SERMON XLVII
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SERMON XLVII. LE TROUPEAU DU SEIGNEUR. (1).

 

203

 

ANALYSE - Ce discours a été prononcé le lendemain du précédent; et dans Saint Augustin, comme dans le prophète Ézéchiel, il en est comme le développement et la suite. On peut y distinguer également deux parties : — I. Le châtiment dont sont menacées les brebis infidèles. —  1° Implorons avec larmes la miséricorde de Dieu, écoutons sa parole avec docilité, car il viendra sûrement nous juger; et pour être admis à la récompense promise aux bons, il est nécessaire d'avoir une conscience pure. 2° Ce qui provoquera d'abord la colère de Dieu, ce sont les scandales donnés aux faibles soit par les paroles, soit par les actions coupables. 3° Un autre motif de condamnation sera d'avoir, comme les Donatistes, absolument inexcusables, rompu et poussé à rompre l'unité. — II. Comment échapper à la vengeance divine? — 1° Nous attacher intimement à Jésus-Christ, l'unique et divin Pasteur descendu du ciel pour nous y conduire. 2° Etre fidèles au testament de paix et d'unité qu'il a laissé au genre humain racheté par lui. 3° Là nous trouverons les bénédictions célestes, la délivrance de nos maux, l'édification des païens, et la pleine jouissance de Dieu même.

 

1. Les paroles que nous avons chantées expriment ce que nous sommes, les ouailles de Dieu, et ce n'est point sans raison que nous implorons avec larmes la miséricorde de ce divin Pasteur. « Pleurons devant le Seigneur qui nous a formés, avons-nous dit, car il est lui-même le Seigneur notre Dieu. Ne désespérons pas d'ailleurs d'être exaucés par lui quand nous pleurons ainsi; n'a-t-on pas rappelé ce qui l'oblige en quelque sorte à nous écouter, quand on a dit: « Car il est le Seigneur notre Dieu, et nous sommes le peuple de ses pâturages et les brebis de ses mains (2) ? » Les bergers ordinaires et même les pères de famille qui possèdent des troupeaux n'ont pas formé eux mêmes les brebis qu'ils possèdent; mais le Seigneur notre Dieu étant à la fois et Dieu et créateur, a formé les brebis qu'il voulait posséder et paître; ainsi leur créateur n'est pas différent de leur pasteur, et leur pasteur n'est pas autre que leur créateur. Pleurons donc devant le Seigneur.

Dans ce siècle, d'ailleurs; nous ne sommes pas au comble de la prospérité. Quand nous plairons à Dieu dans la région des vivants, on essuyera nos larmes, et nous chanterons les louanges de Celui qui aura délivré nos, âmes des chaînes de la mort, nos pieds de l'abîme, et séché nos pleurs afin de nous rendre pour le Seigneur un spectacle agréable dans cette région des vivants (3). Mais dans la région des morts il est difficile de lui plaire; et cependant nous le pouvons, soit en appelant sa miséricorde et en nous abstenant du péché autant que nous le pouvons, soit, lorsque nous ne le pouvons pas, en le confessant et en le déplorant. Par là nous espérerons dans cette vie une autre vie, nous pleurerons en espérance

 

1. Ezéch. XXXIV, 17-31. — 2. Ps. XCIV, 6, 7. — 3. Ps. CXIV, 8, 9.

 

ou plutôt nous pleurerons en réalité et nous nous réjouirons en espérance.

2. Après avoir exprimé dans ce chant sacré que nous sommes les ouailles du Seigneur, le peuple de ses pâturages et les brebis de ses mains, écoutons ce qu'il nous dit comme à son troupeau. Dans la leçon précédente il s'adressait aux pasteurs; c'est aux brebis qu'il s'adresse dans celle d'aujourd'hui. Nous entendions la première, nous avec tremblement, et vous avec tranquillité: comment sera entendue celle d'aujourd'hui? Les rôles seront-ils changés ? Écouterons-nous avec tranquillité et vous avec tremblement? Point du tout. D'abord parce que nous sommes pasteurs, et qu'un pasteur écoute en tremblant non-seulement ce qui se dit aux pasteurs, mais encore ce qui se dit aux brebis. Aurait-il soin de celles-ci, s'il écoutait sans émotion ce qui s'adresse à elles? Ensuite, comme nous l'avons rappelé alors à votre charité, c'est qu'il y a en nous deux choses à considérer, notre qualité de chrétiens, et notre titre de supérieurs. Comme supérieurs, nous sommes mis au rang des pasteurs, si toutefois nous sommes bons; comme chrétiens nous sommes confondus avec vous au milieu des brebis. Soit donc que Dieu parle aux pasteurs ou aux brebis, nous devons tout écouter en tremblant et jamais nos coeurs ne peuvent être exempts de ces soucis qui nous portent à pleurer devant le Seigneur qui nous a formés.

3. Par conséquent, mes frères, prêtons l'oreille aux reproches adressés par le Seigneur aux brebis infidèles, et aux promesses qu'il fait à son troupeau. « Pour vous, mes brebis, voici ce que déclare le Seigneur Dieu. » Et d'abord, quel bonheur, d'être du troupeau de Dieu! On ne saurait y réfléchir, mes fières, sans ressentir une grande joie au milieu même des larmes et des (204) tribulations de cette vie. Car le troupeau dont on fait partie n'est pas sous la garde d'un berger que puissent déchirer les loups ou.surprendre les voleurs pendant son sommeil. A qui est-il dit : « Vous êtes le pasteur d'Israël (1)? » sinon à Celui de qui il est dit encore : « Jamais ne dort « ni ne sommeille le Gardien d'Israël (2)? » Soit donc que nous veillions, soit que nous dormions, toujours il veille sur nous; et si les troupeaux ordinaires sont en sûreté sous la garde d'un homme, quelle doit être notre sécurité, puisque nous sommes sous la houlette de Celui qui est à la fois notre pasteur et notre père?

4. Nous ne devons avoir qu'un soin, le soin d'entendre sa voix; nous sommes au temps de l'écouter puis qu'il n'a point fait paraître encore le temps de nous juger. Aujourd'hui en effet il parle et se tait; il parle en commandant, il se tait en jugeant. Aussi dit-il quelque part : « J'ai  gardé le silence; le garderai-je toujours (3)? » Comment a-t-il gardé le silence, puisqu'il ne peut l'affirmer qu'en parlant? Il ne se tait pas en disant qu'il se tait, puisque le dire c'est rompre le silence. Je vous écoute donc, Seigneur, car c'est vous qui me parlez par tant de préceptes et de sacrements, par tant de pages et un si grand nombre de livres; je vous écoute jusque dans ces paroles : « J'ai gardé le silence, le garderai-je toujours? » Comment lavez-vous gardé? En ne disant pas encore aux uns : « Venez, bénis de mon Père, prenez possession du royaume, » ni aux autres : « Allez maudits, au feu éternel qui fut préparé pour le diable et pour ses anges (4). » Maintenant même que je prononce ces mots, je ne les dis pas solennellement comme je le ferai un jour.

Lorsqu'un juge doit rendre un arrêt définitif, lorsqu'il doit écrire sur les tablettes une sentence dernière, les parties ne l'entendent pas, elles sortent pendant qu'il écrit son jugement. Emues et inquiètes, elles se demandent, qui sera absous, qui sera condamné. C'est le secret du juge, aussi appelle-t-on secretarium ce lieu où il délibère, et la grande préoccupation des parties vient de ce qu'elles ignorent ce qu'il pense, ce qu'il écrit. Il n'est qu'un homme cependant et ceux qu'il juge ne sont que des hommes comme lui. Mais le Seigneur est notre Dieu, nous sommes le peuple de ses pâturages, les brebis de ses mains, et quoi qu'il soit notre créateur et nous

 

1. Ps. LXXIX, 2. — 2. Ps. CXX, 4. —  3. Isaïe, XLII, 14. — 4. Matt. XXV, 34, 41.

 

sa créature, immortel et nous mortels, invisible et nous visibles, il n'a point voulu nous laisser ignorer durant cette vie la sentence suprême qu'il rendra à la fin. Or on ne dit pas : Je condamne, quand on veut condamner, ni: Je frappe quand on veut frapper.

5. Dieu montre donc une grande bonté, une grande compassion, une grande douceur; mais nous ne devons point abuser de sa miséricorde pour nous corrompre, ni, puisqu'il supporte nos péchés, en augmenter le nombre, comme pour le charger davantage, sous prétexte qu'il ne souffre pas de la pesanteur de ce fardeau. Ces iniquités qu'il pardonne, qu'il tolère si longtemps, montrent sa patience et mettent le comble à notre culpabilité. « Ignores-tu, dit-il, que la patience de Dieu t'invite à la pénitence ? » C'est cette patience que le Prophète appelle silence quand il fait dire à Dieu: « J'ai gardé le silence, le garderai-je toujours? » Aussi en censurant les coupables auxquels il dit : « Tu prêches de ne point dérober et tu dérobes; tu déclares qu'il ne faut pas être adultère et tu commets l'adultère, » il s'écrie : « Méprises-tu les richesses de sa bonté et de sa longanimité? » Le crois-tu injuste, parce qu'il est bon, parce qu'il est patient, parce qu'il voit et se tait, parce qu'il voit et tolère? « Ignores-tu que sa patience t'invite à la pénitence? » Crois-tu, s'il se tait maintenant, qu'il se taira toujours ? « Par la dureté et l'impénitence de ton coeur, dit-il néanmoins, tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres (1). »  Ainsi donc il se tait, mais se taira-il toujours?

Il dit dans le même sens, après avoir rappelé certains péchés : « Voilà ce que tu as fait et je « me suis-tu, » en d'autres termes : Tu as fait cela et je ne t'ai point puni : « tu as iniquement soupçonné que je te serai semblable. » C'est en effet ce que plusieurs s'imaginent lorsqu'après avoir fait beaucoup de maux ils observent qu'ils n'en éprouvent aucun; non contents de se plaire dans leurs crimes, ils croient que ces crimes plaisent à Dieu même; l'impiété va si loin que l'impie contempteur s'imagine Dieu semblable à lui. En vain par ses avertissements, ses enseignements, ses exhortations et ses reproches Dieu l'appelle à sa divine ressemblance, loin de chercher à ressembler à Dieu il veut abaisser Dieu jusqu'à sa propre similitude. N'est

 

1. Rom. II, 4, 21, 5, 6.

 

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ce point là une indignité plus grande que tous les crimes dont il ne se corrige point? « Tu as  iniquement soupçonné que je te serai semblable. » Et après? «Je t'accuserai (1). » Pourquoi? « J'ai gardé le silence, le garderai-je toujours?

