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SERMON XXII. SUR LE JUGEMENT DE DIEU (1).
ANALYSE. Ce discours renferme deux parties, une partie dogmatique et une partie morde. I. Après avoir dit un mot à ses auditeurs de la frayeur salutaire que doivent inspirer les paroles de son texte, saint Augustin explique d'abord comment, malgré leur forme comminatoire, elles ne sont qu'une prophétie. Secondement cette prophétie est une invitation à nous tenir en garde pour détourner le châtiment qui nous menace. Troisièmement toutes les autres prophéties accomplies jusqu'alors ne laissent aucun doute sur le fidèle accomplissement de celle-ci. II. Donc il faut nous corriger et changer de vie. En effet Dieu est à la fois miséricordieux et juste, ces deux attributs sont également inséparables de sa nature. Or, 1° si nous changeons de vie il pourra nous faire miséricorde et changer l'arrêt de notre condamnation sans altérer sa justice. 2° Si au contraire nous nous élevons contre lui par notre opiniâtreté et notre orgueil, il nous perdra comme se perd cette colonne de fumée qui se dissipe à mesure qu'elle s'élève. 3° Il est vrai que Dieu est infiniment miséricordieux, il nous en a donné les plus touchants témoignages : peut-il cependant placer dans la même société les bons et les méchants, traiter éternellement les uns comme les autres? Donc soyons inaltérablement fidèles à Jésus et à son Église. Comme Adam et Eve nous ont donné la mort, Jésus-Christ et l'Église donneront à leurs enfants une vie immortelle.
1. Nous avons entendu avec tremblement cette prophétie chantée dans le psaume. «Qu'ils s'évanouissent, dit-il, comme la fumée; comme la cire fond devant la flamme que les pécheurs périssent devant Dieu. » Je ne doute pas, mes frères, que tous vos coeurs ne soient émus et qu'à ces paroles il n'y ait aucune conscience qui ne frémisse. Qui peut se glorifier d'avoir le coeur chaste, se glorifier d'être exempt de péché? Quand l'Écriture dit : « Comme la cire fond devant la flamme, que les pécheurs périssent devant Dieu, » qui ne frémirait, qui
1. Ps. LXVII, 3.
ne tremblerait de frayeur ? Que ferons-nous donc ? quel espoir nous reste-t-il ? Ce n'est pas en vain qu'on chante ceci, et quand le prophète tient ce langage, il fait moins des souhaits que des prédictions. La forme des paroles est celle d'un voeu, mais l'intelligence y lit ce qui doit arriver. Il est dans les écrits des Prophètes des prédictions présentées comme des faits accomplis, il en est aussi qui paraissent de simples souhaits. Mais ceux qui savent comprendre ce qu'ils lisent, y voient l'annonce de l'avenir. Ces psaumes ont été composés et écrits (94) longtemps avant la naissance du Seigneur; non avant que le Christ fût Dieu, mais avant qu'il naquit de la Vierge Marie. En effet le patriarche Abraham exista longtemps avant le roi David; pendant la vie duquel on chanta ces psaumes. Or le Seigneur a dit : « Je suis dès avant Abraham ; (1) » car il est le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait; et c'est lui qui inspirant les Prophètes a prédit qu'il s'incarnerait et viendrait parmi nous. Mais à son incarnation se rapporte sa passion, puisqu'il ne pouvait souffrir ce que rapporte l'Évangile sans la chair mortelle et passible dont il était revêtu. On lit donc dans cet Evangile comment après avoir crucifié le Sauveur, ses bourreaux se partagèrent ses vêtements, et comment après avoir remarqué que sa tunique était d'un seul tissu d'en haut jusqu'en bas, ils ne voulurent point la diviser, mais la tirèrent au sort afin de la donner tout entière à qui le sort l'adjugerait (2) figure de la charité, qui doit rester indivisible. Ces faits sont ainsi présentés dans l'Évangile comme des faits arrivés; et lorsque, bien des années auparavant, le psaume les prédisait, déjà on les chantait