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SERMON V. Prononcé un peu avant la fête de Pâque. LUTTE DE JACOB CONTRE L'ANGE (1).
ANALYSE. Saint Augustin revient souvent sur la nécessité imposée aux Chrétiens de se supporter les uns les autres. On conçoit cette insistance en face des doctrines de Donat. Aujourd'hui donc que l'on a lu dans l'assemblée des fidèles la lutte mémorable de Jacob confire un ange, le grand Évêque trouve l'occasion favorable de faire sentir a son peuple la nécessité de se supporter les uns les autres. A la fois béni et blessé par l'ange, Jacob est pour saint Augustin l'image de l'Église; où les bons et fies méchants seront , mêlés jusqu'à la fin des siècles. Mais avant d'expliquer ce double effet de la lutte du patriarche, le saint docteur établit sur deux puissants motifs l'indispensable nécessité d'exercer la charité envers les méchants ; le premier est la menace formidable de n'obtenir pas le pardon si on ne l'accorde; le second est le touchant exemple de Jésus sur la croix. Enfin il arrive à l'explication mystique de la lutte de Jacob. Jacob est pour lui le type du peuple chrétien, comme Esaü celui de peuple juif. Or Jacob ne reçoit la bénédiction paternelle qu'en portant, pour ainsi dire, les péchés d'Esaü. Ne faut-il donc pas que le Chrétien supporte les péchés de ses frères? Esaü, les Juifs et tous les méchants peuvent devenir bons. Pourquoi n'être pas charitable envers eux ? Dans ce combat mystérieux où. Jacob s'attache à l'ange comme l'Église à Jésus-Christ, le patriarche est et restera jusqu'à la fin de sa vie béni et blessé. Telle sera l'Église jusqu'à la fin des siècles. Pourquoi ne pas nous y résigner?
1. Une règle de première nécessité pour le chrétien, c'est d'écouter la parole de Dieu tant qu'il est en ce monde, et d'avoir les yeux fixés sur Celui qui après être venu sauver le monde dans sa miséricorde, viendra le juger dans sa justice. Aussi Notre-Seigneur _Jésus-Christ s'est présenté pour être notre modèle, et parce que
1. Gen. XXXII, 23 et suiv.
nous sommes chrétiens nous devons l'imiter lui-même ou imiter ceux qui l'ont imité. Il est en effet des hommes qui sans être chrétiens portent le nom de chrétien. Les uns sont comme des souillures rejetées par l'Église : tels sont tous les hérétiques et tous les schismatiques, comparés encore aux stériles sarments retranchés du cep et aux pailles emportées par le vent, avant même que (23) le Vanneur ait nettoyé son aire, il en est d'autres qui intérieurement mauvais restent encore dans la communion catholique : le bon chrétien doit les supporter jusqu'à la fin, parce que le Seigneur ne vannera qu'au jour du jugement. C'est ce que nous ne cessons de vous recommander et nous croyons au nom du Christ que vous avez à coeur ces recommandations. Est-ce pour la première fois que vous entendez les leçons que l'on vient de vous lire ? Ne vous les répète-t-on pas chaque jour ? Mais s'il est nécessaire que l'on vous lise chaque jour les divines Écritures, pour empêcher les désordres du siècle et ses épines de germer dans vos coeurs et d'étouffer la semence que l'on y a répandue ; il est nécessaire aussi de vous annoncer toujours la parole de Dieu : vous pourriez l'oublier et dire un jour que vous n'avez pas entendu ce que nous affirmons vous avoir prêché. 