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SERMON XCIX. LA RÉMISSION DES PÉCHÉS (1).

 

ANALYSE. — Après avoir montré que c'est à son repentir, à sa dévotion, à sa foi enfin, que la pécheresse de l'Évangile est redevable du pardon généreux que lui accorda Jésus-Christ, saint Augustin se demande dans quel sens il est vrai que celui à qui on a plus pardonné aime aussi davantage. II répond que le pardon embrasse les péchés dont Dieu nous a préservés aussi bien que les péchés effacés par sa miséricorde. Il examine ensuite pour réfuter les Donatistes non moins orgueilleux que les Pharisiens, si la rémission des péchés doit être réellement attribuée aux hommes. Evidemment, répond-il, elle est l'oeuvre du Saint-Esprit, et pour l'accorder, il emploie ou n'emploie pas, selon qu'il le juge convenable, l'intervention des hommes. Bien des faits éclatants prouvent cette vérité dans l'Écriture. C'est donc aux pieds de Jésus-Christ que les pécheurs doivent se jeter, à l'exemple de la pécheresse, pour obtenir le pardon de leurs fautes.

 

1. Nous en sommes persuadé, Dieu demande que nous vous entretenions des avertissements que nous donne sa parole dans les divines leçons; aussi, avec le secours de sa grâce, nous allons parler à votre charité de la rémission des, péchés.

Vous vous êtes montrés fort attentifs pendant qu'on lisait l'Évangile, et la scène rapportée semblait se renouveler sous vos yeux. Vous avez vu en effet, non pas de l'œil du corps, mais de 1'œil du coeur, Notre Seigneur Jésus-Christ à table dans la maison d'un pharisien; invité par lui, le Fils de Dieu n'avait pas dédaigné d'accepter. Vous avez vu aussi une femme fameuse ou plutôt diffamée pour ses désordres dans toute la ville, entrant hardiment dans la salle à manger où était son médecin et cherchant la santé avec une sainte impudeur. Si son entrée importunait les convives, elle venait pourtant fort à propos réclamer un

 

1. Luc, VII, 36-60.

 

bienfait. Ah ! elle savait combien profonde était sa plaie et combien était capable de la guérir Celui à qui elle s'adressait. Elle se mit donc, non pas à la tête, mais aux pieds du Seigneur, pieds sacrés qui lui rappelaient les fausses démarches auxquelles elle s'était abandonnée trop longtemps. Elle commença par répandre des larmes, c'était le sang de son coeur, et comme pour faire l'aveu de ses désordres, elle en arrosa les pieds du Seigneur, les essuyant de ses cheveux, les baisant et les parfumant. Elle parlait sans rien dire; mais sans prononcer de paroles, quelle dévotion elle faisait éclater !

2. Or, en lui voyant toucher ainsi le Seigneur, à qui elle arrosait, baisait, essuyait et parfumait les pieds, le Pharisien qui avait invité Jésus-Christ et qui était du nombre de ces hommes superbes dont parle le prophète Isaïe quand il s'exprime ainsi : « Ce sont eux qui disent : Eloigne-toi de (433) moi, garde-toi de me toucher; car je suis pur (1),» s’imagina que le Sauveur ne connaissait pas cette femme. Il réfléchissait en lui-même et disait dans son coeur : « Si cet homme était un prophète, il connaîtrait quelle est cette femme qui lui touche les pieds. » Si donc il se figura que Jésus ne la connaissait point, c'est qu'il ne la repoussait pas, c'est qu'il ne l'empêchait point de l’approcher, c'est qu'il se laissait toucher par cette pécheresse. Quelle autre preuve avait-il que le Sauveur ne la connaissait point ? Si pourtant il la connaissait, ô Pharisien, qui as invité le Seigneur à ta table et qui le censures? Tu traites ton Seigneur, et tu ignores que c'est lui qui doit te nourrir. Comment sais-tu qu'il ne connaissait pas cette femme ? C'est que par elle il se laissa baiser, essuyer et parfumer les pieds. Il ne devait donc pas permettre à cette impure de toucher ainsi ses pieds sacrés ? Ah! si une semblable s'était approchée des pieds de ce Pharisien, il aurait dit sans aucun doute ce qu'Isaïe prête à ces orgueilleux: « Eloigne-toi de moi, garde-toi de me toucher, car je suis pur. » Mieux avisée, elle s'approcha du Seigneur, afin de revenir purifiée de ses souillures, guérie de sa maladie, publiquement justifiée après une confession publique.

