SERMON LXXXII
Précédente Accueil Remonter Suivante


rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

Accueil
Remonter
SERMON I
SERMON II
SERMON III
SERMON IV
SERMON V
SERMON VI
SERMON VII
SERMON VIII
SERMON IX
SERMON X
SERMON XI
SERMON XII
SERMON XIII
SERMON XIV
SERMON XV
SERMON XVI
SERMON XVII
SERMON XIX
SERMON XVIII
SERMON XX
SERMON XXI
SERMON XXII
SERMON XXIII
SERMON XXIV
SERMON XXV
SERMON XXVI
SERMON XXVII
SERMON XXVIII
SERMON XXIX
SERMON XXX
SERMON XXXI
SERMON XXXII
SERMON XXXIII
SERMON XXXIV
SERMON XXXV
SERMON XXXVI
SERMON XXXVII
SERMON XXXIX
SERMON XL
SERMON XLI
SERMON XLII
SERMON XLIII
SERMON XLIV
SERMON XLV
SERMON XLVI
SERMON XLVII
SERMON XLVIII
SERMON XLIX
SERMON L
SERMON LI
SERMON LII
SERMON LIII
SERMON LIV
SERMON LV
SERMON LVI
SERMON LVII
SERMON LVIII
SERMON LIX
SERMON LX
SERMON LXI
SERMON LXII
SERMON LXIII
SERMON LXIV
SERMON LXV
SERMON LXVI
SERMON LXVII
SERMON LXVIII
SERMON LXIX
SERMON LXX
SERMON LXXI
SERMON LXXII
SERMON LXXIII
SERMON LXXIV
SERMON XXXVIII
SERMON LXXV
SERMON LXXVI
SERMON LXXVII
SERMON LXXVIII
SERMON LXXIX
SERMON LXXX
SERMON LXXXI
SERMON LXXXII
SERMON LXXXIII
SERMON LXXXIV
SERMON LXXXV
SERMON LXXXVI
SERMON LXXXVII
SERMON LXXXVIII
SERMON LXXXIX
SERMON XC
SERMON XCI
SERMON XCII
SERMON XCIII
SERMON XCIV
SERMON XCV
SERMON XCVI
SERMON XCVII
SERMON XCVIII
SERMON XCIX
SERMON C
SERMON CI
SERMON CII
SERMON CIII
SERMON CIV
SERMON CV
SERMON CVI
SERMON CVII
SERMON CVIII
SERMON CIX
SERMON CX
SERMON CXI
SERMON CXII
SERMON CXIII
SERMON CXIV
SERMON CXV
SERMON CXVI
SERMON CXVII
SERMON CXVIII
SERMON CXIX
SERMON CXX
SERMON CXXI
SERMON CXXII
SERMON CXXIII
SERMON CXXIV
SERMON CXXV
SERMON CXXVI
SERMON CXXVII
SERMON CXXVIII
SERMON CXXIX
SERMON CXXX
SERMON CXXXI
SERMON CXXXII
SERMON CXXXIII
SERMON CXXXIV
SERMON CXXXV
SERMON CXXXVI
SERMON CXXXVII
SERMON CXXXVIII
SERMON CXXXIX
SERMON CXL
SERMON CXLI
SERMON CXLII
SERMON CXLIII
SERMON CXLIV
SERMON CXLV
SERMON CXLVI
SERMON CXLVII
SERMON CXLVIII
SERMON CXLIX
SERMON CL

SERMON LXXXII. CORRECTION FRATERNELLE (1).

 

ANALYSE. — Trois idées principales dans ce discours. Premièrement saint Augustin établit que nous sommes obligés de reprendre le prochain des fautes que, nous voyons, et de l'en reprendre pour l'amour de lui, et non par haine ni pour l'amour de nous. Il établit en second lieu que cette réprimande doit être secrète quand la faute est secrète, et publique si la faute est publique. Troisièmement, pratiquant lui-même le devoir de la correction fraternelle, il montre la gravité du péché de la chair, insiste sur la nécessité de se corriger au plus tôt et termine en disant qu'un pasteur n'est heureux que des progrès que font ses ouailles dans la vertu.

