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LETTRE LXXV. A ARTAUD (a), ABBÉ DE PRULLY.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE LXXVI. A L'ABBÉ (a) DES CHANOINES RÉGULIERS DE SAINT-PIERRE-MONT.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE LXXVII. A MAITRE HUGUES DE SAINT-VICTOR.
LETTRE LXXV. A ARTAUD (a), ABBÉ DE PRULLY.
Saint Bernard le dissuade d'aller fonder un monastère en Espagne.
A son très-cher ami et confrère l'abbé Artaud, le frère Bernard, salut.
Tout ce que des amis séparés peuvent nourrir l'un pour l'autre d'affection et de bienveillance au fond de leur coeur, je le ressens pour vous et je compte bien que vous l'éprouvez également à mon égard, non-seulement parce que nous partageons le même genre de vie et la, même profession, mais encore parce que vous n'avez pu oublier notre ancienne amitié. Or il est une manière de nous montrer mutuellement combien cette affection qui nous est si chère est présente au fond de nos coeurs, c'est de ne nous pas cacher l'un à l'autre ce que nous pouvons apprendre de fâcheux sur le compte de l'un de nous. Or j'ai entendu dire que vous avez l'intention d'aller fonder, en Espagne, un couvent dépendant de votre saint monastère ; j'en suis on ne peut plus surpris et je me demande pourquoi, dans quel but et dans quelle espérance vous voulez envoyer quelques-uns de vos enfants en exil, dans une maison si éloignée de vous et qui vous coûtera tant de peines et d'argent à trouver et à construire, tandis que vous avez dans les environs de votre couvent une maison convenable et prête à recevoir les religieux que vous voudrez y envoyer. Vous ne me direz pas sans doute, pour vous excuser, que ce domaine ne vous appartient pas, car je sais que vous pourrez en disposer quand vous le voudrez. Il appartient à l'abbé de Pontigny (b) qui, bien loin de vous le refuser, si vous le lui demandez, se fera même un plaisir de vous l'offrir en pur don si vous voulez l'accepter; non pas que cette maison ne soit bien située, mais elle lui est inutile. Comme vous le savez, nous devons tous les deux tenir compte, dans notre conduite, du conseil de l'Apôtre nous disant : « Prenez garde qu'on ne vous méprise à cause de votre jeunesse (I Timoth., IV, 12). » Car, comme nous
a Nous avons rétabli cette suscription, de même que plusieurs autres, d'après le manuscrit de Corbie. Cet Artaud fut abbé de Prully (notre ancienne édition, dit Pottières) mais à tort, de l'ordre de Cîteaux, dans le diocèse de Sens. Voir aux notes. b Telle est la leçon du manuscrit de Corbie ; dans plusieurs autres, l'endroit n'est indiqué que par l'initiale P. C'est Vauluisant, où Artaud, par le conseil de saint Bernard, fonda un monastère en 1127. date de cette lettre, avec douze religieux qui y furent envoyés, sous la conduite de l'abbé Norpaut.
sommes jeunes l'un et l'autre, je crains qu'on ne nous taxe de légèreté. J'espère bien que vous reviendrez sur votre premier dessein et que vous préférerez une maison qui se trouve dans votre voisinage et prête à habiter; car, en même temps qu'elle fait parfaitement votre affaire vous savez qu'elle est plutôt une charge qu'un avantage pour l'abbé de nos amis à qui elle appartient. Adieu.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE LXXV,
51. Artaud, abbé de Prully, et non pas de Pottières. Voir les notes de la lettre quatre-vingtième. Prully était un monastère de Cisterciens, fondé dans le diocèse de Sens, en l'année 1118, par Thibaut, comte de Champagne, et Adèle, sa mère, comme le rapporte, dans sa Chronique, Guillaume de Nangis, cité par Manrique à cette année, bien qu'alors Thibaut ne fût pas encore comte de Champagne, ainsi qu'il est dit aux notes de la trente et unième lettre. On voit, par le contexte de la lettre, qu'elle n'a point été adressée à l'abbé de Pottières, mais à celui de Prully, car saint Bernard lui dit qu'il ressent pour lui la plus vive affection, « non-seulement parce que nous partageons le même genre de vie et la « même profession, mais encore parce que vous n'avez pu oublier notre ancienne amitié (Note de Mabillon). »
LETTRE LXXVI. A L'ABBÉ (a) DES CHANOINES RÉGULIERS DE SAINT-PIERRE-MONT.
Saint Bernard lui trace la ligne de conduite qu'il doit tenir à l'égard d'un homme qui, après avoir renoncé à la vie du couvent et quitté l'habit religieux qu'il portait depuis longtemps, était rentré dans le monde, et avait convolé à de secondes noces.
Au très-révérend père des chanoines réguliers de Saint-Pierre-Mont, le frère Bernard, salut et l'affection qui lui est due.