Voilà donc, mes frères, ce que dit le Seigneur, ce qui m'effraie autant que vous. Tous en effet nous espérons en lui, et nous devons le craindre en même temps, car en l'offensant nous n'obtiendrions pas ce que nous espérons de lui, mais nous ressentirions sa justice méprisée. Ainsi écoutons-le comme ses brebis, tandis qu'il parle en gardant le silence, tandis qu'il nous avertit sans nous juger encore, tandis que nous pouvons écouter, lire même ce que nous dit Celui qui nous a créés.

6. « Pour vous, dit-il, mes brebis, voici ce que déclare le Seigneur Dieu. Je viens juger entre les brebis et les brebis, entre les béliers et les boucs. » Que font les boucs dans le troupeau de Dieu? Ils vont aux mêmes pâturages et aux mêmes fontaines, destinés à être placés à la gauche ils sont mêlés à ceux de la droite, on les supporte avant de les éloigner: c'est pour excercer la patience des brebis et les former à l'image de la patience de Dieu. Un jour en effet il fera la grande séparation, mettant les uns à sa droite et les autres à sa gauche.

Maintenant donc il se tait, et toi, tu veux parler? Et de quoi veux-tu parler? De ce qu'il garde sous silence, de la sentence du jugement et non des avertissements. Il ne fait pas la séparation, et tu veux la faire. Après avoir semé son champ il y supporte le mélange, et toi tu veux nettoyer le froment avant que soit venu le moment de vanner. N'est-ce pas te vanner misérablement toi-même? Des serviteurs ont pu dire : « Voulez-vous que nous allions l'arracher? » Indignés et attristés de voir l'ivraie mêlée au bon grain, ils ont demandé : « N'avez-vous pas semé de bon grain? D'où vient donc cette ivraie? » Le Père de famille en expliqua l'origine, mais il ne voulut point qu'on l'arrachât avant le temps déterminé. Tout fâchés qu'ils étaient, ces serviteurs demandèrent le conseil et l'ordre du Maître. Ils n'aimaient pas cette ivraie dans le champ, mais ils comprenaient aussi qu'en l'arrachant d'eux-mêmes, ils mériteraient de lui être comparés. Aussi attendirent-ils l'ordre du Maître, demandèrent-ils le consentement de leur Roi : « Voulez-vous que nous allions l'arracher? Non, répondit

 

1. Ps. XLIX, 21.

 

Celui-ci, » et il en donna la raison : « c'est qu'en voulant arracher l'ivraie, vous pourriez aussi déraciner le froment. » De cette façon il apaisa leur colère et consola leur douleur. Ils souffraient de voir cette ivraie au milieu du froment, et c'était une chose vraiment regrettable. Mais autre chose est la destination du champ, autre chose le repos du grenier. Supporte donc, car tu es né pour cela; supporte, car peut-être il a fallu te supporter aussi. As-tu toujours été bon? Prends des sentiments de miséricorde. As-tu été quelque temps mauvais? N'en perds pas le souvenir. Qui d'ailleurs a toujours été bon? Ah! si Dieu voulait t'examiner, il lui serait plus facile aujourd'hui même de te trouver mauvais, qu'à toi de te trouver toujours bon. Il faut donc souffrir l'ivraie au milieu du froment, les boucs parmi les béliers et les chevreaux parmi les brebis.

Et le froment? « Au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : Arrachez d'abord l'ivraie et liez-la en gerbes pour la brûler, mais le froment, rassemblez-le dans mon grenier. » Le mélange qu'on voit dans le champ disparaîtra donc, puis viendra le discernement de la moisson. Le Seigneur aujourd'hui nous commande la patience et il nous en donne l'exemple quand il dit : Si je voulais juger maintenant, le ferais-je injustement ? Si je voulais juger aujourd'hui, pourrais-je me tromper? Or si je diffère de juger, moi qui juge toujours avec justice et sans pouvoir me tromper; comment oses-tu juger si prématurément, toi qui ignores la sentence qui sera prononcée contre toi ?

Considérez de plus, mes frères, comment malgré leur demande il ne permit pas à ses serviteurs d'arracher l'ivraie, même à l'époque de la moisson. « Au temps de la moisson, ajoute-t-il, je dirai aux moissonneurs. » Il ne dit pas : Je vous dirai. — Mais ses serviteurs ne seront-ils pas les moissonneurs? — Non, car en expliquant les détails de la parabole, il dit: « Les « moissonneurs sont les anges. (1) »

Homme environné de chair, chargé de chair et peut-être tout charnel, aussi charnel par l'âme que par le corps, tu oses donc usurper dès maintenant un ministère étranger qui plus tard même, à la moisson, ne te sera point confié! Voilà pour la séparation de l'ivraie.

Mais qu'est-il dit des boucs? « Quand le Fils de l'homme viendra et tous les anges avec lui,

 

1. Matt. XIII, 24-30 ; 37-43.

 

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il s'assiéra sur le trône de sa gloire. Et toutes les nations seront rassemblées devant lui, et il les séparera comme le pasteur sépare les brebis d'avec les boucs (1). » Il viendra donc pour séparer, la moisson viendra et la séparation aura lieu. Ainsi nous ne sommes pas au temps de la séparation, mais de la souffrance. Ce que nous ne disons pas, mes frères, pour endormir le devoir de la correction. Ah! plutôt, afin de n'arriver point à ce jugement sans avoir pris de précautions, afin de ne pas nous trouver tout-à-coup à la gauche comme des aveugles qui n'ont pas pris garde à leur cécité, soumettons-nous à la règle et ne nous empressons pas de juger.

7. Que fera donc le Seigneur? « Je viens prononcer entre les brebis et les brebis, entre les béliers et les boucs. » Je prononce : quelle sécurité! quelle sécurité pour les bons puisque c'est le Seigneur qui juge en personne! C'est un juge que nul adversaire ne corrompt, que nul avocat n'éblouit, qu'aucun témoin ne tromperais autant les bons sont tranquilles, autant doivent craindre les méchants. Ils n'ont pas affaire à un juge à qui l'on puisse rien cacher. Pour se prononcer en effet, Dieu ira-t-il -chercher des témoins pour apprendre ce que tu es? Eh ! comment ne saurait-il pas exactement ce que tu es, puisqu'il savait ce que tu devais être? C'est toi qu'il interroge et non un autre, sur toi-même. « Le Seigneur, est-il dit, interroge, le juste et l'impie (2). » Or, s'il t'interroge, ce n'est pas pour être éclairé par toi, mais pour te confondre.

Dès lors que nous avons un tel juge, un juge que personne ne saurait tromper ni en notre faveur ni contre nous, vivons de manière à ne pas redouter le jugement qu'il doit rendre, mais à l'espérer et à le désirer. Le froment craint-il d'être mis au grenier? Ne le souhaite-t-il pas, ne le désire-t-il pas avec ardeur? Les brebis craignent-elles d'être placées à la droite? Ah! plutôt, rien ne leur tarde comme cet heureux moment. C'est du fond du coeur et avec la plus entière sincérité qu'elles disent en priant: «Que votre règne arrive ; » tandis que le méchant, à ces paroles, sent son coeur trembler et sa langue incertaine. Comment peux-tu dire : « Que votre règne arrive ? » Il viendra sans doute, mais que trouvera-t-il en toi? Vis donc de manière à pouvoir prier tranquillement. Et si tu as

 

1. Matt. XXV, 31, 32. — 2. Ps. X, 6.

 

conscience de quelque égarement et de quelque péché, tu y trouveras un remède dans ta prière même. « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à ceux qui nous doivent (1). »

Si tu es débiteur, Dieu a voulu aussi que tu aies un débiteur. Tu te fais en péchant l'ennemi de Dieu; n'as-tu pas aussi quelque ennemi? Remets, et on te remettra. Ce que tu fais, toi sujet au péché, te sera fait aussi par Celui qui ne peut être condamné pour aucun péché. Si au contraire, pauvre mortel plongé dans le péché, tu ne pardonnes pas à qui a péché contre toi; si tu ne considères pas en lui ta propre fragilité et si dans l'avenir lu ne redoutes aucune chute pour ta faiblesse : comment le traitera Celui qui juge avec l'assurance que donne l'exemption de toute faute?

8. Il faut donc s'appliquer à avoir une conscience pure, et si nous y sentons quelque embarras, prévenons l'avènement du Seigneur par la confession ; ce sont précisément les paroles que nous avons entendues pendant qu'on chantait le psaume (2). Prévenons-le dans la crainte qu'il ne nous prévienne. Il ne se vengera point après que nous nous serons confessés; si nous-mêmes alors nous ne recommençons pas nos iniquités. Préviens-le avant d'être prévenu. Car il est certain qu'il viendra, et tu perdras tout si tu ne désires point ce qu'il apportera. Il viendra même malgré toi, et retarderas-tu son arrivée en t'y opposant? Il connaissait l'heure où il devait être jugé, il connaît également l'heure où il doit juger. Il viendra donc; à toi de voir ce que tu seras alors: Tu es aujourd'hui embarrassé? Confesse-toi aujourd'hui, délivre-toi aujourd'hui de cet embarras, et on te pardonne, et tu es à l'aise. Tu n'as pas à dire que Dieu diffère de pardonner; hâte-toi plutôt de courir au remède. Je vois dans ton âme quelque chose qui te tourmente; mais si tu es tourmenté, quelque chose t'est demandé. S'il se trouvait dans ta demeure une pierre qui te choquât les yeux, tu la ferais ôter, surtout dans le cas où tu devrais donner l'hospitalité à un homme qui fût un peu au dessus de toi. Mais invoquer Dieu c'est l'appeler en toi; comment y viendra-t-il si tu n'as rien purifié pour le recevoir? Te sens-tu incapable d'ôter de ton coeur les souillures que tu as contractées volontairement toi-même? Prie-le de te purifier; invite-le à entrer. Mais il faut te hâter, maintenant qu'il parle en avertissant et se tait en jugeant.