 

l. Notre-Seigneur nous interdit l'insouciance sur nos fautes réciproques; il veut que sans chercher matière à censure nous reprenions ce dont nous sommes témoins. On est, selon lui, propre à écarter l'herbe de l'œil de son frère, quand on n'a pas une poutre dans le sien. Qu'est-ce à dire ? Je vais l'expliquer en, peu de mots à votre

 

1. Matt. XVIII, 15-18.

 

362

 

charité. Le brin d'herbe dans l'œil, c'est la colère, et la poutre, la haine. Quand donc un coeur livré à la haine réprimande un homme irrité, il cherche à ôter l'herbe de l'oeil de son frère, mais il en est empêché par la poutre qu'il porte dans le sien (1). Le brin d'herbe est l'origine de la poutre, car la poutre en naissant n'est que de l'herbe. En arrosant cette herbe on en fait une poutre, et en nourrissant la colère de mauvais soupçons; on en fait de la haine.

2. Il y a une grande différence entre le péché de colère et le crime de haine. Nous nous irritons contre, nos propres enfants; mais qui de nous les hait ? Parmi les animaux mêmes on voit parfois une génisse fatiguée de son veau qui le tourmente le repousse avec colère : en a-t-elle moins pour lui l'affection d'une mère ? Il l'ennuie quand il l'a secoue en tettant, et s'il n'est point là elle le cherché. Corrigeons-nous nos enfants sans un peu de colère et d'indignation ? Et pourtant sans amour pour eux nous ne les corrigerions pas. La colère est si peu la haine, que le défaut de colère est plutôt en certains cas une preuve de haine. Suppose un enfant qui veut jouer dans un fleuve dont la rapidité l'expose à périr. Tu le vois et le laisses faire patiemment n'est-ce pas une preuve de haine ? Ta patience lui donne la mort. Ne vaudrait-il pas beaucoup mieux te fâcher et le corriger, que de le laisser périr en ne te fâchant pas ?

Il faut donc avant tout éviter la haine, rejeter la poutre de son oeil. Car il y a une grande différence entre celui qui outrepasse tant soit peu la mesure du langage dans l'émotion de la colère et qui en fait ensuite pénitence, et celui qui cache de noirs desseins dans son coeur. Il y a enfin une grande différence entre ces mots de l'Écriture : « Mes yeux sont obscurcis par la colère (2); » et ces autres paroles: « Qui hait son frère est homicide (3). » Grande différence aussi entre l'oeil obscurci et l'œil éteint; il est obscurci par le fétu, éteint par la poutre.

3. Ce dont il faut par conséquent nous persuader d'abord, c'est l'indispensable nécessité de n'avoir pas de haine, afin de pouvoir accomplir parfaitement l'obligation qui nous est enjointe aujourd'hui. Si la poutre ne te ferme pas l'oeil, tu peux voir clairement ce qu'il y a dans l'œil de ton frère, et tu éprouves le vif besoin d'en ôter ce qui lui est nuisible. La lumière qui t'éclaire ne te permet pas l’insouciance sur ce qui peut

 

1. Matt. VIII, 3-6. — 2. Ps. VI, 8. — 3. I Jean, III, 15.

éclairer ton frère. Mais si tu le hais et que tu veuilles le reprendre, comment peux-tu, sans plus voir clair, lui émonder la vue ? C'est ce qu'enseigne manifestement l'Écriture dans le passage où elle dit: « Qui hait son frère est homicide. — « Qui hait son frère, ajoute-t-elle, est encore dans les ténèbres (1). » Les ténèbres sont donc la haine.

Mais il est impossible de haïr autrui sans se nuire auparavant. On blesse à l'extérieur et on perd tout à l'intérieur. Plus néanmoins l'âme l'emporte sur le corps, plus aussi nous devons prendre garde de la blesser. Or on la blesse en haïssant autrui. Que peut-on en effet contre celui qu'on hait, que peut-on ? On lui ôte son argent, ruais peut-on lui ôter sa foi ? On ternit sa réputation, ternit-on sa conscience ? On ne saurait lui faire de dommage qu'à l'extérieur, mais observez où on s'en fait à soi-même. Celui qui hait son prochain, se hait lui-même dans l'âme. Mais comme il ne sent pas quel mal il se fait, il continue à frapper sur autrui, d'autant plus exposé au danger, qu'ils sent moins combien il se blesse, puisqu'en frappant au dehors il a perdu le sens intime. Tu te mets en fureur contre ton ennemi et dans ta fureur tu le dépouilles, mais tu te livres à l'iniquité. Quelle différence entre un homme dépouillé et un homme criminel ! Il a perdu sa fortune, mais toi, ton innocente. Lequel des deux a perdu davantage ? Il n'a perdu que ce qu'il devait perdre tu t'es condamné à périr toi-même.