3. En effet le Seigneur entendit la pensée du Pharisien. Mais s'il peut entendre des pensées, ne saurait-il, ô Pharisien, voir des péchés qui se commettent ? Il parla alors, par forme de comparaison, de deux débiteurs d'un même créancier; et c'était pour guérir son hôte, pour ne pas recevoir de lui une hospitalité purement gratuite. Ah! il avait faim de celui qui lui donnait à manger; il voulait le laver, l'immoler, le manger aussi, et se l'incorporer. C'est ainsi qu'il avait dit à la Samaritaine : « J'ai soif (2). » Qu'est-ce à dire, « J'ai soif? » J'ai besoin de ta foi. Il y a donc une comparaison analogue dans les paroles du Sauveur; au Pharisien; et ces paroles atteignent un double but : elles doivent guérir l'hôte de Notre-Seigneur Jésus-Christ et tous les convives, car tous le voient et le méconnaissent également; elles doivent aussi inspirer à la pécheresse la juste confiance que méritent ses aveux et la délivrer des remords déchirants de sa conscience.

« Un des débiteurs devait au créancier cinquante deniers et l'autre cinq cents; il leurrerait la dette à tous deux : lequel l'aime le glus ? » Le Pharisien à qui s'adressait cette parabole, répondit comme l'exigeait la raison même: « Celui, je

 

1 Isaïe, LXV, 5. — 2. Jean, IV, 7.

 

pense, à qui il a le plus remis. » Et regardant cette femme il poursuivit, s'adressant toujours à Simon: « Vois-tu cette femme? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m'as pas donné d'eau pour « mes pieds; elle me les a lavés de ses larmes et essuyés de ses cheveux. Tu ne m'as point donné de baiser; et depuis qu'elle est entrée, elle n'a cessé de me baiser les pieds. Tu n'as point répandu d'huile sur ma tête; mais elle a répandu des parfums sur mes pieds. C'est pourquoi je te le dis : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui on remet moins, aime aussi moins. »

4. Ici s'élève une question que sûrement il nous faut résoudre. Elle a besoin de toute l'attention de votre charité, car à cause du temps qui nous presse, il est à craindre que nos paroles ne suffisent pas poux en dissiper les ombres et y répandre la lumière. Le corps, d'ailleurs, est, épuisé par ces chaleurs, et il a besoin de repos; et pendant qu'il réclame ce qui lui est dû, il nous empêche d'apaiser la faim de l'âme et vérifie ainsi cette parole: « L'esprit est prompt, mais la chair est faible (1). »

Il est donc à craindre et fort à craindre qu'on ne comprenne pas bien ce que le Seigneur disait à Simon. Ceux qui flattent les convoitises de la chair et qui n'ont pas le courage de s'en affranchir, pourraient se- dire comme disaient, au rapport de l'Apôtre Paul, en entendant la prédication des Apôtres eux-mêmes, certaines langues mauvaises qui leur imputaient cette maxime : « Faisons le mal, pour qu'il en arrive du bien (2). » On répète en effet : S'il est vrai que celui à. qui on remet peu aime peu, et s'il est plus avantageux d'aimer davantage que de moins aimer; péchons beaucoup, contractons beaucoup de dettes, et le désir d'en obtenir le pardon fera que nous aimerons davantage Celui qui nous l'accordera généreusement. Cette pécheresse n'eut-elle pas pour son créancier une affection d'autant plus vive qu'elle lui était plus redevable? N'est-ce pas le Seigneur en personne qui disait : « Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé ? » Et pourquoi a-t-elle beaucoup aimé, sinon parce qu'elle devait beaucoup? Enfin c'est lui encore qui a dit pour compléter sa pensée : « Celui à qui on pardonne peu, aime peu aussi. » Afin donc d'aimer davantage mon Seigneur, ajoute-t-on, ne suis-je pas intéressé à ce qu'il me soit pardonné beaucoup, plutôt que peu ? — Vous

 

1. Matt. XXVI, 41. — 2. Rom. III, 8.

 

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voyez sûrement combien cette question est profonde; oui, vous le voyez. Mais vous voyez aussi comme le temps nous presse; oui, vous le voyez encore, et de plus vous le sentez.

