seigneur désignait ces deux peuples. Vers l'un il était venu par suite des promesses adressées aux Patriarches; et sa miséricorde ne lui permettrait pas de repousser l'autre c'était encore l'accomplissement de cette parole « Dans ta race, avait-il été dit à Abraham, toutes les nations seront bénies (3). » C'est pour ce motif qu'après la résurrection du Seigneur et son ascension, l'Apôtre se voyant méprisé par les Juifs s'adressa aux gentils, sans toutefois garder le silence devant les Eglises formées par les Juifs devenus croyants. « J'étais, dit-il, inconnu de visage aux Eglises de Judée qui sont dans le Christ. Seulement elles avaient ouï dire : Celui qui autrefois nous persécutait, annonce maintenant la foi qu'il s'efforçait alors de détruire; et elles glorifiaient Dieu à mon sujet, poursuit-il (4). » C'est dans ce sens que Jésus-Christ est appelé la pierre angulaire, car de deux choses il en a fait une (5). La pierre angulaire, en effet, réunit deux murs qui vont en sens divers. Et qu'y a-t-il de plus divers que la circoncision et la gentilité ? Ce sont deux murs qui viennent, l'un de la Judée, et l'autre du milieu des nations, et ils se joignent à la pierre angulaire ; à cette pierre « qui fut d'abord repoussée par les constructeurs et qui est devenue la pierre de l'angle (6). » Mais il n'y a d'angle dans un édifice qu'autant que se joignent, pour constituer fine espèce d'unité, deux murailles de direction différente. Or ces deux murailles sont figurées par les deux aveugles qui criaient vers le Seigneur. 11. Remarquez maintenant, mes bien-aimés. Le Seigneur passait et les aveugles criaient. Il passait, qu'est-ce à dire ? Il faisait des oeuvres passagères, ainsi que nous l'avons déjà observé, et par ces oeuvres passagères il construisait l'édifice de notre foi. Car nous ne croyons pas
1. Matt. XV, 22-28. 2. Ibid. VIII, 10, 8. 3. Gen. XXII, 18. 4. Galat. I, 22-34. 5. Ephés. II, 20, 14. 6. Ps. CXVII, 22.
seulement au Fils de Dieu considéré comme Verbe de Dieu et Créateur de toutes choses. Si toujours il était resté avec sa nature divine et son égalité avec Dieu, il ne se serait pas anéanti en prenant la forme d'esclave, et les aveugles, ne sentant point sa présence, n'auraient pas pu crier. Mais quand il s'appliquait à des oeuvres qui passent, en d'autres termes, quand il s'humiliait et se faisait obéissant jusque la mort, et la mort de la croix, les deux aveugles crièrent : « Ayez pitié de nous, Fils de David. » C'est que déjà, Seigneur et Créateur de David, Jésus voulut devenir en même temps son fils : c'était encore une oeuvre du temps, une oeuvre qui passait. 12. Maintenant, mes frères, qu'est-ce que crier vers le Christ, sinon répondre par ses bonnes oeuvres à la grâce du Christ? Ce que je remarque, mes frères, afin que nous évitions d'être bruyants en paroles et silencieux en bonnes actions. Quel est donc celui qui crie vers le Christ pour obtenir d'être guéri de l'aveuglement intérieur à son passage ? A son passage, c'est-à-dire pendant que nous distribuons les sacrements qui passent et qui portent à s'attacher aux choses qui ne passent point. Quel est, dis-je, celui qui crie vers le Christ? Crier vers le Christ, c'est mépriser le monde. Crier vers le Christ, c'est fouler aux pieds les plaisirs du siècle. Crier vers le Christ, c'est dire, non en parole, mais par toute sa vie : « Le monde m'est crucifié, et je le suis au monde (1). » Distribuer et donner aux pauvres pour obtenir la justice qui subsiste à jamais (2), c'est aussi crier vers le Christ. Car entendre et entendre sans être sourd ce divin conseil : « Vendez vos biens et les donnez aux pauvres. Faites-vous des bourses que le temps n'use point, un trésor qui ne vous fasse pas défaut dans le ciel (3); » c'est en quelque sorte entendre le bruit que fait le Christ en passant. Ah! c'est alors qu'il faut crier vers lui, c'est-à-dire suivre cet avis. Que la voix de chacun soit dans sa conduite, que chacun se mette à mépriser le monde, à donner son bien à l'indigent, à regarder comme un néant ce qui passionne les mortels, à dédaigner les injures, sans aucun désir de vengeance, à présenter la joue aux soufflets, à prier pour ses ennemis, à ne réclamer pas ce dont on a été dépouillé, et si on a dépouillé quelqu'un, à lui rendre quatre fois autant. 13. Mais commence-t-on à vivre de la sorte ?