4. Ainsi donc nous devons reprendre par amour; non pas chercher à nuire mais chercher it corriger. Avec cette heureuse disposition nous accomplirons merveilleusement le précepte qui nous est rappelé aujourd'hui. « Si ton frère a péché contre « toi, reprends-le entre toi et lui seul. » Pourquoi le reprendre ? Est-ce parce que tu es peiné d'avoir été offensé par lui ? Dieu t'en garde; car si tu agis pour l'amour de toi, tu ne fais rien; au lieu que si c'est par amour pour lui, ton acte est excellent. Distinguo dans ces paroles mêmes par quel principe tu dois agir, si c'est pour l'amour de toi ou pour l'amour de lui. « S'il t'écoute, dit le Sauveur, tu auras gagné ton frère. » Agis donc dans l'intention de le gagner. Mais si tu le gagnes en remplissant ce devoir, n'est-ce pas une preuve que sans lui il était perdu?

Comment, maintenant, un si grand nombre d'hommes font-ils si peu d'attention à ces sortes

 

1 I Jean, II, 9.

 

363

 

de péchés? Quel si grand mal ai-je fait, disent-ils? Je n'ai manqué qu'à un homme. N'en sois

pas sans souci. Tu n'as manqué qu'à un homme ! Veux-tu savoir qu'en lui manquant tu t'es perdu toi-même? Si celui à qui tu as manqué t'avait repris entre toi et lui seul, et que tu l'eusses écouté, il t'aurait gagné. Et pourquoi t'aurait-il gagné, sinon parce que sans lui tu étais perdu ? Car si tu n'étais perdu, comment aurait-il pu te gagner ? Que nul donc ne reste indifférent après avoir manqué à son frère. L'Apôtre ne dit-il pas quelque part : « En péchant de la sorte contre vos frères et en blessant leur conscience faible, vous péchez contre le Christ (1) ? » C'est qu'effectivement nous sommes devenus les membres du Christ. Or, comment ne pécher pas contre le Christ, quand on pèche contre ses membres?

5. Loin donc de tous ce langage : Puisque je n'ai pas péché contre Dieu, mais seulement contre mon frère, contre un homme, ce péché est léger, si même c'est un péché. Dis-tu qu'il est léger parce qu'il est bientôt effacé ? Eh bien ! quand tu as manqué à ton frère, fais une réparation suffisante, et tues guéri. Tu as fait en un moment un acte mortellement coupable, mais aussi tu n'as pas été long à y trouver le remède. Eh! mes frères, qui de nous espèrera le royaume des cieux en face de ces mots de l'Évangile : « Celui qui traitera son frère de fou sera condamné à la géhenne du feu ? » Quel sujet d'épouvante! mais voici qui. nous rassure : « Si tu présentes ton offrande à l'autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande devant l'autel. » Dieu ne se mécontentera point de ton retard à présenter ton offrande, c'est toi qu'il cherche plutôt que tes dons. Si tu viens à lui l'offrande à la main, mais le coeur ulcéré contre ton frère, il te répondra : Tu es mort, que peux tu m'offrir ? Tu apportes ton offrande à ton Dieu, sans t'offrir toi-même à lui? Le Christ est plus avide de ce qu'il a racheté par son sang, que de ce que tu tires de ton grenier. Ainsi donc « laisse-là ton présent devant l'autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère ; revenant alors tu offriras ton don (2). » Que cette condamnation, à la géhenne a été promptement levée ! Tu étais sous le poids de cette condamnation, avant de t'être réconcilié; une fois réconcilié, tu peux, offrir tranquillement tes dons à l'autel.

6. Mais hélas ! on se laisse aller, facilement      à l'outrage et on se porte difficilement à rétablir

 

1. II Cor. VIII, 12. — 2. Matt. V, 22-24.

 

la paix. Demande pardon à cet homme que tu as offensé, à cet homme que tu as blessé, dit-on. — Je ne m'humilierai pas, répond le coupable. — Si tu dédaignes ton frère, écoute au moins ton Dieu : « Qui s'abaisse sera élevé (1). » Tu ne veux pas t'humilier et tu t'es laissé tomber ? Quelle différence toutefois entre un homme qui s'incline et un homme qui est tombé! Tu es tombé et tu ne veux pas t'abaisser ! Tu pourrais dire : Je refuse de descendre, si tu avais refusé de te laisser tomber.