5. Je m'expliquerai donc en peu de mots; et si je n'éclaircis pas suffisament cette grande question, prenez note de ce que je dis maintenant et considérez-moi comme votre débiteur pour l'avenir.

Afin d'expliquer plus clairement ma pensée par des exemptés, supposons deux hommes, dont l'un est chargé de crimes et a longtemps vécu dans d'affreux désordres, tandis que l'autre n'a fait que peu de péchés. Tous deux se présentent pour recevoir la grâce, ils sont baptisés tous deux. Entrés comme débiteurs, ils sortent sans plus rien devoir; mais il a été remis à l'un beaucoup plus qu'à l'autre. J'examine maintenant quel est l'amour de chacun. Si réellement il y a plus d'amour dans celui à qui il a été remis plus de péchés, il lui est avantageux d'avoir péché davantage, puisque ses iniquités plus nombreuses ont servi à enflammer sa charité. Je sonde ensuite la charité de l'autre; il doit en avoir moins; car si je constate qu'il en a autant que le premier auquel il a été pardonné davantage, quelle sera mon attitude en face des paroles du Seigneur? Comment sera vraie cette sentence de la Vérité même : « Celui à qui on remet peu, aime peu? » — Il m'a été peu remis, dira quelqu'un, car je n'ai pas beaucoup péché; néanmoins j'aime autant que cet homme à qui il a été remis beaucoup. — Mais est-ce toi qui dis vrai, ou est-ce le Christ? T'a-t-il pardonné cette assertion mensongère pour te permettre de calomnier ton Bienfaiteur? S'il t'a remis peu, tu aimes peu ; car si tu aimais beaucoup quoiqu'il te fût peu remis, ce serait un démenti donné à cette maxime : « Celui à qui on remet peu, aime peu. » Je le crois donc plutôt que toi, car il te connaît mieux que tu ne te connais, et je soutiens qu'en te figurant qu'on t'a peu remis, tu aimes peu. — Que devais je donc faire, reprend mon interlocuteur ? Commettre plus de crimes, afin d'avoir à me faire pardonner plus et de pouvoir aussi aimer davantage ? — C'est nous presser vivement. Daigne le Seigneur, dont nous étudions l'infaillible parole, nous délivrer de ces difficultés.

6. Le Sauveur, en énonçant cette maxime, avait en vue ce pharisien qui s'imaginait n'avoir que peu ou même point de péchés. De fait, il n'aurait pas invité le Seigneur, s'il ne l'eût aimé tant soit peu. Mais que son amour était froid! Point de baiser, et sans parler de larmes, pas même un peu d'eau pour lui laver les pieds; aucun enfin de ces hommages que lui rendit cette femme qui savait mieux ce qu'elle avait à guérir et à qui elle se devait adresser. Si tu aimes si peu, ô Pharisien, c'est que tu te figures qu'on te remet peu; ce n'est pas que réellement on te remette peu, c'est que tu te le figures: — Quoi donc! reprend-il; je n'ai pas commis d'homicide, dois-je passer pour meurtrier? Je n'ai pas souillé la couche d'autrui, dois-je porter le châtiment des adultères? Ai-je enfin besoin qu'on me pardonne les crimes que je n'ai pas faits?