1. Galat. VI, 14. 2. Ps. CXI, 9. 3. Luc, XII, 33.
Bientôt s'émeuvent les parents, les alliés, les amis. Quelle folie! s'écrient-ils. Quel homme extrême! Les autres ne sont-ils pas chrétiens? C'est une vraie folie, c'est de la démence. Voilà les propos que crie la foule pour empêcher les aveugles de crier. Là foule aussi voulait alors imposer silence, mais elle n'étouffait pas les cris de ces aveugles. Vous qui voulez guérir, apprenez ici ce que vous avez à faire. D'un côté sont ceux qui honorent Dieu du bout des lèvres, tandis que leur coeur est loin de lui (1). D'autre part je vois près du chemin des coeurs blessés à qui le Seigneur fait ses prescriptions. Toutes les fois en effet qu'on lit devant nous les actions temporelles du Seigneur, nous voyons en quelque sorte passer Jésus, et jusqu'à la fin du monde il y aura de aveugles assis près du chemin. C'est à ceux-ci de crier. La, foule qui accompagnait le Seigneur voulait empêcher de crier ces malheureux qui demandaient la guérison de leurs yeux. Mes frères, comprenez-vous ma pensée? Je ne sais comment m'exprimer; moins encore je ne sais comment me taire. Voici donc ma pensée, et je l'énonce hautement; car je crains Jésus, soit qu'il passe, soit qu'il demeure, et pour ce motif je ne saurais me taire. Les bons chrétiens, les chrétiens vraiment zélés qui cherchent à accomplir les divins préceptes consignés dans l'Évangile, rencontrent un obstacle dans les chrétiens mauvais et tièdes. Cest la foule, accompagnant le Seigneur, qui les empêche de crier, c'est-à-dire qui les empêche de faire le bien, de persévérer et conséquemment de guérir. Mais qu'ils crient, sans se lasser, sans se laisser entraîner par l'autorité de la foule, sans imiter ces mauvais chrétiens qui les précèdent et qui leur portent envie à cause de leurs vertus. Qu'ils se gardent de dire : Vivons comme eux, ils sont en si grand nombre! Pourquoi ne vivre pas plutôt comme le veut l'Évangile Pourquoi vouloir écouter les reproches de la foule qui arrête et ne marcher pas sur les traces du Seigneur qui passe? Ils t'insulteront, ils te blâmeront, ils te détourneront; mais crie, crie jusqu'à ce que tu sois entendu de Jésus. Si en effet l'on continue à pratiquer ce qu'a prescrit le Sauveur, sans faire attention aux clameurs de la multitude, sans s'inquiéter de ce qu'on y semble suivre le Christ, puisque l'on y porte le nom de chrétiens; si d'ailleurs on estime la
1. Isaïe, XXIX, 13.
lumière que doit rendre le Sauveur, plus qu'on ne redoute le blâme du public; non, Jésus ne délaissera point, il s'arrêtera et guérira. 14. Mais comment guérir cet oeil intérieur? La foi nous montre le Christ passant pour la dispensation temporelle de ses grâces, que la foi nous le montre aussi s'arrêtant dans l'immuable éternité. La guérison de la vue intérieure consiste donc à fixer la divinité du Christ. Que votre charité le comprenne bien, remarquez d'ailleurs le mystère profond que je vais indiquer. Toutes les actions temporelles de Jésus-Christ Notre-Seigneur contribuent à nous donner la foi. Nous croyons au Fils de pieu; nous voyons en lui, non-seulement le Verbe qui a tout fait, mais encore le Verbe fait chair pour habiter au milieu de nous, le Christ né de la Vierge Marie; nous croyons aussi tous les évènements que la foi nous enseigne de lui et qui se sont accomplis ostensiblement comme pour nous montrer le Christ à son passage et afin qu'en entendant le bruit de ses pas, les aveugles se mettent à crier par leurs oeuvres, à répondre par leur vie à leur profession de foi. Jésus alors s'arrête pour les guérir; car c'est voir Jésus s'arrêter que de dire : « Eussions-nous connu le Christ selon la chair; maintenant nous ne le connaissons plus ainsi (1) ; » car c'est voir sa divinité autant qu'il est possible en ce monde. Dans le Christ en effet il y a la divinité et il y a l'humanité. La divinité s'arrête, l'humanité passe. La divinité s'arrête; qu'est-ce à dire? C'est-à-dire qu'elle ne change point, que rien ne lébranle, que rien ne l'altère. En venant à nous elle ne s'est pas éloignée du Père et en remontant vers lui, elle n'a pas changé de lieu. Le Christ considéré dans sa chair a changé de lieu; mais la divinité qui s'est unie au corps n'en a point changé, puisqu'aucun lieu ne saurait la circonscrire. Que le Christ donc s'arrête ainsi et nous touche pour nous rendre la vue. Nous rendre la vue, pourquoi? Parce que nous crierons à son passage, c'est-à-dire parce que nous ferons le bien, éclairés par cette foi qui a été annoncée dans le temps pour l'instruction des petits. 15. Et ces yeux une fois guéris, nous sera-t-il possible, mes frères, de posséder jamais un plus riche trésor? On est heureux de voir cette lumière créée qui tombe du ciel ou que répandent les flambeaux; combien semblent malheureux ceux