comme des évènements accomplis. « Ils ont percé mes mains et mes pieds, dit ce psaume, et ils ont compté tous mes os. Ils m'ont regardé, ils m'ont considéré attentivement, ils se sont partagés mes vêtements et ils ont tiré ma robe au sort (3). » Tout est au passé, et tout est à venir. De même donc que ce passé exprime le futur, ainsi dans les voeux du prophète on doit lire la certitude de ce qui arrivera. N'est-ce pas ainsi qu'on parait souhaiter au traître Judas ce qui devait s'exécuter en lui? Des Juifs eux-mêmes il est dit: « Que leur table soit pour eux un piège, un filet, un écueil, (4) » C'est sans aucun doute une prédiction qui les concerne, et l'Apôtre Pierre rapporte que sous ces figures on doit voir Judas. 2. Ce n'est point sans motif que l'avenir est présenté comme passé : pour Dieu il est aussi sûr que si déjà il était accompli. Et si le prophète paraît énoncer sous forme de souhait ce qui à ses yeux arrivera certainement, il veut nous montrer simplement, je crois, qu'il n'y a rien qui doive nous déplaire dans la connaissance de l'arrêt, que Dieu porte et qu'il rend fixe et immuable. Il est parlé dans les Actes des Apôtres d'un prophète nommé Agabe. Il prédisait que saint Paul souffrirait beaucoup à Jérusalem de la part
1. Jean, VIII, 58. 2. Jean, XIX. 23, 24. 3. Ps. XXI, 17-19. 4. Ps. LXVIII, 23. .
des Juifs, qu'il serait même chargé de fers. Les frères l'ayant entendu voulaient détourner l'Apôtre et l'empêcher d'aller jusques là. « Que faites-vous, leur dit celui-ci, jetant le trouble dans mon coeur ? Car je suis prêt, non-seulement à être lié, mais encore à mourir pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1). » Voyant alors son inébranlable détermination à tout souffrir: « Que la volonté du Seigneur soit faite, » dirent les frères. Or en disant : « Que la volonté du Seigneur soit faite, » est-ce que ces Chrétiens souhaitaient à l'Apôtre de pareilles souffrances ? Est-ce que plutôt ils ne se soumirent pas avec un entier dévouement au céleste et divin décret? Ainsi donc en disant: « Comme la cire fond devant la flamme, qu'ainsi les pécheurs périssent devant Dieu, » le prophète voit avec la plus entière certitude que ce malheur les menace, et pour ne pas déplaire à Dieu, il se plait dans ce que Dieu a résolu. 3. Que ferons-nous donc, frères? Ne devons-nous pas, tandis qu'il en est temps, changer de vie et corriger ce qui peut être mal dans nos oeuvras, afin que le sort réservé certainement aux pécheurs ne trouve plus à tomber sur nous; non pas que nous dussions être anéantis, mais parce qu'il faut n'être plus de ceux pour qui il a été prédit? Si le Juge menace de son arrivée, n'est-ce pas pour n'avoir point à punir quand il sera venu? N'est-ce pas pour nous presser de nous amender, que les prophètes chantent son futur avènement? S'il voulait nous condamner, il garderait le silence. Quel assassin dit avant de frapper : Attention? Et tout ce que nous disent les Écritures, n'est-ce point la voix de Dieu qui crie: Attention? Oui, mes fières, tout ce que nous endurons, toutes les tribulations de cette vie, c'est le fouet de Dieu cherchant à nous corriger, pour n'avoir pas à nous condamner enfin. Les grands maux que chacun souffre maintenant sont cruels, accablants et le seul récit en fait frémir; en comparaison du feu éternel, ce n'est pas même peu de chose, ce n'est rien. Que les épreuves tombent sur nous ou sur autrui, elles sont pour nous des avertissements divins. Oui, mes frères, toutes ces afflictions qui nous viennent du Seigneur pendant la vie, sont autant d'avertissements et d'invitations pressantes à nous corriger. Car il viendra, ce feu éternel dont il sera dit aux réprouvés placés à la gauche : « Allez au feu éternel qui a été préparé à Satan et à ses Anges (2). » Quelques-uns alois feront pénitence ; car il