Puisque vous avez voulu que cet homme me consultât, je lui ai fait connaître mon sentiment, sans prétendre toutefois qu'il dût le suivre, s'il en trouvait un meilleur que le mien; le voici en deux mots, pour ne pas vous fatiguer par le récit de ce que vous savez. Ce n'est pas sans se mettre en péril, peut-être même n'est-ce pas sans violer les canons, qu'un homme qui a longtemps vécu dans un couvent et porté l'habit religieux, retourne dans le monde et se remarie d'une manière aussi indécente que ridicule, après avoir, du vivant même de sa première femme et de son consentement, observé pendant longtemps une continence absolue. Mais, comme ce mariage s'est fait publiquement et de la même manière que tous les autres, sans qu'il se produisit ni protestation ni opposition, il ne me semble pas que cet homme puisse en sûreté de conscience forcer sa femme à le quitter, tant qu'il n'aura pas, pour lui, le conseil ou la décision de l'évêque, ou même un jugement canonique en règle. Mais comme à notre avis, vous êtes cause, en grande partie, du péril imminent que court cette âme, attendu qu'en différant peut-être trop longtemps de lui permettre de faire profession, comme il le désirait et le demandait, vous avez pu fournir au démon l'occasion de le précipiter dans la malheureuse situation on il se trouve, je vous conseille
a Dans toutes les éditions il y a eu, jusqu'à présent, au même. ; mais nous avons rétabli, d'après le manuscrit de Corbie, la vraie suscription et, par conséquent, le véritable titre de cette lettre. Pierre-Mont est une abbaye d'Augustins, dans le diocèse de Tout peu éloignée de la petite rivière de Mortagne, affluent de la Meurthe. Cette lettre explique le doute que saint Bernard se pose à lui-même dans le quatrième opuscule du Précepte et de la Dispense, chapitre XVI.
au nom de la charité, d'employer toutes les ressources de votre esprit h tirer ce malheureux de ce mauvais pas par tous les moyens possibles, et au prix de n'importe quelles peines et quelles dépenses. Adressez-vous, par exemple, à sa femme elle-même et tâchez de la déterminer à quitter son mari, en 'engageant à garder la continence; ou bien allez trouver l'évêque et priez-le de faire venir ces deux époux devant lui et de les séparer, comme, à mon avis, il a certainement le droit de le faire,
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE LXXVI. AU MÊME (d'après Horstius).
52. Il ne me semble pas que cet homme puisse en sûreté de conscience,..... Un homme qui avait longtemps vécu dans un couvent où il portait l'habit religieux, était retourné dans le monde et y avait pris femme. Saint Bernard consulté à ce sujet, ne dit pas clairement ce qu'il pense de ce mariage. Voici comment il en parle : « Ce n'est pas sans se mettre en péril, et peut-être même n'est-ce pas sans violer les canons, qu'un homme..... etc.; » puis il ajoute : «Mais, comme ce mariage s'est fait publiquement et de la même manière que tons les autres, » il ne lui semble pas que cet homme puisse en sûreté de conscience, se séparer de sa femme malgré elle. De plus, on ne voit pas bien par quelle espèce de. voeu cet homme s'était enchaîné, à moins qu'on ne regarde comme la preuve d'un voeu solennel, le port de l'habit religieux pendant de longues années. La difficulté soulevée par cette question se trouve encore augmentée par la lettre soixante-dixième de saint Augustin à Boniface qui devint comte après avoir fait voeu de religion, et se maria. Le saint évêque l'engage à accomplir son voeu si sa femme le lui permet, et à vivre saintement dans sa charge, si elle ne consent point à lui rendre sa liberté. Le même Père, dans son traité Sur le bien de la viduité, chapitre IX, s'exprime en ces termes : « Mais parce qu'il n'est pas donné à tout le monde de goûter ces paroles... etc., que celle qui peut comprendre ceci le comprenne bien, et que celle qui ne peut garder la continence se marie; que celle qui ne s'est pas encore engagée dans le mariage réfléchisse avant de le faire, et que celle qui en a accepté les lois s'y soumette avec persévérance. » Un peu plus loin il continue ainsi : « Par la continence, les vierges et les veuves aspirent à un état plus excellent et meilleur, celles qui se sont une fois décidées à l'observer, qui l'ont embrassé par choix et s'y sont astreintes par un voeu, non-seulement ne peuvent plus se marier, mais ne sauraient même sans crime songer à le faire..... Ce n'est pas que le mariage ou leur mariage soit mauvais en lui-même, à nos yeux, mais le mal est dans le renoncement à leur projet, dans la violation de leur. veau; s'il n'est pas précisément en ce qu'elles font, une chose moins bonne, que celle qu'elles avaient promise, elle est datas la perte d'une chose meilleure que celle qu'elles font.., etc. » Dans le Mme traité, chapitre X, le saint Docteur se déclare contre ceux qui regardent le mariage contracté après un veau de chasteté, plutôt comme un adultère que comme un vrai mariage, et soutient que c'en est un véritable et indissoluble (Voir Tanner. tom. III, disput. 5, quest. 4. doute 4). Saint Augustin émet encore la même opinion sur ce sujet, dans un autre endroit. On peut voir la réponse de saint Bernard à l'autorité de ce Père, dans son traité du Précepte et de la dispense, chapitre XVII. On pourra en même temps admirer son respect, pour les saints Pères, qu'il ne se permet pas facilement d'accuser de faute ou d'erreur. D'ailleurs, il est constant maintenant que tous les théologiens et l'Église entière regardent le voeu solennel de religion comme un empêchement non-seulement empêchant mais, dirimant. Le point controversé est de savoir s'il dirime ce mariage de droit naturel et divin ou de droit ecclésiastique, positif ou humain. Saint Thomas (a), saint Bonaventure, Durand, Soto, Sanchez et beaucoup d'autres encore pensent que le voeu solennel est dirimant, de droit naturel et divin; ils s'appuient sur ce que le voeu solennel n'est pas une simple promesse comme un voeu ordinaire, mais constitue, à proprement parler, une véritable mise en possession d'une chose présente, une véritable délivrance en propriété perpétuelle, à Dieu, de la personne qui fait ce vu : c'est un transport de domaine et de jouissance en faveur de Dieu, accepté par l'Église en son nom. D'où il suit qu'après cette espèce d'envoi de Dieu en possession de l'homme qui a fait un voeu, celui-ci ne s'appartient plus et ne peut plus se donner à un autre; la première donation rend nulle toute donation postérieure, car il est de droit naturel et divin qu'on ne peut donner à autrui ce qu'on ne possède pas, par conséquent tout mariage contracté après un voeu solennel est nul, de droit naturel et divin. D'autres théologiens n'admettent pas le principe que les premiers regardent comme certain et, pour eux, si le vu solennel est, pour le mariage, un empêchement dirimant. ce n'est qu'en vertu du droit ecclésiastique. Voir Palud, dans sa 4e dist. 88; Cajétan. 2. 2, question 88, a. 7; Vasquez, disp. 165, chap. 6; Azor., liv. 12, chap. 6; Lessius, Traité de la justice, chap, 41, doute 8, n. 1, et tous les canonistes, au rapport de Panormitain, sur le chap. Rursus qui clerici vel voventes. Voir encore sur ce point la doctrine de l'Eglise, dans les décrets du premier concile de Tolède, canon 16 ; de Chalcédoine, canons 14 et 15; de Tribur, canon 25, qui s'appuie sur l'autorité de celui de Chalcédoine, et prescrit ouvertement de séparer ceux qui ont contracté mariage après avoir fait vu solennel de religion; du second concile de Tours, canon 16, et enfin de celui de Trente, session XXIV, canon 9, qui déclare anathème quiconque ne tient pas pour a invalides les mariages de ceux qui ont fait voeu solennel de chasteté. » Or ce n'est pas là dissoudre les liens d'un mariage effectivement contracté ou changer l'essence de. ce sacrement, mais c'est rendre les personnes inhabiles à contracter mariage, ou annuler l'espèce de contrat qui est requis dans ce sacrement. D'ailleurs, ce n'est pas sans de bien graves motifs que l'Eglise agit de la sorte. En effet, puisque celui qui fait voeu solennel de religion se consacre publiquement, se donne tout entier à Dieu et fait en son honneur profession d'un nouvel état de vie, il était convenable que l'Eglise pourvût, par les meilleurs moyens possibles, à leur persévérance, et prévînt tous les scandales qui pouvaient naître de cet état de choses; c'est
a S. Thom, 4 Sent. distinct. 38. quest. 1, a. 3.
ce qu'elle a fait admirablement bien en déclarant que la profession religieuse entraînerait de pareilles conséquences. Voici donc comment il faut entendre les passages des Pères ou les canons qui semblent opposés sur ce point, car s'il est hors de doute que le mariage contracté après un voeu de chasteté est illicite, les uns ne le, regardent pas moins comme un mariage véritablement valide et indissoluble une fois contracté; les autres tiennent que c'est un pur adultère; le pire de tous, et qu'on doit séparer les époux de force et même recourir, en cas de besoin, à laide du bras séculier. Voici; dis-je, comment on peut concilier les deux opinions. Les deux premiers ne parlent que du vu simple; qui n'est pour le, mariage qu'un empêchement empêchant, et non pas dirimant; les seconds ont en pensée le voeu solennel, qui est un empêchement dirimant. Cependant il y a des théologiens qui prétendent que les premiers parlaient des. deux sortes de voeux indistinctement, et que; dans leur pensée,, la profession religieuse ne devint un empêchement dirimant qu'en vertu d'une loi ecclésiastique; mais il est difficile de dire à quelle époque cette loi fut portée. Nous pensons en avoir dit assez sur ce sujet, mais on peut consulter encore saint Thomas à l'endroit cité; Bellarmin, tome III, du Mariage, chapitre 21 ; Estius, dans la 4e sentence, distinction trente-huitième ; Tanner, tome III, disp. 5, question 4, doute 4 et tome IV; disp. 5, question 4, doute 3; Plat., du Bien de l'état religieux, livre II, chapitre XX (Note de Horstius).
LETTRE LXXVII. A MAITRE HUGUES DE SAINT-VICTOR.
L.'an 1127.
Cette lettre, à cause de son importance, a été rangée parmi les traités.
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