1. II Cor. V, 6.
393
qui ne sauraient en jouir! Mais pourquoi vous parler ainsi, pourquoi vous faire cette réflexion, si ce n'est pour vous exciter à crier, au passage de Jésus. Je voudrais faire aimer à votre sainteté une lumière que peut-être vous ne voyez pas encore. Croyez donc, puisque vous ne la voyez pas, et criez pour obtenir de la voir. On déplore l'infortune d'être privé de la vue de cette lumière sensible. Un homme est-il aveugle ? On dit aussitôt: Il a Dieu contre lui, il a fait quelque méchante action. C'est ce que répétait à Tobie son épouse. Tobie criait pour un chevreau, craignant qu'il n'eût été dérobé; il ne voulait pas souffrir dans sa maison l'idée même du larcin. Son épouse, pour se défendre, outrageait son mari. L'un disait: S'il est mal acquis, rendez-le; et l'autre avec insulte : Que sont devenues tes bonnes oeuvres (1) ? Comme elle était aveugle, de défendre son larcin ! Et comme lui voyait clair en commandant de restituer ! Extérieurement elle marchait à la lumière du soleil; et lui, intérieurement, à la lumière de la justice. Laquelle des deux lumières était préférable ? 16. C'est, mes frères, à l'amour de cette lumière que nous exhortons votre charité. Quand le Seigneur passe, criez par vos bonnes oeuvres, faites entendre votre foi, afin que Jésus s'arrête, afin que la Sagesse divine, toujours immuable, afin que le Verbe de Dieu, qui a fait toutes choses, vous ouvre enfin les yeux. C'est l'avis que donnait ce même Tobie à son Fils; il l'invitait à crier, c'est-à-dire à faire de bonnes uvres. Il lui recommandait de donner aux pauvres, il lui ordonnait de faire l'aumône aux indigents et lui disait : « Les aumônes, mon fils, ne laissent pas tomber dans les ténèbres (2). » Ainsi un aveugle donnait le moyen de voir la lumière et d'en jouir. « Les aumônes, disait-il, ne laissent pas tomber dans les ténèbres. » Mais si le fils étonné lui eût répondu : Quoi ! mon père, n'avez-vous pas fait l'aumône ? et pourtant... Vous geai me dites : « Les aumônes ne laissent pas tomber dans les ténèbres, » n'y êtes-vous point ? Mais le père savait de quelle lumière il parlait à son fils, il connaissait la lumière qui brillait dans son âme, et si le fils donnait la main au père pour le conduire sur la terre, le père la donnait au fils pour le conduire au ciel. 17. En deux mots, mes frères, car il faut conclure ce discours par ce qui nous touche et