2. Parmi ceux qui se présentent à la grâce du baptême, et voici le temps où au nom du ciel ils s'empresseront de la recevoir, il en est beaucoup qui croient effacés et entièrement effacés tous les péchés qu'ils avaient commis, et qui sortent avec la persuasion qu'ils ne sont redevables de rien au Seigneur : semblables à ce serviteur qui rendait compte à son maître et qui lui redevait dix mille talents; il le quitta déchargé, non qu'il ne lui dût rien, mais parce que dans sa clémence le maître l'avait tenu quitte de tout. Cependant, mes frères, ce même serviteur ne nous glace-t-il pas de frayeur ? Parce qu'il ne voulut point tenir quitte un de ses compagnons ni lui donner du temps pour le paiement de cent deniers, le maître lui réclama les dix mille talents qu'il lui avait remis (1). Vous qui allez sortir du baptême acquittés et absous de tous vos péchés, prenez donc garde de refuser le pardon à qui pourra vous offenser; tremblez que non seulement on ne vous pardonne plus à lavenir, mais qu'on ne réclame encore tout ce qu'on vous avait quitté. Ne dis donc pas : Qui observe ou qui a observé cette règle? On meurt en se tenant ce langage. Aime ton ennemi, dit le Seigneur; et tu réponds, toi: Qui le fait ? Ainsi, parce qu'on n'accomplit point son devoir on s'imagine que personne n'a pu l'accomplir? Il s'accomplit dans le coeur, comment peux-tu voir qui l'observe? Mais tu présumes que celui qui réclame rie l'a point accompli. Il peut se faire, en effet qu'en
1. Matt. XVIII, 23-34.
entendant se plaindre. du coupable et envoyant qu'on le fait punir, tu croies qu'on ne lui pardonne point. Mais pourquoi ? Est-ce qu'en châtiant ton fils tu gardes contre lui quelque haine dans le coeur ? J'ai donc raison de le dire, c'est une affaire tout intérieure et Dieu seul -distingue si. le pardon est accordé. Il en est qui ne sévissent point extérieurement contre leurs ennemis, et l'on dirait qu'ils pardonnent; mais intérieurement ils sévissent, ils leur souhaitent du mal et même la mort; ainsi nourrissent-ils contre eux le mauvais vouloir tout en ne paraissant point se venger. Il en est d'autres au contraire qui semblent rendre le mal pour le mal; mais la correction qu'ils infligent est un témoignage d'affection; ils veulent que leur ennemi parvienne à l'éternelle vie, et plus ils l'aiment, plus ils désirent le voir corrigé. N'est-ce pas ainsi que Dieu même nous affectionne? N'est-ce pas lui qui pour nous rendre, autant qu'il est possible, semblables à lui, nous exhorte à aimer nos ennemis ? « Soyez parfaits, dit-il, comme votre Père qui est dans les cieux, et qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, pleuvoir également sur les justes et sur les injustes (1). » Mais quel n'est point son amour pour nous, puisqu'en faveur des pécheurs et des impies il a envoyé sur la terre son Christ, qui devait y être crucifié, et qui nous a rachetés au prix de son sang, quand nous étions devenus ses ennemis pour avoir aimé ses oeuvres au lieu de lui-même? Oui, au moment même où nous étions si coupables, « Dieu envoya son Fils », comme dit l'Apôtre (2), et il permit à des impies de le mettre à mort pour d'autres impies. Ah! s'il nous a fait un pareil don quand nous étions encore infidèles, que ne nous réserve-t-il point, maintenant que nous croyons en lui ? Voilà comment Dieu sait aimer les hommes! Cependant remarquez-le, mes frères; est-ce qu'il ne les punit point? Est-ce qu'il ne les corrige point ? S'il ne les corrige point, d'où viennent les famines? D'où viennent les maladies? D'où viennent les épidémies et les infirmités ? Ce sont autant de châtiments divins. Tout en aimant, Dieu, donc, corrige; et toi, si quelqu'un dépend de ton autorité, conserve-lui un amour sincère, mais ne lui refuse pas une correction sérieuse. Ce refus serait la ruine de ta charité, il laisserait mourir dans le crime celui que le châtiment