Revenons aux deux hommes que nous avons mis en scène, et de nouveau adressons-leur la parole. L'un vient en suppliant; c'est un pécheur hérissé de crimes comme un hérisson, et aussi timide que le lièvre poursuivi. Mais aux lièvres comme aux hérissons la pierre sert de refuge (1). Il accourt donc vers la Pierre mystérieuse, il y trouve un abri et un appui. L'autre a moins péché. Quel moyen employer pour le porter à aimer beaucoup? Que lui dire? Démentirons-nous ces paroles du Seigneur : « Celui à qui on remet peu, aime peu? »

Eh bien! oui, il aime peu, celui à qui on remet peu. Mais dis-moi, ô toi qui prétends avoir fait peu de mal, pourquoi? sous la direction de qui as-tu évité le mal? Grâces à Dieu, car vos applaudissements et vos cris indiquent que vous avez compris. Ainsi la question est résolue. Celui-ci a commis beaucoup de fautes et il a contracté beaucoup de dettes; celui-là, avec l'assistance de Dieu, en a commis peu. Si donc l'un      lui attribue le pardon obtenu, l'autre lui rend grâces des fautes évitées. Tu ne t'es pas rendu coupable d'adultère durant cette vie passée dans l'ignorance, dans les ténèbres, quand tu ne distinguais pas le bien du mal et que tu ne croyais pas encore en ce Dieu qui te conduisait à ton insu; c'est que réellement je t'amenais à moi,  je te conservais pour moi, te dit ton Seigneur. Si tu n'as point commis d'adultère, c'est que personne ne t'y a porté; et si personne ne t'y a porté, c'est moi qui en suis cause. Le temps et le lieu t'ont manqué; je suis cause qu'ils t'ont manqué. On t'y a porté, le temps et le lieu étaient favorables; c'est moi qui par des terreurs secrètes t'ai empêché d'y consentir. Ah ! reconnais donc ma bonté, puisque tu m'es redevable même de

 

1. Ps. CXIII, 18.

 

ce que tu n'as point fait. Tel m'est obligé parce que, sous tes yeux, je lui ai pardonné ce qu'il a fait; tu me l'es, toi, de ce que tu n'as pas fait. Car il n'est aucun péché commis par un homme, que ne puisse commettre un autre homme, s'il n'est assisté par l'Auteur même de l'homme.

7. Ainsi nous avons résolu en bien peu de temps cette profonde question, et si nous ne l'avons pas résolue, regardez-nous, je le répète, comme votre débiteur : occupons-nous donc au plus tôt et en peu de mots, de la rémission des péchés.

Le Christ était regardé comme un homme, et par celui qui l'avait invité et par ceux qui étaient à table avec lui; mais la pécheresse ne voyait-elle pas en lui quelque chose de plus? Quel était en effet le motif de sa conduite, sinon d'obtenir la rémission de ses péchés? Elle savait donc que le Seigneur pouvait les lui remettre, et eux savaient qu'un homme en était incapable. Il faut même admettre que tous, les convives et la femme qui se tenait aux pieds du Sauveur, croyaient qu'il est impossible à un homme quelconque de pardonner les péchés. Or tous sachant cela, la pécheresse voyait dans Jésus plus qu'un homme, puisqu'elle espérait de lui la rémission de ses fautes. Quant aux autres, Jésus ayant dit à cette femme : « Tes péchés te sont remis, » ils s'écrièrent aussitôt. « Quel est celui-ci, qui remet les péchés même? » Quel est celui-ci, que connaît déjà la pécheresse?

Si tu es à table, toi, comme jouissant de la santé et si tu méconnais le médecin, n'est-ce point parce qu'une fièvre plus violente t'a troublé l'esprit? Ne pleure-t-on pas souvent un phénétique riant aux éclats? Vous avez pourtant raison de croire, d'être intimement convaincus qu'un homme ne saurait effacer les iniquités. D'où il suit qu'en attendant du Christ le pardon des siennes, cette femme voit en lui plus qu'un homme, elle reconnaît qu'il est Dieu. « Quel est celui-ci, disent-ils, qui remet les péchés même? » A cette question : « Quel est celui-ci? » Jésus ne répond pas : c'est le Fils de Dieu c'est le Verbe de Dieu; mais les laissant quelque temps avec les idées qu'ils se faisaient de lui, il résout le problème qui excitait leurs alarmes; car s'il voyait leurs personnes, il entendait leurs pensées. Se tournant vers la pécheresse, il lui dit donc : « Ta foi t'a sauvée. » — « Quel est celui-ci, qui remet les péchés même? » Que ceux qui me regardent comme un homme continuent à me considérer comme un homme : « Toi, c'est ta foi qui t'a sauvée. »