7. Tel est le devoir de celui qui a fait injure à autrui. Mais que doit faire celui qui l'a soufferte? Ce qui nous a été rappelé aujourd'hui : « Si ton frère a péché contre toi, reprends-le entre toi et lui seul. » Il deviendra plus méchant, si tu négliges de le reprendre. Il t'a manqué, et en te manquant il s'est fait une profonde blessure : tu n'as aucun souci de la blessure de ton frère ? Tu le vois périr, peut-être.est-il déjà mort, et tu ne t'en inquiètes pas ? Tu fais plus de mal par ton silence qu'il n'en a fait en t'outrageant.

Quand donc quelqu'un nous blesse, soyons attentifs et vigilants, mais non pas dans notre intérêt, car il est glorieux d'oublier les outrages. Oublie donc l'injure qui t'est faite, mais non pas la blessure dont souffre ton frère. « Reprends-le entre toi et lui seul; » cherchant à le ramener et lui épargnant la honte. Peut-être en effet la honte le porterait-il à prendre la défense de sa faute, et l'aggraverait-il au lieu de s'en corriger. « Reprends-le donc entre toi et lui seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère, » puisque sans toi il était perdu. Mais s'il ne t'écoute

pas, » s'il soutient son péché comme un acte de justice, « prends avec toi deux ou trois personnes, parce que sur la parole de deux ou trois témoins tout est, avéré. Si même il ne les écoute point, réfères-en à l'Église. Si enfin il n'écoute pas l'Église qu'il te soit comme un

païen et un publicain. » Ne le mets plus au nombre de tes frères. On ne doit pas toutefois négliger son salut. Sans doute, nous ne comptons point parmi nos frères les gentils et les païens ; nous cherchons cependant à procurer leur salut.

Voilà donc les avertissements que vient de nous donner le Sauveur, et il tient à l'observation de ces préceptes jusqu'à dire aussitôt après : « En vérité je vous le déclare, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié aussi dans le ciel; et tout

 

1. Luc, XIV, II.

 

364

 

ce que vous délierez sur la terre sera dans le ciel également délié. » En commençant à regarder ton frère comme un publicain, tu le lies sur la terre: mais prends garde de ne pas le lier injustement, car les liens injustes sont rompus par la justice. Au contraire, lorsque tu le reprends et que tu fais la paix avec lui, c'est ton frère que tu délies sur la terre; et lorsque tu l'auras délié sur la terre, il sera également délié dans le ciel. Quel service tu rends alors, non pas à toi mais à lui, car c'est à lui qu'il a fait du mal et non à toi.

8. Puisqu'il en est ainsi, que veut dire Salomon par ces paroles d'une première leçon que nous avons entendue aujourd'hui ? L'oeil flatteur est une source de chagrins; mais reprendre en public, c'est établir la paix (1). » Mais s'il est vrai que reprendre publiquement ce soit établir la paix, comment est-il dit: « Reprends-le entre loi et lui seul ? » N'est-il pas à craindre que ces divins préceptes ne soient opposés l'un à l'autre ?

Comprenons au contraire qu'ils sont entr'eux du plus parfait accord; n'imitons pas ces hommes vains qui s'imaginent faussement qu'il y a opposition entre les livres des deux Testaments, l'Ancien et le Nouveau; et ne nous figurons pas que ces deux pensées soient contraires parce que l'une est tirée d'un livre de Salomon, et l'autre de l'Évangile.