1. Matt. V, 48, 45. 2. Galat IV, 4.
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aurait pu en tirer; top silence est plutôt une haine véritable. 3. Qu'on ne dise donc plus : Qui peut pardonner ? Appliquez-vous à remplir ce -devoir dans votre coeur, tenez-y là charité. Luttez et vous vaincrez, car c'est le Christ qui vaincra avec vous. Luttez, mais contre qui? Luttez contre le péché, contre les mauvais propos de ceux qui vous disent : Quoi! tu ne te venges pas? Tu resteras sans défense et tu ne lui fais pas sentir sa faute? Ah! s'il avait affaire à moi ? Luttez donc et soyez vainqueur. Quand le Christ endura de la part des Juifs les dernières énormités, ne pouvait-il pas, s'il avait voulu, ordonner à la terre de s'ouvrir et d'engloutir ses bourreaux ? Malgré sa toute-puissance, il les souffrit jusqu'à permettre qu'ils l'élevassent en croix, et pendant qu'il y était suspendu : « Mon Père, dit-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (1). » Et toi serviteur racheté par le sang de ton Maître crucifié, tu n'imiteras point ton Sauveur ! Quel besoin avait-il de souffrir autant, quand il pouvait ne rien souffrir ? « J'ai le pouvoir, dit-il, de donner mon âme, et j'ai le pouvoir de la reprendre; nul ne me la ravit, mais je la donne et je la reprendrai (2). » Or, mes frères, n'est-ce pas ainsi qu'il a fait? Il était suspendu à la croix, comme nous l'avons lu aux Aspirants (3), et sitôt qu'il vit toutes les Ecritures accomplies dans sa personne et qu'on lui eut présenté le vinaigre, « C'est fini, » s'écria-t-il; puis inclinant la tête il rendit l'esprit, comme s'il ne demeurait là que pour tout accomplir. Il donna donc son âme quand il le voulut. Aussi était-il Dieu, tandis que les compagnons de son supplice n'étaient que des hommes. Il meurt plutôt qu'eux ; et quand, à cause du sabbat, lordre fut donné de descendre les corps de la croix pour les ensevelir, on trouva que les larrons vivaient encore et on leur rompit les jambes. Le Seigneur était mort; un soldat toutefois lui frappa le côté de sa lance et il en jaillit de l'eau et du sang (4). C'est ta rançon. Qu'est-ce en effet qui sortit de ce côté, sinon le sacrement reçu par les fidèles? Tu vois ici l'esprit, le sang et l'eau : l'esprit qu'il rendit, le sang et l'eau qui coulèrent de son côté. C'est l'indice que l'Église est née de l'eau et du sang. A quel moment ce sang et cette eau sortirent-ils de son côté ? An moment où le Christ
1. Luc, XXIX, 34. 2. Jean, X, 18. 3. Competentes, les Catéchumènes qui se disposaient il recevoir prochainement le Baptême. 4. Jean, XIX, 30-34.
était déjà endormi sur la croix. C'est ainsi qu'Adam fut endormi dans le Paradis et qu'Eve fut tirée de son côté. Voilà donc le prix de ta rédemption. Imite l'humilité de ton Seigneur, marche sur ses traces et ne dis pas : Qui pardonne ? Peut-être est-il près de toi un homme, qui ne pardonne point. Mais si tu pardonnes au milieu de cette multitude, tu seras considéré comme ce pur froment trouvé seul sur l'aire au milieu de pailles sans nombre. Il est difficile de rencontrer deux grains intimement unis; la paille se glisse entre les bons grains. C'est ce que l'on remarque parmi ceux qui veulent servir Dieu ; le bruit et la multitude des méchants les enveloppent de toutes parts; de quelque côté qu'ils se tournent ils ne rencontrent que de mauvais conseils. Sois le bon grain et ne t'inquiète point de la paille. Viendra le temps de la séparation; c'est pourquoi nous venons de chanter : « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle d'un peuple impie (1). » Tels sont les gémissements de l'Église au milieu des pécheurs. Mais croyez-vous, mes frères, que cette séparation demandée par elle soit la séparation d'avec les hérésies, qui sont comme des sarments rompus ? Cette séparation est déjà faite. Serait-ce sa séparation d'avec le parti de Donat, d'avec les Ariens ou les Manichéens, qu'implore lÉglise en répétant : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause ? » Non ; elle ne demande à être séparée que de ceux qui vivent dans son sein et qu'elle doit tolérer jusqu'à la fin des siècles. Or en disant : « Jugez moi, ô Dieu, et séparez ma causé, » elle sollicite la grâce de n'être ni jugée ni perdue avec eux au jour de la justice. « Laisse croître l'ivraie (2). » voilà son devoir pour le moment; et les bons supportent les méchants jusqu'au jour de la séparation finale. 4. Le patriarche Jacob, dont on vient de vous lire l'histoire, est la figure du peuple chrétien, peuple puîné ; comme Esaü est la figure des juifs. Il est vrai, Jacob est à la lettre le père de la nation juive; mais cette nation est mieux représentée par Esaü : comme Esaü elle a été réprouvée et la prééminence q passé au peuple plus jeune des Chrétiens. Lorsque Esaü et Jacob luttaient au sein maternel et que Rébecca s'attristait des secousses imprimées à ses, entrailles, « Pourquoi ces tourments, s'écria-t-elle ? La stérilité me serait
1. Ps. XLII, 1. 2. Matt. XIII, 30.
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préférable. » Le Seigneur lui répondit que deux peuples et deux nations s'entre-choquaient dans son sein et que l'aîné servirait le plus jeune (1). Cet oracle se renouvela plus tard, lorsque Isaac bénissait Jacob, croyant bénir Ésaü. Isaac représentait la loi. La loi semble donnée aux Juifs, et l'empire est réellement aux Chrétiens. Remarquez bien que la loi semble promettre l'empire aux Juifs. Cependant il leur est dit : « C'est pourquoi l'empire vous sera enlevé et donné à une nation qui pratique la justice (2). » Il sera enlevé à Ésaü et donné à Jacob. Ésaü dès sa naissance était velu, c'est-à-dire couvert de péchés, attaché aux péchés. Mais Jacob, pour obtenir la primauté, s'entoura les bras de peaux de chevreaux; et son père le bénit lorsqu'en le palpant il sentit qu'il était velu. Jacob portait ces peaux velues sans y être attaché; ainsi l'Église supporte et supportera jusqu'à la fin les péchés qui ne sont pas les siens. N'est-ce pas ainsi encore que. Notre-Seigneur Jésus-Christ a porté les iniquités d'autrui ? - Le père bénit le plus jeune de ses fils. Comment était-il en le bénissant? O profond mystère! comme devaient être les Juifs. Les Écritures demandent un regard pénétrant; et en bénissant Jacob, Isaac parait avoir été trompé, avoir pris ses fils l'un pour l'autre. Celui d'entre eux qui était allé chasser arrive, et présentant à son père ce que celui-ci avait demandé : « Mon père, dit-il, mange ce que tu as désiré. Qui es-tu ?reprit Isaac. Je suis Ésaü ton fils aîné, répondit celui-ci. Tu es bien Ésaü ? ajouta le père. Quel est donc cet autre qui m'a déjà apporté de la nourriture? J'en ai mangé, je l'ai béni et il est béni (3) » Oh! n'est-ce point ici qu'il fallait se fâcher contre un trompeur, contre un fourbe ? Ne fallait-il pas dire : pourquoi m'a-t-il trompé? Que son frère prenne pour lui la bénédiction donnée et que cet autre soit maudit? Mais tout ceci ne prouve-t-il pas que cet évènement fut mystérieux et destiné à faire connaître que l'aîné servirait le plus jeune ? Ésaü, en effet, reçut aussi une bénédiction; mais il y était dit : « Tu seras, le serviteur de ton frère. » Il s'était écrié : « As-tu épuisé tes bénédictions ? Bénis-moi aussi. Après l'avoir fait si grand, reprit Isaac, que puis-je te donner encore? Bénis-moi aussi, mon père, » ajouta-t-il en insistant. Il extorqua donc et reçut de son père une bénédiction à peu près semblable.