8. Médecin généreux, il ne se contentait pas de guérir les malades qui étaient là, il avait aussi en vue les malades qui viendraient ensuite. Il devait venir effectivement des hommes qui diraient : C'est moi qui remets les péchés, c'est moi qui justifie, moi qui sanctifie, moi qui guéris tous ceux que je baptise. De ce nombre sont aussi ceux qui répètent : « Garde-toi de me toucher ; » et ils sont si bien de ce nombre que dernièrement, comme vous pouvez vous en assurer par la lecture des Actes, le Commissaire leur ayant offert de s'asseoir avec nous pendant notre conférence (1), ils crurent devoir répondre que d'après l'Ecriture ils ne pouvaient s'asseoir avec des hommes tels que nous. Ils craignaient sans doute que la contagion prétendue de notre iniquité ne se communiquât à eux parle contact même de nos sièges. N'était-ce pas dire : « Garde-toi de me toucher, car je suis pur? » L'occasion favorable s'étant présentée un autre jour, nous leur rappelâmes combien il était vain et misérable, quand il s'agissait de l'Eglise, de s'imaginer que dans son sein le contact des méchants souille les bons. Nous leur demandâmes si c'était bien pour ce motif qu'ils refusaient de siéger au milieu de nous. Ils répondirent que l'Ecriture inspirée leur faisait réellement cette défense, puisqu'il y est dit : « Ne t'asseois pas dans une assemblée de vanité. » Nous répliquâmes : Si le motif pour lequel vous refusez de prendre place au milieu de nous vient de ce qu'il est écrit : « Ne t’asseois pas dans une assemblée de vanité; » pourquoi donc, êtes-vous entrés avec nous, puisqu'il est aussi écrit, immédiatement après : « Et je n'entrerai pas avec ceux qui commettent l'iniquité (2)? »

Aussi quand ils répètent : « Garde-toi de me toucher, car je suis pur, » ils ressemblent à ce Pharisien qui avait invité le Seigneur et qui s'imaginait qu'il ne connaissait pas la pécheresse, puisqu'il ne l'empêchait pas de lui toucher les pieds. Et encore le Pharisien valait-il mieux qu'eux, parce que regardant le, Christ comme un homme, il ne croyait pas qu'il pût comme homme remettre les péchés. Oui, les Juifs montraient plus d'intelligence que n'en montrent les hérétiques. Que disaient en effet les Juifs? « Quel est celui-ci, qui remet les péchés même? » Un homme ose-t-il bien s'arroger ce pouvoir?

 

1. La conférence de Carthage. Voir lettre 164, etc. — 2. Ps. XXV, 4.

 

436

 

Et l’hérétique ? C’est moi qui les remets, c’est moi qui purifie, c'est moi qui sanctifie. O hérétique, écoute, non pas ma réponse, mais, celle du Christ. O homme, s'écrie-t-il, quand les Juifs me considéraient comme un homme, c'est à la foi que j’attribuai la rémission des péchés. Pour toi, ô hérétique, toi qui n’es qu'un homme, (c’est toujours le Christ et non pas moi qui parle,) tu oses dire à cette femme : Viens, c'est moi qui te sauve ? Et moi, quand on me prenait pour un homme, je disais au contraire : Va, ta foi t'a sauvée. »