1. Tob. II, 21, 22. 2. Tob. IV, 11.
nous tourmente le plus, reconnaissez qu'il y a une foule pour s'opposer aux cris des aveugles; et vous tous qui, dans cette foule, cherchez votre guérison, ne vous laissez pas effrayer. Beaucoup portent le nom de chrétiens et mènent la conduite d'impies; que ceux-là ne vous détournent pas de faire le bien. Criez au milieu de cette foule qui vous impose silence, qui vous rappelle en arrière, qui vous insulte et qui vit dans le désordre ; car ce n'est pas de la voix seulement que les mauvais chrétiens tourmentent les bons, c'est aussi par leurs actions perverses. Un bon Chrétien refuse d'aller au théâtre, et par ce refus même qui met un frein à sa passion, il crie après le Christ, il crie pour obtenir d'être guéri. D'autres y courent; mais ce sont peut-être des païens ou des juifs; que dis-je? ils se trouveraient si peu nombreux au théâtre que la honte même les en ferait sortir, si des chrétiens ne s'y rendaient avec eux. Ces chrétiens y courent donc aussi et y portent pour leur malheur un caractère sacré. Pour toi, crie en n'y allant pas; comprime en ton coeur cette passion volage, et criant toujours avec autant de force que de persévérance, approche-toi de l'oreille du Sauveur, détermine Jésus à s'arrêter et à te guérir. Au milieu même de la foule, crie, sans désespérer d'être entendu de lui. Est-ce que nos aveugles criaient du côté où n'était pas la foule, pour être entendus où ne se rencontrait aucun obstacle ? Ils criaient au sein de la multitude, et le Seigneur ne laissa pas de les entendre. Vous aussi, du milieu même des pécheurs et des voluptueux, du milieu des hommes, passionnés pour les folies du siècle, criez, criez pour obtenir votre guérison du Seigneur. N'allez pas d'un autre côté crier vers lui, n'allez pas vous mêler aux hérétiques pour crier de là vers le Sauveur. Songez, mes frères, que les aveugles furent guéris au sein de la foule qui les empêchait vainement de crier. 18. Votre sainteté remarquera aussi ce qu'obtient la persévérance à crier de cette sorte. Ecoutez ce que plusieurs ont expérimenté avec moi par la grâce du Christ, car l'Eglise ne cesse de lui donner de tels fils. Un chrétien se met-il à mener une vie réglée, à être zélé pour les bonnes oeuvres, et à mépriser le monde? Dès le début il rencontre dans les chrétiens glacés des opposants et des contradicteurs. Mais persévère-t-il? triomphe-t-il d'eux pansa patience et sans se relâcher de ses bonnes oeuvres ?Bientôt ils l'encouragent au (394) lieu de le détourner comme auparavant. Ils le censurent donc, l'inquiètent et le tourmentent, tout le temps qu'ils espèrent pouvoir le gagner. Et s'ils sont vaincus parla constance qu'on met à avancer, les voilà qui changent de langage. C'est un grand homme, un saint homme, répètent-ils ; homme heureux que Dieu favorise. Ils l'honorent et le félicitent, ils le louent et le bénissent. Ainsi faisait encore la foule qui accompagnait le Seigneur. Elle empêchait d'abord les aveugles de crier, mais une fois que ceux-ci eurent crié, jusqu'à mériter d'être exaucés et d'obtenir miséricorde du Seigneur, la même foule commença à leur dire: « Jésus vous appelle. » Les voici donc excités par ceux mêmes qui auparavant leur imposaient silence. Et qui n'est pas appelé par le Seigneur ? Celui-là seulement qui ne souffre pas dans ce siècle. Mais qui ne souffre en cette vie de ses fautes et de ses iniquités ? Si donc tous ont à souffrir, c'est à tous qu'il a été dit : « Venez à moi, vous tous qui souffrez (1)? » Et si ce langage s'adresse à tous, pourquoi rejeter ta faute sur Celui qui t'appelle ainsi ? Viens donc. Ne crains pas d'être à l'étroit dans sa demeure ; le royaume de Dieu est possédé tout entier par tous et par chacun. Le nombre de ceux qui en jouissent n'en diminue pas l'étendue, car il ne se partage pas; chacun le possède tout entier, car tous y vivent dans une heureuse concorde. 19. Cependant, mes frères, nous découvrons, dans les mystérieuses profondeurs de l'Evangile de ce jour, une vérité qui brille d'un vif éclat dans d'autres parties des livres sacrés; c'est qu'il y a dans l'Eglise des bons et des méchants, du froment et de la paille, comme souvent nous disons. Que personne ne quitte l'aire prématurément, qu'on souffre d'être mêlé à la paille pendant que se fait le battage; qu'on souffre d'y être mêlé sur l'aire, car au grenier on n'aura plus rien à souffrir. Viendra le grand Vanneur et il séparera les méchants d'avec les bons, car il y aura alors, pour les corps-mêmes une séparation que prépare aujourd'hui la division des esprits. Toujours séparez-vous des méchants à l'intérieur, mais extérieurement conservez avec prudence l'union avec eux. Ne négligez pas toutefois de reprendre ceux qui relèvent de vous, ceux qui sont, à quelque titre, commis à votre sollicitude ; ayez soin de les avertir, de les instruire, de les encourager et de les effrayer. Agissez sur