Supposons en effet qu'un accusateur ignorant des divines Écritures vienne à dire : Voici une contradiction manifeste entre les deux Testaments. « Reprends-le entre toi et lui seul, » dit le Seigneur. Salomon au contraire : « Reprendre en public, c'est établir la paix. » Ne s'ensuit-il Vas que le Seigneur ignorait la pensée de Salomon? Celui-ci veut briser le front superbe du pécheur; le Christ veut au contraire qu'on lui épargne la honte. L'un dit : « Reprendre en public, c'est établir la paix; et l'autre: Reprends-le entre toi et lui seulement; » non pas en public, mais en particulier et en secret. — Eh bien ! toi qui fais ces réflexions, veux-tu savoir que ces deux sentences, l'une de Salomon et l'autre de l'Évangile, ne prouvent point l'opposition des deux Testaments? Écoute l'Apôtre, il est sûrement un ministre du Testament nouveau. Écoute-le donc, il écrit et il donne ce précepte à Timothée : « Reprends ceux qui pèchent, devant tout le monde, afin que les autres en conçoivent

 

1. Prov. X, 10, Sel. LXX.

 

souvent de la crainte (1). » Ce n'est plus ici un livre de Salomon, c'est une épître de l'Apôtre Paul qui semble en contradiction avec l'Évangile. Pour le moment, et sans mépris, mettons de côté Salomon; puis prêtons l'oreille au Christ Notre-Seigneur et à son serviteur Paul.

Que dites-vous donc, Seigneur? « Si ton frère pèche contre toi, reprends-le entre toi et lui seulement. » Et vous Apôtre? « Reprends ceux qui pèchent, devant tout le monde, afin que tous les autres en conçoivent de la crainte. »» Que conclure ? Entendre ce débat pour le juger? Dieu nous en préserve. Soyons plutôt soumis an juge et frappons pour obtenir qu'il nous ouvre, réfugions-nous sous les ailes du Seigneur notre Dieu. Il n'a rien dit qui fût contraire à ce qu'a dit depuis son Apôtre, car c'est lui qui parlait par la bouche de celui-ci. « Voulez-vous, dit Paul, éprouver celui qui parle en moi, le Christ (2)? » Le Christ parle dans l'Évangile et il parle dans son Apôtre : de lui viennent donc les deux propositions; il a exprimé l'une par sa bouche, et l'autre par la bouche de son héraut. Lorsque parmi nous le héraut parle du haut du tribunal, on n'écrit point dans les Actes : Le héraut a dit; on attribue les paroles à celui qui a commandé au héraut de les prononcer.

9. Essayons donc, mes frères, de bien comprendre ces deux préceptes et de nous entendre avec chacun d'eux. Soyons en paix avec notre conscience et nous ne découvrirons nulle part de contrariété dans les Saintes Écritures. Oui ces deux commandements sont également et absolument bons, mais il faut savoir la nécessité d'observer tantôt l'un et tantôt l'autre. Parfois donc il faut reprendre son frère entre soi et lui seulement; parfois aussi il le faut reprendre devant tout le monde, afin que les autres en conçoivent de la crainte. En agissant ainsi nous ne nous écarterons point du sens des Écritures et nous ne nous tromperons pas en les prenant pour guides. On me demande : A quels moments divers accomplir chacun de ces préceptes ? Je crains de faire la correction secrète quand elle doit être publique, et publique quand il faut qu'elle soit secrète.

10. Votre charité comprendra vite le devoir de chaque moment; et puissions-nous ne pas différer de l'accomplir ! Appliquez-vous et saisissez. « Si ton frère pèche contre toi, dit le Sauveur, reprends-le entre toi et lui seulement. » Pourquoi le reprendre? Parce qu'il a péché contre toi.

 

1 I Tim, V, 20. — 2. II Cor. XIII, 3.

 

365

 

Qu'est-ce à dire il a péché contre toi? C'est-à-dire que tu sais qu'il a péché. C'est en secret qu'il

a péché contre toi, tu dois l'en reprendre en secret. Puisque seul tu connais son péché contre toi, il est sûr que le reprendre devant tout le monde, ce ne serait pas le corriger, mais le diffamer.

Considère avec quelle bonté l'homme juste pardonna le crime énorme dont il soupçonna son épouse avant de savoir comment elle avait conçu. Joseph la voyait enceinte, il savait de plus ne l'avoir pas approchée: Pouvait-il n'être pas sûr d'un adultère? Mais il était seul à s'apercevoir, à connaître. Aussi, que dit de lui l'Évangile ? « Comme Joseph était un homme juste et ne « voulait pas la diffamer. » Sa douleur d'époux ne chercha point à se venger. Au lieu de punir la coupable, il voulut la servir. Donc, « comme il ne voulait point la diffamer, il eut la pensée de la laisser secrètement. » Mais comme il s'occupait de ce dessein, un, Ange du Seigneur lui apparut en songe; il lui révéla la vérité et lui apprit que Marie n'avait point violé là foi conjugale, mais qu'elle avait conçu, du Saint-Esprit, le Seigneur même des deux époux (1).