1. Act. XXI, 10-14. 2. Matt. XXV, 41.
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est écrit au livre de la Sagesse. « Ils diront en eux-mêmes, faisant pénitence et gémissant dans l'angoisse de leur âme. Que nous a servi l'orgueil ? Que nous a procuré l'ostentation des richesses? Toutes ces choses ont passé comme l'ombre (1). » Il y aura donc là une pénitence, mais infructueuse ; il y aura une pénitence, mais douloureuse sans guérir l'âme. La pénitence aujourd'hui est utile, parce que nous nous corrigeons librement. Repens-toi à la voix de l'Écriture : quand le juge sera présent et fera entendre sa voix, ton repentir sera stérile. Il va bientôt prononcer la sentence et tu n'auras alors aucune observation à élever. Car il ne s'est point tu avant de rendre son arrêt, et s'il t'a ajourné, c'était pour t'inviter à te corriger. Quand le larron était suspendu à la croix, ne lui-a-t-il pas permis de changer ? Crucifié avec le Seigneur, le larron crut au Christ (2), au moment même où chancelait là foi de ses disciples. Quand il ressuscitait des morts, les Juifs le méprisèrent; ce larron ne le méprisa point quoiqu'il fut attaché avec lui à la croix. On ne pourra donc plus dire au Seigneur : Vous ne m'avez pas accordé de bien vivre ; ni : Vous ne m'avez donné aucun délai pour me corriger; ni enfin : Vous ne m'avez pas montré ce que je devais désirer, ce que je devais éviter. Reconnaissez qu'il ne se tait pas, reconnaissez qu'il donne des délais, reconnaissez qu'il attire, exhorte, menace. Il a donné à sa parole une chaire élevée; de là on la lit dans tout l'univers au genre humain tout entier. Personne ne peut plus dire : J'ignorais, je n'ai pas entendu. On voit l'accomplissement de ce qui est dit dans un psaume : « Nul ne se dérobe à sa chaleur (3). » Cette chaleur divine est maintenant dans la divine parole: qu'elle t'échauffe au plus tôt, et tu ne fondras pas comme la cire devant le feu qu'il allumera. 4. Les impies en rient aujourd'hui, les moqueurs s'en moquent, on traite de fable ce que nous chantons : cependant tout s'accomplira un jour, oui, mes frères, tout un jour s'accomplira. Si tant d'autres prédictions ne s'étaient point exécutées, nous devrions désespérer de voir jamais le jugement : mais si nous sommes témoins aujourd'hui, si les yeux même des aveugles sont frappés de l'accomplissement des prophéties a qui regardaient l'Église à venir, pourquoi douter que les autres s'accomplissent également? Quand on disait que l'Église du Christ se répandrait dans toute la terre, il y en avait peu pour le
1. Sag. V, 3, 8, 9. 2. Luc, XXIII, 40, 43. 3. Ps. XVIII, 7.
dire et beaucoup pour en rire. C'est fait aujourd'hui, après avoir été annoncé si longtemps d'avance : l'Église est en effet répandue par toute la terre. Il y a plusieurs milliers d'années, on promettait à Abraham que toutes les nations seraient bénies en sa race (1). Le Christ est né de la race d'Abraham et dès maintenant toutes les nations sont bénies dans le Christ. Il a été prédit qu'on verrait des schismes et des hérésies : nous en voyons. Des persécutions ont été prédites : les rois adorateurs des idoles n'ent ont-ils point ordonné ? En faveur des idoles et en haine du nom chrétien, la terre a été remplie de martyrs; leur sang a été répandu comme une semence et la moisson a poussé dans l'Église. L'Église ainsi n'a pas prié inutilement pour ses ennemis : les persécuteurs mêmes sont devenus croyants. Il a été prédit aussi que les idoles seraient renversées au nom du Christ : nous trouvons dans l'Écriture cet oracle avec les autres. Les chrétiens, il y a seulement quelques années, lisaient cette prophétie sans lavoir réalisée; en mourant ils en attendaient encore l'accomplissement et ne le voyaient pas : néanmoins comme ils étaient sûrs qu'il aurait lieu, ils parurent avec cette ferme croyance devant le Seigneur. Ce qu'ils ne voyaient point se voit maintenant. Comment ? Nous sommes témoins de tout ce qui a été annoncé sur l'Église, et le seul jour du jugement n'arriverait jamais ? C'est la seule prophétie qui reste, et seule elle ne se réaliserait point ? Nous voyons, en lisant les Écritures, que tout ce qui est écrit s'est exécuté à la lettre avons-nous le coeur assez dur et assez insensible pour désespérer de ce qui reste ? Et qu'est-ce que ce reste, comparé à ce qui est sous nos yeux? Dieu s'est montré fidèle entant de choses, et il nous tromperait pour si peu ? Ainsi le jugement viendra rendre, selon les mérites, le bien aux bons et le mal aux méchants. Soyons bons et attendons le Juge avec confiance. 5. Maintenant surtout, mes frères, écoutez-moi. Je ne veux plus revenir avec toi sur le passé: à dater de ce jour change, et que demain te trouve tout autre. Nous voulons, dans notre perversité, que Dieu soit miséricordieux sans être juste. D'autres encore, comme s'ils étaient pleins de confiance en leur justice, veulent que Dieu soit juste et non miséricordieux. Dieu est l'un et l'autre, il se montre l'un et l'autre. Sa miséricorde n'empiète pas sur sa justice et sa justice ne détruit point
1. Gen. XXII, 18.
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sa miséricorde. Il est à 1a fois miséricordieux et juste. Comment prouver qu'il est miséricordieux? C'est que présentement il épargne les pécheurs et pardonne à qui se confesse. Comment prouver qu'il est juste ? Parce que viendra le jour du jugement : s'il est différé, il n'en viendra pas moins, et chacun alors recevra selon ses oeuvres. Voudriez-vous qu'on accordât aux opiniâtres ce qui sera accordé aux convertis? Vous paraît-il juste, mes frères, que Judas occupe la même place que Pierre? Il l'occuperait s'il s'était corrigé; mais il a désespéré du pardon et il a préféré s'étrangler plutôt que d'implorer la clémence du Roi. 6. Ainsi donc, frères, nous n'aurons aucun sujet de plainte contre Dieu, comme j'avais commencé à le dire ; non, aucun sujet de plainte, lorsqu'il viendra nous juger. Que chacun songe à ses péchés et s'amende tandis qu'il en est temps. Qu'on se livre à une douleur qui soit fructueuse, à un repentir qui ne soit pas stérile. Il semble que Dieu nous dit : J'ai fait connaître la sentence, mais je ne l'ai point prononcée encore ; je l'ai prédite, je ne l'ai point rendue. Mais pourquoi craindre quand j'ai dit: Si tu changes, il la change ? N'est-il pas écrit que Dieu se repent (1) ? Mais il ne se repent point à la manière des hommes. « Si vous vous repentez de vos péchés, est-il dit, je me repentirai aussi de tout le mal que j'allais vous faire (2) » Dieu se repent-il comme s'il avait péché ? En Dieu donc on appelle pénitence un changement de sentence, et cette pénitence n'est pas injuste, mais juste. Pourquoi juste ? Si le juge a changé son arrêt, c'est que le coupable lui-même est changé. Ne crains rien: la sentence est changée,, non la justice. La justice demeure intègre ; elle exige même que l'on pardonne au changement de vie. Autant elle refuse le pardon à l'opiniâtre, autant elle l'accorde au converti. Le Législateur est un Roi d'indulgence. Il a envoyé la loi; il a apporté l'indulgence. La loi lavait rendu coupable : l'auteur de la loi t'absout; ou plutôt il ne t'absout pas, car absoudre c'est déclarer un homme innocent. Dieu donc pardonne plutôt au converti ; car tous sont coupables, embarrassés dans leurs iniquités. Que nul ne demande à être absous; implorons tous la grâce que l'on obtient quand on est changé et nous aurons confiance en entendant : « Comme la cire fond devant la flamme, qu'ainsi périssent les pécheurs devant Dieu. » 7. Oui, frères, que maintenant les pécheurs