1. Matt, XI, 28.
eux de toutes les manières possibles; et puisque vous rencontrez, dans les Ecritures ou dans la vie des saints antérieurs ou postérieurs à l'avènement du Seigneur, quau sein de l'unité les bons ne se sont point souillés au contact des méchants, ne négligez point de corriger ceux-ci. Pour n'être pas souillé par le méchant, il faut deux choses : ne pas consentir et réprimander. Ne pas consentir, c'est ne pas prendre part à ses oeuvres, car on y prend part en s'y associant par la volonté ou en les approuvant: Voici l'avertissement que donne l'Apôtre à ce sujet : « Gardez-vous de prendre part aux oeuvres stériles des ténèbres ; » et comme il ne suffirait point de n'y pas consentir si on négligeait de les réprimer «Reprochez-les plutôt. » continue l'Apôtre. « Observez le double devoir tracé ici : Gardez-vous d'y prendre part; reprochez-les plutôt. » Qu'est-ce à dire : « Gardez-vous d'y prendre part ? » Gardez-vous d'y consentir, de les louer de les approuver. Et que signifie : « Reprochez-les plutôt? » Réprimandez-les, corrigez-les et les réprimez. 20. Il faut aussi, en corrigeant ou en réprimant les fautes d'autrui, éviter de s'enorgueillir, et méditer cette sentence apostolique : « Ainsi donc, que celui qui se croit debout, prenne garde de tomber (2). » Faites retentir avec force et avec terreur le bruit de la réprimande; mais conservez intérieurement la douceur de la charité. « Si un homme est tombé par surprise dans quelque faute, dit encore le même Apôtre, vous qui êtes spirituels, instruisez-le en esprit de douceur, regardant à toi-même pour éviter, toi aussi, d'être tenté. Portez les fardeaux les uns des autres, et c'est ainsi que vous accomplirez la loi du Christ (3). » Il dit encore ailleurs: «Il ne faut pas que le serviteur de Dieu dispute, mais qu'il soit doux envers tous, capable d'enseigner, patient, reprenant avec modestie ceux qui pensent différemment, dans l'espoir que Dieu leur donnera un jour l'esprit de pénitence pour qu'ils connaissent la vérité et se dégagent des liens du diable qui les tient captifs sous sa volonté (4).» Ainsi donc ne soyez ni complices des méchants pour les approuver, ni négligents pour les réprimander, ni orgueilleux pour les censurer avec hauteur. 21. Mais quitter l'unité c'est rompre la charité, et si grands dons que l'on possède, quand on
1. Ephès. V, 11. 2. I Cor. X, 12. 3. Gal. V, 1, 2. 4. II Tim. II, 24-26.
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a rompu la charité, on n'est rien. On parlerait en vain les langues des hommes et des anges, on connaîtrait en vain tous les mystères ; en vain aurait-on toute la foi, jusqu'à transporter les montagnes, distribuerait-on aux pauvres tous ses biens et livrerait-on son corps aux flammes; si l'on n'a pas la charité, on n'est rien (1). Inutilement on possèderait tout, si l'on manquait de la seule chose qui rend le reste utile. Embrassons donc la charité, en nous appliquant à maintenir l'unité d'esprit avec le lien de la paix (2). Ne nous laissons pas séduire par ceux qui ont des idées trop charnelles et qui en provoquant une séparation matérielle se séparent eux-mêmes, par un sacrilège spirituel, du pur froment de l'Eglise répandu par tout l'univers. Ce pur froment en effet, a été semé par tout le monde. C'est Je Fils de l'homme qui l'a répandu non seulement en Afrique mais aussi partout; et c'est l'ennemi qui est venu ensuite semer livraie. Or, que dit le Père de famille ? «Laissez, croître, l'un et l'autre jusqu'à la moisson. » Croître, où ? Sans doute dans le champ. Et quel est ce champ ? L'Afrique ? Non. Quel est-il donc? Ne le disons pas nous-même, laissons le Seigneur interpréter sa pensée, et que personne ne se permette de