Ton frère donc a péché contre toi; il n'a vraiment péché que contre toi, si seul tu connais sa faute. Mais s'il t'a manqué devant plusieurs, il a aussi péché contre eux, puisqu'il en a fait les témoins de son iniquité. Je vais en effet, mes très-chers frères, vous faire un aveu que chacun de vous pourrait me faire de son côté. Si devant moi on outrage mon frère, je n'ai garde de me considérer comme étranger à cette injure; elle me blesse sûrement aussi, elle me blesse même davantage, puisqu'en la faisant on croyait que j'y prendrais plaisir. Qu'on reprenne donc devant tout le monde les fautes commises devant tout le monde, et plus secrètement, les fautes plus secrètes. Distinguez les temps, et l'Écriture s'accorde avec elle-même.

11. Agissons ainsi, car c'est ce que nous devons faire, non-seulement lorsqu'on nous offense, mais encore lorsqu'on pèche en secret. C'est en secret qu'il nous faut alors corriger et re.prendre; nous pourrions, en cherchant à réprimander publiquement, diffamer le coupable. Nous voulons, disons-nous, le corriger, le reprendre: mais si un ennemi cherche à savoir sa faute parle faire alunir? Ainsi, par exemple, l'évêque connaît l'auteur d'un meurtre, et nul autre que

 

1. Matt. I, 19, 20.

 

lui ne le connaît. J'entreprends de le censurer publiquement, mais tu veux, toi, le dénoncer à la justice. Je prends donc le parti de ne pas le diffamer et toutefois je ne le laisse pas en repos sur son crime : je le réprimande en particulier, je lui mets sous les yeux le jugement divin, je cherche à effrayer sa conscience coupable, je le porte à faire pénitence. Telle est la charité qui doit nous animer.

On nous reproche quelquefois de ne pas flageller le vice: c'est qu'on suppose que nous savons ce que nous ignorons ou que nous ne disons rien de ce que nous savons. Je sais peut-être ce que tu sais, mais je n'en reprends pas devant toi, parce que je veux panser et non pas accuser. Il est des hommes qui commettent l'adultère dans leurs propres demeures, ils pèchent en secret. Il arrive que leurs épouses nous en avertissent; c'est souvent par jalousie et quelquefois pour le salut de leurs .époux. Nous n'avons garde de parler de cela en public, nous en faisons de secrets reproches. Que le mal s'éteigne là où il s'est allumé. Ah ! nous n'oublions pas cette plaie profonde; nous montrons d'abord au coupable, dont la conscience est si malade, que ce péché est mortel. Car il est hélas! des hommes si étrangement pervertis, qu'ils ne s'en inquiètent pas après l'avoir commis. Sur quels frivoles et vains témoignages s'appuient-ils pour affirmer que Dieu ne s'occupe pas des péchés charnels? Ont-ils oublié ce qui nous a été répété aujourd'hui : « Dieu juge les fornicateurs et les adultères ? » Attention ! pauvre malade. Écoute ce que Dieu t'enseigne et non ce que te disent ni ton coeur pour te porter au crime, ni ton ami, ou plutôt ni un homme qui est ton ennemi comme le sien propre et qui est chargé des mêmes chaînes d'iniquité que toi. Écoute donc ce que te dit l'Apôtre : « Que le mariage soit honorable en toutes choses et le lit nuptial sans souillure. Dieu juge les fornicateurs et les adultères. »

12. Allons, mon frère, corrige-toi. Tu crains d'être dénoncé par ton ennemi, et tu ne crains pas d'être jugé par Dieu ? Où est ta foi ? Crains quand il y a lieu de craindre. Le jour du jugement est loin encore ; mais le dernier jour de chacun de nous ne saurait être éloigné, parce que la vie est de courte durée. Et comme cette durée est non-seulement courte, mais toujours incertaine, tu ne sais quand viendra ton dernier jour. Corrige-toi aujourd'hui à cause de l’incertitude

 

1. Hébr. XIII, 4.

 

366

 

de demain. Profite à l'instant de la réprimande que je te fais en secret. Je parle en public, il est vrai, mais je reprends secrètement. Mes paroles vont à toutes les oreilles, mais quelques consciences seulement en sont frappées. Si je disais : Toi, tu es un adultère, corrige-toi, je dirais d'abord ce que je puis ignorer; peut-être aussi serait-ce un soupçon fondé sur ce que j'ai entendu avec légèreté. Je ne dis donc pas : Tu es un adultère, corrige-toi; je dis : Quiconque est ici adultère doit se corriger. L'avertissement est public, la réprimande est secrète, et je sais que si on a la crainte de Dieu on se corrige.