 

1. Matt. VI, 10, 12. — 2. Ps. XCIV, 2.

 

207

 

9. Il a nommé les boucs, il a nommé les béliers et il prononce entre eux. Que leur dit-il? « N'était-ce pas assez pour vous de paître en de fertiles pâturages, sans fouler aux pieds ce  qui en restait? de boire une eau pure, sans troubler le reste avec vos pieds? Ainsi mes brebis paissaient ce que vous aviez foulé aux pieds, et buvaient l'eau que vos pieds avaient troublée.»

Que signifie ce langage ? Dieu a de bons pâturages et de pures fontaines, le tout dans l'Ecriture. Quels sont ceux qui y boivent les eaux tranquilles, qui y paissent les bons pâturages en foulant le reste aux pieds et en troublant l'eau pour que les autres brebis n'aient plus que des herbes flétries et une, eau troublée, ce qui, sous le voyez, déplait au Pasteur suprême, lequel dit alors et pour faire cesser ce désordre : « Je viens prononcer entre les brebis et les brebis? » Il est beaucoup d'hommes qui apprennent avec calme et enseignent avec émotion, qui ont un maître plein de patience et sévissent contre leurs disciples. Qui ne sait en effet avec quelle tranquillité nous instruit l'Ecriture? Un homme l'ouvre donc, il lit les commandements de Dieu, il les lit et les comprend. C'est un homme qui boit tranquillement à une source paisible, il paît dans de verts et salubres herbages. Quelqu'un vient à lui pour apprendre quelque chose, il se fâche alors, il se trouble, il lui reproche son peu d'habileté à comprendre, et en l'impressionnant ainsi, il est cause qu'il comprend moins ce qu'il pouvait entendre paisiblement.

10. En parlant ainsi, mes frères, je ne prétends point qu'il ne faille pas quelquefois adresser des reproches à la dureté ; cette incomparable sérénité de la Vérité même ne l'a-t-elle pas fait quand elle a dit : « O insensés et lents de coeur à croire (1) ? » Mais il est nécessaire d'agir alors avec l'intention de rendre attentif, d'exciter l'activité, de dissiper peut-être les nuages qu'ont élevés dans l'esprit les soucis du siècle ; car il peut arriver qu'en s'appliquant à d'inutiles pensées on devienne incapable d'écouter un enseignement utile. Lors même d'ailleurs que l'on remarquerait en soi cette pesanteur d'intelligence, il est bon de la reprendre dans autrui pour exciter ainsi à recourir à Dieu et à obtenir de lui la délivrance de cette lenteur et la connaissance de la vérité. De deux choses l'une ou bien c'est par négligence que nous

 

1. Luc, XXIV, 25.

 

207

 

comprenons peu ce qu'on nous dit, il faut alors nous en corriger ; ou bien c'est par pesanteur d'esprit, et en nous en accusant on nous portera à implorer le secours de Dieu. II ne faut donc pas blâmer les docteurs qui agissent ainsi; mais s'ils le font avec amertume, avec un esprit jaloux, ils foulent aux pieds les pâturages et troublent les fontaines; ils voudraient profiter seuls de ce qu'ils peuvent connaître. Caractères méchants, animés d'une, infernale envie, honteusement blessés non pas au corps mais au coeur, il lisent et ils comprennent. Les interroge-t-on C'est au dessus de ta portée, répliquent-ils; j'irai te confier ces secrets? Es-tu digne de lire ou d'entendre ces choses? — Malheureux, pourquoi troubler cette eau? La source ne jaillit-elle pas pour vous deux? Pourquoi fouler ces herbes qui appartiennent à tous? Est-ce toi qui as répandu la pluie pour les faire grandir?

11. Les mêmes paroles prêtent à une autre application qui n'est point dénuée de fondement. Il y a des hommes qui se contentent d'une bonne conduite et du témoignage favorable que leur rend leur conscience, sans se soucier beaucoup de ce qu'on peut penser d'eux. Ils ignorent donc qu'en voyant un homme de bien vivre avec une certaine liberté, se mêlant indifféremment à tous et partout, sachant qu'il n'y a point d'idoles et s'asseyant néanmoins dans un temple d'idoles, une conscience faible se porte alors non pas vers l'idée secrète qui dirige mais vers ce qu'elle soupçonne (1). Cet égal, ce frère ne saurait pénétrer dans ta conscience que Dieu connaît. Si ta conscience est exposée aux yeux de Dieu, ta vie extérieure frappe les regards de ton frère; et s'il conçoit de mauvais soupçons, si dans son trouble il se détermine à faire ce qu'il estime que tu fais toi-même, alors, que lui importe que tu boives une eau pure puisque par suite de ton indifférence il boit une eau troublée ?

12. Quand nous les reprenons pour une telle conduite, ces hommes nous objectent ces paroles de l'Apôtre : « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ (2). » Ici encore tu troubles l'eau et tu foules les pâturages. Comprends mieux et prends garde de troubler l'eau pour toi-même. Oui, l'Apôtre a dit : «Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ; » je le saisis parfaitement, c'est une excellente maxime apostolique. Mais n'as-tu pas lu aussi dans le même Apôtre:

 

1. I Cor. VIII, 10. — 2. Galat. I, 10.

 

208

 

« Complaisez à tous en toutes choses, comme moi-même je complais à tous en toutes choses, ne cherchant pas ce qui m'est avantageux, mais ce qui l'est au grand nombre, afin qu'ils soient sauvés; » et encore : « Ne soyez une occasion de scandale ni pour les Juifs, ni pour les Gentils, ni pour l’Église de Dieu (1)? » N'as-tu pas entendu cet Apôtre dire encore : « Nous tâchons de faire le bien, non seulement devant Dieu mais aussi devant les hommes (2)? »

Explique-moi donc, reprend mon adversaire, de quelle manière je dois accorder des pensées aussi diverses et aussi contraires. Ici l'Apôtre dit « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ; » là : « Complaisez à tous en toutes choses comme je complais moi-même en toutes choses; » ici: « Voici notre gloire, c'est le témoignage de notre conscience (3) ; » là : « Nous tâchons de faire le bien, non-seulement devant Dieu, mais encore devant les hommes. »

Veux-tu m'écouter tranquillement? Veux-tu ne pas troubler l'eau en toi-même? je parviendrai peut-être, en m'y employant de toutes mes forces, à résoudre la difficulté. Il y a des hommes qui jugent témérairement, qui déchirent la réputation, qui calomnient dans l'ombre, qui murmurent, qui cherchent à deviner ce qu'ils ne voient pas et qui vont même jusqu'à publier ce qu'ils ne croient pas: quelle autre ressource contre ces caractères que le témoignage, de notre conscience? Lors même que nous voulons plaire à quelqu'un, ce n'est pas notre gloire que nous cherchons ou que nous devons chercher, mais le salut d'autrui; nous devons désirer, si nous nous conduisons bien qu'on ne s'égare pas en nous suivant, qu'on nous imite si nous imitons Jésus-Christ (4), et si nous ne l'imitons pas qu'on le prenne pour modèle. Il est en effet le pasteur de son troupeau, il en est même le seul pasteur dans la personne de tous ceux qui le paissent saintement, parce que tous ne forment avec lui qu'un pasteur. Ainsi donc ce n'est pas notre avantage que nous avons en vue quand nous voulons plaire aux hommes; nous sommes heureux qu'ils aiment ce qui est bon, et cela pour leur profit et non pour notre gloire. On voit par là qui accusait l'Apôtre par ces paroles : « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ, » et en faveur de qui il prononçait celles-ci : « Plaisez à tous en toutes

 

1. I Cor. X, 33, 32. — 2. II Cor. VIII, 21. — 3. II Cor. I, 12. — 4. Ib. IV, 16.

 

choses, comme en toutes choses je plais moi-même à tous. » Tout est clair, tout est calme, tout, est pur et limpide ; à toi maintenant de paître et de boire sans rien troubler, sans fouler rien aux pieds.

13. N'as-tu pas entendu le Maître des Apôtres, Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même s'exprimer ainsi : « Que vos oeuvres brillent devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes actions et glorifient votre Père qui est dans les cieux (1); » votre Père qui vous a faits si bons ? Car nous sommes le peuple de ses pâturages et les brebis de ses mains (2); d'ou il suit que si tu es bon, c'est lui qu'il en faut louer et non pas toi, puisque de toi-même tu ne pouvais être que mauvais. Pourquoi accuser la vérité de se contredire : vouloir être loué quand tu fais le bien, et quand tu fais le mal l'imputer au Seigneur? S'il a dit : « Que vos bonnes oeuvres brillent devant les hommes, » il a dit aussi dans le même discours : « N'accomplissez pas devant les hommes votre justice. » Dans l'Évangile se remarque donc la même apparente contrariété que dans l'Apôtre. Mais si tu ne troubles point en toi l'eau mystérieuse, tu reconnaîtras ici également l'accord des Écritures et tu ne te mettras point en désaccord avec elles.

Considérant en effet ces hommes qui se flattent publiquement, qui se vantent parce qu'ils regardent les éloges d'autrui comme la fin et; la récompense de leurs bonnes œuvres, « En vérité je vous le déclare, dit le Seigneur, ils ont reçu leur récompense, » et pour nous défendre de les imiter: «Gardez-vous, ajoute-t-il, d'accomplir votre justice devant les hommes,» en vous proposant comme but « d'être remarqués par eux (3), » et sans pousser votre intention au delà. Non, ne cherchez pas, dans le bien que vous faites, à être vus des hommes, ne mettez pas votre fin dans leur estime, ne vous bornez pas à désirer d'être regardés par eux. En nous recommandant de faire le bien devant eux, il ne veut donc pas bue nous nous arrêtions là; après avoir dit; « Que vos bonnes oeuvres brillent devant le hommes pour qu'ils en soient témoins, » il passe outre, il t'élève plus haut, au dessus de toi-même, car en restant en toi tu tomberais infailliblement, et il te met en lieu sûr : « Qu'ils voient vos bonnes œuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » Ne te fâche point de le voir glorifier, demeure en lui et tu seras glorifié

 

1. Matt. V, 16. — 2. Ps. XCIV, 9. — 3. Matt. VI, 12.

 

avec lui. « Aucune chair, dit l'Apôtre, ne se doit glorifier en sa présence. » S'ensuit-il que nous resterons sans gloire? Non, car il ajoute : « Que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur (1). » Le témoignage de notre conscience n'est en effet notre gloire qu'autant que nous nous glorifions en lui, et si cette gloire consistait à nous plaire à nous-mêmes, à nous rendre agréables à nos propres yeux, ne voyons-nous pas que se plaire ainsi à soi-même c'est plaire à un insensé?