9. « Sans savoir, comment s’exprime l'Apôtre, ni ce qu’ils disent, ni ce qu'ils affirment (1), » ils répondent : Si les hommes ne remettent pas les péchés; le Christ a donc eu tort de dire : « Ce que vous délierez sur la terre sera délié aussi dans le ciel (2) » Mais tu ignores dans quel dessein et, dans quelles circonstances il a parlé ainsi. Le Seigneur avait donné aux hommes l'Esprit-Saint, et il voulait faire entendre que ce serait à l’Esprit-Saint lui-même et  non à des mérites humains que ses fidèles seraient redevables dans la rémission des péchés. Qu'est-ce en effet que l'homme, sinon un malade à.guérir? Tu prétends me servir de médecin : ah ! viens plutôt en chercher, un avec moi. Afin donc de montrer avec donc de montrer avec plus de clarté que les péchés seraient remis par l’Esprit-Saint, donné par lui aux fidèles, et non par les mérites de quelques hommes, le Seigneur dit quelque part, après sa résurrection d'entre les morts : « Recevez le Saint-Esprit, » et après ces mots : « Recevez le Saint-Esprit, » il ajoute aussitôt « les péchés seront remis à qui vous, les, remettrez (3) ; » en, d'autres termes : c'est l'Esprit-Saint qui les remet, et non pas vous. Or cet Esprit est Dieu. C'est donc par Dieu et non point par vous, que les péchés sont remis. Mais vous, qu’êtes vous par rapport à l’Esprit Saint? « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous (4) ? » — « Ne savez-vous pas que vos corps sont en vous le temple de l'Esprit-Saint, que vous avez reçu  de Dieu (5) » Ainsi Dieu habite dans; son saint temple; c'est-à-dire dans ses, fidèles sanctifiés, oui dans son Eglise ; c'est par eux qu'il remet les. péchés, car ce sont des temples vivants.

10. Cependant, s'il remet les péchés par le ministère de l'homme, il peut aussi les remettre sans ce moyen. Pour donner par un autre, est-il

 

1. I Tim.I, 7. — 2. Matt. XVIII, 18. — 3. Jean, XX, 22, 23. — 4. I Cor. III, 18. — 5. Ibid. VI, 19.

 

moins capable de donner par lui-même? Il s’est servi de Jean pour donner à quelques-uns, de qui s’est-il pour donner à Jean? C'est une vérité que lui-même a voulu prouver et nous faire comprendre comme il était convenable. Quelques-uns de Samarie ayant, été évangélisés et baptisés, baptisés même par l’Évangéliste Philippe, l'un des sept premiers diacres choisis parmi les fidèles, n’avaient pas, malgré leur baptême, reçu l’Esprit-Saint.On porta cette nouvelle aux Apôtres qui étaient à Jérusalem, et il vinrent à Samarie afin de communiquer par l’imposition des mains le Saint-Esprit à ces baptisés. La chose eut lieu de cette manière : les Apôtres vinrent leur imposèrent les mains, et ils reçurent le Saint-Esprit, car on, voyait alors quand l'Esprit-Saint était donné ; ceux qui le recevaient parlaient toutes les langues, et c'était pour témoigner que l'Eglise devait se faire entendre par tout l’Univers. Ces baptisés de Samarie reçurent donc le Saint-Esprit, et il manifesta sa présence d'une manière sensible. Or, Simon s'en étant aperçu et s’imaginant que ce pouvoir appartenait aux hommes, voulut se le procurer et acheter à des hommes ce qu'il croyait leur appartenir. « Combien, voulez-vous  accepter d'argent pour me conférer la puissance de donner, le Saint-Esprit en imposant les mains? » Pierre alors, le repoussant avec horreur : « Il n'y a pour toi ni part, ni sont dans cette foi, dit-il. As-tu bien pu croire qu'on se procurât avec de l’argent le Don de Dieu? « Que ton argent périsse donc avec toi !»: On peut voir au même endroit les autres reproches également mérités, qu'il lui fit alors (1).

11. Mais pourquoi ai-je voulu; rapporter ce trait ? Que votre charité le remarque avec soin. Dieu, devait montrer d'abord qu'il agit par le ministère des hommes, et pour ôter à ces hommes la pensée de croire, comme Simon, que l'effet produit, par eux doit leur être attribué et non pas à Dieu, il devait montrer ensuite qu'il agit par lui-même. Les disciples, néanmoins, le savaient déjà, car, ils étaient réunis au nombre de cent vingt quand le Saint-Esprit descendit sur eux, sans que personne leur eût imposé les mains (2). Qui en effet les avait imposées? Il ne laissa pas toutefois de venir sur eux d'abord et de les remplir de lui-même.