13. Qu'on ne, dise donc pas en son coeur : Dieu ne s'occupe pas des péchés charnels. « Ne savez-vous, dit l'Apôtre, que vous êtes le temple de Dieu et.que l'Esprit de Dieu habite en vous? Quiconque profane le temple de Dieu, Dieu le perdra (1). » Qu'on ne se fasse pas illusion.

On dira peut-être encore: Mon âme et non mon corps est le temple de Dieu; on s'appuiera même sur cette autorité : « Toute chair n'est que de l'herbe, et toute sa gloire n'est que la fleur de l'herbe (2). ». Interprétation malheureuse! coupable pensée! La chair est comparée à l'herbe, parce qu'elle meurt comme elle: mais ce qui meurt pour un temps doit-il ressusciter couvert de crimes ? Veux-tu fine proposition claire tirée de la même Épître ? « Ne savez-vous, dit encore l'Apôtre, que vos corps sont le temple du Saint-Esprit, qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu? » Comment mépriser désormais les péchés charnels, puisque vos corps sont les temples de l'Esprit-Saint, qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu ? » Tu ne t'inquiétais pas d'un péché charnel; seras-tu sans crainte pour, avoir profané un temple? Et c'est ton corps qui est en toi le temple de l'Esprit de Dieu. Réfléchis donc à ta conduite envers ce temple divin: Qu'y aurait-il de plus sacrilège que toi, si dans cette église, si dans ce sanctuaire tu te déterminais à commettre un adultère ? Et pourtant tu es toi-même le temple de Dieu. Que tu entres ici ou que tu en sortes, que tu sois en repos ou en mouvement dans ta maison, partout tu es un temple. Prends-garde, prends-garde d'offenser l'hôte de ce temple, crains qu'il ne t'abandonne et ne te laisse tomber en ruine. « Ne savez-vous pas, » l'Apôtre tenait ce langage à propos de la fornication et pour apprendre à ne mépriser pas les péchés de la chaire; « ne savez-vous

 

1. I Cor. III, 16, 47. — 2. I Pierre, I, 24.

 

pas que vos corps sont, en vous, le temple de l'Esprit-Saint, que vous avez reçu de Dieu, et que vous n'êtes plus à vous-mêmes ? Car vous avez été achetés à haut prix (1). » Si tu méprises ton corps, estime au moins ce que tu as coûté.

14. Je le sais, et quiconque réfléchit tant soit peu attentivement le sait comme moi: quand on craint Dieu et qu'on ne se corrige pas en entendant sa parole, c'est qu'on pense avoir encore à vivre. Ce qui perd un grand nombre d'hommes, c'est qu'ils répètent : Demain, demain, et tout-à-coup la porte se ferme. On reste dehors en imitant le corbeau, parce qu'on n'a pas gémi comme la colombe. Le corbeau en effet dit: Demain, demain, cras, cras. Gémis donc comme la colombe, frappe-toi la poitrine; mais en la frappant corrige-toi, sinon tu semblerais moins réveiller ta conscience, que l'endurcir à coups de poing, la rendre insensible plutôt que de la corriger. Gémis donc, mais ne gémis pas en vain

Peut-être dis-tu en toi même : Dieu a promis de me pardonner quand je me corrigerai; je suis tranquille, car je lis dans la divine Écriture « Le jour où le pécheur se convertira de ses iniquités et accomplira la justice, j'oublierai toutes ses iniquités (2). » Je suis tranquille; Dieu me pardonnera toutes mes fautes quand je me serai corrigé. — Pour moi, que répondrai-je ? Réclamerai-je contre Dieu ? Lui dirai-je : Gardez-vous de lui pardonner? Objecterai-j.e que cette promesse n'est pas écrite, que Dieu ne l'a pas faite? Si je tiens ce langage, ce ne sera que faussetés. Eh bien ! oui, tu dis vrai, Dieu a promis de pardonner à ta conversion, je ne le saurais nier. Mais réponds, je t'en prie. J'y consens, j'accorde et je reconnais que Dieu t'a promis le pardon; mais qui t'a promis de vivre demain ? Tu me montres bien que le pardon t'est assuré si tu te corriges; mais là aussi montre-moi combien tu as encore à vivre. — Je ne l'y vois pas, dis-tu. — Tu ignores donc ce qu'il te reste de vie. Ah! sois toujours converti et toujours préparé.