14. Ainsi donc, mes frères, ne nous contentons pas de bien vivre, ayons soin aussi de bien nous conduire devant les hommes ; qu'il ne nous suffise pas d'avoir bonne conscience, travaillons encore, autant que le peuvent notre faiblesse et toute l'activité de la fragilité humaine, à ne rien faire qui inspire de fâcheux soupçons à l'infirmité de notre frère; car en paissant dans de purs herbages et en buvant une eau limpide, nous foulerions aux pieds les pâturages du Seigneur, nous réduirions ses brebis à ne manger que des aliments flétris, à ne boire qu'une eau troublée. Ne serait-ce pas notre malheur, puisqu'il a dit : « Je viens prononcer entre les brebis et les brebis? »

15. « C'est pourquoi voici ce que leur dit le Seigneur Dieu : C'est moi qui juge entre les brebis grasses et les brebis maigres. » C'est une pensée nouvelle. Il nous a été parlé de ceux qui foulent l'herbe et troublent l'eau. Voici une autre espèce de désordre et de désordre considérable. Il n'est plus dans la suite fait mention des boucs; leur nom a été prononcé une fois seulement pour nous rappeler qu'il y en a, car Dieu les connaît. On dirait maintenant qu'il n'y a que des brebis. Dieu a donc parlé d'abord d'après ces propres idées, il parle maintenant d'après les nôtres. Il voulait faire entendre aux brebis qu'il y a des boucs dans le troupeau et, qu'à la fin ils en seront séparés; mais aujourd'hui nous ne voyons en quelque sorte que brebis et brebis. Si Dieu seul sait qu'il y a des brebis et des boucs, c'est uniquement en vertu de la prédestination et de la prescience, car il peut seul prédestiner et connaître d'avance tous ceux qui maintenant marchent sous l'étendard du Christ et parviennent à la grâce de Dieu. Quoique tu te croies une brebis, il est donc possible que Dieu te regarde comme un bouc. Cependant écoute comme brebis ce qui t'est adressé : « C'est moi

 

1. I Cor. I, 29, 31.

 

qui juge entre les brebis grasses et les brebis maigres. »

16. « Parce que vous heurtiez de l'épaule et des cornes toutes les brebis infirmes, jusqu'à ce que vous les eussiez chassées du troupeau. » Qui ne comprendrait cela? Qui n'en frémirait? S'il n'y a point de brebis hors du troupeau, le prophète est menteur; et si nous avons à déplorer qu'un grand nombre en soient éloignées, malheur à qui les a poussées de l'épaule et des cornes ! Mais qui peut le faire, sinon les brebis vigoureuses? Et quelles sont-elles, sinon celles qui présument de leurs forces? Quelles sont-elles, sinon celles qui se glorifient de leurs vertus? Non, il n'y a eu pour diviser le troupeau et pour séparer les brebis, que ceux qui se prétendent justes; ardents pour pousser, parce qu'ils ne portent pas le joug de Dieu; hommes méchants et amis perfides, ils ne s'unissent que par opiniâtreté; coeurs superbes, leur orgueil se dresse avec insolence. Heurte donc de l'épaule et des cornes, chasse les brebis que tu n'as point produites. Si tu agis ainsi, c'est uniquement, sans doute, parce que tu es juste, que les autres sont injustes et que c'était une indignité que les justes fussent mêlés aux pécheurs; c'est-à-dire que c'était une indignité que le froment fût mêlé à l'ivraie, une indignité enfin que les brebis fussent confondues avec les boucs dans les mêmes pâturages, jusqu'à l'arrivée de ce suprême Pasteur qui ne peut se méprendre en les séparant. Es-tu donc l'ange chargé d'arracher l'ivraie ? La moisson fût-elle arrivée, je ne te reconnaîtrais pas pour cet ange. Mais avant la moisson je ne vois d'ange véritable ni dans toi ni dans qui que ce puisse être. Celui qui nous a dit que les anges seraient les moissonneurs, a fait connaître, aussi le temps de la moisson. Des hommes peuvent affirmer qu'ils sont des anges; nous voyons même dans l'Écriture ce nom donné à quelques-uns; mais je considère l'époque de la récolte. Si tu peux te présenter comme un ange, tu ne saurais hâter cette époque. En nous disant que tu l'es, tu mens assurément puisque le moment de l'être n'est pas encore venu. Aussi quand ce moment sera arrivé et que Dieu enverra ses vrais moissonneurs, je ne sais en quel état ils te trouveront, s'ils devront te vanner pour te placer au grenier, ou te lier pour te jeter au feu. Si je parle ainsi, c'est que je n'ose juger; mais je te plains hautement, parce que je ne sais ce que tu deviendras intérieurement.

17. Apprends néanmoins d'un autre passage (210) l'idée que l'Écriture donne de toi pendant ta vie et garde-toi de vouloir arracher l'ivraie- avant l'époque fixée, rentre plutôt en toi-même quand il en est temps encore. Il est donc, dit dans un autre livre des divines Écritures : « Le fils méchant se prétend juste (1). » Voilà ton audace et ton orgueil. Ta force est mal employée, la faiblesse ne serait-elle pas préférable? Ta force est mal employée, elle n'est pas la santé. Ta force est mal employée, c'est le phrénétique qui se jette sur son médecin même. Ah! combien il vaudrait mieux, combien il serait pour toi plus avantageux d'être faible, afin d'être fortifié par Celui qui connaît ton faible? Vois l'Apôtre Paul, ce vase d'élection; dans la crainte qu'il né s'enorgueillît de ses révélations, ce que nous n'oserions dire s'il ne disait lui-même : « De peur que la grandeur des révélations ne m'élève, il m'a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan pour me souffleter, » dans la crainte donc qu'il ne s'enflât il était souffleté; c'est pourquoi, continue-t-il, j'ai demandé « trois fois au Seigneur qu'il m'en délivrât, et il m'a répondu : Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse (2). » Combien donc la faiblesse qui se perfectionne vaut mieux que la force qui repousse les brebis et les heurte pour les éloigner ! Ainsi tu es un fils mauvais et tu te dis juste!

« Le fils mauvais se dit juste, mais il ne justifie pas sa séparation. » Remarquez cette pensée, mes frères, elle est exprimée en peu de mots mais elle est d'un grand sens. « Il se dit juste, » pour sortir lui-même et faire sortir autrui. « Il se dit juste, mais il est méchant; » aussi « ne justifie-t-il point sa séparation. » Il ne la justifie point, il ne saurait l'excuser. Pourquoi t'es-tu séparé? Pourquoi es-tu- sorti? Pourquoi ton coeur tremble-t-il quand tu lis dans les livres sacrés: « Ils sont sortis d'avec nous, mais ils n'étaient pas de nous (3)? » Et toutefois cette force trompeuse qui poussé, qui heurte, qui éloigne les brebis de Dieu, permet-elle à la crainte d'aller jusques à ton coeur? Celui qui disait. « Ils sont sortis d'avec nous, mais ils n'étaient pas de nous, » était sans aucun doute dans l'Église, et l'Église est répandue dans tout l'univers. Que fais-tu dehors ? Ce n'est pas moi qui fais connaître cette diffusion de l'Église dans tout l'univers; elle a été annoncée avant moi par les prophètes, par les Apôtres, par le Seigneur lui-

 

1. Prov. XXIV. sel. LXX. — 2. II Cor. XII, 7-9 — 3. I Jean, II,19.

 

même. Quand on lisait le psaume, il n'y a qu'un instant, nous avons entendu ces mots : « Le Seigneur ne rejette pas son peuple; » et comme si l'on eût demandé : Quel peuple? « parce que dans sa main, poursuit le prophète, sont les extrémités de la terre (1). » Il ne repousse pas son peuple, et toi tu le pousses, tu le heurtes, tu le chasses; tu parles de traditeurs; mais sans le prouver. C'est ici l'orgueil de l'ennemi et non la douceur du pasteur. Le peuple de Dieu occupe donc jusqu'aux extrémités de la terre; le peuple de Dieu gémit et pleure devant ce Dieu qui l'a créé; le psaume nous le montré disant au Seigneur en pleurant devant lui : « Des extrémités  de la terre j'ai crié vers vous quand mon coeur était dans l'angoisse. » Vois comme il s'humilie dans sa détresse. Et qu'a-t-il obtenu? « Vous m'avez élevé sur la pierre (2); » sur la pierre, c'est-à-dire sur le Christ; vous ne m'avez point précipité du haut de la montagne de Donat.

Va maintenant, secoue tes cornes, bats-toi les flancs, élargis tes épaules, pousse les brebis et dis : Je suis juste. L'Écriture te répondra : Non, tu es mauvais : « le fils mauvais se dit juste. » Si tu es juste, pourquoi sors-tu? pourquoi chasses-tu? Que fais-tu dehors avec ceux que tu entraînés? Tu prétends être comme une brebis qui fuis les boucs. Ah! il vaudrait mieux que le Pasteur te séparât d'eux pour te placer à sa droite, que d'être confondu au milieu d'eux à la gauche. Ils étaient des boucs et tu es une brebis; tu devrais donc paître avec eux. En quoi t'avaient nui les pâturages ou les fontaines? Que t'avait fait le Pasteur lui-même? Car c'est lui qui a mêlé provisoirement les brebis et les boucs; et quoi qu'il puisse les séparer quand il lui plaira, il a voulu toutefois réserver jusqu'à la fin cette séparation, que sans se tromper il pourrait faire dès aujourd'hui.

Il la diffère donc jusqu'à la fin; tu la fais, toi, auparavant. Tu n'attends pas la fin, et tu ne sais quand arrivera la tienne. D'où vient ce désordre, sinon de ce qu'en accusant tes frères d'être des boucs tu les as accusés injustement? Car ton accusation fût-elle fondée, tu ne les aurais pas quittés. Ta conduite les justifie. S'ils étaient de l'ivraie, pourquoi avoir voulu la séparer avant le temps? Puisque tu, te crois le froment, ne devrais-tu pas demeurer avec elle, être enraciné dans le même champ et arrosé de la même pluie? Pourquoi donc es-tu sorti ? Trouves-tu

 

1. Ps. XCIV, 4. — 2. Ps. LX, 3.

 

quelque excuse? Tu accuses, mais tu ne convaincs pas, et en sortant prématurément, en te séparant, tu es convaincu toi-même. Reconnais que tu es un fils mauvais : tu te dis juste et tu ne justifies point ta séparation.

Je ne dirai point: C'est toi plutôt qui es un traditeur. Si pourtant je le disais, je le prouverais aisément; mais je ne le dis point, parce que c'est aux tiens et non à toi que ce fait doit être imputé. Je ne te rends point responsable des faits d'autrui, des faits même de ton parti. Je considère ta conduite et je t'accuse d'être dehors, j'accuse ta séparation. J'écarte tout ce qu'on peut dire contre vous autres. Je ne parle, ni de vos scènes d'ivresse, ni de vos usures- accumulées les unes sur les autres. Je ne parle ni des bandes ni des fureurs des Circoncellions ; j'omets tout cela et beaucoup d'autres choses qu'on pourrait relater. Peut-être d'ailleurs n'êtes-vous pas tous coupables de ces actes. Je m'adresse à celui d'entre vous qui y demeure étranger et qui les désapprouve. Qu'il vienne et qu'il réponde ; je ne le charge pas du crime d'autrui, qu'il justifie sa séparation. N'a-t-on pas raison de lui dire : « Le fils mauvais se prétend juste ? » Car c'est le Seigneur, c'est la vérité même qui le lui dit : « Le fils mauvais se prétend juste. » Ce n'est pas moi, c'est lui qui se dit tel. S'il veut que je lui donne ce nom, qu'il vienne, qu'il porte de bons fruits au sein de l'Eglise catholique et qu'au sein de la paix catholique il les garde ; car il n'y a point de fruits sans patience. « Avec la patience, dit le Sauveur, ils porteront du fruit (1). » Veux-tu savoir comment tu en es dépouillé? Apprends-le par ces autres paroles : « Malheur à ceux qui ont perdu la patience. (2) ! »

18. Représentez-vous maintenant que, comme il arrive souvent, un homme se demande où est le Christianisme. Cet homme veut être chrétien, il remarque que l'humanité s'ébranle au nom du Christ, et sans se proposer aucun avantage temporel, il veut être chrétien ; ce n'est ni pour se concilier un ami puissant, ni pour obtenir une main bien-aimée, ni pour échapper à quelque affliction du siècle; et toutefois beaucoup étant entrés parmi nous avec ces sentiments se sont ensuite corrigés. Mais supposons un homme qui songe à son âme et veut être chrétien ; il est frappé de voir deux partis dans le Christianisme et il cherche les motifs qui les ont divisés. Les uns répondent : Nous sommes justes et nous

 

1. Luc, VIII, 16. — 2. Eccli. II, 16.

 

avons quitté les pécheurs. Mais croient-ils parler à un aveugle qui entend ce qu'ils disent sans voir ce qu'ils font? Si donc, considérant leurs moeurs et ce que je viens de rappeler, il ajoutait: Vous vous prétendez justes et vous assurez que pour ce motif vous avez eu raison de vous séparer ; pourquoi donc, je vous prie, vois-je parmi vous tels et tels ? Comme on n'oserait le nier, comme il s'agit de faits palpables, peut-être répondrait-on: Tels et tels sont parmi nous, il est vrai, mais sommes-nous tous comme eux? — A merveille. Je te vois donc mêlé aux pécheurs en dehors de l'Église, pourquoi ne leur serais-tu pas mêlé dans son sein ? Tu as dû obtenir, comme fruit de ta séparation, de ne pas vivre avec les pécheurs. Si tu ne rencontrais point, en dehors de l'Église, ces sortes de coupables pour lesquels tu prétends en être sorti, je tolérerais jusqu'à un certain point ta séparation.

Revenons à cet homme qui veut se taire chrétien et qui cherche où sont les chrétiens. Il remarque de nombreux pécheurs parmi ceux qui se sont, disent-ils, séparés des pécheurs. Il doit aussi étudier l'Eglise du Christ au point de vue de l'honnêteté des moeurs qu'il peut apprécier jusqu'à un certain degré, tout en sortant du siècle. Là encore il remarque des hommes sobres et des hommes débauchés; des hommes qui nourrissent les pauvres et d'autres qui cherchent à s'emparer du bien d'autrui ; dans l'Église et en dehors de l'Église il voit tous ces contrastes. Qu'il se tourne ensuite du côté de Dieu et considère ce qu'il dit de son Eglise. Il observe qu'au témoignage de Dieu l'Église est répandue parmi toutes les nations, et que dans la parabole de l'ivraie Dieu déclare expressément : « Le champ est ce monde. » Le champ n'est pas l'Afrique, mais ce monde. Il y a donc du froment dans tout le monde et dans tout le monde de l'ivraie, et quoique le Fils de l'homme ait ensemencé ce champ immense que doivent moissonner, non pas les chefs des Circoncellions, mais les anges, l'ivraie comme le froment y doit croître jusqu'à la récolte ; il n'est pas dit que l'ivraie croit et que décroît le froment, mais que l'une et l'autre croissent jusqu'à la moisson. Quelle est cette moisson ? Entends le Christ : « La moisson, dit-il, est la fin du monde (1). »

Cet homme entend cela clairement, il juge avec sagesse et que dit-il ? Je n'entrerai point dans cette fraction, j'entrerai dans l'Église et j'y

 

1. Matt. XIII,  38, 39.

 

212

 

serai vertueux pour la gloire de Celui à, qui je me voue; je serai vertueux non par mes propres forces mais avec le secours gaie j'attends de Lui; non pas en me disant bon et juste, mais en désirant qu'il me déclare tel. Il entre donc, il devient catholique, Le vois-tu ? Il justifie son entrée ; justifie de même ta sortie. Mais tu ne le peux ; car « le fils mauvais se dit juste, sans  pouvoir justifier sa sortie. »

19. « Vous heurtiez de l'épaule, vous frappiez de la corne et vous poussiez toutes les brebis infirmes jusqu'à ce que vous les eussiez dispersées loin du troupeau. Et je sauverai mes  brebis. » Autant est détestable l'iniquité et la dureté de ces faux pasteurs, autant est louable la miséricorde de notre Pasteur ; il est vraiment notre Dieu et il sauvera ses brebis. Peut-être même, quand nous parlons, peut-être le fait-il, mes frères, par ses derniers et indignes serviteurs. Ah ! qu'il sauve ses brebis, que celles-ci écoutent la voix de leur Pasteur et le suivent. Qu'on ne cherche pas l'Église sur les lèvres des hommes, qu'on la cherche sur les lèvres de Dieu, sur les lèvres du Christ. Celui qu'il appelle impie est impie ; celui qu'il dit juste est juste ; s'il dit voilà une brebis, c'en est une ; voilà un bouc, c'en est un. Il est la Vérité, à lui de parler, à lui de nous faire connaître l'Église.

Dites-nous donc, Seigneur, où est votre Église. Et lui de répondre à tous : Savez-vous où je suis? Que tous reprennent : Au ciel, à la droite du Père. — C'est la vraie foi, c'est la foi que j'ai enseignée, la foi que j'ai semée, je l'ai semée dans le monde. Lors donc, poursuit-il, que vous confessez que je suis au ciel, vous pensez sûrement à ce psaume « Élevez-vous, Seigneur, au-dessus des cieux » Vous voulez savoir où est l'Église ? Lisez ce qui suit : « Et que votre gloire brille sur toute la terre (1). » — Ainsi, mes frères, le verset même où il est dit de la résurrection et de l'ascension du Christ: « Elevez-vous, Seigneur, au-dessus des cieux. » ajoute aussitôt : «Et que votre gloire brille sur toute la terre. » L'Epoux est au ciel, l'Epouse sur la terre; il est sur tous les cieux, elle est sur toute la terre. O hérétique, tu crois au ciel ce que tu n'y vois pas et tu ne crois pas ce que tu vois sur la terre ? Que le Christ donc nous parle ainsi, qu'il nous parle ainsi, mais écoutons-le et qu'il sauve ses brebis. « Je sauverai, dit-il, mes brebis, elles ne seront plus laissées en proie, et je jugerai entre les brebis et les brebis. »

 

1. Ps. CVII, 6.

 

20. « Et je susciterai sur elles le Pasteur unique. » N'a-t-il pas dit dans la leçon précédente : « Je ferai paître moi même ? » Et celui qui fait paître lui-même suscité maintenant le Pasteur unique ? Serait-ce qu'en si peu de temps il a été pris: d'ennui pour la profession du pasteur et qu'en vue de sa tranquillité il a suscité un autre pasteur pour lui confier le soin de son troupeau ? Apprenons qui il appelle pasteur ; nous comprendrons ainsi pourquoi lui-même fait paître encore et fait paître tout seul quand il a suscité un pasteur. « Je susciterai sur elles le Pasteur unique, et mon serviteur David les fera paître, lui-même sera leur pasteur. » C'est ici une prophétie qui regarde le Christ fait homme, issu de la race de David. Vous l'entendez facilement, pour peu, mes frères, que vous connaissiez les époques. .

Le prophète qui parle, Ézéchiel vivait au temps de la captivité de Babylone. Or, de David à cette captivité on compte quatorze générations. C'est après cette longue période qu'il est dit : « David les fera paître. » Si cette prédiction datait de Noé, d'Abraham, de Moïse, ou au moins de Saül, le prédécesseur de David sur le trône, nous devrions comprendre qu'il, s'agit de ce même David fils de Jessé, et qu'il était annoncé qu'il serait le pasteur du troupeau de Dieu et que Dieu lui confierait le soin de son peuple en l'appelant au trône. Mais à l'époque d'Ézéchiel, David avait régné il était mort, il était réuni à ses pères, il jouissait du repos mérité par lui. Que signifie donc : « Je susciterai David et je ferai de lui leur unique pasteur ? » David ne, désigne-t-il pas ici Celui qui est né de la famille de David ? Comment alors Dieu nous donne-t-il un pasteur ? Quel est ce pasteur unique ?

« Et mon serviteur David les fera paître. » Depuis longtemps Dieu- nous conduisait, nous faisait paître lui-même ; n'est maintenant son serviteur David. Pourquoi est-il parlé de lui comme d'une personne étrangère ? Quand il nous conduisait, Dieu ne nous conduisait-il pas? et quand Dieu nous dirigeait, n'étions-nous pas sous la direction du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint ? Dieu maintenant suscite son Fils, qui devient comme un autre pasteur, sans être véritablement un autre. Comme, Dieu il n'est pas un autre, parce que considéré dans cette nature divine, il fait un seul Dieu avec le Père ; comme, revêtu de la nature de serviteur, il est considéré comme étant un autre, chargé de conduire le (213) troupeau, parce que sous ce rapport, le Père est au dessus de lui. Reconnais qu'il n’y a qu'un pasteur et que le Christ en fait les fonctions : « Mon Père et moi nous sommes un (1). » Reconnais que le Christ est suscité pour être pasteur : « Mon Père, est au-dessus de moi (2). » Il n'y a donc qu'un pasteur, car « étant de la nature de Dieu, il n'a pas cru usurper en s'égalant à Dieu. » Il est suscité pour être pasteur, car « il s'est anéanti en prenant la forme de serviteur. » C'est ce qu'atteste aussi notre prophète quand il dit : « Mon serviteur David. » Serviteur, dans la forme de serviteur. Serviteur, car « il s'est anéanti lui-même, prenant la forme de serviteur, devenu semblable aux  hommes et reconnu pour homme par les dehors. Il s'est humilié lui-même, s'étant fait obéissant jusqu'à la mort et la mort de la croix. » Qu'il s'éveille donc pour nous paître. « C'est pourquoi, poursuit l'Apôtre, Dieu l'a relevé » d'entre les morts « et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom. » Ainsi, après avoir suscité son serviteur David; après avoir ressuscité sa nature de serviteur qu'il a placée à sa droite, « il lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom. » Et quelle est la mesure, l'étendue de sa direction pastorale ? « Afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans des enfers (3). »

O vanité hérétique, à quelles étroites limites réduis-tu cet immense domaine? As-tu assez de confiance à tes fortes épaules et à tes cornes superbes pour entreprendre, non pas de réunir le troupeau autour du Pasteur, mais d'éloigner le Pasteur du troupeau ? « Mon serviteur David les fera paître. » Brebis fidèles, écoutez votre pasteur David, écoutez la voix de David votre pasteur, et non la voix des voleurs ni les hurlements des loups. « Mon serviteur David les fera paître ; il les fera paître lui-même. » O bienfait mémorable ! « Il les fera paître lui-même. » Que nul autre que lui ne s'appelle pasteur. « Il les fera paître lui même. » Celui donc qui veut conduire doit s'unir, à lui, car c'est lui qui « les fera paître lui-même. »

Dieu disait tout-à-l'heure : «Je les ferai paître ; il dit maintenant : « c'est lui qui les fera paître. » Et le Fils nous assure que ces deux assertions sont également vraies, car « mon Père et moi, dit-il, nous sommes un. » Dieu a dit : « Je ferai paître; » et il ne ment pas en ajoutant

 

1. Jean, X, 30. — 2. Ib. XV, 28. — 3. Philip. II, 6-10.

 

« C'est lui qui fera paître ; » il a dit : « C'est lui qui fera paître, » et il ne.ment pas en disant encore : «Je ferai paître.» — « Tu ne crois pas, dit le Sauveur, que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Philippe, qui me voit, voit aussi mon Père (1). » Il est juste de dire : « Je ferai paître ; » il est juste de dire : « C'est lui qui fera paître. » Il y a ici distinction sans séparation. « Il les fera paître. » Ne craignez point, brebis : Celui qui a dit : « C'est lui qui les fera paître, » ne vous abandonnera pas. Dieu lui-même est votre pasteur, Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Mais il fallait distinguer la nature de serviteur, la distinguer, non la séparer ni la transporter sur une personne différente. Le Créateur en effet s'est uni à la créature sans se transformer en elle ; il a pris ce qu'il n'était pas, sans perdre ce qu'il était.

21. « Mon serviteur David les fera paître; lui-même les fera paître et sera leur pasteur, et « moi qui suis le Seigneur je serai leur Dieu. » Soyez attentifs, mes frères; voyez ici l'unité de la divinité et la distinction des personnes, et gardons-nous de confondre le Fils avec le Père ou le Père avec le Fils. Il a dit : « Lui-même les fera paître ; » et il venait de dire : « Je les ferai paître moi-même. » Il poursuit : « Et il sera leur pasteur ; pour moi, le Seigneur, je serai leur Dieu. » Expliquez-nous ceci, Seigneur; que personne ne trouble l'eau, et buvons .limpide ce qui coule d'une source limpide. Que signifie cette espèce de partage : « Il sera leur « pasteur; pour moi je serai leur Dieu ? » Serait-il vraiment notre pasteur et vous notre Dieu ? Et pourquoi, Seigneur, ne seriez-vous pas au contraire notre pasteur et lui notre Dieu a

Écoute tranquillement, écoute avec douceur, afin de comprendre (2). Peut-être y a-t-il ici quelque adversaire qui a bu à la coupe empoisonnée des hérétiques et qui se rit de moi quand je répète que le Père et le Fils ne forment qu'un seul Dieu : et pourtant rit-il de tous ces milliers de frères qui n'avaient qu'une âme (3)? Cet homme me dit donc : Dieu l'enseigne expressément : « Mon serviteur David sera leur pasteur, » et dans ce David tu as vu et il fallait voir le Christ ; car, ainsi que tu l'as remarqué, David était mort à l'époque de cette prophétie. Il est donc bien vrai que le Christ « sera leur pasteur. » Mais Dieu ajoute : « Et moi le Seigneur  je serai leur Dieu; » conséquemment l'un est « pasteur et l'autre est Dieu. »

 

1. Jean, XV, 10, 9. — 2. Eccli. V, 13. — 3. Act. IV, 32.

 

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A ton tour explique-moi ces paroles : « Je ferai paître. » Qui disait : « Je ferai paître ? » C'est sans contredit Dieu lui-même. Mais en parlant ainsi il n'ôtait point au Christ les fonctions de pasteur; ainsi ne lui ôte-t-il point la divinité en disant : « Je serai leur Dieu. » Le Christ est pasteur et le Père est pasteur; de même le Père est Dieu et le Christ est Dieu. Du Christ pasteur tu ne sépares pas le Père, ainsi de la divinité du Père ne sépare pas le Christ. Le Père partage avec le Fils la tendresse du Pasteur, et le Fils possède avec le Père l'égalité de la nature divine. S'il ne parlait pas ainsi, tu confondrais le Père avec le Fils. Il s'agit dont ici de l'unité de la nature et de la distinction des personnes divines ; et quand il dit : « C'est lui qui fera paître, je serai leur Dieu, » sans se séparer de son Fils et sans séparer son Fils de lui, il veut montrer que le Fils est un même Dieu avec le Père, et le Père un même pasteur avec le Fils.

« Moi le Seigneur je serai leur Dieu et mon serviteur David, prince au milieu d'eux. » Pourquoi au milieu d'eux ? Parce que « le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous (1). »

Il est « prince au milieu d'eux. » De là sa qualité de médiateur entre Dieu et les hommes; car il est Dieu comme le Père et homme avec les hommes. Un médiateur ne peut être ni homme seulement ni Dieu seulement. Il est médiateur. La divinité ne saurait être médiatrice sans l'humanité, ni l'humanité sans la divinité ; entre la pure divinité et l'humanité pure convient comme médiatrice la divinité humanisée et l'humanité divinisée dans la personne du Christ.

« Et mon serviteur David sera prince au milieu d'eux. Moi le Seigneur j'ai parlé. — Moi le Seigneur, » et non pas je ne sais quel hérétique.

22. « Et je ferai pour eux un testament de paix. » Il le fera, « par le ministère de Celui qui a dit : Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix (2). » Ainsi le testament de notre père est un testament de paix. Qu'on divise entre les héritiers ordinaires les patrimoines communs ; l'héritage de la paix ne saurait se diviser. Or le Christ est notre paix. La paix réunit et ne divise pas. Aussi est-il dit: « Il est notre paix et de deux il a fait un (3). » Il s'agit ici du testament de Dieu, d'un héritage qui est la paix. Qu'il soit donc possédé par tous d'un commun accord, et non pas divisé par l'esprit de chicane.

« Et je ferai pour eux un testament de paix. »

 

1. Jean, I, 14. — 2. Ibid, XIV, 27. — 3. Ephés, II, 14.

 

Attention, hérétiques ! Apprenez du Pasteur que son testament est un testament de paix, entrez dans cette paix. Courroucez-vous contre les empereurs chrétiens qui invalident les testaments qui se font dans vos familles. N'est-ce pas néanmoins un châtiment bien convenable? Et qu'est-ce que cette annulation de vos testaments? A quoi la comparer ? C'est un avertissement et pas encore la condamnation. Dieu en effet a pris parti pour son testament de paix. Tu souffres si le tien est sans valeur dans ta famille. Néanmoins tu dois mourir et tu ignoreras ensuite ce qui se fera dans ta famille. « En ce jour, est-il écrit, périront toutes ses pensées (1); » et « il ne connaîtra plus sa demeure (2). » Ainsi tu ignoreras après ta mort ce qui se passera dans ta maison et tu souffres néanmoins que ton testament n'y soit pas observé. Pour faire observer le sien, le Christ est sorti du tombeau et il veille du haut du ciel. Ah! que ton chagrin te réveille et que ta peine serve à te corriger. Pour redresser un bâton, on l'approche du feu ; que la douleur serve également à te redresser; cette douleur est loin d'être encore la flamme éternelle ; elle est comme la chaleur du foyer qui doit faire disparaître les tortuosités de ton coeur, t'avertir et te corriger. Ressens, et tu as raison, la douleur que ton testament n'ait aucune valeur dans ta propre maison. Mais la maison de Dieu est ton coeur, et si tu désires que ton testament soit observé dans ta demeure, pourquoi ne veux-tu pas respecter dans la maison de Dieu le testament divin ? Que laisses-tu à tes enfants ? Des pierres; et si tu sais qu'ils se les partagent autrement que tu ne l'as voulu, tu en es peiné. Quel soin, quelle sollicitude pour une vile maison, pour un toit ruineux ! Comme tu luttes de toutes tes forces contre une fièvre brûlante, contre la maladie qui t'accable, contre la mort qui te presse, exhalant avec peine tes dernières paroles pour achever ton testament ! Combien tu consultes d'hommes de lois, à combien d'artifices tu as recours pour en assurer la validité malgré la loi de l'Empereur ! Entends-tu Dieu te répondre Pourquoi ces artifices, pourquoi ces formules trompeuses? Tu veux que l'on observe ton testament ? Observe fidèlement le mien. Tu te plains que ton domaine passe à qui tu ne voulais pas? Que dois-je dire de l'héritage religieux que je laisse si étendu? « Toutes les nations seront bénies dans ta postérité (3). » Ainsi ai-je parlé à

 

1. Ps. CXLV, 44. — 2. Ib. CII, 16. — 3. Gen. XXII, 18.

 

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mon serviteur, continue toujours Dieu, et il a cru sans voir; toi, tu vois et tu ne crois pas ! Il

a gardé mon testament après l'avoir reçu ; il est ouvert maintenant et tu le déchires ! En effet ce testament a été gardé après avoir été reçu, au lieu que pour l'ouvrir il fallait que les prédictions en fussent accomplies. Il est donc parvenu jusqu'à toi dans toute son intégrité; et tu veux sûrement y conserver tes droits.

Mais, est-ce que ton cohéritier conteste avec toi et te dit : Prends pour toi cette part, je conserve celle-ci? ou bien : Prends la moindre, je réserve la plus grande? Il ne dit pas non plus Divisons entre nous, mais: Possédons ensemble. Telle est la volonté du testateur, ouvre et lis. Mais tu t'écries : Je l'ai empêché d'être brûlé, je l'ai gardé de peur qu'on le livrât aux flammes! Ouvre-le et reconnais que tu as gardé de quoi te faire brûler. Je ne crois pas cependant que tu l'aies gardé, quand je te vois ne pas garder ce qu'il ordonne. « Et' je ferai pour eux un testa« ment de paix. »

23. « Et j'exterminerai de la terre les bêtes fauves; » les bêtes fauves, les ennemis du testament de paix. C'est d'elles qu'il est dit dans un psaume : « Epouvante la bête des roseaux (1). » Que signifie : « la bête des roseaux? » La bête ennemie de l'Ecriture sainte, écrite avec un roseau. « J'exterminerai de la terre les bêtes cruelles, et on habitera le désert avec confiance. » Que signifie ici le désert ou la solitude ? L'intérieur de la conscience. La conscience est en effet une profonde solitude où nul homme ne saurait ni passer ni même pénétrer du regard. Habitons-y en espérance, puisque nous ne possédons pas encore la réalité, tout ce que nous avons au dehors flottant au souffle des tempêtes et des tentations du siècle. Nous avons donc un désert intérieur. Là interrogeons notre foi, examinons si nous avons la charité dans le coeur; voyons si notre coeur parle autant que nos lèvres quand nous disons : « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs (2) » Si nous parlons, si nous disons vrai là où nul oeil humain ne pénètre, c'est qu'il y a en nous un désert intérieur où nous reposons en paix, assurés que toutes les tribulations présentes passent, que l'espérance deviendra réalité, et que tout notre être goûtera le repos. Nous nous verrons clairement alors, notre pensée ne sera plus comme une brebis qui se cache, ni nôtre conscience

 

1. Ps. LXVII, 31. — 2. Matt. VI, 12.

 

une solitude. Tous en effet se connaîtront et connaîtront leurs pensées, lorsque le Seigneur viendra, éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et que chacun recevra de Dieu sa louange (1). Maintenant, au contraire, si tu vois deux hommes dans l’affliction, tu ne saurais voir leur coeur. Il est possible que l'un soit déchiré de remords et que l'autre repose dans sa conscience comme dans un désert tranquille.

« Ils habiteront le désert avec espérance et goûteront le sommeil; » c'est-à-dire le plein repos que laisseront les sens, étrangers à tous les bruits du siècle. C'est là qu'ils reposeront, « près des ruisseaux. » Il y a dans cette solitude intérieure comme des ruisseaux qu'alimente la mémoire, qui répandent comme une eau divine jaillissant de la science et de la méditation des Ecritures. Si en effet ce qu'on a lu et entendu, on le confie à la mémoire, dans toute sa pureté et sa sainteté; lorsqu'ensuite on cherche à reposer dans la solitude intérieure, en d'autres termes, dans la paix d'une bonne conscience, on sent comme jaillir des profondeurs de l'âme et couler en quelque sorte le souvenir de la parole de Dieu. Alors on goûte avec les autres fidèles le repos de l'espérance et l'on dit : C'est vrai, c'est bien, c'est mon espoir, c'est ce que Dieu m'a promis, Dieu ne ment pas, je suis en sûreté. Cette sûreté est comme le sommeil pris le long des ruisseaux. « Et ils dormiront près des ruisseaux.»

24. « Et je leur donnerai ma bénédiction autour de ma colline. » Qu'importe qu'il y ait ici montagne ou colline, pourvu que nous soyons bien autour? Colline désigne le Christ; car il est au milieu de nous et nous sommes autour de lui, puisqu'il a été dit précédemment : «David sera prince au milieu d'eux. » Et parce qu'il est prince, il est appelé colline, douce colline, qui n'est ni âpre ni difficile à monter, pourvu qu'on n'ait pas la démarche fière, « Et je leur donnerai ma bénédiction autour de ma colline, et je répandrai en son temps la pluie » de la parole divine. Il y a une pluie dévastatrice; elle renverse la maison bâtie sur le sable et tout ce que peut la maison construite sur la pierre, c'est de ne pas s'écrouler sous ses coups (2). Cette pluie est la tentation qui cherche à déraciner et non à arroser. Telle ne sera point la pluie que promet le Seigneur. Que dit-il en effet? « Ce seront des pluies de bénédiction. » Tu craignais au mot

 

1. I Cor. IV, 6. — 2. Matt. VII, 24-27.

 

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de pluie? Mais cette pluie est bénédiction et non tentation.

25. Considère aussi ce que produit cette pluie. « Et les arbres qui sont dans la campagne porteront leur fruit. » Dans la campagne, dans une sorte de plaine, non sur les pentes ardues, avec un genre de vie facile. Il appelle campagne un genre de vie qui n'a rien d'ardu, de laborieux, de difficile, telle que la vie d'un grand nombre de fidèles dans l'Église de Dieu, où ils possèdent une épouse, des enfants, des maisons; ils sont comme des arbres dans la campagne, ils n'ont pu gravir aucune aspérité. Mais avec la pluie du ciel, ils porteront leurs fruits, comme en voici : « Romps ton pain pour celui qui a faim, et abrite dans ta demeure l'indigent sans asile (1). » C'est à ces fidèles que l'Apôtre disait: « Je ne cherche pas votre don, mais votre fruit (2). » — « Et les arbres de la campagne porteront leur fruit ; » si ce fruit n'est pas de première qualité, il a pourtant son mérite. « Et la terre, » toute la terre, « sera féconde. Et ils habiteront la terre qui est à eux. » Ainsi il y aura fertilité dans les champs, sur les collines et sur les montagnes. Que peuvent par eux-mêmes soit les champs, soit les collines, soit les montagnes? Qu'on ne voie ici que Celui qui les cultive: « Et ils habiteront dans leur terre avec espérance. » Remarquez que c'est la promesse de ce qu'il nous donne maintenant. Tant qu'il parle d'espérance, je vois le temps présent; car lorsque nous avons atteint ce qui nous est promis, ce ne sera plus l'espérance, mais la réalité.

26. « Et ils sauront que je suis le Seigneur, lorsque j'aurai brisé les chaînes qui les assujettissent au joug; » les chaînes qui leur serrent le cou. Rompez Seigneur, rompez les chaînes avec lesquelles les hérétiques tiennent les faibles par le cou. Est-il en effet rien qui serre et qui comprime davantage que ces paroles N'écoute pas le Christ, écoute-moi? Ecartez cette chaîne, permettez-moi de respirer. — Je ne sais ce que tu dis, répliquent-ils. — Mais j'écoute la voix de mon Pasteur, il crie : « Parmi toutes les nations, à commencer par Jérusalem (3). » Laisse-moi suivre la voix de mon Pasteur. Pourquoi me serrer? Ote-moi cette chaîne et je porterai le joug si doux de mon Seigneur. — Mais à ces mots il serre de nouveau. Voyez, Seigneur, l'hérétique ne veut point relâcher ma chaîne brisez-la. La croix du Seigneur nous élève, le

 

1. Isaïe, LVIII, 7. — 2. Philip. IV, 17. — 3. Luc, XXIV, 34.

 

joug de l'hérétique nous déprime. Mais il sera rompu : « Lorsque j'aurai brisé les chaînes qui les assujettissent au joug. » Ils veulent imposer aux hommes leur domination, les tenir sous leur dépendance et non sous celle de Dieu. « Lorsque j'aurai brisé les chaînes de leur joug, et je les arracherai aux mains de ceux qui les réduisaient à l'esclavage. » Qu'est-ce à dire : Qui les réduisaient à l'esclavage? — Qui les poussaient au péché. En effet commettre le péché, c'est en être l'esclave (1). Voyez, mes frères, ce qu'ils sont parvenus à leur persuader : Ils rendront compte de nous, disent les malheureux qu'ils égarent, nous ne sommes que des ouailles et nous les suivons où ils nous mènent. — Vous êtes ouailles? Ecoutez donc votre Pasteur et non les loups.

27. « Et ils ne seront plus en proie aux nations. » Partout en effet il y a des sectaires; ils diffèrent suivant les contrées, mais nulle part il ne manque de ces hommes qui chargent de chaînes et mettent sous le joug les fidèles. En désaccord les uns avec les autres, tous s'entendent contre l'unité. Cette unité n'est point en désaccord avec elle-même, mais elle lutte de toutes parts contre tous ceux qui lui résistent; partout elle travaille, mais elle goûte le repos du désert. « Ils ne seront plus en proie aux nations, et les bêtes de la terre ne les dévoreront plus. » Ils écouteront la voix de leur Pasteur et seront par ce moyen, arrachés à la dent des loups. La bête des roseaux ne les dévorera plus, elle ne cherchera plus à faire plier les Ecritures à son sentiment, ni à détourner l'esprit des passages clairs pour obtenir d'être écoutée plutôt que la divine parole. « Et les bêtes de la terre ne les dévoreront plus, mais ils demeureront dans l'espérance. » Remarquez combien de fois il fait entendre que ces promesses regardent le temps présent : Dieu parle ici de bienfaits qu'il accorde dès maintenant. « Et il n'y aura plus personne pour les épouvanter. » Comment n'y aura-t-il plus personne pour les épouvanter? La chose est incontestable; il suffit de mettre sa confiance au Seigneur; il suffit d'avoir commencé à dire : « Je louerai en Dieu sa parole, je glorifierai l'idée dans le Seigneur, » et non en moi. Louer l'idée en soi c'est dire : Croyez ce que nous vous enseignons ; et louer l'idée dans le Seigneur, c'est dire avec nous : Croyons ce que le Seigneur, nous enseigne. Il n'y aura plus personne pour

 

1. Jean, VIII, 84.

 

nous enrayer, car « je louerai en Dieu sa parole, je glorifierai la pensée dans le Seigneur; j'ai  mis ma confiance en Dieu, je ne craindrai rien des entreprises de l'homme (1). — Il n'y aura personne pour les épouvanter. »

28. « Et je ferai naître pour eux une pépinière de paix. » Un testament de paix, une pépinière de paix. Puisse donc fructifier ce que Dieu a planté et se déraciner ce qu'à semé l'hérétique Dieu a planté ce qui le concerne lui-même et ce qui concerne son Eglise ; lui-même dans le ciel, et son Eglise sur la terre; lui-même sur tous les cieux et son Eglise sur toute la terre; voilà une doctrine qui vient de Dieu. Mais ce langage Viens à nous, sois du parti de Donat, l'Église n'est qu'en Afrique; ce n'est pas Dieu qui l'inspire, je ne, vois pas ici un plant divin. Il faut donc le déraciner et non pas l'arroser. « Et je ferai naître pour eux une pépinière de paix, et ils ne mourront plus de faim sur la terre. » Il est bien vrai, mes frères, que la faim se fait sentir ici; examinez et voyez comme ils sont pressés par la faim. Ce qui est pis, c'est qu'ils ont des aliments à la bouche, sans manger, semblables à ces malades qui meurent de dégoût, non que la nourriture leur manque, mais parce qu'ils la rejettent et l'ont en horreur. Les Écritures n'enseignent-elles pas ce que nous disons et n'entendent-ils pas aussi bien que nous ces paroles d'un psaume : « Toutes les extrémités de la terre se souviendront du Seigneur et s'attacheront à lui; toutes les nations se prosterneront devant lui (2)? » Ainsi les aliments sont tout servis; si tu avais la santé et si tu mangeais, demeurerais-tu où tu es?

« Et il n'y aura plus personne pour mourir de faim sur la terre, et ils ne seront plus chargés de la malédiction des peuples. » Il est bien vrai, mes frères, que le Christ a aujourd'hui élevé si haut son Eglise, que tous ses ennemis sont confus et n'osent plus blasphémer son nom. Le seul reproche qu'il nous adressent est celui-ci : Pourquoi, disent-Ils, ne vous entendez-vous pas? Ainsi ceux qui sont restés païens parmi les gentils n'ont plus rien à objecter contre le Christ et ils ne blâment plus dans les chrétiens que leurs divisions. Mais ceux qui passent de l'hérésie à l'Église catholique n'ont plus à craindre cet opprobre, on ne leur reprochera point leurs dissensions, puisqu'ils demeurent attachés à la racine de l'unité sur le plant de la charité. « Ils ne seront

 

1. Ps. LV, 11. — 2. Ib. XXI, 28.

 

pas chargés de la malédiction des peuples.

29. « Et ils sauront que je suis le Seigneur leur Dieu, et eux-mêmes sont mon peuple, la maison d'Israël, dit le Seigneur Dieu. » Ils sont les ouailles du Seigneur, ils sont aussi sa vigne. Après avoir condamné la vigne stérile, Isaïe craignait de n'être pas compris; aussi expliqua-t-il sa pensée en disant : « La vigne du Seigneur des armées est la maison d'Israël (1); » et les Israëlistes ne pouvaient plus dire alors : On ne nous a point parlé, mais à je ne sais quelle vigne. De même après avoir parlé de brebis, Dieu craignait que quelqu'un n'élevât cette objection Peut-être le Seigneur a-t-il je ne sais où des brebis dont il prend soin et que je ne connais pas. Pour faire cette objection, il faudrait, il est vrai, avoir perdu le sens commun, être tombé dans l'absurdité; mais le bon Pasteur compatit à la faiblesse, il s'abaisse jusqu'à prévenir de telles pensées, et il finit par expliquer très-clairement quelles sont ses brebis. « Et vous, mes brebis, vous les brebis de mon troupeau, vous êtes des hommes. » Quels hommes? Est-ce tous les hommes? Non. Car il est écrit: « Heureux celui dont le Seigneur est l'espérance (2); — Que le Dieu d'Israël est bon pour ceux qui ont le coeur droit (3) ! — Heureux l'homme dont le Seigneur est le Dieu (4). »

30. « Et moi le Seigneur je suis votre Dieu, dit le Seigneur Dieu. » Dieu est également au dessus de tous les hommes. Je ne sais néanmoins comment il se fait que pour oser dire : mon Dieu! il n'y ait que celui qui croit en lui et qui l'aime. Celui-ci dit : mon Dieu! Tu l'as donc fait tien, et ce Dieu, à qui tu es, aime véritablement cela. Ah! de toute l'affection de ton coeur, avec toute la sécurité, la confiance et l'amour dont tu es capable, répète : Mon Dieu! Ne crains rien, tu dis vrai; il est à toi et tu ne l'empêches pas d'être encore à autrui. Tu ne dis pas: mon Dieu, comme tu dis : mon coursier. Celui-ci est à toi et non pas à un autre. Mais si Dieu t'appartient, il appartient aussi à ceux qui disent: Mon Dieu, comme tu le dis. Chacun dit: Mon Dieu, mon Dieu; c'est qu'il est à tous, se communiquant tout entier, pour qu'ils jouissent de lui, à tous et à chacun. Car en disant : Mon Dieu, on ne le divise pas.

Ce discours que jette ma langue et que porte le son, formé de lettres et de syllabes, parvient tout entier à chacun et nul de ceux qui l'entendent ne le divisé ; or si ce discours qui retentit sensiblement

 

1. Isaïe, V, 7. — 2. Ps. XXXIX, 5. — 3. Ib. LXXII, 1. — 4. Ib. CXLV, 5.

 

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aux oreilles et qui les frappe plus fortement de près, et de loin plus faiblement, est néanmoins entendu tout entier par tous sans qu'ils s'en partagent les syllabes, puisque chacun d'eux le reçoit tout entier; que penser de ce Dieu qui est présent partout, qui remplit tout, aussi parfaitement ce qui est proche que ce qui est éloigné, qui atteint d'une extrémité à l'autre avec force et dispose toutes choses avec douceur (1) ? N'est-il pas, à bien plus forte raison encore, possédé également par tous?

Voyez encore, mes frères, cette lumière : elle est sûrement corporelle, elle brille au ciel, s'élève, s'abaisse, circule, va d'un lieu dans un autre. Tous les yeux cependant vont à sa rencontre, se dirigent vers elle, et tous la possèdent également sans la diviser; le riche ne l'arrête pas et s'il en jouit le premier, il n'en prive pas les yeux du pauvre ou ne la rétrécit pas pour lui. Le pauvre peut donc dire : mon Dieu, et le riche : mon Dieu. L'un a plus et l'autre a moins abondamment, mais en argent et non en Dieu. Pour parvenir à lui, le riche Zachée donna moitié de son patrimoine (2) ; Pierre abandonna ses filets et sa barque (3); la veuve offrit deux oboles (4); un plus pauvre encore présenta un verre d'eau froide (5) ; et celui qui n'avait absolument rien accorda uniquement sa bonne volonté (6). Les offrandes étaient diverses, mais elles obtinrent la même

 

1. Sag. VIII. — 2. Luc, XIX, 8. — 3. Matt. IV, 20. — 4. Luc, XXI, 2-4. — 5. Matt. X, 42.—  6. Luc, II, 14.

 

récompense, car l'amour n'était pas différent. Vous donc, ô hommes qui êtes les brebis de Dieu, ô brebis du troupeau de Dieu, ne vous troublez point de voir dans le monde tant de conditions différentes; les uns dans la gloire et les autres sans gloire; les uns opulents et les autres indigents; ceux-ci beaux de corps et ceux-là épuisés par l'âge; des jeunes gens et des enfants, des hommes et de femmes. Dieu est également pour tous; et on le possède d'autant plus qu'on a donné, non pas plus d'agent, mais plus de foi. « Et vous, mes brebis, brebis de mon troupeau, vous êtes des hommes, et je suis votre Dieu, dit le Seigneur Dieu. » Oh! que nous sommes heureux d'avoir un tel domaine et d'en,être nous-mêmes le domaine! Car nous le possédons et il nous possède; il nous possède pour nous cultiver et nous le possédons pour l'honorer; nous l'honorons comme Dieu et il nous cultive comme un champ; il nous cultive pour que nous portions des fruits, et nous l'honorons pour en donner. Tout nous revient, il n'a pas besoin de nous. « Je te donnerai, dit-il, un héritage, ton domaine s'étendra jusqu'aux extrémités de la terre (1). » Nous sommes ainsi sa possession. « Le Seigneur, est-il dit encore, est la part de mon héritage et de mon calice (2). » Le voilà à son tour notre domaine. Et pourtant quelle différence! « Vous êtes hommes et je suis le Seigneur votre Dieu, dit ce Dieu notre Seigneur. »

 

1. Ps. II, 8. — 2. Ib. XV, 6.

 

 

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