1. Gen, XXV, 22, 23. 2. Matt. XXI, 43. 3 Gen. XXVII, 31-40.
Comme à Jacob la rosée du ciel et la graisse de la terre devaient lui assurer d'immenses richesses; mais Isaac ajouta : « Tu serviras ton frère; et viendra l'époque où tu secoueras son joug de ton cou. » Que signifie : « Et viendra l'époque où tu secoueras son joug de ton cou? » N'était-ce point annoncer que malgré leurs péchés, les Juifs figurés par Ésaü auraient le pouvoir et la liberté de changer et de se réunir à leurs frères? 5. Contemplez ce mystère. Le Juif est aujourd'hui serviteur du Chrétien. Il est évident aussi, vous en êtes témoins, que Jacob remplit tout l'univers. Or pour vous assurer qu'Isaac parlait de l'avenir, étudiez l'histoire des deux frères et reconnaissez que l'on ne vit point en eux l'accomplissement de cette prédiction : « L'aîné servira le plus jeune (1). ». Nous lisons qu'Esaü devint fort riche et qu'il commença à régner au sein d'une pleine opulence (2); au lieu que Jacob fut réduit à paître les troupeaux d'autrui. On vient de le lire aussi : lorsqu'il rentra dans son pays, comme il redoutait son frère, il lui envoya d'innombrables troupeaux avec un serviteur chargé de lui dire : « Voici les offrandes de ton frère (3), » et il ne voulut paraître devant lui qu'après l'avoir apaisé par ses présents. De plus, il l'adora de loin en allant à sa rencontre (4). Quand le plus jeune semble ainsi adorer l'aîné, comment se vérifie : « L'aîné servira le plus jeune ? » Si l'histoire ne nous montre point D'accomplissement de cet oracle, c'est pour nous faire entendre qu'il regardait l'avenir. Aujourd'hui en effet le plus jeune des fils domine, et l'aîné a perdu l'empire. Jacob ne remplit-il point la terre ? Ne tient-il pas sous son sceptre les peuples et les États? Un Empereur Romain, déjà devenu Chrétien, a défendu aux Juifs de s'approcher de Jérusalem ; et dispersés dans l'univers ils sont comme les conservateurs de nos Livres sacrés; comme ces esclaves qui suivent leurs maîtres, quand ils vont au tribunal, portent les dossiers et demeurent à la porte. Tel est aujourd'hui le fils aîné en présence du plus jeune. Rencontre-t-on des difficultés dans les Écritures? On cherche à connaître la vérité par les livres des Juifs. Ils sont donc dispersés pour tenir les livres à notre disposition, et l'aîné sert le plus jeune. A quelle dignité est élevé le peuple chrétien et à quel abaissement est descendue la nation juive ! A peine ont-ils essayé un léger mouvement contre