soupçons arbitraires. Les disciples dirent donc à leur Maître : « Expliquez-nous la parabole de l'ivraie. » Et le Seigneur l'expliqua ainsi: « La bonne semence désigne les fils du royaume, et l'ivraie, les enfants du mal. » Qui a semé cette ivraie? « L'ennemi qui a. semé l'ivraie, c'est le diable. » Quel est le champ? «Le champ, c'est le monde. » Et la moisson ? « La moisson est la fin du siècle. » Et les moissonneurs? « Les moissonneurs sont les anges (3). » Mais l'Afrique est-elle le monde ! Sommes-nous au temps de la moisson et Donat est-il le moissonneur? Oui, c'est partout l'univers qu'il vous faut attendre la moisson c'est par tout l'univers qu'il vous faut croître pour mûrir, c'est par tout l'univers qu'il vous faut laisser l'ivraie jusqu'à l'époque de la moisson. Ah! ne vous laissez point séduire parles méchants, pailles légères qui s'envolent de l'aire avant l'arrivée du divin Vanneur : ne vous laissez pas séduire par eux; arrêtez-les à cette parabole de l'ivraie, elle suffit pour les confondre et ne leur laissez plus dire. Un tel a livré les Écritures. Non, c'est celui-là qui les a livrées. Quel que soit d'ailleurs celui qui les a livrées, est-ce que l'infidélité de ces traditeurs
1. I Cor. XIII,13. 2. Ephés. IV, 3. 2. Matt. XIII, 24-30, 36-43.
rendra vaine la fidélité de Dieu? Et quelle est cette fidélité de Dieu ? Celle que Dieu a promise à Abraham quand il lui a dit: « Dans ta race seront bénies toutes les nations. » Quelle est-elle encore? « Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson. » Croître, où? Dans le champ. Qu'est-ce à dire, dans le champ ? C'est-à-dire dans le monde. 22. Ici on nous arrête. On avait vu, dit-on, le bon grain et l'ivraie croître dans le monde; mais il n'y a plus guère de froment; il n'y en a plus que dans notre pays et au milieu de nous, si peu nombreux que nous soyons. Le Seigneur ne te permet pas de donner l'interprétation qui te plaît. C'est lui qui t'a expliqué cette parabole, et il te ferme la bouche, bouche sacrilège, bouche impie, bouche souillée, bouche qui se contredit et qui contredit en même temps le divin Testateur, les dispositions qui t'appellent à son héritage. Comment te ferme-t-il la bouche ? En disant: « Laissez l'un et l'autre croître jusqu'à la mois« son. » Si donc le temps de la moisson est arrivé, croyons qu'il n'y a plus guère de froment; et pourtant même alors on ne pourra dire qu'il n'y en a guère puisqu'il sera serré dans le grenier. Voici en effet ce qui est écrit : « Recueillez d'abord l'ivraie et mettez-la en gerbes pour la brûler; quant au froment enfermez-le dans mon grenier. » Mais s'ils doivent croître jusqu'à la moisson et être ensuite enfermés, quand donc, tête opiniâtre et impie, les verra-t-on diminuer? Comparé en même temps à l'ivraie et à la paille, le bon grain, je l'accorde est en petite quantité; cependant il croît jusqu'à la moisson aussi bien que l'ivraie. Lors en effet que l'iniquité se multiplie, la charité se refroidit dans un grand nombre, l'ivraie croît et la paille aussi. Mais le bon grain ne saurait manquer partout, puis qu'en persévérant jusqu'à la fin il assure sa conservation (2); il s'ensuit que jusqu'à la moisson il croît avec l'ivraie. D'autre part, si la multitude des méchants a fait dire : « Penses-tu que le Fils de l'homme, en venant sur la terre, y trouvera encore de la foi (3)? » (et ce mot de terre désigne tous ceux qui en violant la loi se rendent les imitateurs de celui à qui il a été dit: « Tu es terre, et tu retourneras « en terre (4) ; » ) il est dit aussi, à cause du grand nombre des bons et en considération du patriarche à qui s'adressait cette promesse : « Ta postérité se multipliera comme les étoiles du ciel et comme