1. Gen. VI, 6. 2. Jér. XXIII, 8.
périssent et ils ne périront point. S'ils commencent à vivre dans la justice, ils périront comme pécheurs, mais comme hommes ils ne périront pas. Homme et pécheur, ce sont deux noms : l'un de ces noms désigne l'homme et l'autre le pécheur. Ils nous, montrent, l'un ce que Dieu a fait, l'autre ce qu'a fait l'homme car c'est Dieu qui a fait l'homme et c'est l'homme qui s'est fait pécheur. Pourquoi donc trembles-tu quand Dieu te dit : « Que les pécheurs périssent devant moi ? » Voici ce que Dieu te dit en effet : Périsse en toi ce que tu as fait, et ce que j'ai fait je le conserve. Le feu divin échauffe maintenant la parole, c'est l'ardeur de l'Esprit-Saint qui l'excite, comme nous l'avons déjà dit : car il est écrit dans un autre psaume: « Nul ne se dérobe à sa chaleur; » et l'Apôtre déclare que le Saint-Esprit est cette chaleur même : « Embrasés par l'Esprit. (1) » Donc avant d'être devant Dieu, place-toi devant son Ecriture, fonds devant elle; repens-toi lorsque tu l'entends parler ainsi de tes péchés. Et lorsque tu te repens, lorsque tu souffres volontairement sous la chaleur de la parole, lorsque tu vas jusqu'à verser des larmes, n'es-tu pas comme la cire qui se fond et qui en quelque sorte se répand en larmes ? Fais donc maintenant ce que tu redoutes plus tard, et plus tard tu n'auras rien à craindre. Seulement ne t'évanouis point comme la fumée. 8. Ici en effet tu vois deux comparaisons, et sans doute ce n'est point sans motif, mais pour exprimer la différence entre pécheurs et pécheurs. Nous lisons dans un même verset: « Qu'ils s'évanouissent comme la fumée, et comme la cire se fond devant la flamme, qu'ainsi périssent les pécheurs devant Dieu. » Qui sont ceux qui s'évanouissent comme la fumée ? Qui sont-ils, sinon les orgueilleux qui ne confessent point leurs péchés mais les soutiennent? Pourquoi sont-ils comparés à la fumée? Parce que la fumée monte et s'élève en quelque sorte contre le ciel; mais plus elle s'élève et plus elle s'évanouit et se dissipe aisément. Considérez de nouveau ce que je viens de dire. Plus la fumée est proche du feu et de la terre, plus elle est compacte : elle ne s'est point encore évanouie, elle n'est point emportée par les vents; mais plus elle monte haut, plus elle se raréfie, s'évanouit, se dissipe. Or l'orgueilleux s'élevant contre Dieu comme la fumée contre le ciel, ne doit-il pas s'évanouir, être emporté, quand il
1. Rom. XII, 11.
monte, comme par les vents de sa folle vanité et périr enfin; ainsi que périt en s'élevant cette colonne de fumée plus creuse que solide? Telle est en effet la fumée : tu vois une grande colonne; il y a peut-être quelque chose à voir, rien à saisir. Avant tout, chers frères, redoutez un pareil châtiment, n'excusez point vos fautes passées, et si vous en commettez encore, de grâce ne les excusez point. Soumettez-vous à Dieu et frappez-vous la poitrine de manière à ne plus commettre celles qui vous restent encore. Faites effort pour n'y plus succomber, n'en commettez aucune s'il est possible, et s'il ne vous est pas possible de les éviter absolument, ayez au moins recours à ce pieux aveu. En travaillant à te corriger de tous, en te corrigeant autant que la grâce divine te rend capable de le faire, tu obtiendras un nouveau regard de la miséricorde du Seigneur, et s'il te trouve en marche et faisant des efforts, il te pardonnera aisément celles dont tu ne serais, pas entièrement délivré. Seulement, mets tes soins à avancer, non à reculer; et si le dernier jour ne te trouve pas complètement vainqueur, qu'il te trouve combattant, que tu ne sois alors ni pris ni rendu. . 9. La miséricorde, de Dieu est inépuisable; immense est sa bonté, car il nous a rachetés par le sang de son Fils alors que pour nos péchés nous méritions d'être anéantis. En créant l'homme à son image et à sa ressemblance, il a fait quelque chose de grand. Mais en péchant nous avons voulu n'être rien, nous avons emprunté à nos parents le germe de la mortalité, nous sommes devenus une masse de péchés, une masse de colère. Il lui a plu néanmoins de nous racheter, par miséricorde, au plus haut prix: il a donné pour nous le sang de son Fils unique, qui est né dans l'innocence, qui a vécu dans l'innocence, qui est mort dans l'innocence. Après nous avoir achetés si cher, voudrait-il nous laisser périr? Il ne nous a point rachetés pour nous perdre, mais pour nous faire vivre. Si le péché triomphe de nous, Dieu pour cela ne dédaigne point la rançon qu'il a donnée pour nous ; elle est trop précieuse. Gardons-nous toutefois de compter trop sur sa clémence si nous ne luttons contre nos péchés : si surtout nous avons commis certains crimes énormes, n'espérons point qu'il nous fera miséricorde en s'associant à notre iniquité. En vérité, est-ce que- les impies qui n'ont rien fait pour se corriger pendant leur vie, qui ont (97) persévéré dans l'opiniâtreté et la dureté de coeur, qui ont même accusé Dieu en excusant leurs péchés, peuvent être placés par lui avec les saints martyrs, avec les saints Apôtres, avec les prophètes et les patriarches, avec les fidèles qui l'ont bien servi et bien mérité de lui, qui ont vécu dans la chasteté, la modestie, l'humilité, qui ont fait l'aumône et pardonné à quiconque les faisait souffrir ? Telle est effectivement la voie des justes; telle est la voie des saints qui ont Dieu pour père et l'Église pour mère, qui n'offensent ni l'un ni l'autre, qui vivent dans l'amour de tous deux, et qui sans blesser leur père, sans blesser leur mère, hâtent le pas vers l'éternel héritage : à chacun d'eux cet héritage est donné. 10. Ainsi deux parents nous ont engendrés pour la mort; deux parents nous ont engendrés pour la vie. Adam et Ève sont les parents qui nous ont engendrés pour la mort ; le Christ et l'Église sont les parents qui nous ont engendrés pour la vie. Dans le père qui m'a engendré pour la mort, je vois Adam; Ève dans ma mère. Nous sommes issus d'une race charnelle. C'est à la vérité par un bienfait de Dieu, car nous ne devons ce bienfait qu'à Dieu. Cependant comment sommes-nous venus au jour? Sans aucun doute, c'est pour mourir. Ceux qui nous ont précédés nous ont engendrés pour leur succéder : était-ce pour qu'éternellement nous vécussions sur la terre avec eux ? Ils devaient s'en aller, et ils ont voulu être remplacés. Ce n'est pas pour cela que nous engendrent Dieu notre père et l'Église notre mère; c'est pour la vie éternelle, car eux-mêmes sont éternels; et cette éternelle vie est l'héritage qui nous est promis par le Christ. Le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous (1), il a été nourri, il a grandi, il a souffert, il est mort, il est ressuscité, il a reçu pour héritage le royaume des cieux. C'est comme homme qu'il est ressuscité et qu'il a reçu l'éternelle vie ; c'est comme homme et non comme Verbe ; comme Verbe il demeure immuable d'une éternité à l'autre éternité. Or comme cette sainte humanité est ressuscitée pour la vie éternelle, il nous a été promis de ressusciter également et de monter au ciel pleins de vie. Nous attendons le même héritage, la vie immortelle. Tout le corps n'est pas encore monté le chef est au ciel, les membres sur la terre ; le chef n'abandonnera pas le corps, seul il ne prendra point possession de l'héritage. Le Christ entier y sera admis, le Christ entier dans l'humanité,
1. Jean, I, 14.
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c'est-à-dire le chef et les membres.Nous sommes les membres du Christ; donc espérons l'héritage: quand tout sera passé nous aurons en partage un bonheur qui ne passera point et nous échapperons à un malheur qui ne passera point non plus : le bonheur et le malheur sont également éternels. Si Dieu a fait aux siens des promesses éternelles, il n'a pas fait aux impies de temporelles menaces. Il a promis aux saints une vie, un bonheur, un royaume un héritage sans fin : ainsi il a menacé les impies d'un feu quine s'éteindra point. Si nous n'aimons point encore ses promesses, redoutons au moins ses menaces.
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