1. Ibid. XXV, 22,23. 2 Ib. XXXVI, 7. 3 Ib. XXXII, 18. 4. Ib. XXXIII, 8.
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nous, et vous savez comme dernièrement ils ont été réprimés. Aujourd'hui donc se vérifie : « L'aîné servira le plus jeune. » Mais cette autre bénédiction : « Tu recevras de la rosée du ciel et de la graisse de la terre, » ne prouve-t-elle pas que l'aîné a été béni comme le plus jeune? Néanmoins à l'aîné il a été dit : « Tu seras le serviteur de ton frère; et viendra l'époque où tu secoueras son joug de ton cou. » Combien en effet ont secoué ce joug et sont devenus nos frères! Combien de Juifs sont venus à la foi! Ne l'oubliez pas. Maintenant encore, si tu annonces Jésus-Christ Notre-Seigneur à un Juif que tu rencontres et qu'il croie, ne secoue-t-il pas le joug de son cou? Et combien de milliers parmi eux ne l'ont pas secoué dans les premiers temps du Christianisme ? Tous ceux qui ont cru alors, comme l'histoire le rapporte, sont devenus, d'esclaves qu'ils étaient, nos frères et nos cohéritiers. 6. En disant donc: « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle d'une nation impie, » l'Église ne, cherche pas à être séparée d'Esaü, puisque cette séparation est faite, mais des Chrétiens mauvais. Vous venez d'entendre comment lutta contre le Seigneur ce même Jacob qui figure le peuple chrétien. Il vit le Seigneur, c'est-à-dire l'ange qui représentait le Seigneur; il lutta contre lui, voulut le saisir et le retenir. L'ange lutta de son côté ; Jacob prévalut, il saisit l'ange et ne l'échappa qu'après avoir reçu sa bénédiction. Daigne le Seigneur m'accorder de vous expliquer, mes frères, un mystère aussi profond. Jacob lutte, il prévaut et veut être béni par celui dont il est le vainqueur. Pourquoi donc lutte-t-il, contre lui et veut-il le retenir ? « Le royaume des cieux souffre violence, dit le Seigneur dans l'Évangile, par, la violence on l'enlève (1).» N'est-ce pas ce que nous venons d'exprimer dans ces paroles : Lutte pour tenir le Christ, pour aimer ton ennemi (2) ? Car c'est tenir le Christ que d'aimer son ennemi. Et que dit le Seigneur même, ou l'ange qui le représentait, lorsque Jacob prévalait et le retenait ? Il le toucha à la cuisse, elle se dessécha et Jacob boitait. L'ange ajoute : « Laisse-moi, car voici le jour. Je ne te laisserai point, reprit Jacob, que tu ne m'aies béni. » Et il le bénit. Comment? En changeant son nom. « Tu ne t'appelleras plus Jacob, mais Israël; car si tu as prévalu
1. Matt, XI, 12. 2. Ci-dessus, n° 3.
contre Dieu, tu revaudras aussi contre les hommes (1). » Voilà la bénédiction. Considérez celui qui la reçoit; touché et desséché d'un côté, il est béni de l'autre; desséché et boiteux d'une part, d'autre part il est béni et rempli de vigueur. 7. Mais que signifie : « Voici venir le jour, laisse-moi? » Autant que Dieu nous le montre et sans condamner une interprétation meilleure, nous voyons ici le même sens que dans ces autres paroles du Seigneur. Après sa passion, il dit à cette femme qui voulait lui baiser les pieds « Ne me touche pas, car je ne suis point encore monté vers mon Père (2). » Quel est le sens de ces paroles? Lorsqu'on faisait ici cette lecture, j'ai expliqué comment le Seigneur pouvait dire . « Ne me touche pas; je ne suis pas encore monté vers mon Père. » Pourquoi? Est-ce que nul, ne l'a touché corporellement avant qu'il se soit élevé vers le Père? Mais il était encore ici quand le disciple incrédule toucha ses cicatrices glorieuses. Comment donc refusait-il de se laisser toucher par Magdelaine ? Ne parlait-il pas en figure ? Cette femme était l'Église. « Ne me touche pas» signifie : Ne me touche pas charnellement, mais tel que je suis, égal à mon Père. « Ne me touche pas, » car tu toucherais mon corps et non pas moi. Saint Paul ne dit-il pas de ses progrès dans la perfection : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi ; Les choses anciennes ont passé; voilà que tout est devenu nouveau ; et tout vient de Dieu (3) ? A Que signifie : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi? » Le voici : Quand nous le connaissions selon la chair, nous ne voyions en en lui qu'un homme; mais depuis que sa grâce nous a éclairés, nous adorons dans sa personne le Verbe égal au Père. Jacob le tenait donc, et il luttait, et il voulait en quelque sorte l'embrasser selon la chair, « Laisse-moi, » disait le Seigneur, « laisse-moi; selon la chair, car voici venir le jour » qui éclairera ton esprit. C'est-à-dire : Ne me crois; pas un homme. «Laisse-moi, car voici le jour. » Ce jour est pour nous la lumière de la Vérité et de la Sagesse par laquelle tout a été l'ait. Tu en jouiras après la fin de cette nuit, de liniquité du siècle. Alors en effet apparaîtra le jour, car le