1. Gen. XXII, 18. 2. Matt. XXIV, 12-13. 3. Luc, XVIII, 8. 4. Gen. III,19.
396
le sable de la mer (1) ; » il est donc dit que « beaucoup viendront d'Orient et d'Occident et prendront place avec Abraham et Isaac dans le royaume de Dieu (2). » Donc, encore une fois, le bon grain et l'ivraie croissent jusqu'à la moisson; et s'il y a dans les Ecritures des passages particuliers qui s'appliquent à l'ivraie ou à la paille, il en est d'autres pour le bon grain. Ne pas les comprendre, c'est tout confondre et mériter d'être confondu; c'est se laisser tellement emporter aux aboiements d'une passion aveugle, que l'éclat même de la vérité ne saurait imposer silence. 23. Voici, reprennent-ils, des paroles d'un prophète : « Eloignez-vous, sortez de là, ne touchez point ce qui est impur (2). » Comment souffrir les méchants pour conserver la paix, puisqu'il nous est commandé de sortir, et de nous éloigner, d'eux pour ne toucher pas ce qui est impur? Nous, mes frères, nous entendons cet éloignement dans un sens spirituel, et eux, dans un sens matériel. Moi aussi je crie avec le prophète; quoique nous soyons, Dieu nous emploie comme des instruments à votre service, et nous vous crions, nous vous disons: « Eloignez-vous, sortez de là, ne touchez pas ce qui est impur; » évitez de le toucher, non de corps, mais de coeur. Qu'est-ce que toucher ce qui est impur, sinon consentir aux péchés d'autrui ? Et qu'est-ce qu'en sortir, sinon faire ce que réclame la correction des méchants, et autant que chacun en est capable dans sa dignité et son rang, et sans altérer la paix ? Tu es fâché de voir cet homme pécher : tu n'as point touché ce qui est impur. Tu l'as réprimandé, tu l'as corrigé, tu l'as averti, tu as même eu recours, selon le besoin, à un châtiment convenable mais sans rompre lunité: tu en es sorti. Examinez ce qu'ont fait les saints, car nous ne voulons point paraître vous donner ici notre interprétation particulière, et nous devons entendre ce passage comme ils l'ont entendu. « Sortez de là, » dit le prophète. J'explique d'abord cette parole d'après le sens qu'on lui donne habituellement; je montre ensuite que ce n'est pas un sentiment qui me soit personnel. Il arrive souvent que des hommes soient accusés, et qu'étant accusés ils se défendent. Or lorsqu'un accusé s'est défendu en s'appuyant sur la raison et sur la justice, ceux qui l'ont entendu se disent: Il en est sorti. Comment est-il sorti?
1. Gen. XV, 5 ; XXII,17. 2. Matt. VIII, 11. 3. Isaïe, LII, 11.
En s'appuyant sur la raison, en faisant une défense pleine de justice. N'est-ce pas ce que faisaient les saints en secouant la poussière de leurs pieds contre ceux qui n'acceptaient point la paix qu'ils leur annonçaient (1) ? Elle en est sortie cette sentinelle à qui il avait été dit: « Je t'ai établi comme une sentinelle pour la maison d'Israël. Si tu parles à l'impie et qu'il ne renonce ni à l'iniquité, ni à sa voie, cet impie mourra dans son iniquité et tu délivreras ton âme (2). » Si elle agit ainsi, elle en sort, non en se séparant extérieurement, mais en faisant ce qui lui sert de défense. Cette sentinelle a rempli son devoir, bien que l'impie n'ait pas obéi comme il aurait dû. La sentinelle en est donc sortie. 24. Ainsi nous crient de sortir et Moïse, et Isaïe, et Jérémie et Ezéchiel. Voyons si eux-mêmes sont sortis en abandonnant le peuple de Dieu et en se réfugiant au milieu des autres nations. Combien de fois et avec quelle véhémence Jérémie ne s'est-il pas élevé contre les pécheurs et coutre les impies dans Israël! Il vivait néanmoins au milieu d'eux, entrait dans le même temple et célébrait les mêmes mystères ; oui, il vivait au milieu de ce mélange d'hommes pervers; mais il en sortait en criant contre leurs désordres. Sortir de là, ne pas toucher ce qui est impur, signifie donc que la volonté ne doit pas consentir au mal, ni la bouche l'épargner. Que dirai-je de Jérémie, d'Isaïe, de Daniel, d'Ezéchiel et des autres prophètes ? Ils n'ont pas quitté ce peuple pervers; craignant de se séparer des bons mêlés aux méchants, parmi lesquels eux-mêmes aussi étaient parvenus à se sanctifier. Au moment même où Moïse recevait la loi au sommet de la montagne, vous savez, mes frères, que le peuple resté au bas se fit une idole. C'était le peuple de Dieu, le peuple conduit à travers les flots dociles de la mer rouge qui avait englouti l'armée égyptienne poursuivant Israël: eh bien! après tant de prodiges et de si étonnants miracles qui avaient semé en Egypte des châtiments et la mort, protégé et sauvé les Hébreux, ceux-ci ne laissèrent pas de demander une idole, de l'obtenir par violence, de la fabriquer, de l'adorer, de lui sacrifier même. Dieu fait connaître ce crime à son serviteur et lui annonce en même temps qu'il va faire disparaître les coupables de devant sa face. Moïse intercède avant de rejoindre ce peuple. C'était bien l'occasion de s'éloigner de ce milieu, comme disent les Donatistes,
1. Luc, X, 11. 2. Ezéch. III, 17-19.
397
afin de ne pas toucher ce qui est impur, de ne vivre pas au milieu des coupables: mais il n'en fit rien. Et pour empêcher de croire que sa conduite fût inspirée par le besoin plutôt que par la charité, Dieu lui offrit un autre peuplé : « Je ferai de toi, lui disait-il, une grande nation; » afin de pouvoir anéantir cette race coupable. Moise n'accepte point, il demeure uni à ces pécheurs, il prié pour eux. Et comment prie-t-il? Ah ! mes frères, quel témoignage d'affection ! Comment prie-t-il? Reconnaissez ici cette charité en quelque sorte maternelle dont il a été entre nous si souvent question. En entendant le Seigneur menacer ce peuple sacrilège, les tendres entrailles de Moïse s'émurent, et il s'offrit pour eux à la colère divine. « Seigneur, dit-il, si vous voulez leur pardonner cette faute, pardonnez-la ; sinon effacez moi de votre livre que vous avez écrit (1). » Quelles entrailles paternelles et maternelles tout à la fois ! Avec quelle tranquillité il parlait ainsi, l'oeil fixé sur la justice et la miséricorde de Dieu; car Dieu étant juste il ne pouvait perdre le juste, et miséricordieux; il devait pardonner aux pécheurs. 25. Maintenant donc, sans aucun doute, votre prudence voit manifestement quel sens il faut donner à tous ces passages tirés des Ecritures ; et que l'Ecriture nous criant de nous éloigner des méchants, c'est simplement l'ordre de nous éloigner d'eux par les dispositions du coeur; car en nous séparant des bons nous ferions plus de mal que nous n'en éviterions en demeurant au milieu des méchants; témoin les Donatistes. Ah S'ils étaient vraiment bons, si par conséquent ils faisaient des observations eux méchants au
1. Exod. XXXII, 31, 32.
lieu de diffamer méchamment les bons, qui donc ne supporteraient-ils pas, après qu'ils ont reçu comme parfaitement innocents les Maximinianistes, auparavant condamnés par eux comme de grands coupables ? Oui, sans aucun doute, un prophète a dit: « Eloignez-vous et sortez de là, ne touchez pas ce, qui est impur. » Mais pour comprendre ses paroles, j'interroge sa conduite; celle-ci m'explique celles-la. « Eloignez-vous, » dit-il. A qui parle-t-il? Aux justes certainement. De qui veut-il qu'ils s'éloignent? Des pécheurs et des impies. Mais lui, s'en est-il éloigné ? Je le cherche et je découvre que non. Par conséquent, il comprenait différemment. N'aurait-il pas fait le premier ce qu'il exigeait? Mais il s'est séparé de coeur, il a adressé des observations, des reproches; en s'abstenant de consentir au mal, il n'a point touché ce qui est impure et en faisant des réprimandes, il est sorti innocent aux yeux de Dieu; et si Dieu ne lui a point reproché de péchés personnels, c'est qu'il n'en a pas fait; les péchés d'autrui, c'est qu'il ne les a pas approuvés; de négligence, c'est qu'il n'a pas omis de parler ; d'orgueil enfin, c'est qu'il a demeuré dans l'unité. Vous donc aussi, mes frères, tout ce que vous connaissez au milieu de vous d'hommes encore appesantis sous l'amour du siècle, d'avares, de parjures, d'adultères; de passionnés pour les vains spectacles; ceux qui consultent les astrologues, les fanatiques; les augures; les aruspices ; tous ce que vous connaissez d'ivrognes, de voluptueux, tous ceux enfin qui font le mal au milieu de vous, désapprouvez-les de toutes vos forces afin de vous séparer d'eux par le coeur, reprenez-les, afin d'en sortir; et gardez-vous de consentir, afin de ne pas toucher ce qui est impur.
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