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SERMON XLIII. SUR LA FOI (1).

 

ANALYSE. — Saint Augustin veut expliquer le sens de ces paroles d'Isaïe : « Si vous ne croyez vous ne comprendrez pas.» Il commence par rappeler que la foi est le principe de la vie surnaturelle et par conséquences du bonheur. Donc il est nécessaire d'en remercier Dieu de toute l'effusion de notre coeur; car elle est un bienfait plus précieux que toutes les faveurs et que tous les privilèges naturels qui nous élèvent au dessus de toutes les créatures. — Mais comment obtenir la foi? Faut-il, comme le disent quelques-uns, comprendre pour croire, ou, comme je le prétends, croire pour comprendre? Portons cette discussion devant le tribunal d'un prophète; les arrêts des prophètes ont une certitude incomparable; ainsi l'enseigne Pierre, l'infaillible interprète de la volonté divine. Or le prophète Isaïe proclame qui il est nécessaire de croire pour arriver à comprendre. S'ensuit-il qu'il ne faille pas comprendre pour croire? Ceux qui demandent à comprendre pour croire ont déjà tant soit peu de foi; ils veulent donc comprendre pour croire davantage, comprendre ma parole pour croire la parole de Dieu.

 

1. Le principe d'une vie sainte, de la vie qui mérite l'éternelle vie, est la vraie foi. Or la foi consiste à croire ce qu'on ne voit pas, et la récompense de cette même foi est de voir ce qu'on croit. Le temps de la foi est donc comme le temps des semailles ; employons ce.temps à semer, semons, semons, sans nous lasser, semons toujours, semons jusqu'à ce que nous récoltions ce que nous avons semé.

Le genre humain s'était éloigné de Dieu et gisait dans ses iniquités ; pour revivre il nous fallait un Sauveur, comme il nous avait fallu un Créateur pour vivre. Dieu dans sa justice avait condamné l'homme, il le délivra dans sa miséricorde. « Le Dieu d'Israël donnera lui-même « à son peuple la vertu et la force : qu'il en soit béni (2). » Mais pour recevoir ces dons il faut croire ; le dédain les éloigne.

2.Gardons-nous néanmoins de nous glorifier de la foi, comme si par nous-mêmes nous pouvions quelque chose pour elle. La foi en effet n'est pas rien, elle est quelque chose de grand, et nul ne la possède que sûrement il ne l'ait reçue. « Qu'as-tu effectivement que tu ne l'aies reçu (3) ? » Voyez donc, mes bien-aimés, si vous ne devez pas en rendre grâces au Seigneur notre Dieu : prenez garde de vous montrer ingrats pour aucun de ces bienfaits, cette ingratitude vous ferait perdre ce que déjà il- vous a accordé. Non, je ne puis louer dignement la foi, les fidèles cependant peuvent s'en faire une idée Or si on s'en fait une idée exacte sous quelque rapport seulement, à combien de dons même divins ne doit-on pas la préférer ? Et s'il est vrai que nous devions reconnaître en nous les moindres

 

1. Is. VII, 9, sel. les Lxx. — 2. Ps. LXVII, 36. — 3. I Cor. IV, 7.

 

bienfaits de Dieu, comment oublier le bienfait qui surpasse tous les autres ?

3. A Dieu nous sommes redevables d'être ce que nous sommes : à quel autre devons-nous de n'être pas entièrement rien ? -Mais les bois et les pierres sont aussi quelque chose n'est-ce pas également à Dieu qu'ils en sont redevables ? Qu'avons-nous alors de plus qu'eux? — Ils n'ont pas la vie, tandis que nous la possédons. — Mais la vie même nous est commune avec les arbres et les végétaux. On parle en effet de la vie de la vigne. De fait, si elle n'était pas vivante, il ne serait pas écrit : « Il a tué leurs vignes par la grêle (1). » Elle vit donc quand elle verdit et en se desséchant elle meurt. — Mais cette sorte de vie est dépourvue de sentiment.Et nous ? — Nous sentons. On connaît les cinq sens corporels : nous voyons, nous entendons, nous flairons, nous goûtons et le tact répandu dans tout notre corps nous aide à discerner ce qui est mou et ce qui est dur, ce qui est âpre et ce qui est poli, ce qui est chaud et ce qui est froid. — Oui, nous avons cinq sens : mais des animaux les possèdent également.

Il y a certainement en nous quelque chose de plus ; et toutefois; mes frères, si nous considérions déjà les dons que nous venons d'énumérer, quelles actions de grâces, quelles louanges de nous faudrait-il pas élever vers le Créateur ? Mais enfin quel est ce plus qui nous distingue' des animaux ? L'intelligence, la raison, le discernement ; car ils n'appartiennent ni aux quadrupèdes, ni aux oiseaux, ni aux poissons, et c'est dans ces facultés que brille en nous l'image de Dieu. En effet, dans le récit que fait l’Ecriture

 

1. Ps. LXXVII, 47.

 

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de notre création, elle dit expressément pour nous préférer, ou plutôt pour nous préposer aux animaux, en d'autres termes pour nous les soumettre : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance ; qu'il ait l'empire sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur tous les animaux et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre (1). » D'où lui vient cet empire ? De l'image de Dieu; aussi adresse-t-on à quelques-uns ce reproche : « Ne ressemblez ni au cheval ni au mulet, animaux sans intelligence (2). »

Cependant l'intelligence diffère de la raison. Car nous avons la raison avant d'avoir l'intelligence de quoi que ce soit, mais nous ne saurions avoir l'intelligence sans avoir la raison. L'homme est donc un animal doué de raison ou pour parler plus clairement et plus brièvement, un animal raisonnable, un animal qui possède naturellement la raison et qui la possède avant même de comprendre. Pourquoi effectivement cherche-t-il à comprendre, sinon parce que la raison préexiste en lui ?

4. La faculté qui nous rend supérieurs aux bêtes est donc ce que nous devons principalement cultiver, retoucher en quelque sorte et réformer en nous. Mais qui en sera capable, sinon l'artiste divin qui nous a formés ? Nous avons pu défigurer l'image de Dieu en nous, nous ne saurions la réparer. Ainsi donc, pour tout résumer en quelques mots, nous partageons l'être avec les bois et les pierres; la vie avec les arbres; le sentiment avec les bêtes ; l'intelligence avec les anges. Par les yeux nous discernons les couleurs, le son par les oreilles, l'odeur par les narines, les saveurs par le goût, la chaleur par le tact et le mérite par l'intelligence. Attention !

Chacun veut comprendre, il n'est personne qui n'ait ce désir ; mais tous ne veulent pas croire. On me dit : Je dois comprendre pour croire ; je réponds : Crois pour comprendre. C'est donc entre nous une espèce de controverse, l'un disant: Je dois comprendre pour croire, et l'autre : Au contraire crois pour comprendre. Pour nous entendre cherchons un juge et que nul ne prononce dans sa propre cause. Or à quel juge nous arrêter ? Après avoir examiné tous les hommes, j'ignore s'il est possible de rencontrer un juge préférable à l'homme que Dieu a choisi pour son organe. Ainsi donc pour terminer ce débat n'ouvrons point les auteurs profanes, ne

 

1. Gen. I, 28. — 2. Ps. XXXI, 9.

 

nous faisons point juger par un poète, mais par un prophète.

Lorsqu'accompagné de deux autres disciples du Sauveur, le bienheureux Apôtre Pierre, était sur la montagne avec le Seigneur lui même, il entendit une voix descendue du ciel, laquelle disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances écoutez-le (1). » Et en rappelant ce trait, le même Apôtre dit dans une de ses épîtres : « Nous avons entendu cette voix descendue du ciel, lorsque nous étions avec lui sur la montagne sainte. » Or après ces mots : « Nous avons entendu cette voix descendue du ciel, » ; il ajoute : « Et nous avons la parole plus certaine des prophètes (2). » Cette voix a retenti du haut du ciel; et la parole des prophètes est pourtant plus certaine.

Soyez attentifs, mes bien-aimés : que Dieu seconde et mes désirs et votre attente afin que je dise ce que je veux et comme je veux. Qui de nous ne s'étonnerait d'entendre dire à l'Apôtre que la parole des prophètes est plus certaine qu'une voix descendue du ciel ? Il dit plus certaine ; plus certaine et non pas meilleure ni plus vraie. La parole descendue du.ciel est en effet aussi vraie que la parole des prophètes ; elle est aussi bonne, aussi utile. Que signifie donc plus certaine, sinon plus propre à inspirer la conviction? Pourquoi? Parce qu'il est des infidèles qui accusent le Christ d'avoir eu recours à la magie pour faire ce qu'il a fait. En recourant aux conjectures humaines et aux prestiges coupables, les infidèles pourraient donc attribuer aussi aux arts magiques cette voix descendue du ciel.

Quant aux prophètes, ils sont antérieurs non-seulement à l'émission de cette voix, mais encore à l'incarnation du Christ. Le Christ ne s'était pas fait homme encore lorsqu'il les envoya. Toi donc qui fais de lui un magicien, dis-moi : s'il a pu, grâce à la magie, se faire adorer même après sa mort, avant de naître exerçait-il cet art? Voilà pourquoi l'Apôtre Pierre a dit : « Nous avons la parole plus certaine des prophètes. » La voix du ciel est pour les fidèles un' avertissement ; et pour les infidèles la parole des prophètes est une conviction. Ainsi donc, mes bien-aimés, nous comprenons pour quel motif Pierre a dit, même après avoir entendu la voix descendue du ciel : « Nous avons la parole plus certaine des prophètes. »

 

1. Matt. XVII, 5. — 2. II Pierre, I, 18, 19.

 

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6. Voyez aussi quelle n'est pas la bonté du Christ ! Ce même Pierre de qui nous tenons cette sentence était un pêcheur, et aujourd'hui c'est pour un orateur un grand sujet de gloire de pouvoir le comprendre. Aussi l'Apôtre Paul disait aux premiers chrétiens : « Voyez, frères  votre vocation: ce n'est pas un grand nombre, de sages selon la chair, ni un grand nombre de puissants et de grands que Dieu a choisis; mais ce qui est faible selon le monde pour confondre ce qui est fort ; il a choisi aussi ce qui est insensé selon le monde pour confondre les sages ; enfin Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable selon le monde et les choses qui ne sont rien comme si elles étaient, pour anéantir les choses qui sont (1). » De fait, si le Christ avait d'abord choisi l'orateur, l'orateur dirait : Ce.choix est dû au mérite de mon éloquence. S'il avait choisi le sénateur, celui-ci dirait encore : Ce choix est dû à la dignité qui me distingue. Si enfin il avait d'abord choisi l'empereur, l'empereur dirait à son tour : C'est à ma puissance que je dois cette élection. Que ces grands du monde attendent donc, qu'ils attendent un peu ; on ne les oublie pas, on ne les méprise pas, mais qu'ils attendent quelque temps, car ils pourraient en eux-mêmes se glorifier, d'eux-mêmes. Donne-moi plutôt ce pêcheur, dit le Christ, donne-moi cet homme grossier, cet ignorant, donne-moi cet homme à qui le sénateur dédaigne d'adresser la parole lors même qu'il lui achète son poisson : voilà celui qu'il me faut, car il sera manifeste que c'est moi qui fais tout, quand je l'aurai rempli de moi-même. Sans doute j'appellerai aussi le sénateur, l'orateur et l'empereur, oui j'agirai sur le sénateur, mais sur le pêcheur mon action est plus visible. Le sénateur pourrait se glorifier de lui-même, l'orateur et l'empereur le pourraient également ; le pêcheur ne saurait se glorifier que du Christ. Viens donc, ô pêcheur, viens le premier pour enseigner la salutaire vertu d'humilité ; il conviendra mieux ensuite d'amener l'empereur par ton ministère.

7. Rappelez donc à votre souvenir ce pêcheur saint, juste, bon, rempli du Christ; et dont les vastes filets jetés sur le monde ont dû retirer de l'abîme ce peuple avec les autres ; souvenez-vous que c'est lui qui a dit : « Nous avons la parole plus certaine des prophètes. » Je veux donc un prophète pour juge de notre controverse.

 

1. I Cor, I, 26-23.

 

De quoi s'agissait-il entre nous? Tu disais: Je dois comprendre pour croire; et moi: Crois pour comprendre. Voilà le motif du débat. Cherchons un juge, adressons-nous à un prophète, ou plutôt que Dieu même prononce par la bouche d'un prophète. Maintenant taisons-nous ; on sait ce qui a été dit de part et d'autre. Je veux comprendre, dis-tu, pour croire; crois, répliquè-je, pour comprendre. Voici le prophète: « Si vous ne croyez, dit-il, vous ne comprendrez pas (1).»

8. Pensez-vous néanmoins, mes bien-aimés, qu'il n'y a rien de vrai dans cette assertion : Je veux comprendre pour croire. Eh ! que prétendons-nous maintenant, si ce n'est d'amener à croire, non ceux qui ne croient nullement, mais ceux qui ne croient guère encore? Seraient-ils ici, s'ils ne croyaient pas du tout ? La foi les a amenés à écouter, la foi les rend présents à la prédication de la parole de Dieu ; mais il faut arroser, nourrir et fortifier le germe de cette foi. C'est ce que nous faisons. « J'ai planté, dit l'Apôtre, Apollo a arrosé ; c'est Dieu qui donne  l'accroissement. C'est pourquoi ni celui qui plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui donne l'accroissement (2). » Ainsi en parlant, en exhortant, en enseignant, en persuadant, nous pouvons planter et arroser, mais sans faire croître.

C'est ce que savait cet homme avec qui s'entretenait un jour le Seigneur. La foi commençait à germer en lui, elle était tendre et fragile encore, elle était toute tremblante et cependant elle n'était pas entièrement nulle et c'était pour lui venir en aide qu'il disait: « Je crois, Seigneur. »

9. Lorsque tout à l'heure on lisait l'Évangile, vous avez entendu ces mots : « Si tu peux croire, disait le Seigneur Jésus au père de l'enfant, tout est possible à qui a la foi. » Et se considérant soi-même, se posant en face de soi-même, sans se livrer à une téméraire confiance cet homme examine d'abord sa conscience; il reconnaît qu'en lui il y a quelque peu de foi, mais il voit aussi que cette foi tremble : ni l'une ni l'autre de ces deux choses ne lui échappe. Il confesse donc la première et pour la seconde il demande un secours. « Je crois, dit-il, Seigneur. » Ne devait-il pas ajouter : Aidez ma foi ? Il ne parle pas ainsi. Je crois, Seigneur, dit-il. Je vois ici quelque chose de réel, je ne mens pas ; je crois et je dis vrai ; mais je vois aussi je ne sais

 

1. Isaïe, VII, 9, sel. les LXX. — 2. I Cor. III, 6, 7.

 

quoi qui me déplaît. Je voudrais être ferme, mais je tremble encore. En vous parlant je suis debout, je ne suis pas renversé puisque je crois ; mais je chancelle : « Aidez mon incrédulité (1). »

Ainsi, mes bien-aimés, celui-là même que j'ai en face, avec qui je suis dans une controverse que j'ai demandé au Prophète de vouloir bien dirimer, n'est pas non plus entièrement étranger à la vérité quand il dit : Je veux comprendre pour croire. Pourquoi ce que je dis

 

1. Marc, IX, 22, 23.

 

présentement, sinon pour amener à croire ceux qui ne croient pas encore ? Mais peuvent-ils croire s'ils ne comprennent ce que je dis ? Il est donc vrai sous un rapport  que l'on doit comprendre pour croire, et il est vrai aussi de dire avec le prophète, que l'on doit croire pour comprendre. Donc entendons-nous. Oui, il faut comprendre pour croire et croire pour comprendre. Voulez-vous que j'explique en deux mots et qu'il n'y ait plus de contestation possible ? Je dirai à chacun : Comprends ma parole, pour croire, et crois la parole de Dieu pour comprendre.

 

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