1. Gen, XXXII, 24-28. 2. Jean, XX, 17. 3. II Cor, V, 16-18.
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Seigneur viendra se montrer à nous comme il se montre à ses Anges. Nous voyons maintenant dans un miroir et en énigme, mais alors ce sera face à face (1). Ainsi retenons bien, mes frères, le sens de cette parole : « Laisse-moi, car voici le jour. » Mais que répond Jacob? « Je ne te laisserai point que tu ne m'aies béni. » C'est que le Seigneur nous bénit d'abord dans sa chair. Les fidèles connaissent ce qu'ils reçoivent; ils savent comment ils sont bénis par la chair du Sauveur, et qu'ils ne le seraient point, si cette chair crucifiée ne se donnait pour le salut du monde. Comment Jacob obtient-il la bénédiction ? En prévalant contre Dieu, en l'étreignant fortement et toujours, sans laisser échapper de ses mains ce qu'Adam laissa tomber des siennes. Nous aussi, mes frères, tenons ce que nous avons reçu, pour mériter d'être bénis. 8. Le membre paralysé de Jacob représente les mauvais Chrétiens; le même homme est à la fois béni et boiteux; béni pour figurer ceux qui vivent bien, boiteux pour désigner ceux qui vivent mal. Aujourd'hui encore le même homme est béni et boiteux ; la séparation et le discernement viendront ensuite, comme l'Église en exprime le voeu dans ce Psaume : « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle du peuple impie (2). » N'est-ce point ce qu'enseigne l'Évangile : « Si ton pied te scandalise, y est-il dit, coupe-le et le jette loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer avec un pied dans le royaume de Dieu, que d'aller avec deux pieds dans le feu éternel (3). » Les méchants doivent donc être retranchés à la fin.
1. I Cor. XIII, 12. 2. Ps. XLII, 1. 3. Matt. XVIII, 8.
L'Église est aujourd'hui boiteuse; elle avance résolument un pied, l'autre est malade. Mes frères, voyez les païens. Tantôt ils rencontrent de bons Chrétiens, de vrais serviteurs de Dieu; ils les admirent, sont attirés à la foi et ils l'embrassent. Tantôt ils en remarquent dont la vie est mauvaise.et ils disent: Voilà les Chrétiens ! Ces mauvais Chrétiens sont le membre touché et paralysé de Jacob. Or quand le Seigneur touche de sa main, c'est pour corriger et rendre la vie. Être touché par lui, c'est donc être béni d'un côté et blessé de l'autre. Le Seigneur parle de ces Chrétiens indignes dans l'Église; c'est pour eux qu'il est écrit dans l'Évangile : « L'herbe ayant crû, alors apparut l'ivraie; » car lorsque l'on commence à faire des progrès dans le bien, on commence à sentir la présence des méchants. Vous savez cela, la grâce de Dieu vous l'a fait connaître. Mais pour le moment et jusqu'au terme de la moisson il faut tolérer l'ivraie; car on pourrait, en l'arrachant, arracher le blé (1). Viendra donc le moment où après avoir dit : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle du peuple impie, » l'Église sera exaucée. Alors en effet « le Seigneur viendra dans sa gloire avec ses saints Anges; et toutes les nations seront assemblées devant lui, et il les séparera comme le pasteur sépare les brebis d'avec les boucs; les justes seront placés à la droite, et les boucs à la gauche. » Aux uns il dira : « Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume; » et aux autres : « Allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges (2). »
1. Ibid. XIII, 26; 29, 30. 2. Ib. XXV, 31-41.
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