Mais après le scandale donné par Simon, que fit le Seigneur? Voyez comme il instruit, non

 

1. Act. VIII, 5-23. — 2. Ib. I, 16 ; II,1, 4.

 

437

 

par des discours, mais par des oeuvres. Ce même Philippe, qui avait baptisé des habitants de Samarie, mais sans leur communiquer le Saint-Esprit, qu'ils n'auraient pas reçu, si les Apôtres n'étaient venus pour leur imposer les mains, baptisa l'eunuque de la reine Candace, qui venait d'adorer à Jérusalem et qui en retournant lisait sur son char le prophète Isaïe, mais sans le comprendre. Averti secrètement, Philippe s'approcha du char, expliqua le passage que lisait l'eunuque, lui enseigna la foi, lui annonça le Christ. L'eunuque crut aussitôt au Christ, et ayant rencontré de l’eau ; « Voilà de l‘eau; dit-il, qui empêche de me baptiser? » — « Crois-tu en  .Jésus-Christ, lui demanda Philippe? » —  « Je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu; » répondit-il, et soudain ils descendirent dans l'eau. Après les cérémonies du sacrement vie Baptême, le Ciel n'attendit pas encore une fois l'arrivée des Apôtres; mais pour empêcher d'attribuer aux hommes la collation du Saint-Esprit, le Saint-Esprit descendit sur le champ (1). Ainsi se trouvait dissipée la vaine idée de Simon, et c'était pour qu'à l'avenir nul ne pensât comme lui.

12. Voici un trait plus admirable encore. Pierre se rendit chez le Centurion Corneille, c'était un incirconcis, un gentil; il se mit à prêcher Jésus-Christ, à lui et à ceux qui étaient là. Or, pendant que Pierre parlait encore ; je ne dis pas, avant qu'il imposât les mains, mais avant même qu'il conférai le baptême, et pendant que ceux qui l'accompagnaient doutaient encore si l'on pouvait baptiser des incirconcis, car cette question s'était élevée avec scandale entre les Juifs devenus fidèles et les chrétiens convertis de la gentillité,

 

1. Act. VIII, 26-39.

 

lesquels pourtant avaient été baptisés dans l'incirconcision; donc pendant que Pierre parlait encore, l'Esprit-,Saint, pour trancher cette question, descendit tout-à-coup, remplit Corneille et ceux qui étaient avec lui (1). Ce grand évènement fût comme une voix qui disait à Pierre: Pourquoi hésiter de prendre l'eau sainte ? Ne suis-je pas ici?

13. Ainsi donc, quels que soient les désordres dont une âme a besoin d'être déchargée par la grâce de Dieu, quelles que soient les souillures et les prostitutions dont elle a besoin de se purifier dans l'Eglise, qu'elle prenne confiance, qu'elle croie, qu'elle se jette aux pieds du Seigneur, qu'elle cherche ces pieds sacrés, qu'elle tes arrose des larmes de ses aveux et les essuie de ses cheveux. Les pieds du Seigneur sont les prédicateurs de l'Evangile et les cheveux de la pécheresse sont les biens superflus. Qu'elle essuie, qu'elle essuie de ses cheveux les pieds divins qu’elle fasse des oeuvres de miséricorde; qu'après les avoir essuyés, elle les baise, qu'elle reçoive la paix, polir avoir la charité. Est-elle venue pour recevoir le baptême, à un ministre tel que l'Apôtre Paul? Qu'elle recueille de lui vos paroles : « Soyez mes imitateurs comme je le suis moi-même de Jésus-Christ (2) » A-t-elle eu pour la baptiser un homme qui cherche ses intérêts et non ceux du Christ Jésus (3) ? Qu'elle écoute le Seigneur disant lui-même : « Faites ce qu'ils enseignent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font (4). » Qu'elle s'appuie donc tranquillement sur Jésus-Christ, soit qu'elle ait eu affaire à un digne ministre, soit qu'elle en ait rencontré un autre qui ne fait pas ce qu’il dit car le Seigneur la rassure et lui dit : « Va, c'est ta foi qui t'a sauvée. »

 

1. Act. X. — 2. I Cor. IV,16. — 3. Philip. II, 21. — 4. Matt. XXIII, 3.

 

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