Ne t'expose pas à redouter le dernier jour, comme un voleur qui percerait la muraille durant ton sommeil; veille et aujourd'hui même corrige-toi. Pourquoi attendre à demain? — J'aurai une longue vie. — Si elle est longue; qu'elle soit bonne. On ne remet pas un long et, bon festin, et tu veux une vie mauvaise et longue? Oui, si elle est longue, elle gagnera à être bonne; et si elle est courte, n'a-t-on pas raison de la prolonger

 

1. I Cor. VI, 19, 20. — 2. Ezéch. XVIII, 21, 22..

 

367

 

en la rendant bonne ? Telle est, hélas! l'insouciance des hommes pour leur propre vie, qu'ils ne veulent rien de mauvais qu'elle. Si tu achètes une terre, tu la veux bonne ; si tu, prends une épouse, tu la choisis bonne également; désires-tu des enfants ? c'est à la condition qu'ils soient, bons; tu neveux pas même de mauvaises chaussures et tu te contentes d'une vie mauvaise ? Que t'a fait cette vie, pour ne vouloir rien de mauvais qu'elle, pour vouloir que de tout ce que tu possèdes il n'y ait rien de mauvais que toi ?

15. Je le crois, mes frères, si je prenais à part quelqu'un d'entre vous, pour le réprimander, il m'écouterait sans doute ; je reprends en public plusieurs d'entre -vous, tous m'applaudissent ; qu'il y ait au moins quelqu'un pour m'écouter. le n'aime pas qu'on loue des lèvres et qu'on méprise dans le cœur. Car en me louant sans te corriger tu déposes contre toi. Si donc tu es pêcheur et que mon enseignement te plaise, déplais-toi à toi-même; en te déplaisant ainsi, tu te corrigeras et tu seras heureux, comme je l'ai dit, si je ne me trompe, il y a trois jours.

Mes paroles sont comme un miroir que je présente à tous; et ce ne sont pas mes paroles; je ne fais en parlant qu'obéir au Seigneur, sa crainte ne me permet point de me taire. Eh! qui ne préfèrerait se tare sans rendre compte de vous? Mais c'est un fardeau que nous avons pris sur nos épaules, nous ne pouvons ni ne devons le rejeter.

 

367

 

Lorsqu'on lisait l'Épître aux Hébreux, vous avez entendu, mes frères, cet avertissement « Obéissez à vos supérieurs et soyez-leur soumis; car ils veillent sur vos âmes, et doivent rendre compte de vous ; afin qu'ils le fassent avec joie et non avec tristesse : ce qui ne vous serait pas avantageux (1). » Quand accomplissons-nous ce devoir avec joie? Lorsque nous voyons qu'on, profité de la parole de Dieu. Quand travaille-t-on avec joie dans un champ ? Lorsqu'en regardant les arbres on' y voit du fruit; lorsqu'en jettant les yeux sur la plaine on y distingue de riches moissons: ce n'est pas en vain qu'on a travaillé, ce n'est pas en vain qu'on s'est courbé, ce n'est pas en vain qu'on s'est fatigué les mains, ce n'est pas en vain qu'on a supporté le froid et la chaleur. Voilà ce que signifient ces mots : « Afin qu'ils le fassent avec joie et non avec tristesse: ce qui ne vous serait pas avantageux. » Est-il dit: Ce qui ne leur serait point avantageux? Non; mais: « Ce qui ne vous serait point avantageux, à vous. » Lorsqu'ils s'attristent de vos maux, cette tristesse leur est avantageuse, elle leur sert, mais elle ne vous sert pas.

Nous ne voulons rien d'avantageux pour nous, qui ne le soit pour vous. Ensemble donc, frères, travaillons dans le champ du Seigneur, afin de recueillir ensemble l'heureuse récompense.

 

1. Hébr. XIII, 17.

 

 

Haut du document

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante