SERMON XLIX
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

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SERMON XLIX. Prononcé à la table de Saint Cyprien (1). PRATIQUER LA JUSTICE (2).

 

ANALYSE. — En expliquant ce que le Psalmiste appelle pratiquer la justice, saint Augustin aura l'avantage de faire comprendre en même temps la parabole des ouvriers de la vigne, parabole que l'on vient de lire pendant l'office divin. En effet la pratique de la justice n'est autre chose que l'accomplissement de ce que les ouvriers sont obligés de faire dans la vigne du Seigneur. Or pratiquer la justice c'est croire en Dieu et faire ce qu'il commande, c'est ne pas juger témérairement le prochain et le juger avec amour quand on peut le juger, c'est réconcilier les ennemis au lieu d'épouser leurs haines, étouffer en son coeur la haine a sa naissance et pardonner sincèrement comme a fait Jésus-Christ, comme a fait admirablement saint Etienne.

 

1. Nous venons d'entendre plusieurs saintes lectures et nous devons vous en dire ce que le Seigneur damnera nous suggérer. Mais on retient davantage ce qu'on a ouï en dernier lieu et c'est sur cela que l'on compte entendre parler le prédicateur. Comme on a fini les leçons par la lecture du saint Evangile, je ne doute donc pas que votre charité n'attende de moi quelques réflexions sur la vigne, les ouvriers et le denier de récompense dont il y est fait mention.

Je me rappelle néanmoins ce, que j'ai promis dimanche dernier. Je voulais commenter ce qu'on avait lu d'un prophète. Or on avait lu qu'un homme cherchant à savoir par quels sacrifices il pourrait apaiser le Seigneur, il lui avait été répondu que Dieu ne demandait de lui que la pratique du jugement et de la justice, l'amour de la miséricorde et la disposition à marcher avec le Seigneur son Dieu. Aussi ai-je traité du jugement selon mes lumières et le discours s'étant prolongé jusqu'à ne plus me laisser le temps de discuter les autres questions autant que je l'aurais pu, j'ai promis de parler aujourd'hui de la justice. Vous ne serez toutefois pas déçus, vous qui pensiez que je vous entretiendrais de l'Évangile; car, la justice est la tâche imposée aux ouvriers de la vigne.

 

1. Voir le sermon XIII. — 2. Michée, VI, 6-8.

 

2. Supposez que vous êtes vous-mêmes ces ouvriers invités au travail. Venir dès l'enfance, c'est avoir été appelé à la première heure; l'adolescence est la troisième heure; la jeunesse, la sixième; l'âge mûr, la neuvième; et la vieillesse, la onzième. Du reste n'incidentez point sur ces époques; écoutez plutôt quel travail vous est imposé et attendez en paix la récompense promise, vous gardant bien de murmurer si elle est égale, pour peu que vous connaissiez quel est votre Maître.

Vous connaissez quelle est l'oeuvre commandée; je la rappellerai néanmoins. Ecoutez donc ce que vous savez et pratiquez ce qu'on vous a déjà dit. L'oeuvre de Dieu est la justice, avons-nous déjà observé. Cependant, comme on demandait au Seigneur Jésus quelle était l'oeuvre de Dieu : « L'oeuvre de Dieu, répondit-il, est que vous croyiez en Celui qu'il a envoyé. (1) » Il pouvait répondre : L'oeuvre de Dieu c'est la justice. Pensez-vous qu'humbles travailleurs nous osions hasarder une interprétation contraire à celle du Père de famille? Si donc l'oeuvre de Dieu c'est la justice, ainsi que je l'ai déjà répété, et si l'oeuvre de Dieu, d'après le Seigneur, consiste à croire en lui, ne s'ensuit-il pas que dans cette croyance consiste aussi la justice ? — Mais, répliques-tu,

 

1. Jean, VI, 29.

 

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c'est le Seigneur qui nous a dit: L'oeuvre de Dieu consiste à croire en « son Envoyé; » et c'est to qui affirmes que l'oeuvre de Dieu consiste dans la justice. Prouve donc que la justice est de croire au Christ. — Je m'empresse de répondre à ta juste demande.

Te semble-t-il que croire, au Christ ne soit pas justice? Qu'est-ce alors? Donne un nom à cet acte. Or, si tu fais bonne attention à ce que tu as entendu, tu me répondras sans aucun doute que cet acte est un acte de foi; la foi est de croire au Christ. — J'y consens, croire au Christ c'est avoir la foi. — Ecoute maintenant cet autre passage de l'Écriture : « Le juste vit de la foi. (1) » Accomplissez la justice, croyez : « Le juste vit de la foi. » Il est difficile de se mal conduire quand on croit comme il faut. Croyez de tout votre coeur, croyez sans chanceler, sans hésiter, sans opposer à la foi des conjectures humaines. La foi, fides, vient de ce que l'on fait ce qu'on dit. Il y a dans ce mot deux syllabes; la première vient de faire, a facto, et la seconde de dire, a dicto. Crois-tu?- Oui, je crois, réponds-tu. — Fais ce que tu dis et tu as là foi. Je puis bien entendre ta voix, je ne saurais voir la foi dans ton coeur. Incapable de voir la foi dans ton coeur, est-ce moi qui t'ai loué pour travailler à la vigne ? Ce n'est pas moi qui loue, ni moi qui impose la tâche, ni moi qui me prépare à payer le denier. Je suis ouvrier comme vous, je travaille à la vigne selon la mesure des forces que le Maître daigne m'accorder; dans quelle intention ? C'est lui qui le sait. « Peu m'importe, dit l'Apôtre, d'être jugé par vous. (2) » Vous aussi vous pouvez entendre ma voix, vous ne sauriez voir mon coeur. Mettons tout notre cœur à découvert devant le Seigneur, et agissons avec droiture. N'offensons pas Celui qui nous occupe, afin de nous présenter au paiement sans embarras.

3. Un jour, mes très-chers, mais plus tard, nous verrons mutuellement nos coeurs ; pour le moment nous sommes environnés des ténèbres de cette chair mortelle et nous marchons à la lumière des Écritures; « nous avons, comme dit l’Apôtre Pierre, la parole plus ferme des prophètes, à laquelle vous faites bien d'être attentifs, comme à une lampe qui luit dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour brille et que l'étoile du matin se lève dans vos coeurs. (3) » De là il suit, mes bien-aimés, que par notre foi en Dieu nous sommes lumière, comparés aux infidèles. Après

 

1. Habacuc, II, 41 ; Rom.I,17. — 2. I Cor. IV, 3. — 3. II Pierre, I, 19.

 

avoir été ténèbres avec eux; nous sommes aujourd'hui lumière: « Vous étiez la nuit, dit l'Apôtre, vous êtes maintenant le jour dans le Seigneur (1); » nuit en vous-mêmes et jour dans le Seigneur. Il dit également ailleurs: « Car vous êtes tous des enfants de lumière et des enfants du jour; nous ne sommes point de la nuit ni des ténèbres (2). — Marchons honnêtement comme pendant le jour (3). » Ansi nous sommes le jour, comparés aux infidèles.

Mais devant ce jour où ressusciteront les morts, où ce corps corruptible revêtira l'incorruptibilité, où ce corps mortel revêtira l'immortalité (4), nous sommes encore la nuit. En nous considérant comme lumière, l'Apôtre Jean nous dit : « Mes bien-aimés, nous sommes maintenant les fils de Dieu. » Et parce qu'il nous reste encore des ténèbres; qu'ajoute-t-il ? « On ne voit pas encore ce que nous serons. Nous savons que lorsqu'il apparaîtra nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est (5). » Ce sera la récompense et non le travail. « Nous le verrons tel qu'il est, » oui ce sera notre récompense. Le jour sera alors aussi éclatant qu'il puisse l’être.

En considérant donc le jour actuel, vivons honnêtement, et en considérant la nuit présente, ne jugeons pas les uns des autres. Noyez en effet l'Apôtre Paul lui-même. Après avoir dit: « Marchons honnêtement comme durant le jour, il ne contredit pas son collègue, l'Apôtre Pierre qui dit de son côté : « Vous faites bien de vous montrer attentifs » à cette divine parole, « comme à une lampe qui luit dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour brille et que l’étoile du matin se lève dans vos coeurs. »

A Paul en effet ne le dit-il pas expressément? « C'est pourquoi, conclut-il, gardez-vous de juger avant le temps. » Avant quel temps? « Jusqu'à ce que vienne le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et manifestera les pensées des coeurs: et chacun alors recevra de Dieu sa louange (6). » Que signifie donc avant le temps, sinon avant que vous voyiez mutuellement vos coeurs?

Or n'est-ce pas ce que je disais? Pesez un peu toutes les expressions de cette pensée. « Gardez-vous de juger avant le temps. » Quand sera-ce temps? « Quand viendra le Seigneur pour éclairer ce qui est caché dans les ténèbres et manifester les pensées des coeurs; et chacun alors recevra de, Dieu sa louange. » Comment seras-tu

 

1. Ephés. V, 8. — 2. Thess, V, 5. — 3. Rom. XIII, 13. — 4. I Cor. V, 53. — 5. I Jean, III, 2. — 6. I Cor. IV, 6.

 

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replongé dans les ténèbres quand tu seras loué par la Lumière elle- même ? Les coeurs seront alors à découvert, maintenant ils sont voilés. On soupçonne quelqu'un d'être ennemi, peut-être est-il ami ; un autre semble ami, qui peut-être est ennemi caché. Quelle obscurité ! L'un se montre sévère et il nous aime; l'autre flatte et il nous hait. Si je me fie aux paroles, je quitte des eaux tranquilles pour me heurter contre un rocher; je fuis mon ami pour m'attacher à un ennemi. Cela vient de ce que le coeur est caché. Or c'est dans ce coeur caché, profond, mystérieux qu'il faut croire; c'est pour cultiver ce coeur que tu t'es engagé. Travaille donc en croyant dans ce lieu impénétrable que ne perce point l'oeil de celui qui travaille avec toi et où ne parvient que le regard de ton Dieu. « Le juste vit de la foi. » C'est là ton devoir.

5. J'ai traité, dimanche dernier, du jugement qui consiste à te juger toi-même (1), à ne pas te flatter lorsque tu découvres en toi des défauts, mais à te corriger et à devenir juste pour aimer Dieu, qui l'est souverainement. Comment ce Dieu juste pourrait-il plaire, à l'homme injuste ? Veux-tu donc aimer Dieu? Deviens juste, juge-toi toi même, ne t'applaudis pas, châtie, redresse, corrige en toi ce qui t'y déplaît avec raison. Prends l'Écriture pour te servir de miroir; tu t'y verras sans mensonge, sans adulation, sans acception de personne. Si tu es beau, tu t'y trouveras beau, et laid si tu es laid. Mais en t'y voyant laid comme tu l'es, garde-toi d'accuser ce miroir; rentre en toi-même; le miroir ne te trompe pas, ne te trompe pas non plus. Juge-toi, gémis de ta laideur. En t'éloignant avec cette tristesse inspirée par cette laideur, tu te corrigeras et tu reviendras avec ta beauté recouvrée.

Mais quand tu te seras jugé sans adulation, juge ton prochain avec amour. Tu peux juger en lui ce que tu vois. Mais il peut arriver qu'en voyant ses défauts tu te souilles; il peut arriver aussi que lui-même t'avoue ses fautes et découvre à l'amitié ce qu'il tenait caché à l'inimitié. Juge ce que tu vois et laisse à Dieu ce que tu ne vois pas. Or en jugeant prends soin d'aimer l'homme et de haïr le vice sans aimer le vice à cause de l'homme et sans haïr l'homme à cause du vice. L'homme est ton prochain ; le vice est donc l'ennemi de ton prochain, et l'amitié demande que l'on haïsse ce qui nuit à son ami. Si tu crois cela, tu agiras en conséquence, car « le juste vit de foi, »

 

1. Ser. XLVIII.

 

6. Voici ce qu'on rencontre fréquemment parmi les hommes. Il arrive parfois que l'un de tes amis devient l'ennemi d'un ami intime dont il était l'ami comme toi. De trois que vous étiez, deux se sont divisés; toi qui restes, que dois-tu faire ? L'un veut, il exige, il demande instamment que tu te tournes avec lui contre votre ami commun qu'il commence à haïr, et il te dit : Tu n'es pas mon ami, puisque tu es l'ami de mon ennemi. Ce dernier t'adresse le même langage. Car, encore une fois, vous étiez trois, deux se sont brouillés, toi seul ne l'es pas. Si tu prends le parti de l'un, l'autre sera ton ennemi et réciproquement; si d'un autre côté tu veux rester uni à l'un et à l'autre, ils murmureront tous deux. Telle est la difficulté, ce sont des épines dans la vigne où nous devons travailler.

Veux-tu savoir de moi ce qu'il faut faire? Demeure l'ami de l'un et de l'autre et travaille à les réunir. Ne révèle pas à celui-ci ce que celui-là peut avoir dit contre lui: ils pourraient redevenir amis et trahir à leur tour ceux qui les ont trahis. Si je parle ainsi toutefois, c'est d'une manière tout humaine, ce n'est pas en vue de Celui qui nous a loués pour sa vigne. Supposons donc que personne ne te trahisse: n'as-tu pas pour juge le Seigneur qui te voit ? Et si tu as entendu quelque mot de colère, de plainte, de critique, étouffe-le. Pourquoi le mettre au jour? Pourquoi le révéler? Il ne te fera pas mourir (1). Parle convenablement à cet ami qui veut te faire rompre avec l'autre, parle-lui ouvertement , considère-le comme un coeur malade et applique-lui de doux remèdes. Dis-lui: Pourquoi veux-tu que je devienne son ennemi? — Parce qu'il est le mien, répond-il. — Tu veux donc que je sois l'ennemi de ton ennemi? Je dois être plutôt l'ennemi de tes vices. Celui dont tu veux me rendre l'ennemi est un homme: tu as un autre ennemi contre lequel je dois me déclarer si je suis ton ami. — Quel est cet autre ennemi, demandera-t-il. — C'est ta passion. — Et laquelle? — La haine que tu portes à ton ami.

Imite donc le médecin. Le médecin n'aime son malade qu'autant qu'il hait sa maladie, et pour l'en délivrer il la poursuit à outrance. Si vous aimez vos amis, n'aimez pas leurs vices.

7. Je parle ainsi, mais penses-tu que je fais ce que je dis? Je le fais, mes frères, si je le fais d'abord en ce qui me concerne moi-même; et je le fais eu moi-même, si Dieu m'en accorde la grâce. Je hais mes vices et pour obtenir la guérison de

 

1. Eccli. XIX, 10.

 

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mon coeur, je l'offre à mon Médecin. Je mortifie ces vices autant que j'en suis capable, j'en gémis, je confesse qu'ils sont en moi et tu vois que je m'en accuse. Toi qui me censurais, corrige-toi donc. . Ainsi l'exige la justice; empêchons qu'on nous dise: « Tu vois la paille dans l'œil de ton frère et tu ne vois pas la poutre dans le tien. Hypocrite, ôte d'abord la poutre de ton oeil et tu verras clair alors pour ôter la paille de l'œil de ton frère (1). » La colère est cette paille, la haine est la poutre. Mais en entretenant cette paille, tu en fais une poutre; la colère invétérée devient haine, et la paille nourrie devient poutre. Afin donc de l'empêcher, que le soleil ne se couche pas sur votre colère (2). Tu te vois, tu te sens enflammé de haine et tu veux réprimer la colère de ton frère? Eteins d'abord ta haine, et tu auras droit de le reprendre. La colère est dans son oeil et la poutre dans le tien. Si tu le hais, si tu as une poutre dans l'œil, comment vois-tu clair pour ôter ce qui blesse le sien?

Mais pourquoi as-tu ainsi une poutre dans l'oeil? Parce que tu ne t'es pas inquiété de la paille quand elle y a paru. Tu t'es endormi avec elle, avec elle tu- t'es levé ; tu l'as cultivée, tu l'as nourrie de faux soupçons, tu l'as arrosée en ajoutant foi aux paroles des adulateurs, qui prêtaient à ton ami des propos pernicieux. Tu n'as pas eu le soin d'arracher cette paille, et tu en as fait une poutre. Arrache cette poutre de ton oeil, ne hais plus ton frère. Trembles-tu ou ne trembles-tu pas? Ne hais point, te dis-je, et tu seras en sûreté. Mais qu'est ce que la haine, me réponds-tu? Tu hais ton frère; mais si tu comptes pour peu cette haine, écoute ce que tu oublies: « qui hait son frère est homicide (3). » Qui hait son frère est homicide. Diras-tu maintenant : que m'importe d'être homicide? Haïr, c'est être homicide. Ainsi tu n'as point préparé de poison, tu n'es pas venu l'épée à la main frapper ton ennemi; tu n'as cherché ni l'aide, ni le lieu, ni le temps nécessaire pour commettre ce crime, enfin tu ne l'as pas commis; mais uniquement parce que tu hais ton frère tu t'es donné la mort avant de la lui donner.

Apprenez donc la justice, apprenez à ne haïr que les vices et à aimer les hommes. En vous montrant fidèles à cette recommandation, en accomplissant cette justice, en préférant guérir les hommes vicieux plutôt que de les condamner, vous avez bien travaillé dans la vigne. Exercez

 

1. Matt. VII, 3, 6. — 2. Eph. IV, 26. — 3. I Jean, III, 5.

 

vous à y travailler de la sorte, mes frères.

8. On va, après le sermon, renvoyer les catéchumènes, les fidèles resteront, et on arrivera au moment de la prière. Savez-vous jusqu'où nous devons monter, ce que nous commencerons par dire Dieu ? « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent (1). » Appliquez-vous, appliquez-vous donc à pardonner. Vous arriverez à ces mots de la prière. Comment alors les prononcer et comment ne les prononcer pas? Je vous le demande enfin, les prononcez-vous ou ne les prononcez-vous pas? Quoi! tu as de la haine et tu les prononces? — Je ne les prononce.pas, me diras-tu. — Quoi encore! Tu pries sans les dire? Tu hais donc et tu les dis? ou bien tu pries et ne les dis pas. Mais si tu les dis, tu mens, je te le fais observer sans hésitation, et si tu ne les dis pas, tu ne mérites rien. Réfléchis, fais attention à toi, et avant de prier, pardonne des: tout ton coeur. Tu veux contester avec ton ennemi, gourmande ton coeur auparavant; oui gourmande, gourmande ton coeur; dis-lui: je te défends de haïr. Mais ce coeur, mais ton âme hait encore, dis-lui de nouveau : je te défends de haïr. Comment pourrais-je prier et dire. « Remettez-nous nos dettes? » Il est vrai néanmoins, je pourrais prononcer encore ces mots, mais les suivants: « comme nous aussi; » quoi ! « comme nous aussi nous pardonnons, » comment les articuler? Où est ta foi? Fais ce que tu dis: « comme nous aussi nous pardonnons. »

9. Mais ton âme ne veut point pardonner, elle se plaint même que tu lui interdises de haïr. Réponds-lui : « Pourquoi, mon âme, t'attrister ? et pourquoi me troubler ? — . Pourquoi t’attrister ? » Garde-toi de haïr et de me perdre. « Pourquoi me troubler? Espère en Dieu (2). » Tu languis, tu soupires, tu es malade et blessée, sans pouvoir te délivrer de la haine qui te tourmente. « Espère en Dieu: » c'est le médecin. Il a été pour toi suspendu à la croix et ne s'est pas encore vengé. Pourquoi vouloir te venger, car c'est le but de haine? Vois ton Seigneur suspendu, vois-le à la croix; du haut de ce tribunal il te donne ses ordres, Vois-le suspendu; il fait de son sang un remède pour tes langueurs Vois-le, si tu veux te venger, vois-le attaché, écoute sa prière: « Père pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (3).

10. Il a pu pardonner ainsi, reprends-tu, moi je ne saurais. Car je suis homme et il est Die je suis homme et il est l'Homme-Dieu.

 

1. Matt. VI, 12. — 2. Ps. XII, 6. — 3. Luc, XXIII, 34.

 

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pourquoi Dieu s'est-il fait homme, si l'homme ne se corrige point? Ecoute-moi, homme que tu es: C'est trop pour toi d'imiter ton Seigneur? considère Etienne, serviteur comme toi. Saint Etienne était-il un homme ou était-il Dieu? C'était un homme sans aucun doute; il était ce que tu es; ce qu'il a fait, il le doit à Celui que tu pries .comme il le priait lui-même. Considère donc ce qu'il a fait.

Il s'adressait aux Juifs, leur parlait avec sévérité et avec amour. Voici la preuve de ce double sentiment de sévérité et d'amour, je dois vous la mettre sous les yeux. Et d'abord la sévérité: « Têtes dures! » Ainsi parlait saint Etienne aux Juifs: « Têtes dures, coeurs et oreilles incirconcis, toujours vous résistez à l'Esprit saint. Quel prophète vos pères n'ont-ils pas mis à mort ? » Voilà des paroles sévères ; voici maintenant des témoignages d'amour. Irrités et enflammés d'une haine nouvelle, ces malheureux veulent rendre le mal pour le bien, ils courent aux pierres et commencent à lapider le serviteur de Dieu. Ici, saint Etienne, donnez des preuves de votre amour; ici, ici nous voulons vous voir, vous contempler, admirer en vous le vainqueur et le triomphateur de l'enfer. Nous vous avons entendu parler sévèrement à ces ennemis réduits au silence, examinons si vous les aimez pendant qu'ils vous lapident. Si vous les haïssez, si vous avec pu les haïr, maintenant surtout qu'ils vous martyrisent, vous devez le faire. Opposez-vous donc la dureté de coeur à ces dures pierres qui vous accablent de pierres ; ils sont vraiment aussi durs que les pierres lancées par eux contre vous; leur Loi est gravée sur la pierre, et ils vous font expirer sous les pierres.

11. Assistons, mes bien-aimés, assistons à ce grand spectacle. Demain encore il nous sera offert, assistons-y. On lapide Etienne, représentez-vous attentivement cette scène. Courage, ô membre du Christ! courage, ô athlète du Christ! considérez Celui qui pour vous a été suspendu à la croix. On le crucifiait, on vous lapide. Il dit alors. « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » Et vous, que dites-vous? Je veux le voir, peut-être pourrais-je au moins vous imiter. — Le bienheureux Etienne commence par prier debout pour lui-même. « Seigneur Jésus, dit-il, recevez mon esprit. » Il s'agenouille ensuite afin de prier pour ses bourreaux: « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché, » et à ces mots il s'endormit (1). Oh! l'heureux sommeil ! oh! le repos véritable ! Le repos est ainsi de prier pour ses ennemis.

Mais, ô saint martyr, exposez-moi un peu cette étrange conduite, pourquoi vous restiez debout en priant pour vous-même et pourquoi vous avez fléchi le genou en priant pour vos ennemis ? Il répond sans doute et nous le comprenons : Pour moi j'ai prié debout, parce que je priais Dieu que j'ai servi avec fidélité, et que je n'ai eu de peine ni à le prier ni à obtenir de lui. — Il n'y a point de difficulté à prier pour le juste, c'est pourquoi il demeure debout en priant pour lui. Mais quand il s'agit de prier pour les Juifs, pour les meurtriers du Christ, pour les meurtriers des saints, pour ses propres bourreaux, il remarqua que leur impiété était extrême, excessive, que difficilement elle leur serait pardonnée, et il fléchit le genou. Courageux ouvrier, fléchissez le genou dans cette vigne; oui, fléchissez le genou en travaillant à cette vigne, ouvrier courageux. Votre entreprise est grande, elle est glorieuse et digne de tout éloge. Vous avez creusé bien avant, puisque vous avez déraciné de votre coeur la haine de vos ennemis.

Tournons-nous vers le Seigneur, etc.

 

1. Act. VII, 51-59.

 

 

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